Texte intégral
R. Duchemin.- La Question du jour, on la pose ce matin à la secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme, R. Yade, pour parler d'abord de la situation en Iran. Il est, ce matin de plus en plus difficile d'obtenir des informations. Tous les correspondants ont des problèmes avec leur téléphone portable, sont empêchés de couvrir les évènements. Est-ce qu'on peut accepter cette situation aujourd'hui ?
Non, évidemment, c'est la raison pour laquelle dès que la contestation a commencé et que la répression s'est abattue sur Téhéran, le ministère des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur d'Iran pour lui dire de vive voix la très forte inquiétude de la France face à ces violences, face à la répression. Il y a des morts, il y a des journalistes étrangers, effectivement, qui ne peuvent plus travailler. Il y a effectivement une situation de confusion la plus totale à la suite de la publication des résultats de l'élection présidentielle par le ministère de l'Intérieur. Et effectivement, notre ambassade aussi a été attaquée de l'extérieur par des manifestants. Nous avons dit que tout cela était inadmissible, et que par ailleurs nous étions effectivement très préoccupés par la situation sur le terrain. Au fond, on a le sentiment d'une peur qui saisit le régime.
Vous avez, comme N. Sarkozy aujourd'hui, un doute sur la validité réelle de ces élections ?
Le challenger Moussavi, ainsi que les autres, Rezaï et Karoubi, qui ont obtenu aussi des scores très en deçà de ce qu'ils représentent dans la société, rendent cette hypothèse vraisemblable. Mais étant donné qu'il n'y avait pas d'observateurs internationaux sur place, je ne peux pas vous dire avec certitude quel est le résultat des scrutins réellement. Moussavi a saisi le Guide suprême et le Conseil qui est chargé de l'organisation des élections pour contester les élections au motif d' "irrégularité".
Visiblement, il va y avoir un nouveau comptage des voix prévu aujourd'hui. Est-ce qu'on peut avoir confiance, finalement, aujourd'hui, dans ce nouveau décompte ?
On n'a pas le choix, parce qu'il n'y a pas d'observateurs internationaux, parce que l'Iran est un pays souverain.
Vous souhaitez qu'il y en ait ? Est-il possible... ?
L'Iran est un pays souverain. Il faut savoir que même la jeunesse urbaine, qui aujourd'hui manifeste dans les rues, tient à cette souveraineté. C'est un peuple qui n'est que trop habitué à des incursions, à ce qu'ils appellent peut-être "des manoeuvres étrangères". Donc il faut être très prudent à ce niveau-là. On dit notre inquiétude, notre attachement aux libertés publiques, notre préoccupation vis-à-vis de la situation de cette jeunesse qui, effectivement, vit des heures difficiles, et pour l'Iran en particulier, dont la stabilité est absolument nécessaire pour la stabilité de la région, au regard de la question nucléaire, comme vous savez. Puisque depuis 2002, on a découvert que l'Iran développait un programme nucléaire militaire clandestin, et que depuis, elle ne souscrit plus à ses engagements internationaux malgré différents accords qui lui ont été proposés.
Justement, la question du nucléaire est très importante en filigrane dans ces élections. B. Obama, aux Etats-Unis, a dit cette nuit, dans une première déclaration où il est un petit peu sorti de sa réserve, qu' "il fallait faire attention, parce que, au final, il n'y avait pas de tant de différences que ça entre M. Ahmadinejad et M. Moussavi".
Il faut savoir ce qu'est l'Iran. L'Iran, depuis la mort de Khomeiny il y a vingt ans, fonctionne sur un consensus politique fondé sur un régime autoritaire et théocratique, qui est "managé", si je puis dire, par trois clans : les conservateurs, les réformateurs et les radicaux. Les radicaux représentés par Ahmadinejad ; les réformateurs par Moussavi et puis enfin, des pragmatiques-conservateurs. Et ces trois clans sont acceptés par le système, quasiment choisis par le système, pour pouvoir être des opposants à ceux qui le sont, y compris Moussavi, qui est d'accord sur le fait que ce régime fonctionne sur des lignes rouges à ne pas dépasser, comme précisément la question nucléaire, comme précisément la nature même du régime. Donc Moussavi, il ne faut pas le présenter comme un - et ça ne lui rendrait pas service - suppôt de l'Occident, ou quelqu'un qui est ouvert aux idées telles que nous les concevons ici. Ce n'est pas du tout ça. D'ailleurs, même aujourd'hui, il joue la carte de la loyauté. Lorsqu'il fait sa contestation, il le fait dans un cadre très légal, il veut canaliser le mouvement. Donc il faut faire très attention à ne pas dupliquer nos analyses sur une réalité iranienne complètement différente.
