Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la réforme de la politique de rayonnement culturel de la France, Dakar le 2 juillet 2009.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Sénégal les 1er et 2 juillet 2009 : célébration du 50ème anniversaire de l'Institut français Léopold Sedar Senghor, à Dakar le 2

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je vais tenter de vous expliquer mon point de vue concernant la culture. Je suis à Dakar pour vous saluer, pour être entre amis et pour vous parler de culture.
Au cours de ces dernières semaines, la gestion de mon emploi du temps a été un peu difficile, passant de crise en crise. Mais je tenais vraiment à respecter ce rendez-vous avec vous en dépit de l'absence du président Wade, qui est à Syrte, car le cinquantième anniversaire de cet établissement prestigieux, de ce centre culturel de cet Institut français exigeait que je sois présent à la bonne date, c'est-à-dire aujourd'hui. J'ai donc demandé la permission au président Wade en lui disant que je reviendrai, comme je reviens souvent.
Il me semblait essentiel de parler de culture en ces temps où les oeuvres tendent à devenir des biens commerciaux comme les autres, happées par les intérêts de puissantes, et souvent très belles industries.
Il me paraissait aussi essentiel de parler de la politique culturelle de la France, de la politique que l'on dit d'influence dans le monde, alors que la culture est de plus en plus nécessaire et au moment où l'action de la France se réforme et se précise - je citais il y a peu le directeur de la mondialisation.
Messieurs les Ministres, Madame, Monsieur l'Ambassadeur de France, nous avons salué hier nos liens culturels profonds, avec la remise de médailles à des lauréats qui sont dans la salle. J'ai beaucoup plus appris, beaucoup ressenti. Etre un distributeur de médaille, vous savez, c'est facile. Mais c'était un bonheur d'être avec de vrais créateurs africains, pas seulement parce qu'ils sont sénégalais, mais parce qu'il y a une culture sénégalaise extrêmement forte, extrêmement importante pour nous.
Entendre des poèmes, comme nous l'avons fait hier, qui rappelaient bien sûr Léopold Sédar Senghor, Césaire ou la négritude, mais aussi la création, l'invention dans tous les domaines artistiques. C'est pour cela que je m'autorise à parler de culture avec vous, devant un homme que j'ai voulu ici comme ambassadeur de France, qui est lui-même artiste, créateur, écrivain. J'oublie à chaque fois que tu es membre de l'Académie française. Vous savez qu'il n'y pas beaucoup d'ambassadeurs prix Goncourt, membre de l'Académie française et médecin. J'ai moi-même tous ces titres mais il m'en manque quand même un ou deux. Je suis très content de le saluer et de vous dire que cet aventurier-là de la culture, qui a donné des leçons de diplomatie et qui fait partie, parmi d'autres bien sûr, des ambassadeurs de France, ce n'est pas un hasard qu'il soit avec nous ce soir dans cet Institut Léopold Sédar Senghor.
Je ne vous parlerai pas des préoccupations qui sont habituelles quand on évoque la culture et seulement des manifestations élitistes. Je vous parlerai, parce que vous m'en avez parlé, non pas de ce luxe qu'est la culture - pour moi la culture n'est pas un luxe, c'est la liberté -mais de ce qu'il représente pour la grandeur des peuples. La grandeur de l'Homme.
Cette liberté est aujourd'hui remise en cause par les excès pervers de la globalisation des économies. Je pourrais vous dire - on le ressent ici aussi -, que cette crise est née de la folie des finances non régulées, non dirigées et qui atteint même, d'une certaine façon, le commerce supérieur de la culture. Nous savions plus ou moins, les uns et les autres, que cela ne pouvait pas durer sans régulation. Je le dénonce quand même encore, même si la régulation arrive, même si la France y joue un rôle, même si l'Afrique doit aussi y jouer un rôle, comme les pays en développement en général. Je pense qu'il faut faire attention à la mondialisation des économies, aux règles uniformes en matière de culture, aux règles qui atteignent tous les pays quels qu'ils soient, quels que soient leur niveau de développement et les secteurs d'activités qui sont en cause.
