Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse à France-Inter le 6 juillet 2009, sur la mise en place du revenu de solidarité active (RSA) et les travaux et les recommandations de la Commission de concertation sur la jeunesse.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
 
 
P. Weill.- Environ 1,3 million foyers vont percevoir à partir d'aujourd'hui le Revenu de solidarité active. Le RSA est entré en vigueur il y a un peu plus d'un mois. M. Hirsch bonjour.
 
Bonjour.
 
Vous êtes Haut commissaire aux Solidarités actives. Le RSA c'est votre idée. On va parler de ces premiers versements du RSA mais d'abord votre réaction à la défaite du Front national lors des municipales hier à Hénin-Beaumont dans le Pas de Calais.
 
Je suis soulagé et je m'en réjouis. Ma réaction c'est que l'extrême droite est quand même un des poisons de la société, qui resurgit régulièrement et qui resurgit d'autant plus quand on lui prête le flanc. C'est-à-dire un premier magistrat doit être intègre, doit être parfait et tous ceux qui dérivent ouvrent la porte à ce genre de choses.
 
Peut t-on dire que dans le contexte actuel de crise économique et sociale, le Front national peut séduire ceux qui souffrent ?
 
Oui, on l'a déjà vu. Oui, oui, régulièrement. C'est son terreau d'élection.
 
Parce qu'il a fait un score important lors de ces municipales à Hénin-Beaumont.
 
Bien sûr, bien sûr. Et on l'a déjà vu dans le passé. Bien évidemment qu'il peut séduire ceux qui souffrent mais d'autres peuvent les séduire. Ceux qui souffrent ont d'autres moyens d'expression et souvent quand on laisse prospérer le Front national, c'est qu'on n'a pas été à la hauteur par rapport aux gens les plus en difficulté.
 
On revient au versement du RSA pour environ 1,3 million foyers. Que répondez-vous à ceux qui dénoncent les effets pervers du RSA ? N'allez-vous pas institutionnaliser les petits boulots, marqués par le temps partiel et les bas salaires ?
 
D'abord c'est beaucoup plus que 1,3 million foyers qui vont toucher le RSA maintenant parce que je rappelle que le RSA c'est la transformation du RMI de l'allocation parent isolé plus des salariés modestes. Donc un million 3, ce sont ceux qui avaient le RMI et la paie, qui le voit transformé en RSA et en fait il y a à peu près 500 000 ménages de plus qui dès ce mois-ci vont percevoir le RSA. Le mieux c'est de leur poser la question. Alors peut-être qu'il y aura des auditeurs qui le feront mais moi j'étais dans les Caisses d'allocations familiales ces derniers jours et je voyais des gens avec des travaux, certains précaires et d'autres pas, qui allaient percevoir 100, 200, 250 euros de RSA en plus chaque mois. Ils n'avaient pas l'impression de passer de la stabilité à la précarité. Ils avaient l'impression pour les uns qu'ils sortaient d'une situation de précarité financière et ils attendaient depuis des années de pouvoir le faire et pour les autres que le fait de travailler allait leur rapporter davantage d'argent à partir de maintenant. Moi je trouve que... parce que j'en ai un peu assez de ce type d'attaques et je me suis demandé, pourquoi est-ce que tout à coup on essayait de faire rimer RSA et précarité. C'est toutes celles et tous ceux qui ont été incapables d'endiguer la précarité jusqu'à présent parce que dire, tout d'un coup : la précarité va resurgir, comme si elle n'existait pas. Il y a ceux qui disent : attention, ça va faire cesser d'augmenter les bas salaires. Vous avez vu augmenter les bas salaires ces dernières années ? Pas tellement. Donc il y a un moment où je pense qu'il y a un certain nombre d'arguments, une partie de mauvaise foi, une autre partie qui est des arguments de principe de précaution. Mais vous voyez avec le principe de précaution appliqué à l'extrême - moi je me suis occupé du principe de précaution quand il fallait lutter contre les vaches folles, les OGM, etc., - mais là le principe de précaution qui consisterait à dire qu'on ne fait pas avancer les choses et qu'on maintient le système dans lequel les gens perdent de l'argent en retrouvant du travail, ça me paraît pas possible.
 
Mais le risque du temps partiel par exemple, est-ce que vous allez essayer d'élaborer des moyens pour empêcher ça ?
 