On n'a pas la même conception de la démocratie ?
Effectivement. Ce consensus dont je vous parle, est en train, aujourd'hui quand même, de se rompre, parce que les lignes rouges qui disaient qu'on ne touche pas aux opposants internes parce qu'on considère qu'ils font partie du système, eh bien cette ligne rouge-là, est aujourd'hui en train d'être franchie. Et c'est pour ça que nous vivons des heures décisives, parce qu'on peut se demander si radicaux n'ont pas décidé de gérer le pays seuls.
Vous parlez d' "heures décisives", pensez-vous qu'on est réellement aujourd'hui à l'aube d'une nouvelle révolution en Iran ?
Il y a plusieurs issues possibles. Soit le régime se radicalise, entre la répression et puis mate le terrain finalement, et on revient au système antérieur, et dans ce cas l'Iran sera dans une situation de fragilité. Ou bien les manifestants l'emportent à condition que les jeunes urbains entraînent avec eux les autres couches sociales de la société, et dans ce cas, il y a cette révolution iranienne que certains attendent. Mais il ne faut pas se faire d'illusions. Je pense qu'on sera dans une position équilibrée. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que le Président Ahmadinejad a quand même des soutiens au-delà de Téhéran, et ce n'est pas pour rien que, même s'il n'avait pas 60 %, 62 % des voix, il y en avait qui attendaient à ce qu'il gagne à 50 % des voix. Donc le contrôle du scrutin et de sa régularité sera absolument décisif pour connaître le sort, le chemin que va emprunter l'Iran demain. On va avoir la réaction du Guide suprême qui, pour l'instant, est en train d'essayer de canaliser le mouvement, et finalement d'inscrire la contestation sur le plan tout à fait légal. Nous verrons l'issue de cela. Mais effectivement, l'heure est décisive.
Autre élection qui va nous intéresser dans les semaines qui viennent, c'est celle qui va se dérouler au Gabon pour la succession, évidemment, d'O. Bongo. On a vu que N. Sarkozy hier, lors des obsèques officielles, avait été quand même bien chahuté par une partie de la population, qui l'a accueilli avec des cris "laissez le Gabon tranquille, la France, partez !". Est-ce que c'est une situation normale, que vous comprenez ?
Je n'y étais pas. Je ne peux pas...
Ce sont les témoignages que nous avons diffusés sur France Info...
Personnellement, je n'ai pas à témoigner à de la réalité sur place parce que je n'y étais pas. Mais j'ai cru comprendre, d'après notre ambassadeur sur place, que ce n'était pas N. Sarkozy qui était mis en cause nommément ou personnellement...
C'est la France ?
...mais que certains manifestants n'ont pas apprécié que les médias aient annoncé la mort de leur Président avant l'heure ou avant que cela ne se produise. Voilà. Je pense que la relation entre la France et le Gabon ne peut pas être limitée à cette problématique-là.
Vous pensez que, aujourd'hui la Françafrique, c'est terminé ?
En fait, je crois que les peuples africains sont passés à autre chose depuis très longtemps. Je trouve toujours un peu étrange cette manière qu'on a ici, depuis la France, de réduire l'Afrique à un système, présenté évidemment comme occulte et tout et tout. L'Afrique, ce n'est pas cela. L'Afrique qui bouge, l'Afrique qui vibre, l'Afrique qui invente, l'Afrique qui entreprend, l'Afrique qui recherche, l'Afrique qui se déplace, l'Afrique qui fait du commerce, elle existe depuis bien longtemps, elle a appris à contourner cette image qu'on veut donner d'elle, on veut la réduire à ce système-là...
Mais on a un rôle, nous Paris, nous, Français, à jouer dans cette élection au Gabon ?