Certains voudraient nous faire croire que le cinéma, la littérature, les arts seraient des marchandises comme les autres, comme si leur production devait être réglée par la seule loi du profit. Je ne néglige pas la loi du profit. Nous sommes tous dans une économie de marché, le reste a fait faillite. Il n'empêche : on ne peut pas réduire les échanges culturels à l'économie de marché. De mon point de vue, il faut faire une différence, et ne pas évaluer les rimes des poèmes ou la beauté des chants que nous avons entendus hier soir à leur seule valeur marchande.
Ces menaces contre la culture ne sont pas isolées. Elles s'inscrivent dans un mouvement plus vaste de privatisation qui concerne également d'autres biens publics mondiaux : l'environnement, la santé ou encore l'éducation. Sur chacun de ces sujets, nous connaissons pourtant la nature des périls. Nous voyons bien, ici même, en Afrique, à quelles catastrophes ont abouti les pures logiques économiques appliquées à la santé quand, je le répète, les marchés ne suffisent pas à justifier que l'on produise des médicaments pédiatriques ou que l'on s'attaque aux maladies dont souffrent les populations insolvables et pour lesquelles l'on ne développe pas assez les vaccins.
Or c'est toujours la même chose : ce sont toujours les plus pauvres, chez nous comme chez vous, qui ont le plus besoin de médicaments et je dirai - vous me pardonnerez cette provocation - qui ont aussi le plus besoin de beauté et de culture aussi. Ce sont les mêmes qui doivent accéder à une culture diversifiée et qui doivent également accéder à des systèmes de soins.
Nous devons tout faire pour favoriser un développement culturel plus juste, échappant aux seules logiques économiques, comme nous avons commencé de le faire pour la santé. Nous avons commencé dans cette région, nous en parlions encore à midi à propos du sida mais aussi à propos de bien d'autres maladies contagieuses. Nous avons ce matin inauguré un pavillon qui s'appelle le pavillon de France à l'hôpital de Dakar. Nous pouvons penser à ces choses pendant très longtemps. Il n'a longtemps pas été question, comme pour la culture, de traitements ou de système de soins pour les plus pauvres et il a fallu l'imposer. Maintenant, quelques années après, ce n'est bien sûr pas suffisant, mais les choses évoluent tout de même de façon positive.
La France sait ce que la culture représente pour elle, pour son histoire, pour son message au monde : c'est parfois un sujet de préoccupation, mais c'est en tout cas un sujet majeur. Elle sait ce qu'elle doit aux créateurs, musiciens, poètes, peintres, architectes ou romanciers. Elle sait aussi ce qu'elle doit à tous ceux qui, dans d'autres pays, sur d'autres continents, ont choisi sa langue, sa culture, ses paysages pour exprimer leur talent. Elle sait donc l'immense apport du Sénégal pour la culture mondiale comme pour la politique.
Nous célébrons aujourd'hui le cinquantième anniversaire d'un institut qui porte le nom de l'un des plus brillants défenseurs et illustrateurs de cette idée de la France, du français et du rayonnement du Sénégal. Cette "francité", comme l'appelait Léopold Sédar Senghor, qui va au-delà de la Francophonie et s'en nourrit pourtant, qui va au-delà de cette communauté forgée par ceux qui partagent "l'ensemble des valeurs de la langue et de la culture, partant de la civilisation française", c'est pour la France un bien immense, une richesse unique qui est d'autant plus grande qu'elle est partagée par le plus grand nombre possible et, en particulier, par nos amis sénégalais.
C'est pourquoi j'ai tenu à être ici avec vous aujourd'hui, pour rendre hommage à Léopold Sédar Senghor mais aussi à tous ceux qui, dans son sillage, ici, devant moi, font vivre aujourd'hui cette source vive de progrès et d'émotion, d'espoir et d'amitié.
C'est pourquoi la France est plus que jamais résolue à maintenir et à moderniser son réseau culturel à l'étranger, ce dispositif exceptionnel de partage et d'échange avec vous.
