Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec RTL le 17 juin 2009, sur la position de la France concernant l'élection présidentielle iranienne et la contestation de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, les obsèques du président gabonais Omar Bongo et sa succession.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- A propos de l'élection présidentielle en Iran et de la contestation qu'elle provoque, le président de la République a déclaré ceci, hier : "l'ampleur de la fraude électorale est proportionnelle à la violence de la réaction". Cela veut-il dire que pour la France l'élection présidentielle iranienne a été truquée ?

Cela veut dire que nous sommes inquiets et attentifs et que les éléments que nous possédons de l'extérieur, et aussi par le système imparfait des informations qui viennent de l'Iran, puisque les journalistes sont interdits d'action pratiquement puisqu'Internet est bloqué, puisque le téléphone mobile ne passe plus. Mais il arrive des images, vous le savez, avec les téléphones portables, c'est un système moderne qui nous permet d'être attentifs certes, mais très inquiets. Il semble, d'après tous les correspondants que les opposants à monsieur Ahmadinejad qui a triomphé dans les élections, semble-t-il, apparemment, d'après les chiffres publiés par les autorités, tous les opposants veulent absolument, souhaitent, exigent que soient recomptés les bulletins. Ce que d'ailleurs une partie du gouvernement et le Guide Khameini viennent d'accepter.

"Recomptage partiel", dit le Guide Khameini.

Recomptage partiel dans certains endroits.

Quand le président de la République a cette expression : "l'ampleur de la fraude électorale", est-ce que ça veut dire que pour la France, l'élection présidentielle iranienne a été truquée et donc le résultat n'est pas accepté par la France ?

Mais je vous répète, tous les éléments dont nous disposons nous inclinent à penser qu'il n'était pas possible, par exemple, dans les régions qui étaient celles de monsieur Moussavi ou celles de monsieur Karoubi ou même de monsieur Rezzaï, quand on est passé de 18 % dans un premier tour à 0,8%, quelque chose a dû quand même se gripper dans la machine. Oui, nous pensons les uns et les autres que l'ampleur de la réaction populaire qui se fait, je vous rappelle, au cri de "Allah Akhbar", c'est-à-dire une contestation religieuse en même temps, l'ampleur de la réaction et de la répression contre ces manifestations est telle que quelque chose s'est passée. Nous en sommes tous convaincus.

Pour l'instant, la France n'accepte pas le résultat de l'élection iranienne ?

Vous savez, de l'extérieur, accepter ou ne pas accepter le résultat, nous voyons ce que font les Iraniens. Il y a des Iraniens chez nous qui nous parlent et des Iraniens dans le monde entier... N'oubliez pas que c'est depuis trente ans - c'était en 1979 - que l'ayatollah Khomeiny est venu de France pour rentrer en Iran ; et depuis, la situation a été, si j'ose dire, en terme de liberté publique, de mal en pis. Et donc, maintenant, il y a une réaction que le président de la République a soulignée, une réaction populaire et une opposition assez déterminée. Je vous rappelle aussi qu'en 1999, il y avait déjà eu cette réaction. Déjà la répression, en particulier sur les étudiants. Donc nous ne pouvons pas assister complètement muets. Je sais qu'il ne faut pas d'ingérence, je pourrais parler un peu longuement...

Il n'en faut pas ?

Mais si ! Il faut qu'on s'indigne lorsqu'il y a de quoi de s'indigner, bien entendu. Il ne s'agit pas d'autre chose.

Je voudrais vous soumettre la déclaration du Président B. Obama faite, hier soir, sur la chaîne NCBC. Le Président Obama dit : "C'est aux Iraniens qu'il appartient de décider. Nous n'allons pas nous en mêler".

Il s'en mêle en disant ça.

Ben non...

Mais si ! Et non seulement nous n'allons pas nous en mêler, bien entendu, physiquement nous n'allons pas nous en mêler ; mais ça ne doit pas empêcher, c'est très clair, le dialogue. Mais le dialogue a eu lieu encore la semaine dernière à Paris. Nous n'avons pas cessé de dialoguer avec les Iraniens, non seulement à propos du danger nucléaire. N'oublions pas que ceci, toute cette... - pas agitation -, cette contestation populaire, ce mouvement profond, des centaines de milliers de personnes, des morts dans les rues, des tirs directs sur la foule - quand même, nous avons vu tout ça -, envoyés encore une fois, par les Iraniens eux-mêmes, tout ça se fait sur un fond très dangereux d'armement ou non nucléaire militaire, et surtout d'une absence de contrôle par l'Agence internationale de l'énergie atomique. Alors monsieur Obama a demandé, et il l'a dit dans sa campagne électorale, il l'a confirmé maintenant, des contacts directs avec l'Iran ; nous les avons approuvés. Nous avons eu des contacts directs à maintes reprises, n'oublions pas que ce sont les Européens qui ont commencé à exiger - enfin "exiger"... -, à demander à offrir le dialogue. Et la dernière fois, c'était en avril, il n'y a même pas eu de réponse des Six qui s'occupent, vous le savez, c'est-à-dire les trois Européens plus la Chine, plus les Etats-Unis et la Russie. Pendant ce temps-là, monsieur Ahmadinejad était d'ailleurs en Russie, je vous signale.

Oui, et justement, le Président Medvedev a qualifié ce qui se passe d'affaire intérieure iranienne et le fait même qu'il reçoive monsieur Ahmadinejad vaut sans doute reconnaissance de l'élection.