Mais les Africains font leur vie sans attendre l'autorisation de qui que ce soit, croyez-moi. Les taux de croissance, avant cette crise, atteignaient dans beaucoup de pays les deux chiffres, les nouvelles technologies sont en train de se répandre sur toute l'Afrique. L'Afrique ne se conçoit pas comme un continent en autarcie, mais ses échanges commerciaux connaissent un boom dans le monde. Et c'est cette Afrique-là qu'il ne faut pas qu'elle vous échappe. Ecoutez ces entrepreneurs, ces chercheurs, ces professeurs qui réinventent l'Afrique tous les jours, plutôt que de la réduire à ce système dont moi j'ignore personnellement tout, parce que j'appartiens à une génération qui est passée à autre chose depuis très longtemps.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 juin 2009
Non, évidemment, c'est la raison pour laquelle dès que la contestation a commencé et que la répression s'est abattue sur Téhéran, le ministère des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur d'Iran pour lui dire de vive voix la très forte inquiétude de la France face à ces violences, face à la répression. Il y a des morts, il y a des journalistes étrangers, effectivement, qui ne peuvent plus travailler. Il y a effectivement une situation de confusion la plus totale à la suite de la publication des résultats de l'élection présidentielle par le ministère de l'Intérieur. Et effectivement, notre ambassade aussi a été attaquée de l'extérieur par des manifestants. Nous avons dit que tout cela était inadmissible, et que par ailleurs nous étions effectivement très préoccupés par la situation sur le terrain. Au fond, on a le sentiment d'une peur qui saisit le régime.
Vous avez, comme N. Sarkozy aujourd'hui, un doute sur la validité réelle de ces élections ?
Le challenger Moussavi, ainsi que les autres, Rezaï et Karoubi, qui ont obtenu aussi des scores très en deçà de ce qu'ils représentent dans la société, rendent cette hypothèse vraisemblable. Mais étant donné qu'il n'y avait pas d'observateurs internationaux sur place, je ne peux pas vous dire avec certitude quel est le résultat des scrutins réellement. Moussavi a saisi le Guide suprême et le Conseil qui est chargé de l'organisation des élections pour contester les élections au motif d' "irrégularité".
Visiblement, il va y avoir un nouveau comptage des voix prévu aujourd'hui. Est-ce qu'on peut avoir confiance, finalement, aujourd'hui, dans ce nouveau décompte ?
On n'a pas le choix, parce qu'il n'y a pas d'observateurs internationaux, parce que l'Iran est un pays souverain.
Vous souhaitez qu'il y en ait ? Est-il possible... ?
L'Iran est un pays souverain. Il faut savoir que même la jeunesse urbaine, qui aujourd'hui manifeste dans les rues, tient à cette souveraineté. C'est un peuple qui n'est que trop habitué à des incursions, à ce qu'ils appellent peut-être "des manoeuvres étrangères". Donc il faut être très prudent à ce niveau-là. On dit notre inquiétude, notre attachement aux libertés publiques, notre préoccupation vis-à-vis de la situation de cette jeunesse qui, effectivement, vit des heures difficiles, et pour l'Iran en particulier, dont la stabilité est absolument nécessaire pour la stabilité de la région, au regard de la question nucléaire, comme vous savez. Puisque depuis 2002, on a découvert que l'Iran développait un programme nucléaire militaire clandestin, et que depuis, elle ne souscrit plus à ses engagements internationaux malgré différents accords qui lui ont été proposés.
Justement, la question du nucléaire est très importante en filigrane dans ces élections. B. Obama, aux Etats-Unis, a dit cette nuit, dans une première déclaration où il est un petit peu sorti de sa réserve, qu' "il fallait faire attention, parce que, au final, il n'y avait pas de tant de différences que ça entre M. Ahmadinejad et M. Moussavi".
Il faut savoir ce qu'est l'Iran. L'Iran, depuis la mort de Khomeiny il y a vingt ans, fonctionne sur un consensus politique fondé sur un régime autoritaire et théocratique, qui est "managé", si je puis dire, par trois clans : les conservateurs, les réformateurs et les radicaux. Les radicaux représentés par Ahmadinejad ; les réformateurs par Moussavi et puis enfin, des pragmatiques-conservateurs. Et ces trois clans sont acceptés par le système, quasiment choisis par le système, pour pouvoir être des opposants à ceux qui le sont, y compris Moussavi, qui est d'accord sur le fait que ce régime fonctionne sur des lignes rouges à ne pas dépasser, comme précisément la question nucléaire, comme précisément la nature même du régime. Donc Moussavi, il ne faut pas le présenter comme un - et ça ne lui rendrait pas service - suppôt de l'Occident, ou quelqu'un qui est ouvert aux idées telles que nous les concevons ici. Ce n'est pas du tout ça. D'ailleurs, même aujourd'hui, il joue la carte de la loyauté. Lorsqu'il fait sa contestation, il le fait dans un cadre très légal, il veut canaliser le mouvement. Donc il faut faire très attention à ne pas dupliquer nos analyses sur une réalité iranienne complètement différente.