A l'heure où le président de la République, la diplomatie, les acteurs culturels de la France ou Yann Arthus-Bertrand hier soir s'engagent avec nous et avec force dans la diplomatie d'influence, nous devons renforcer cet outil original, dont l'enracinement et la philosophie de dialogue sont autant de forces dans ce monde mouvant.
Pour cela, j'ai décidé de réformer et de moderniser notre dispositif culturel et de coopération, réforme inscrite dans celle, plus vaste, du ministère des Affaires étrangères et européennes que j'ai lancée avec le président de la République, Nicolas Sarkozy, et le Premier ministre, François Fillon.
Notre réseau culturel à l'étranger doit en effet s'adapter aux évolutions rapides du monde dans lequel il évolue. Il doit être plus innovant, plus performant et bénéficier d'une meilleure lisibilité. C'est autant une question d'efficacité face à des problématiques complexes et foisonnantes que de bonne gouvernance en période de crise. C'est, je crois, le seul moyen de continuer à défendre et promouvoir la culture, d'en faire un projet vivant de rencontres entre les hommes, entre nous aujourd'hui.
Je n'entrerai pas ici dans le détail de la réforme entreprise. Je voudrais simplement en tracer les grandes lignes, en rappeler les principes et les objectifs.
Au coeur de cette réforme, il y a la mise en commun de nos moyens dans un établissement qui s'appellerait "l'Institut de France". Je ne préciserai pas plus, car la concurrence est rude en termes d'influence pour cette nouvelle agence que je veux créer. Je peux vous dire que je ne laisserai pas les conservatismes triompher. Si cela s'était bien passé avant, je n'aurais pas eu à réformer. En réalité, cela ne se passait pas si bien face à nos concurrents, nous nous installions dans une manière de routine qui, mine de rien, continue à nous influencer. Il n'est pas question de céder à un conservatisme, à une frilosité ou à des biens personnels déjà établis. Je souhaite à la fois que des grandes directions soient imprimées par cette agence parce que l'on a droit de choisir, c'est un choix politique. Les diplomates n'ont pas à inspirer la politique, ils ont à la suivre mais leur talent est indispensable pour mettre en place cette politique. Dans la culture, ce sera pareil. Nous allons créer, face à de grands circuits qui sont ceux de nos amis, les Allemands, les Britanniques, les Espagnols et j'en passe, cette redoutable concurrence, parce qu'on a besoin de France et parce que la France, en a besoin. Ne croyez pas que je suis un arrogant venant dire ce qu'il faut expliquer à l'Afrique. L'Afrique m'explique des choses tous les jours. Il faut en effet un équilibre entre l'originalité de ce que nous offrons et l'originalité de la demande. La demande, Mes Chers Amis, c'est vous qui la faites.
Evidemment, l'ambassadeur doit pouvoir, Cher Jean-Christophe, non seulement donner son avis mais également prendre les décisions, surtout s'il a raison. Mais pardonnez-moi, l'ambassadeur n'a pas toujours raison, le ministre non plus. Il faut qu'entre nous s'établisse un équilibre et il faut répondre à la demande de France, l'appétit de France, qui n'est pas seulement un appétit de français, même si cela peut l'être. C'est quand l'un et l'autre de ces appétits se rencontrent. Non seulement c'est bien, mais c'est ce que nous visons. Pour cela, il faut être performant. Hier soir, venu de France, Yann Arthus-Bertrand a présenté son film, "Home", un triomphe mondial. Chers Amis, nous vous l'avons proposé, il y a eu un public formidable, une discussion exceptionnelle. Son film connaît un succès planétaire et cela tombe bien, il parle de la planète ! Cela tombe bien : avant il y a eu Al Gore, maintenant il y a Yann Artus-Bertrand. Voilà l'exemple même de ce que nous devons faire. "Home" est un beau produit d'exportation, avec Yann Artus-Bertrand et la réflexion qu'il suscite. Certaines images ont été tournées chez vous, il a été questionné là-dessus. Il y a des images positives et des images négatives dans le monde, c'est ainsi.
Je vais proposer un nouvel établissement où les domaines de compétences s'additionneront. Ils seront élargis à l'ensemble des champs de la coopération, et notamment, ceux qui sont trop négligés, les domaines scientifiques, techniques, universitaires et évidemment, la coopération décentralisée, l'architecture, la musique, le chant, le roman...
