Interview de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, à "LCI" le 22 juin 2009, sur la signification de l'intervention du président de la République devant le Congrès et sur l'idée de lancer un emprunt d'Etat pour pallier le déficit budgetaire.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- M. Barnier bonjour.

Bonjour.

Le président de la République s'adresse donc au Congrès à Versailles cet après-midi à partir de 15h. Grande première ! Est-ce que ça marque l'installation d'un régime présidentiel ?

C'est une inflexion dans les institutions avec un dialogue beaucoup plus direct et, je pense, beaucoup plus moderne entre le chef de l'Etat et l'ensemble des parlementaires, donc c'est un moment exceptionnel. C'est aussi une marque de cette époque nouvelle dans laquelle nous sommes entrés avec le quinquennat. Je pense d'ailleurs que le mandat de N. Sarkozy c'est le premier vrai quinquennat avec un président élu pour 5 ans, la même durée que les députés et donc, probablement une inflexion présidentielle. Mais l'engagement présidentiel très souligné sur les pouvoirs du président, ça accompagne ou ça va avec un renforcement des pouvoirs du Parlement. Je pense que c'est aussi ce signal que fait le chef de l'Etat, de respect à l'égard du Parlement.

Et au passage, disparaît encore un peu plus le Premier ministre ; on va entendre un discours de politique générale cet après-midi, le Premier ministre ne sert plus à rien !

Non, je ne crois pas que ce soit bien de dire ça, ni juste. Le Premier ministre est dans son rôle qui est forcément différent sur un quinquennat, avec un Président plus fort, mais il est dans son rôle de chef d'équipe, de chef du Gouvernement. Le Président ne va pas tenir un discours de Premier ministre cet après-midi, il va relever la ligne d'horizon, il va indiquer les perspectives de l'action du Gouvernement, peut-être au-delà d'ailleurs des 2 ou 3 ans qui viennent parce que nous sommes dans une crise dont il faut sortir. Il faut préparer la sortie de crise, préparer la croissance d'après, préparer l'époque d'après qui ne va pas être la même, on va tirer des leçons. On a déjà commencé derrière N. Sarkozy à tirer des leçons, pas seulement pour nous et en Europe mais avec les Américains et les autres puissances du monde.

Pour vous, c'est l'acte 2 du quinquennat qui s'ouvre cet après-midi ?

Je ne crois pas qu'on puisse dire acte 2, acte 1, C. Barbier, vous aimez bien le théâtre, ce n'est pas tout à fait la même chose. Nous sommes dans un quinquennat, le Président a fait de très grands discours avant son élection, au début de son mandat ; il marque dans cette période difficile, grave qui est celle d'une crise dont nous voulons sortir, à laquelle nous résistons, avec les autres Européens, il marque un moment important. Moi je pense qu'il faut comprendre ce discours, au-delà de la question institutionnelle, comme un moment de prise de parole et d'action sur les moyens de résister à la crise. Il n'y a pas de fatalité, il n'y a pas de fatalité et donc, nous devons sortir de cette crise économique, sociale, écologique, alimentaire dans le monde, nous allons en sortir différents, nous devons bâtir une croissance vers ce que j'ai appelé « l'éco-croissance ». Dans ce petit livre bleu, qui a été notre petit livre de la campagne présidentielle, que les Français d'ailleurs ont pu comprendre et voir parce qu'on a pris cette élection au sérieux, les élections européennes - je parle des élections européennes - on a parlé d'éco-croissance, on a parlé de ce nouveau modèle d'économie verte, c'est cela aussi dont le Président veut parler je pense.

Aujourd'hui, on parle beaucoup aussi des déficits qui s'aggravent. Plus de 7 points et demi du PIB pourraient se retrouver dans les déficits publics sur l'année 2009 et sur l'année 2010, E. Woerth l'a confirmé hier au Grand Jury LCI/RTL. Est-ce qu'il faut lancer un grand emprunt auprès des Français comme en 93 ?