On n'a pas la même conception de la démocratie ?
Effectivement. Ce consensus dont je vous parle, est en train, aujourd'hui quand même, de se rompre, parce que les lignes rouges qui disaient qu'on ne touche pas aux opposants internes parce qu'on considère qu'ils font partie du système, eh bien cette ligne rouge-là, est aujourd'hui en train d'être franchie. Et c'est pour ça que nous vivons des heures décisives, parce qu'on peut se demander si radicaux n'ont pas décidé de gérer le pays seuls.
Vous parlez d' "heures décisives", pensez-vous qu'on est réellement aujourd'hui à l'aube d'une nouvelle révolution en Iran ?
Il y a plusieurs issues possibles. Soit le régime se radicalise, entre la répression et puis mate le terrain finalement, et on revient au système antérieur, et dans ce cas l'Iran sera dans une situation de fragilité. Ou bien les manifestants l'emportent à condition que les jeunes urbains entraînent avec eux les autres couches sociales de la société, et dans ce cas, il y a cette révolution iranienne que certains attendent. Mais il ne faut pas se faire d'illusions. Je pense qu'on sera dans une position équilibrée. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que le Président Ahmadinejad a quand même des soutiens au-delà de Téhéran, et ce n'est pas pour rien que, même s'il n'avait pas 60 %, 62 % des voix, il y en avait qui attendaient à ce qu'il gagne à 50 % des voix. Donc le contrôle du scrutin et de sa régularité sera absolument décisif pour connaître le sort, le chemin que va emprunter l'Iran demain. On va avoir la réaction du Guide suprême qui, pour l'instant, est en train d'essayer de canaliser le mouvement, et finalement d'inscrire la contestation sur le plan tout à fait légal. Nous verrons l'issue de cela. Mais effectivement, l'heure est décisive.
Autre élection qui va nous intéresser dans les semaines qui viennent, c'est celle qui va se dérouler au Gabon pour la succession, évidemment, d'O. Bongo. On a vu que N. Sarkozy hier, lors des obsèques officielles, avait été quand même bien chahuté par une partie de la population, qui l'a accueilli avec des cris "laissez le Gabon tranquille, la France, partez !". Est-ce que c'est une situation normale, que vous comprenez ?
Je n'y étais pas. Je ne peux pas...
Ce sont les témoignages que nous avons diffusés sur France Info...
Personnellement, je n'ai pas à témoigner à de la réalité sur place parce que je n'y étais pas. Mais j'ai cru comprendre, d'après notre ambassadeur sur place, que ce n'était pas N. Sarkozy qui était mis en cause nommément ou personnellement...
C'est la France ?
...mais que certains manifestants n'ont pas apprécié que les médias aient annoncé la mort de leur Président avant l'heure ou avant que cela ne se produise. Voilà. Je pense que la relation entre la France et le Gabon ne peut pas être limitée à cette problématique-là.
Vous pensez que, aujourd'hui la Françafrique, c'est terminé ?
En fait, je crois que les peuples africains sont passés à autre chose depuis très longtemps. Je trouve toujours un peu étrange cette manière qu'on a ici, depuis la France, de réduire l'Afrique à un système, présenté évidemment comme occulte et tout et tout. L'Afrique, ce n'est pas cela. L'Afrique qui bouge, l'Afrique qui vibre, l'Afrique qui invente, l'Afrique qui entreprend, l'Afrique qui recherche, l'Afrique qui se déplace, l'Afrique qui fait du commerce, elle existe depuis bien longtemps, elle a appris à contourner cette image qu'on veut donner d'elle, on veut la réduire à ce système-là...
Mais on a un rôle, nous Paris, nous, Français, à jouer dans cette élection au Gabon ?
Mais les Africains font leur vie sans attendre l'autorisation de qui que ce soit, croyez-moi. Les taux de croissance, avant cette crise, atteignaient dans beaucoup de pays les deux chiffres, les nouvelles technologies sont en train de se répandre sur toute l'Afrique. L'Afrique ne se conçoit pas comme un continent en autarcie, mais ses échanges commerciaux connaissent un boom dans le monde. Et c'est cette Afrique-là qu'il ne faut pas qu'elle vous échappe. Ecoutez ces entrepreneurs, ces chercheurs, ces professeurs qui réinventent l'Afrique tous les jours, plutôt que de la réduire à ce système dont moi j'ignore personnellement tout, parce que j'appartiens à une génération qui est passée à autre chose depuis très longtemps.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 juin 2009