Tout ce que nous souhaitons, c'est que l'offre soit à ce point diversifiée qu'elle rencontre la demande et que la demande exprimée puisse s'adapter à l'offre le plus souvent possible. Il n'empêche que cette agence sera à Paris, dirigée de façon plus coordonnée. Tout le talent, toute la réussite ou tout l'échec, dépendra de l'harmonie entre la nécessaire centralisation de l'agence et la demande locale. C'est difficile mais d'autres y sont arrivés. Je pense que l'Institut français saura le faire.
Je sais ce que je vais décider et la réforme de la politique d'influence de la France, la réforme de la mondialisation ne comporte pas que des aspects culturels. Je vais vous donner quelques exemples. Dans la direction générale de la Mondialisation que Christian Masset dirige depuis peu, il y a un certain nombre de directions. Ce ne sont pas des directions au sens où on l'entend généralement, ou alors ce serait des sous-directions mais je ne veux pas minimiser leur influence. Savez-vous combien de personnes s'occupaient de religion au Quai d'Orsay ? Une. Ce n'est pas possible quand on sait que très peu de crises n'ont pas de racines dans le domaine de la religion, quelle qu'elle soit.
Maintenant, il y a une direction très efficace, avec des personnes formidables qui animeront la rencontre dans la direction de la mondialisation.
Qui sont ceux qui ont vu le film de Yann Artus Bertrand ? Formidable !
Vous savez qu'il manque un seul mot, qui n'a été prononcé qu'une seule fois : je sais que c'est un tabou, c'est le mot démographie. Franchement, croyez-vous que ce que l'on a vu hier soir n'avait rien à voir avec le nombre de gens sur la Terre ? Qui peut prétendre cela ? Je ne dis pas qu'il faut réduire le nombre d'enfants, mais enfin soyons sérieux, il faut aussi que l'on parle de cela, d'alimentation avec plus d'un milliard de personnes sur la Terre qui ne mangent pas à leur faim et qui ne savent pas le matin s'ils mangeront le soir.
Alors, on parle de la nourriture, on pense que l'on nourrira tout le monde. Regardez vos ressources halieutiques, regardez les pêcheurs. Il y avait justement des images des pêcheurs du Sénégal (et d'ailleurs) dans le film "Home". En France, c'est exactement pareil. Il faut que la réflexion au sein du ministère des Affaires étrangères touche à tous ces grands sujets. Et je n'en énumère que quelques-uns. J'ai été ministre de la Santé pendant de nombreuses d'années et j'ai essayé de pousser un peu les actions internationales de la France. Un de mes rêves, je l'ai redit ce matin, c'était l'hôpital de Dakar. Quand vous êtes étudiant et que vous vous intéressez au reste du monde, l'hôpital de Dakar est plus qu'un symbole, c'est un centre où vous devez passer, où on veut apprendre, où on sait qu'il faut saluer les recherches qui ont été faites, pas seulement dans le domaine de la fièvre jaune - sur la fièvre jaune en particulier - mais pour toutes les maladies transmissibles.
J'ai essayé. Le ministère de la Santé n'est pas très disposé à cela. Les Français ont été, je crois, en particulier dans le domaine du VIH/Sida, les premiers à dire : "ce n'est pas mon malade". Les malades n'appartiennent pas aux médecins, ne s'identifient pas à la frontière qui les borde ou qui les cache. Nous avons commencé à parler des malades du monde et à essayer d'approcher le traitement des malades, d'aller vers ceux-ci. Ne pensez-vous pas qu'il faut, dans la direction de la Mondialisation, une approche qui soit également celle de la santé publique. Sinon, comment peut-on le comprendre ?