Un grand emprunt, enfin nous lançons des emprunts... peut-être aussi on pourrait imaginer de les lancer - et là je parle à titre personnel - au niveau européen sur des investissements stratégiques, justement pour la croissance verte, les nouvelles énergies, les nouveaux équipements propres de transports collectifs dans les zones urbaines, voilà des sujets sur lesquels les Européens devraient avoir un effet de levier. On a même imaginé dans notre petit livre bleu une Caisse Des Dépôts européenne avec les pays volontaires qui pourrait collecter l'épargne des Européens - là je parle encore une fois de ce que nous pourrions faire dans les années qui viennent avec les autres - collecter l'épargne des Européens, la rémunérer et l'orienter vers les secteurs stratégiques. Donc je ne sais pas si le Président annoncera ou pas un emprunt national, en tout cas moi je pense qu'il y a un effet de levier européen à jouer.

Est-ce qu'il faut dire stop au déficit - J.-C. Trichet tire la sonnette d'alarme ou - est-ce que vous pensez, vous, que les déficits sont normaux, on les paiera plus tard, là il faut lutter contre la crise ?

La question c'est de savoir si les déficits sont utiles, et je pense que les déficits que nous sommes conduits à faire aujourd'hui dans cette sortie de crise pour résister, pour retrouver de la croissance sont, comment dirai-je, des déficits qui peuvent avoir un dynamisme propre, c'est pour ça qu'on peut les accepter temporairement. Et dès que la croissance sera revenue, nous devons... au-delà de l'effort que nous faisons pour que l'Etat fonctionne mieux en faisant moins de choses parce que parallèlement, je veux dire que le président de la République dira sans doute cet après-midi - je ne veux pas parler à sa place - mais il nous a dit souvent en Conseil des ministres : nous devons continuer les réformes, nous devons sortir de cette crise plus forts, si nous ne faisons pas de réformes, pendant que les autres bougent, nous reculerons. Donc nous allons continuer les réformes et notamment, mieux gérer l'Etat.

Une réforme possible pour mieux gérer l'Etat, diminuer les déficits sociaux, c'est de prolonger le travail, de repousser l'âge légal de départ à la retraite. Y êtes-vous personnellement favorable ?

Ecoutez je... moi... le président de la République dira ce qu'il souhaite dire, je ne vais prononcer...

C'est votre sentiment que je vous demande, pas le sien !

Moi je pense qu'on a un âge légal de la retraite. On a aussi la capacité dans les entreprises d'aller plus loin. Je pense que les socialistes ont fait une erreur avec la durée légale du travail et d'autres mesures, je pense qu'il faut privilégier le contrat à la contrainte, voilà ce que je pense.

Contrat dans les entreprises pour savoir combien de temps on travaille ?

Le contrat à la contrainte d'une manière générale, dans un cadre légal, mais laisser de la place à la négociation salariale, laisser de la place au dialogue social dans l'entreprise ou dans les branches.

Alors le Parti socialiste cet après-midi refusera de se prêter au débat qui suivra l'allocution du président parce que le président s'en va. Déni de démocratie, dit B. Hamon. Qu'en pensez-vous ?

Moi je pense qu'une fois encore, le Parti socialiste n'est pas tout à fait à la hauteur de la situation. Il ne l'a pas été dans la réforme institutionnelle, vous vous en souvenez quand on l'a proposée, c'est une réforme qui pourtant renforçait les droits du Parlement, y compris par la prise de parole devant le Parlement du chef de l'Etat. Il n'a pas été à la hauteur dans la question européenne, moi j'ai été très frappé pendant les 6 mois de la présidence française, la présidence de la France, ce n'était pas la nôtre, c'était autant la leur que la nôtre, la France qui présidait l'Union européenne, on ne les pas entendus pendant 6 mois, c'est ça qui a été sanctionné. Il faudrait que le Parti socialiste comprenne pourquoi les Français se détournent de lui, pourquoi ils n'ont plus envie de voter pour lui. Le sectarisme c'est toujours une preuve de faiblesse, voilà ce que je pense.

Le Président pourrait évoquer également cet après-midi l'interdiction de la burka, êtes-vous favorable à une loi pour interdire ce voile intégral ?

