Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Al Hayat" le 9 mai 2009, sur la coopération entre les secteurs bancaires arabes et le système bancaire français, sur l'évolution de la situation économique et la santé de l'euro.

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Média : Al Hayat

Texte intégral

Q : Quel est le but de votre visite en Arabie saoudite ?
R : La visite a pour objectif un échange de vues avec les membres du gouvernement sur la situation internationale, les approvisionnements pétroliers et les perspectives sur la situation financière internationale. Nous évoquerons également avec les responsables saoudiens le projet de TGV reliant Médine et la Mecque dans lequel des sociétés françaises, Alsthom et la SNCF, déjà présélectionnées, sont directement impliquées.
C'est un projet très important en raison de son volume. C'est une coopération qui permettrait à la SNCF de travailler comme opérateur pendant une période de 12 ans et qui permettra à Alsthom de fournir l'ensemble du matériel roulant. Le coût de ce projet est de l'ordre de 1,5 milliard d'Euros, intéressant pour les deux entreprises françaises et pour la France. Il représente un lien emblématique et nous, Français, serons fiers d'y participer.
Q : Qu'est-ce qui vous intéresse le plus dans les échanges avec l'Arabie ?
R : A l'occasion du G20, l'Arabie était l'un des acteurs efficaces, mais nous n'avons pas eu l'occasion d'un débat bilatéral pour s'informer de leurs vues.
La prochaine rencontre du G20, prévue à New York au mois de septembre, sera l'occasion d'une espèce d'évaluation des mesures prises à la fois sur la relance économique, sur le financement des institutions internationales et les lois financières. Je suis intéressée de savoir quelle est la position du Royaume, notamment sur le financement des institutions internationales et leurs performances ainsi que sur les lois financières, d'autant que nous avons un volet relatif à la finance internationale qui présente certaines caractéristiques recherchées aujourd'hui, sur le plan des principes, plus précisément l'équilibre.
Je pense qu'ils peuvent, dans ce cadre, apporter quelque chose de sophistiqué et d'équilibré, plutôt que sophistiqué dans la démesure.
Je souhaite également aborder les sujets relatifs à l'énergie pour connaître le point de vue des responsables saoudiens au sujet de l'évolution des cours du pétrole et les relations entre les clients et les fournisseurs, leur politique au sujet des investissements dans le domaine de l'énergie alternative, notamment nucléaire, d'autant que la France bénéficie d'une importante présence sur ce marché.
Je souhaite m'informer de leur position à l'occasion du prochain sommet de Copenhague et des nouveaux accords, en cours d'études, les projets de diminution des émanations de gaz à effet carbonique qui, j'espère sera l'un des sujets abordés à l'occasion du prochain G20.
Q : Comme se développe le financement islamique en France ?
R : C'est l'un des projets sur lesquels je souhaitais qu'on avance en 2009. On a adopté, en début d'année, des directives fiscales qui permettent d'aplanir les obstacles à la constitution de « bonds » (soukouk) et de mettre en place les structures compatibles avec les principes de la finance islamique. On a encore du travail à accomplir car je souhaite en particulier modifier le régime des fiduciaires, c'est à dire que l'on puisse utiliser notre équivalent des trusts pour le financement islamique en France.
C'est ce que font les Britanniques et c'est ce que nous devons faire en France. Deux établissements islamiques ont présenté leurs dossiers à l'autorité des marchés financiers afin de pouvoir s'implanter ici en France.
Q : Avez-vous l'intention de renforcer la coopération entre les secteurs bancaires arabes et le système bancaire français ?
R : J'ai rencontré les représentants du secteur bancaire arabe qui se réunissent régulièrement à Paris. J'ai participé au dîner qu'ils avaient organisé à l'occasion de leur dernière réunion. J'ai constaté des échos très favorables de leur part. Ils semblaient désireux de s'implanter à Paris et de bénéficier des améliorations fiscales et juridiques qu'on apporte aux structures qu'ils utilisent habituellement. Donc, je suis très contente de voir deux demandes d'agrément et j'espère qu'il y en aura d'autres.
D'autre part, il y a toute l'activité des fonds souverains, nombreux dans les pays arabes. Certains ont beaucoup perdu mais ils disposent encore de réserves qu'ils peuvent utiliser et d'investissements qu'ils peuvent effectuer. Donc, je crois qu'il faut rester extrêmement ouvert et c'est la logique que je préconise depuis le rapport DesMarolles sur les fonds souverains, dont nous partageons la logique, puisque nous avons mis en place le fonds stratégique d'investissements, FSI, qui sera doté d'un montant de 20 milliards d'Euros. C'est peu par rapport à certains grands fonds souverains comme les fonds qatarien et koweïtien. Mais nous sommes dans la même logique d'investissements stratégiques.
Q : Partagez-vous l'avis de Bernanke au sujet de la relance à la fin de l'année ?