Tout cela va donc, je crois, être réformé comme le sera l'accès à la culture : notre Agence culturelle sera accessible à ceux qui le souhaitent, pas l'accès à la culture qui ne serait en rien imposé. Nous n'offrons pas la culture comme on offre la charité. Je n'ai rien contre la charité, je l'ai fait souvent, mais il faut que ce soit un partenariat. Encore une fois, je sors enrichi de cette rencontre avec les intellectuels sénégalais. Voilà ce que je veux. Un Centre culturel, un Institut français Léopold Sédar Senghor, cela doit aussi regrouper la culture de ce pays, pas seulement du nôtre. Si on se rencontre, c'est bien mieux. Il faut que les Sénégalais se sentent chez eux à l'Institut culturel, à l'Institut français, qu'ils soient capables d'organiser un certain nombre de petites ou de grandes cérémonies, événements, rencontres : voilà ce que je souhaite. Je ne sais pas encore qui agira sous l'autorité directe de l'ambassadeur mais je souhaite qu'il reste le coordinateur de la politique culturelle de la France. Nous avons des exemples avec l'Agence française du développement. Il s'agit donc d'un projet politique de partenariat.
Pour réussir cette mutation importante, le gouvernement a décidé, à ma demande, d'engager en 2009 et 2010 quarante millions d'euros supplémentaires. Je vous dis cela - ce n'est pas pour me vanter - mais dans cette période de crise, cela n'a pas été facile. On doit tout réduire, et c'est légitime. Si on ne regarde pas le film de Yann Arthus-Bertrand, on continuera à acheter trois voitures par personne, même si de toutes façons on n'a plus d'argent. Cette époque est terminée, il faut raisonner différemment. Dans cette période de crise, je remercie donc le gouvernement de la France de m'avoir procuré ces crédits exceptionnels, qui seront prioritairement destinés à la modernisation de notre réseau, et évidemment, en particulier ici. Je viens de visiter le merveilleux centre Léopold Sédar Senghor, quel bel instrument !
Je souhaiterais vous indiquer deux directions supplémentaires :
- Tout d'abord, la promotion des outils numériques : notre offre culturelle et linguistique doit davantage s'appuyer sur les nouvelles technologies culturelles et linguistiques, - même si cela fait 25 ans qu'elles sont nouvelles alors il faudrait peut-être s'habituer un peu ! -, avec des moyens qui multiplient notre action.
- La seconde direction, le second effort qu'il nous faut accomplir, porte sur le recrutement des hommes et des femmes qui se dévouent quotidiennement au service de notre réseau, et dont les missions et les conditions de travail ont beaucoup évolué. J'ai le regret de dire qu'il faut s'adapter. Le conservatisme me convient. Seulement, si nous sommes conservateurs dans un monde qui bouge, nous disparaissons. Il faut, Mes Chers Amis, s'adapter et il faudra travailler un peu différemment. Je reconnais tous les efforts. Mais les missions et les conditions de travail ne seront plus les mêmes. J'espère qu'elles seront meilleures. Cela passe par une meilleure gestion des effectifs et quand je dis cela, je ne dis pas que je vais supprimer des emplois, je dis seulement que cela passe par une meilleure gestion. Depuis 15 ans, je suis ministre de la France dans différents gouvernements et j'ai vu des personnes s'investir énormément dans les ministères, partir le soir à minuit, mais j'ai aussi vu beaucoup de personnes qui ne travaillaient pas du tout ; j'ai vu des personnes qui partaient très vite, et même qui n'étaient pas là. Vous savez combien il y avait de personnes à gérer dans les hôpitaux, au sein du système de santé en France ? 1,2 million, parmi lesquelles, il y avait des personnes formidables - je les ai encore saluées ce matin à l'hôpital de Dakar -, mais il y a aussi des personnes qui probablement devraient faire autre chose. Il n'est pas donné à tout le monde de faire les mêmes efforts. Dès lors, adaptons-nous, parce que les lendemains vont être plus difficiles que ce que nous avons connu il y a quelques années.