Est-ce que c'est le sujet d'aujourd'hui ? Moi j'ai le souvenir très précisément d'un débat sur le voile, dans un moment très précis et assez grave, qui était celui de l'enlèvement de vos confrères Chesnot et Malbrunot. J'ai dû aller expliquer partout dans les pays arabes et musulmans ce qu'était la loi laïque, la loi de la laïcité, la loi sur le voile en France. La laïcité, j'ai expliqué que c'était une loi qui protégeait la liberté de religion, la liberté de conscience, donc je pense qu'il faut tenir à ce principe républicain et l'appliquer rigoureusement dans notre pays.

Alors remaniement sans doute demain, peut-être mercredi matin. Vous allez quitter le ministère de l'Agriculture et de la Pêche, savez-vous qui vous remplacera ?

Non, je ne sais pas qui me remplacera...

Vous avez été consulté quand même un petit peu ?

Ce n'est pas l'usage qu'un ministre qui s'en va - pour une raison que chacun connaît puisque je viens d'être élu comme R. Dati au Parlement européen, et donc c'est un moment, une séquence qui était prévisible et prévue - ce n'est pas l'usage qu'un ministre dise qui doit lui succéder. C'est le chef de l'Etat, c'est le président de la République qui va nommer le gouvernement sur proposition...

Vous avez été consulté quand même un petit peu, on vous a demandé votre avis ?

Je peux avoir des idées mais je ne vais pas vous les dire et je pense que ce n'est pas l'usage qu'un ministre parle de son successeur. Ce que je sais, c'est que j'aiderai mon successeur à continuer, il marquera sa propre empreinte sur la politique agricole et de la pêche. J'espère que ça sera d'ailleurs un ministre qui - c'est un souhait que j'ai formulé plusieurs fois - s'appellera ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche.

On vous a entendu à l'Elysée de ce côté-là ?

Vous verrez bien si j'ai été entendu, en tout cas j'ai reconstruit, j'ai réformé ce ministère. J'ai développé une politique de l'alimentation et de la nutrition en liaison avec R. Bachelot pour que ce ministère puisse mettre le travail des paysans, qui est un travail très dur, souvent mal payé, celui des pêcheurs, des viticulteurs, des éleveurs, au service de ces deux grandes politiques qui sont l'aménagement durable du territoire partout en France et la politique de l'alimentation.

En tant que leader politique de l'UMP, vous souhaitez un remaniement qui fasse la place encore à l'ouverture à gauche ou c'est fini ?

Moi je pense qu'il ne faut pas avoir peur de l'ouverture. L'ouverture ça consiste à quoi ? Ce n'est pas... des gens se renient, on ne leur demande pas de nous ressembler, on se rassemble, ils gardent leur identité... Regardez Kouchner et plein d'autres membres du Gouvernement qui apportent, qui ont une vraie valeur ajoutée, F. Amara et d'autres, ils ont leurs convictions. On ne leur demande pas d'abandonner ce qu'ils sont mais ils apportent leur valeur ajoutée et on met ensemble les bonnes idées. De quoi il s'agit en ce moment, dans le moment très grave où nous sommes ? C'est de trouver les bonnes idées d'où qu'elles viennent et de les mettre en oeuvre pour que la France marche mieux.

Bonnes idées aussi au Parlement européen : Barroso a le soutien des chefs 'Etat et de gouvernement. Souhaitez-vous que le Parlement l'investisse dès juillet ou on attend l'automne ?

Moi je pense que le plus tôt sera le mieux, je pense qu'on ne peut pas avoir une période trop longue de transition ou d'incertitude. Je pense que J.M. Barroso est un bon président et je veux dire la vérité, c'est qu'il n'est pas tout seul, la Commission c'est 27 personnes, des gens de droite...

Dont vous ?

... On verra bien si j'y suis, je suis prêt à servir là où je serai le plus utile et c'est le choix du président de la République. Ce que je veux dire, c'est que c'est 27 personnes, avec des socialistes, des centristes, des libéraux. Donc soyons juste avec J.M. Barroso, il sera le président s'il est élu, comme je le souhaite, d'une équipe, d'un collège comme l'était R. Prodi, qui était un homme de gauche et dans une équipe dont je faisais partie à l'époque.

M. Barnier merci, bonne journée.

Merci à vous.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 juin 2009