R : Je me réjouis qu'il tire ce diagnostic de l'examen de la situation économique américaine car c'est là qu'a commencé la crise. S'il y a une relance, nos en profiterons également. J'entends des échos similaires partout en ce moment, c'est à dire que les chiffres sont mauvais et que la situation est en récession. C'est douloureux, mais on voit que la situation commence à s'inverser, à savoir qu'on stabilise la chute. C'est ce qui apparaît des enquêtes sur le climat des affaires au niveau des entreprises ou au niveau des ménages, qu'il s'agisse du volume du shipping qui est un très bon indicateur, de l'ouverture de nouveaux chantiers immobiliers. Tout ceci évolue de manière plus ou moins positive, donc son diagnostic ne me surprend pas beaucoup.
Q : Pensez-vous que l'Europe suivra aussi vite ?
R : Je l'espère. On a un décalage avec les conséquences de la crise et on aura probablement un décalage dans le redémarrage des activités. Dans les deux cas de figure, je pense que nous serons face à une nouvelle activité économique, ce ne sera plus comme avant. Les consommateurs consommeront différemment et le monde financier ne pourra plus continuer à fonctionner comme avant. La crise a été trop brutale, trop générale et trop grave pour que l'on se contente de mettre les pendules à l'heure et de refaire comme avant.
Q : Le Financial times a mentionné que vous n'étiez pas satisfaite des propositions européennes sur la régulation des « hedge funds ». Que préconisez-vous ?
R : Ce que je préconise c'est que chaque fois qu'on a un risque systémique potentiel, à savoir un gros risque, il doit y avoir une supervision extrêmement étroite et localisée, là où le risque est subi. Pour les hedge funds aujourd'hui, la proposition consiste à offrir un passeport européen pour des fonds qui seraient gérés en-dehors d'Europe à partir d'Europe, c'est-à-dire que l'on pourrait très bien avoir un hedge fund organisé immatriculé et soumis à une supervision d'un pays tiers, géré à partir d'Europe, cherchant ses financements en Europe et qui ne serait pas soumis à la supervision européenne, dès lors qu'il aurait pris trois ans d'ancienneté. Je ne suis pas d'accord sur cette proposition. Il faut qu'on puisse superviser en Europe puisque le risque se matérialise en Europe. Ceux qui s'y opposent, ont intérêt à continuer à utiliser des structures localisées dans les îles diverses et dans des pays à faible supervision.
Q : Pensez-vous pouvoir convaincre ?
R : Si on échoue, ce ne sera pas faute d'avoir essayé. Je ne me pardonnerais pas de ne pas avoir essayé. La commission européenne a déposé sa proposition qui sera examinée d'ici la fin 2009.
Q : Pensez-vous que la déflation dans beaucoup de secteurs va continuer ?
R : Non je ne pense pas. Ce sera temporaire et cela correspondra à une évolution négative des prix car si l'on compare les prix d'une année à l'autre, nous constatons un recul dans les prix, car au cours des mois de mai et juin 2008 les cours du pétrole étaient plus élevés et là ils ont beaucoup baissé.
Je pense que structurellement on plus de risque d'inflation et non de déflation, mais c'est un risque à moyen terme et non à court terme.
Q : Comment voyez-vous la situation en France dans les mois qui viennent ?
R : Nos performances sont aujourd'hui meilleures que la moyenne de la zone Euro, en matière de croissance, de chômage et d'inflation. Le système financier et bancaire est solide en France. Les capitaux des banques sont suffisants pour conforter une situation économique détériorée. Donc, cela fait beaucoup de facteurs positifs. Pour autant, c'est vrai que l'on va continuer à avoir du chômage et devoir se battre sur tous les fronts sur les plans conjoncturels et sur le plan structurel pour surmonter les problèmes et relancer la machine pour que l'économie redémarre.
Q : Comment expliquez-vous la remontée de l'Euro face au dollar ?
R : La zone Euro a été une zone relativement protégée grâce à la solidité de l'Euro d'ailleurs, car tous les échanges que nous avions entre nous étaient protégés des risques de variation des changes.
On a par ailleurs, un taux d'intérêt supérieur à celui des Etats-Unis ou de Grande-Bretagne ou du Japon. C'est donc un facteur de confiance et de rentabilité des capitaux qui assure un afflux d'investissements.
Q : Etes-vous pour un Euro fort ?
R : Je suis pour une parité stable. Tous les mouvements de grande volatilité sont néfastes pour l'équilibre des changes. On a aussi intérêt à avoir des monnaies évaluées en fonction de l'output économique de chaque pays. Aujourd'hui, l'Euro à 1,30 ou 1,32 est bien par rapport aux fondements de notre économie. Il faut aussi qu'on ait un dollar fort. On y a intérêt, en particulier pour ceux qui ont beaucoup investi en bonds du trésor américain comme les Chinois.
Q : Que veulent vos collègues américains du dollar ?
R : Pour l'instant, ils n'ont pas donné beaucoup de signaux sur ce qu'ils veulent. Mon homologue américain est très concentré, et il a raison, sur la restauration du système bancaire américain. C'est sa première priorité et on y a tous intérêt.
Q : Qu'en est-il de l'accord financier signé avec le ministre bahreïni des Finances, Cheikh Ahmed bin Mohamed Al Khalifa ?
R : C'est un accord sur l'échange d'informations fiscales entre la France et Bahreïn. Si nous avons des doutes sur un ressortissant français soumis aux lois fiscales en France et si nous pensons qu'il a des actifs qu'il dissimule à Bahreïn, nous pouvons alors demander aux autorités fiscales bahreïnies de nous fournir des informations sur la personne concernée.
Q : Pourquoi un tel accord uniquement avec Bahreïn ?
R : Ce n'est pas limité uniquement à Bahreïn. Je signerai un accord de ce genre avec le Luxembourg. Mais seul Bahreïn, parmi les pays du Golfe, a signé avec nous un tel accord.
Source http://www.ambafrance-sa.org, le 9 juin 2009