Il faut faire un effort en termes de formation. Il y a des personnes qui n'étaient pas formées, et cela ne s'improvise pas toujours. La formation de nos agents doit répondre aux nouveautés induites par l'installation des technologies, mais également aux besoins nés de l'évolution de nos méthodes de travail, avec en particulier l'apparition de la logique plus performante et quasi-entrepreneuriale que j'évoquais à l'instant, c'est-à-dire des nouvelles tâches, des recherches de mécénat. Nous y sommes obligés : lorsqu'il y a moins d'argent et que l'on veut faire fonctionner une agence culturelle, il faut que les financements se mélangent. Il faut donc que nous soyons assez souples pour pouvoir recevoir des financements différents. Nous ne le sommes pas pour le moment, c'est une adaptation nécessaire. Enfin, une partie de ces crédits dont j'ai parlé (les 40 millions en dehors des crédits que nous avions déjà) ira à la nouvelle agence culturelle, qui sera chargée de mettre en oeuvre cette réforme et d'animer notre politique de coopération culturelle.
Elle reprendra bien entendu les missions actuellement dévolues à CulturesFrance. Cette nouvelle agence sera dotée de compétences et de missions supplémentaires, notamment en matière d'enseignement du français. L'action de cet établissement public reposera sur un partenariat étroit entre le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère des Affaires étrangères et européennes, ainsi que les collectivités locales et d'autres organisations. Il y a quelques jours, j'ai rencontré Frédéric Mitterrand, notre nouveau ministre de la Culture. Nous allons faire cela ensemble. Qu'est-ce que c'est que cette susceptibilité de grands établissements? Qu'est-ce que c'est que cette jalousie ? Qu'est-ce que c'est que cette confrontation permanente entre des administrations qui théoriquement servent à la fois la France et notre rayonnement hors de la France? Nous ferons cela ensemble. Je ne crois pas que ce sera facile, mais tout cela nous permettra de nouer des partenariats, aussi bien avec des entreprises, des ONG que des établissements publics.
Ce n'est pas simple. Nous renforcerons la présence culturelle française à l'étranger, nous la rendrons plus cohérente, avec l'apport essentiel de nos amis des Alliances françaises. Les Alliances françaises constituent une richesse extraordinaire. Il y a l'Institut français mais les Alliances se sont débrouillées toutes seules. Certes, on leur octroie quelques subventions, mais elles ont une autonomie, une inventivité, une souplesse que j'envie. Comme ce sont des amies - et je les ai rencontrées il y a peu, non seulement toutes les Alliances du monde au Quai d'Orsay, mais également leur Direction générale- nous allons travailler plus étroitement avec les Alliances françaises, qui garderont bien sûr leur autonomie, et nous pourrons ensemble mieux aider les créateurs, chez vous, chez nous, les producteurs, et les industries culturelles à rayonner et à nouer des partenariats. Nous avons, en France, d'importantes et bonnes industries culturelles. Profitons-en, associons-les.
Vous l'aurez compris, il s'agit là d'évolutions en profondeur et à long terme, qui ne se feront pas en un claquement de doigts. Si les grandes lignes en sont déjà arrêtées, je prendrai les décisions finales dans les prochaines semaines, en fonction des concertations que j'ai conduites depuis plus de trois mois. Cela fait deux ans qu'on y réfléchit. Je souhaite associer tout le monde, vous y compris. J'ai profité de tout ce que les créateurs sénégalais nous ont apporté aujourd'hui et hier. Cela fait longtemps que je connais ce pays, même si je ne le connais jamais assez et je reviendrai très volontiers. Je veux que tout cela soit concerté, il n'y aura pas de fracas. Je l'ai fait pour les réformes à l'intérieur du Quai d'Orsay, je le ferai pour cette agence culturelle. Convaincre, rien imposer. Alors cela prend du temps, parce que les habitudes sont historiques. Pourtant, nous devons aller vite.
Dans cette grande réforme de notre politique d'influence à l'étranger, je veux mettre à la disposition de notre réseau un outil efficace pour affirmer notre place dans le monde en matière de savoir et de création, et permettre une meilleure circulation des artistes et des idées françaises et des autres.
L'Institut Léopold Sédar Senghor est bien sûr aux avant-postes de ce mouvement. Je suis heureux de pouvoir vous présenter son nouveau directeur, Alban Corbier-Labasse, homme d'expérience et d'enthousiasme, qui est venu aujourd'hui et qui reviendra très bientôt prendre ses fonctions, doté - je viens de le dire - de moyens supplémentaires.
