Point de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les questions d'actualité africaine, notamment la situation au Niger, en Mauritanie, en Côte-d'Ivoire et en Guinée, et la catastrophe aérienne survenue sur la liaison entre le Yemen et les Comores, Dakar le 1er juillet 2009.

Prononcé le 1er juillet 2009

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Sénégal les 1er et 2 juillet 2009 à l'occasion du 50ème anniversaire de l'Institut français Leopold Sedar Senghor à Dakar

Texte intégral

Quelques mots sur la culture pour illustrer l'une des évolutions du ministère des Affaires étrangères et européennes, à Dakar à l'occasion de ce 50ème anniversaire de l'Institut français Léopold Sedar Senghor. C'est une belle occasion et c'est un beau nom. C'est une belle histoire et c'est un grand homme. Je ne pouvais pas manquer cette occasion, alors que nous réfléchissons à la création d'une agence culturelle dont seront bientôt précisés les contours et les responsabilités.
Il y a, dans le domaine culturel, une demande de France qui n'est pas la même selon les pays. Il faut, bien entendu, s'y adapter en y mettant également un peu de mondialisation Citons la création de la Direction générale de la mondialisation, les changements dans la formation, dans les habitudes, mais peut être aussi dans les offres culturelles, qui doivent être adaptées.
Je suis venu à Dakar, comme j'avais promis de le faire il y a deux ans. Cela me plait d'être ici. Je n'ai malheureusement pas passé beaucoup de temps en Afrique depuis. Jean-Marie Bockel et Alain Joyandet, eux, l'ont fait. Je suis pourtant un "Africain" : c'est aussi comme cela que l'on m'appelle et j'en suis fier. Je renoue avec un peu plus d'Afrique et je pense que l'on me verra plus souvent sur ce continent frère. Je commence par un voyage à Dakar à l'occasion de ce 50ème anniversaire, qui coïncide avec l'évolution de la réforme du ministère.
Q - (à propos de la situation au Niger)
R - La situation est dangereuse au Niger. Un certain nombre de demandes du président n'ont pas été satisfaites, entraînant une réaction de l'opposition, la dissolution annoncée et la volonté du président de se présenter à nouveau alors que deux mandats seulement, selon la Constitution, étaient possibles. C'est donc une situation dangereuse. Cette fois encore, la France affirme, comme ailleurs en Afrique, la nécessité de respecter les règles constitutionnelles. Au président du Niger nous disons à la fois notre amitié et notre fermeté. C'est un pays que beaucoup de liens, du passé, du présent et évidement de l'avenir, rattachent à la France.
Q - (à propos de la situation en Mauritanie)
R - Vous avez noté que j'ai souligné le retour des coups d'Etat. Mais il n'y a pas que des coups d'Etats en Afrique, il y a aussi de la stabilité. L'évolution était beaucoup plus dangereuse, pensait-on, il y a 15 ou 20 ans. J'ai cité l'exemple de l'obstination du président Wade, ici à Dakar, pour que, en Mauritanie, finalement, l'évolution soit positive : ce fut long et difficile. On verra bien pour les élections, mais c'est positif. Le président Wade a joué un rôle très particulier, dont je le remercie. Je l'ai remercié de vive voix en lui disant que je venais à Dakar.
Il y a d'autres situations difficiles, vous le savez. Il y en a eu beaucoup dans les pays anglophones, il y en a aussi dans les pays francophones. A chaque fois, nous sommes aux côtés de l'Union africaine qui participe aux efforts. Je parle de la Mauritanie et j'espère que je pourrais parler un jour du Niger.
Q - (à propos de l'Afrique et de la crise mondiale)
R - Je crois beaucoup à l'Afrique. On croit que la crise affecte principalement les pays riches, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Il y a eu un laxisme de la finance dont les Africains ne sont pas du tout responsables mais qui fait qu'ils sont, en termes d'investissement et dans la vie quotidienne, affectés par la crise. Alors il faut être à leurs côtés. Je crois beaucoup à l'Afrique. La France a fait beaucoup pour que l'Afrique, l'Union africaine, mais aussi le Nigeria, l'Afrique du Sud, participent aux grandes concertations internationales, au G20 en particulier. Il y aura encore un rendez-vous du G20 en septembre prochain. Sans l'Afrique et sans réflexion sur le développement, on passerait complètement à côté de la compréhension de la crise.
Q - (Concernant la situation en Côte d'Ivoire)
R - J'ai fait un voyage en Côte d'Ivoire au moment où le président Gbagbo a annoncé les élections.
Q - Lesquelles ?
R - C'est une bonne question que de s'interroger sur lesquelles et quand, la réponse est identique : lesquelles et quand ?
Nous espérons encore - mais nous sommes de plus en plus déçus. J'espère que les élections qui doivent se tenir, qui devraient se tenir en novembre, se tiendront effectivement à cette date. Je n'ai pas de voyage prévu pour le moment en Côte d'Ivoire.
Q - (A propos de la Guinée)
R - Il y a également une promesse d'élection avant la fin de l'année. Il y a le souhait d'une transition en Guinée. A Conakry, l'évolution se fait lentement, avec des va-et-vient entre espérance et un peu de déception, mais je garde l'espérance. Je n'ai pas du tout exclu l'idée d'aller exprimer mon soutien, et la nécessité de la tenue d'élections contrôlées et transparentes avant la fin de l'année. Cela a été promis et le Capitaine Camara me le rend bien.
Q - Il y a un responsable comorien qui a critiqué la France en disant que la France aurait dû dire aux autorités comoriennes que l'avion qui faisait la liaison entre Sanaa et Moroni avait été interdit sur le sol français ?
R - Il l'était. Tout le monde le savait aux Comores. Tout le monde le savait.
Q - Il y a eu une transmission officielle de l'information des autorités françaises aux autorités comoriennes ?
R - L'avion a été interdit de vol dans notre pays. Ce n'est pas une question de vengeance, ce n'est pas une question de responsabilité. Soixante-six Français sont morts, et beaucoup plus encore de Comoriens. J'exprime à toutes les familles ma profonde tristesse.
J'ai demandé à Alain Joyandet de se rendre immédiatement à Moroni, ce qu'il a fait. Il ramène la jeune fille rescapée qui devrait être en France dès demain. Nous avons par ailleurs aussitôt dépêché, à la demande des Comoriens, d'importants secours en provenance de Mayotte et de la Réunion, et qui viennent en aide à nos amis comoriens.
Ce sont des gestes modestes pour exprimer notre solidarité à l'égard de ces familles binationales qui résident majoritairement dans la banlieue de Marseille. Dans nos deux pays, nous sommes touchés par la mort. Avec ces deux catastrophes aériennes en l'espace d'un mois ce sont des moments douloureux que nous traversons. Mais la vie continue.
Il n'y a cependant pas qu'une actualité tragique. Il y a également cette fête qui a lieu ce soir, ici à Dakar, en présence des ministres de l'Intérieur et de l'Education, de poètes, d'acteurs, de membres du monde culturel. Ce que je retiens de cette soirée, c'est qu'il y a entre les Sénégalais et les Français de l'amour, des querelles, des disputes, et de l'amour encore. C'est formidable !
Q - On en est donc à quel stade politique en ce moment ?
R - On en est à l'amour ! Même si cela n'empêche pas de se quereller !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juillet 2009