Interview de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication à Europe 1 le 26 juin 2009, sur le décès du chanteur Michaël Jackson et l'installation du ministre à la culture.

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Texte intégral


 
J.-P. Elkabbach.- Votre première vraie intervention est pour rendre hommage à un mythe, qui était déjà une légende de son vivant, M. Jackson.
 
Oui, à un mythe et puis à une aventure personnelle. Un mythe parce que, la mort de M. Jackson a véritablement saisi le monde entier, c'est une chose tout à fait extraordinaire, durant toute la nuit l'émotion a été considérable. Et une émotion personnelle, parce que je pense que tous les gens qui ont, ou entendu ou vu M. Jackson une fois dans leur vie, même s'ils sont loin de cette musique, n'ont pas pu ne pas être émus par son apparence, par son charme, par la beauté de sa musique. La première chose, je crois, qu'il faut dire, c'est que c'était un musicien génial, génial, qui a réussi à se mettre au carrefour de toutes sortes de courants musicaux qui ont agité la scène et les disques depuis une trentaine d'années, et qui a créé encore quelque chose de nouveau.
 
Et qui a influence tant de musiciens, noirs et blancs, partout...
 
On a tous un peu de M. Jackson en nous. C'est quelque chose de fascinant.
 
Vous avez assisté à des concerts, à des directs ?
 
Oui, j'ai assisté au concert à Paris, où on disait déjà qu'il était déclinant. J'aimerais bien avoir un déclin comme ça ! C'était incroyable de grâce, de charme, d'amusement, enfin c'était fantastique.
 
Une présence électrique sur scène, apparemment c'est là qu'il existait ?
 
Il existait incroyablement, fortement, sur scène, avec cette manière de bouger, cette manière dont il réconciliait aussi la danse de rue, le hip hop, mais aussi toutes sortes d'autres formes de mouvements chorégraphiques. J'allais même dire jusqu'à réconcilier dans ses mouvements les gosses qui font du football avec des balles en chiffon dans des endroits perdus en Amérique du sud. Il était le mouvement de la jeunesse, le mouvement de la jeunesse !
 
Dans le monde entier...
 
Dans le monde entier...
 
On voit bien la vague d'émotion est partie instantanément, et en même temps, aux Etats-Unis, en Europe, dans différents pays.
 
Oui, c'est la première star universelle d'Internet.
 
En Amérique latine, en Afrique, pour laquelle il s'était beaucoup engagé personnellement.
 
Oui, il y a tout ça aussi qui est très important, c'est le rapport que M. Jackson avait avec, j'allais dire, la négritude, le fait d'être noir.
 
Un rapport complexe...
 
Un rapport très très complexe, puisque c'était un Noir qui voulait être blanc, et que ça l'a sans doute, en partie, conduit à la mort, parce que l'abus des médicaments de toutes sortes pour transformer son physique, qui était quand même quelque chose de très, très impressionnant cette transformation, et c'était même très, très angoissant. Cela témoignait d'une très grande difficulté à assumer le physique qu'il avait eu quand il était enfant, quand il faisait partie des "Jackson Five", avec ses frères. Et par ailleurs, il y a toujours eu dans sa vie une fidélité très très forte à l'idée de son appartenance à la race noire, et donc, notamment, dans le succès qu'il avait en Afrique, succès qu'il ne démentait jamais, il y avait l'affirmation de cette fidélité. Ça c'était complexe, comme tout le reste, comme cette perpétuelle adolescence.
 
La contradiction vivante, c'est un destin, d'ailleurs, comme vous aimiez dans une autre vie les raconter...
 
Je crois que tout le monde est fasciné par ce genre de destin. L'Amérique d'ailleurs crée ce genre de destins. Il rejoint M. Monroe, il rejoint J. Dean, il rejoint Elvis, finissant d'une manière pas très différente de la sienne, dévorés par les médicaments, dans une très grande solitude. Parce qu'il faut dire que les dernières années de M. Jackson ont été des années épouvantables, des années de galère et de difficultés terribles.
 
Très vite, il s'est imposé, c'est un destin inouï qui a commenté si petit, à 6 ans, star à 11 ans, et dans une famille de passionnés de musique pour pas dire de "dingues".
 
Oui, mais avec toujours, à la fois, cette force extraordinaire, car il était dès l'enfance le meilleur de la famille ; cette solitude parce qu'il était différent des autres - et cette différence n'a fait que s'accuser avec le temps - et la souffrance, parce qu'on sait que son père traitait les enfants très, très brutalement, que sa mère ne l'a pas vraiment bien compris, et en même temps toute cette famille a profité de sa gloire et a profité d'une manière très, très cruelle.
 
Et lui est resté fragile, vulnérable. C'est Madonna qui disait tout à l'heure qu'elle pleurait sans cesse un être qui avait beaucoup souffert...
 
Oui, bien sûr. J'ai eu l'occasion de parler d'elle - excusez du peu, mais je dis parce que c'est la vérité -, avec E. Taylor, qui adorait M. Jackson, et il y avait d'ailleurs une relation qui s'était créée entre eux deux. E. Taylor était en quelque sorte sa mère d'emprunt, elle remplaçait la famille qu'il n'avait pas eue. Et avant, après, pendant les difficultés, quand il n'y a pas eu de difficultés, elle l'adorait, et elle en parlait comme elle aurait parlé de son fils, et avec un désir de protection extraordinaire, et en même temps, une admiration folle pour le génie musical et le génie du spectacle qu'il était.
 