Se pouvait-il que notre présence au Sénégal, l'une des plus importantes présences diplomatiques françaises du monde - merci Jean-Christophe Rufin - dans un pays dont la culture et l'histoire nous sont si proches, nous sont un modèle, ne joue pas un rôle moteur dans une réforme de notre politique d'influence et politique culturelle ? Se pouvait-il que cet institut, baptisé d'un tel nom, si retentissant, reste à l'écart d'un mouvement tellement ambitieux ? Cela ne se pouvait pas.
Premier centre culturel français à avoir vu le jour en Afrique, il y a cinquante ans, l'Institut Senghor s'est depuis imposé comme l'un des pôles artistiques de Dakar. L'Institut Léopold Sédar Senghor a permis l'éclosion de plusieurs générations d'artistes sénégalais, aujourd'hui de renommée internationale : Ismaël Lo, et tous les autres - je ne vais pas tous les citer parce que j'en ai décorés tellement qui sont là, et tous les autres qui ne le sont pas. Je ne veux pas faire la revue des grands intellectuels, vous en avez beaucoup. En cinquante ans, l'institut s'est sans cesse agrandi, déménageant de la Place de l'Indépendance jusqu'ici, s'adjoignant au passage une galerie d'exposition à la programmation retentissante, "Le Manège", et s'enrichissant d'une médiathèque et d'un pôle linguistique dynamiques.
Cette vitalité est à l'image des liens qui unissent la France et le Sénégal, liens anciens et réciproques, faits de grandes personnalités et de masses qui ne sont jamais silencieuses. Il y a la figure tutélaire de Léopold Sédar Senghor, bien sûr, mais aussi des artistes, comme ceux que j'évoquais à l'instant. Il y a Cheikh Amidou Kane, il y a Ousmane Sembene, il y a bien d'autres que j'ai rencontrés ici ou que je rencontre souvent à Paris.
Il y a des milliers de Sénégalais qui sont passés par les universités, les écoles ou les scènes françaises. Ils ont construit, et nous avons construit à leurs côtés, un peu de notre identité commune. Malgré l'attraction croissante exercée par d'autres systèmes universitaires, on me dit qu'il y a aujourd'hui plus de huit mille étudiants sénégalais en France, ce qui en fait la première destination. Je m'en réjouis : c'est la preuve de la vitalité de ces liens, la promesse aussi que ces liens continueront à se renforcer au cours des années à venir.
Il y a ces dizaines de milliers de Français dont une partie de la vie demeure au Sénégal. Je pense à tous ceux, enfants de l'immigration, bien sûr, mais aussi à tous ceux que notre histoire complexe a d'une manière ou d'une autre attachés aux rues bourdonnantes de Dakar, aux sables lumineux des villages de la Grande côte ou au vert acide des forêts de baobabs.
Et j'ai même appris en venant ici que quatre de ces académiciens dont je parlais sont nés ou ont vécu au Sénégal : le président Senghor, bien sûr, mais également le Chevalier de Boufflers, Pierre Loti et Jean-Christophe Rufin !
Pour eux, pour la France, le Sénégal incarne les valeurs de générosité, de tolérance et d'accueil des cultures. Pour tous, le Sénégal est un pays créatif, dont les talents sont légion et dont les artistes se distinguent sur les scènes internationales dans de nombreuses disciplines - j'ai parlé de la musique, de la littérature, du cinéma, du stylisme, de l'architecture, de la chorégraphie, de la photographie, de la mode. Il y a maintenant le design. Bravo !
A tous ces créateurs sénégalais, célèbres et/ou anonymes, la France s'efforce en retour d'apporter un soutien. L'Institut français se flatte d'être un lieu de rencontre, d'échanges, d'inspiration. Un lieu de tolérance aussi, où l'écoute de l'autre est la première vertu. Un lieu de passage, surtout, dont la vocation profonde est de faire se rencontrer les cultures et les milieux, tous les milieux.
Il m'est impossible d'énumérer l'ensemble des projets que nous aidons et qui visent autant à faire connaître la création artistique contemporaine au Sénégal qu'à promouvoir les talents sénégalais en France et dans le monde.