Oui, nous n'avons pas la même notion que le Président Medvedev, ni les Russes, des affaires intérieures, des intérêts du monde, ni des droits de l'Homme ni, par rapport à la Russie, de certains gestes qui ont été difficilement acceptés. Non, nous ne voulons pas intervenir directement. Nous ne le faisons pas. Mais l'indignation, la nécessité de soutenir les démocrates, la nécessité de soutenir les réformateurs, nous l'affirmons haut et fort.

Pourriez-vous ne pas reconnaître la réélection de monsieur Ahmadinejad si le résultat était finalement confirmé ?

Le problème ne se pose pas ainsi pour le moment.

Il va se poser ?

On verra, je vous en parlerais à ce moment-là. Mais pour le moment, première victoire quand même de ce qu'on appelle les réformateurs. Vous savez, c'est une nuance parce que les réformateurs ont été très, très proches. Monsieur Moussavi a été Premier ministre pendant très longtemps ; monsieur Khatami qui était le représentant du mouvement réformateur, par excellence, lui aussi appelle à la vigilance. Certains ayatollahs dénoncent les résultats et ne veulent pas les reconnaître. C'est un mouvement profond, il est très important. Il témoigne de la volonté de se révolter contre l'oppression. Nous le constatons de l'extérieur mais au moins, constatons-le. Ne mettons pas notre tête dans le sable !

La question demeure ouverte dans votre esprit : la France pourrait ne pas reconnaître monsieur Ahmadinejad si le résultat tel qu'il est, était confirmé ?

De toute façon, les déclarations de monsieur Ahmadinejad ne sont pas acceptées par la France. Lorsque monsieur Mothaki, le ministre des Affaires étrangères, que je rencontre très souvent, est venu il y a dix jours à Paris, ça s'est accompagné d'une autre négation de l'holocauste. Est-ce qu'on peut parler dans ces conditions ? Non, nous souhaitons que le peuple iranien parle. Il est en train de s'exprimer.

Vous étiez à Libreville, hier, en compagnie du président de la République pour assister aux obsèques du Président Bongo. Le président de la République a été sifflé par peu de gens, mais il a été sifflé.

Je vous remercie d'avoir dit "peu de gens". C'était à l'intérieur du cercle officiel, et donc ces gens étaient rentrés officiellement.

...Mais il a été sifflé.

Il y a eu une trentaine, peut-être quarante personnes. Moi, je suis allé vers elles, je suis allé dans la rue. Dans la rue, on n'était pas sifflé, on était applaudi. Et je vous signale qu'à l'intérieur de cette enceinte, où il y a eu quelques sifflets, après plus de cent ans de colonisation et quarante ans - merci à A. Duhamel de l'avoir dit quand même -, c'est le seul pays qui n'a pas fait la guerre en Afrique, ni avec ses voisins, mais qui a participé au processus de paix. Il n'y a pas de prisonniers politiques. Mais le reste est criticable, vous avez eu tout à fait raison de le critiquer. Mais à part ça, quand même...

Ces sifflets ne signalaient-ils pas une forme de rejet de la Françafrique, de la part des Gabonais eux-mêmes ?

Il serait temps, ça fait tellement longtemps. Et puis ça signalait aussi une certaine indignation, sans doute arrangée, je crois, par rapport aux démarches qui sont faites pour qu'il y ait plus de clarté, là aussi, dans le gouvernement...

Les démarches judiciaires ?

Non. Ecoutez, je vous assure, j'y étais, ce n'était pas très éprouvant. A part ça, ça veut dire aussi, n'oublions pas, qu'entre monsieur Chirac et monsieur Sarkozy, il y a eu des applaudissements, les seuls qui ont brisé cette espèce de recueillement de plusieurs heures - six heures, où on écoutait les discours et on participait du deuil. Est-ce que vous avez souligné plus les sifflets ou les applaudissements ?

On a parlé de tout mais on a aussi parlé des sifflets.

Très bien. Moi je parle aussi des applaudissements.

Pensez-vous que la prochaine élection présidentielle gabonaise sera régulière ?

Pour le moment, les discours en dehors de celui du Premier ministre qui a, si j'ai compris quelque chose, déclaré son intention de se présenter, mais ce n'est pas sûr, je crois nos conversations étaient plutôt rassurantes...

Le fils d'O. Bongo aussi ?

Mais ce qui est clair, c'est qu'on n'a pas de candidat, comme a dit le Président aussi, il faut le souligner ; que maintenant la Françafrique - un peu difficile d'expliquer le départ, enfin de changement de poste de J.- M. Bockel que je connais bien de cette façon... Mais attendez, la Françafrique, ça veut dire : c'est fini, nous négocions les bases ; c'est fini, jamais l'armée française ne soutiendra un gouvernement contre son opposition. C'est ça le nouveau. Il n'y a pas de candidat français et il n'y a pas d'intervention française et il faut que les Gabonais trouvent leur Président tout seul. C'est dit. Rapidement : la France soutient-elle la candidature de F. Osni, ministre de la Culture égyptien à la direction générale de l'Unesco ? La France est le pays hôte de l'Unesco. La neutralité est de rigueur. Laissons les votes s'exprimer. En effet, quand il y avait un seul candidat, nous avions dit que nous soutenions le candidat égyptien. Maintenant, il y en a plusieurs, et je le répète : ce n'est pas à la France, le siège de l'Unesco étant en France, de se décider. Nous verrons.

On attend un remaniement gouvernemental. Vous serez ministre, la semaine prochaine ?

Est-ce que vous me trouvez haletant ?

Non, mais serez-vous ministre, la semaine prochaine ? Vous avez peut-être des garanties ?

Je n'en sais rien du tout. C'est au président de la République et au Premier ministre de le dire. Mais je reviendrai volontiers vous le dire.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 juin 2009