Il a tout connu, les scandales, les procès, la dérision, le rejet, la caricature, l'ingratitude...
 
L'exil, l'exil ! Aller vivre...
 
Et l'exil dans son pays aussi.
 
Oui, et aller vivre à Bahrein, pendant deux ans. Bahrein, c'est très bien, ils ont été très gentils de l'accueillir, etc. Mais dans une solitude et dans un enfermement quasi complet qu'il s'était imposé à lui-même. C'est quand même quelque chose de très très étonnant pour la plus grande star mondiale.
 
J'ai dit tout à l'heure, l'ingratitude et la solitude, mais il y a aussi la fidélité. Parce qu'on a vu que beaucoup n'ont pas cru à son retour avec les concerts qui étaient prévus à Londres, dès le 13 juillet, dans deux semaines.
 
900.000 billets qui ont été vendus.
 
Oui, ça devait être sa renaissance. Enfin, il espérait en faire sa renaissance...
 
Oui, le grand retour.
 
Est-ce que c'est le lot constant des stars, la solitude ?
 
Non, parce que si prenez les Rollings Stones, M. Jagger n'est pas seul. La tragédie n'est pas le lot obligatoire de toutes les plus grandes stars du monde. Mais évidemment, quand elle frappe quelqu'un comme M. Jackson, qu'on avait envie d'aimer, qu'on avait envie d'imiter - peut-être pas jusqu'à la rhinoplastie et à la transformation physique - mais qu'on avait envie de connaître en tout cas...
 
Vous l'aviez rencontré, vous, personnellement ?
 
Je ne l'ai pas rencontré, j'ai juste vu le concert à Paris.
 
Et là, dans vos nouvelles fonctions, vous auriez bien aimé le décorer, puisque vous allez rendre hommage...
 
Tout de suite, tout de suite ! J'aurais, si j'avais pu rencontrer M. Jackson et lui dire que ce je peux représenter de la culture française lui rend hommage, je l'aurais fait tout de suite.
 
Pour vous, c'est d'abord un physique, une gestuelle, une voix ? Qu'est-ce c'est ? Une image, un titre ?
 
C'est cette idée de la perpétuelle adolescence, c'est-à-dire de la part d'enfance, de la part d'adolescence qu'on doit, je trouve, essayer de préserver dans sa vie jusqu'au bout. Et ça il l'a fait, mais il l'a fait à un tel prix qu'il en est mort.
 
Est-ce qu'il y a des leçons qu'inspire cette vie tragique, à la fois de poète de la musique et du spectacle, et cette vie d'homme ?
 
S'il y a une leçon, c'est qu'il faut beaucoup travailler. C'est qu'il a travaillé comme un chien toute sa vie. Peut-être certainement trop mais avec une force, une virtuosité et une créativité extraordinaires. Il aurait pu, compte tenu des millions et des millions de dollars qu'il avait gagnés, il aurait pu ensuite gérer sa carrière un peu paresseusement, il ne l'a pas fait.
 
Il se voulait immortel, c'est son oeuvre qui va traverser le temps. Vous, je suppose - vous êtes ministre depuis, combien, trois jours aujourd'hui ?
 
Trois jours, oui.
 
Qu'est-ce que vous découvrez ?
 
Qu'est-ce que je découvre comme ministre ? A quel point c'est intéressant, mais je le savais puisque j'étais de l'autre côté de la barrière et que j'avais eu souvent recours au ministère de la Culture pour certaines de mes activités. Je suis de l'autre côté, je suis frappé par... Mais ça a l'air un peu d'être de la langue de bois, mais c'est pourtant la vérité, par le dévouement et la qualité des gens qui travaillent au ministère de la Culture.
 
Nous vous connaissons tous, je suppose que vous voulez faire du ministère de la Culture, rue de Valois, un lieu vivant de création, d'énergie ?
 
C'est déjà un lieu vivant de création et d'énergie. Simplement, je pense que les temps changent, qu'il y a des nouveaux défis. N. Sarkozy m'en a parlé déjà à plusieurs reprises, notamment à Nîmes au début de l'année, dans son dernier discours. Il faut absolument trouver de nouveaux chemins pour la culture dans le contexte de la crise généralisée que nous vivons.
 
Et vous avez déjà une idée de vos propres priorités ?
 
Non, je n'ai pas d'idée de mes propres priorités. Ma propre priorité c'est de réfléchir et de travailler. Mais vous voyez, ce matin, vous m'appelez très tôt pour me demander de venir parler de M. Jackson...
 
Et vous êtes là...
 
...Je viens tout de suite.
 
Merci à vous. Vous repartez en scooter ?
 
Là, je repars en scooter parce que les chauffeurs ne sont pas encore arrivés.
 
Vous vous levez plus tôt, le ministre se lève plus tôt que les chauffeurs ?!
 
Non, non, ils sont levés très tôt mais je n'ai pas voulu les déranger.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 26 juin 2009