Il y a des festivals, il y a des rencontres prévues, il y a Le Festival Africa Fête, Kay Fecc Xale ; les expositions organisées au "Manège", notre appui constant à la Biennale Dak'Art ; notre soutien au remarquable travail de l'Ecole chorégraphique des sables, héritière de Mudra Afrique fondée par Béjart et dirigée par Germaine Acogny et Toubab Dialow ; le Festival Banlieue Rythme... Je ne voudrais pas oublier le succès des artistes sénégalais que nous aidons à tourner en Europe ou aux Etats-Unis, comme la compagnie "1er temps" qui s'est récemment produite à New York.
C'est peut-être là l'une des plus belles illustrations de la vocation de l'Institut français : aider non pas à la promotion d'une culture en particulier au détriment des autres, mais de toutes les cultures. Car chacune s'enrichit de cette diversité. C'est le message de la Francophonie, qui n'est pas tant la promotion du français, même s'il elle l'est bien sûr, que la défense du plurilinguisme...
Ecoutons la voix du président Senghor : "La France, me disait un délégué du FLN, c'est vous, c'est moi : c'est la Culture française. Renversons la proposition pour être complets : la Négritude, l'Arabisme, c'est aussi vous, Français de l'Hexagone. Nos valeurs font battre, maintenant, les livres que vous lisez, la langue que vous parlez : le français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone".
Et à propos de la voix prophétique de Senghor, je ne peux que saluer l'évolution de cet Institut, dont l'action a profondément changé en cinquante ans, symbole de la maturité des relations entre la France et le Sénégal. A une vocation de promotion d'une seule culture s'est substitué l'échange fécond entre peuples égaux.
C'est pour cela que je suis heureux de m'être adressé à vous, que je devais le faire parce que je me l'étais promis à moi-même et aux autres, et en particulier à Jean-Christophe Rufin. J'avais promis. J'arrive bientôt à mon million de kilomètres autour du monde. C'est sans doute trop. Pour ne pas déraper sur les mots importants, je vais vous dire le mot le plus important pour ce qui me concerne. C'est le mot "fraternité" avec les Sénégalais, fraternité entre le peuple de France et le peuple du Sénégal, fraternité et affection. Une affection tournée vers l'Afrique et je crois que nous avons fait ce que nous pouvions pour que l'Afrique soit présente dans toutes les réunions internationales, en particulier à ce qui était le G8, devenu sous l'action du président Nicolas Sarkozy le G14, puis le G20 aux Etats-Unis, à Londres, ainsi qu'à nouveau à New York à la rentrée lors de l'Assemblée générale des Nations unies où la représentation africaine a été multipliée par deux avec l'Afrique du Sud, le Nigeria mais surtout l'Union africaine. C'est cela cette affection. C'est aussi la claire conscience que la crise ne se règlera pas si elle se règle sans changements profonds, sans une vraie régulation d'un capitalisme fou, sans une régulation qui, venue d'Europe, et particulièrement de France, venue des vingt-sept pays de l'Union européenne s'impose petit à petit aux autres qui finalement, donnent le sentiment de l'accepter. La régulation, cela passe par un travail nécessaire, indispensable. C'est aussi sans doute la leçon de ce film d'hier soir et, surtout, de ce que nous savons du développement et de l'Afrique. Sans l'Afrique, pas de règlement de la crise, qui pourtant frappe avant tout le capitalisme et les pays riches. Mais vous frappe vous aussi. Avec vous, nous règlerons tout cela. Et ne croyez pas que ce puisse être réglé seulement par des mesures économiques, par des investissements. Oui il en faut. Je ne suis pas l'ennemi de l'économie de marché. Mais une économie de marché devenue complètement incohérente comme elle l'était, non. Et la culture, Mes Chers Amis, est notre grande richesse. La culture plus disparate, plus diverse, plus précise et plus générale à la fois, la culture de la France, du Sénégal, de la France et de l'Afrique, de la France et du monde. C'est ce que j'ai voulu offrir avec vous dans une perspective proche et j'espère rafraîchissante, non pas conquérante mais fraternelle.
Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juillet 2009