Oui. On va... mais j'allais dire RSA ou pas RSA, le temps partiel subi il progresse depuis 15 ans. Il progresse depuis 15 ans, depuis l'époque où on faisait pour l'employeur, moins de charges sociales quand il prenait des gens en temps partiel. Il existe toujours. On suivra année après année, on fera des enquêtes, on regardera par exemple - le RSA ne s'applique pas aux moins de 25 ans - on verra si le temps partiel augmente plus chez les 25 ans et demi que chez les 24 ans et demi et puis on prendra des mesures pour pouvoir... et puis on fera des accords avec un certain nombre d'acteurs pour qu'ils s'engagent à ne pas augmenter le temps partiel sous prétexte de RSA.
 
Est-ce qu'il ne faut pas améliorer le suivi, créer une sorte de suivi personnalisé pour trouver un travail de qualité ? Que les gens n'aient pas à subir une sorte de chantage pour accepter n'importe quel travail ?
 
Il faut effectivement assurer un suivi mais c'est consubstantiel au RSA. Si vous voulez là aussi, je regardais dans les départements, j'étais dans les Bouches-du-Rhône avant-hier. Dans les Bouches-du-Rhône, le temps qui était nécessaire auparavant pour qu'un allocataire du RMI ait accès à l'accompagnement professionnel, c'était 12 mois en moyenne. Maintenant au moment du RSA, ils ont fait passer ça à deux mois en moyenne. C'est considérablement mieux. Donc il ne faut pas revoir que cela. Et puis il y a des gens, il y a aussi ceux qui sont au Smic qui vont avoir... Il y a dix jours, il y a eu une polémique pour savoir si on augmentait le Smic de 1,25%, soit une baguette par jour. Vous savez quelle est la réalité ? C'est que le pouvoir d'achat des allocataires du Smic, de ceux qui touchent le Smic, qui travaillent au Smic à plein temps, il a augmenté soit de 7%, soit de 20% suivant leurs charges familiales, grâce au complément de RSA qu'ils touchent.
 
Vous en parliez, y aura-t-il un élargissement lors du RSA aux jeunes de moins de 25 ans ? Un RSA jeune ?
 
Il n'y aura pas le RSA généralisé aux jeunes, appliqué aux jeunes, pas le même système. Pourquoi ? Parce que, autant je défends comme vous voyez becs et ongles le RSA à partir de 25 ans, autant je fais partie de ceux qui pensent que juste transposer le même système dès la sortie du système scolaire, ça présente le danger d'aller davantage vers les dispositifs d'aide sociale que vers le travail ou la qualification.
 
Il y aura quoi alors ?
 
Je pense qu'on va pouvoir arriver cet après midi à avoir un consensus entre toutes les organisations étudiantes, les organisations syndicales et les organisations patronales...
 
Je précise que vous présidez aujourd'hui la dernière réunion de la commission de concertation sur la jeunesse. Elle devait boucler ses travaux le 30 juin, il y a du retard. On attend une cinquantaine de recommandations, est-ce que ce matin vous pouvez nous donner des recommandations qui sont bouclées, acceptées par tous ceux qui sont réunis autour de vous.
 
Je pense que ce sera un tout parce que la dernière fois, c'était très houleux. Alors les étudiants disaient : Ouh ! La, la ! Si sur les revenus ça ne va pas, on retire notre accord sur le reste.
 
Sur quoi êtes-vous d'accord ?
 
Je pense qu'on peut être d'accord sur l'essentiel. On a beaucoup travaillé, encore ce week-end, à faire des allers retours. Je pense que...
 
Du concret !
 
Attendez. Du concret, hyper concret. Alors sur les moins de 16 ans, on ne les évalue pas simplement sur leurs compétences dans les trois matières dominantes du scolaire et qu'on force l'éducation à prendre en compte d'autres compétences de jeunes. Que le mot d'ordre pour le système, ce soit : le système est mauvais si il considère qu'il y a jeunes qui sont nuls en tout, ce qui n'est pas possible. Deuxième chose, remettre sur pied tout le système d'orientation. Vous savez le système où on vous dit : ce n'est pas votre choix mais on vous envoie là, vous ne savez même pas à quoi ça va vous conduire etc. Ou bien vous choisissez à l'aveugle sans savoir quels vont être les débouchés du système. Tout système d'orientation va être mis sur pied.
 
Mais attendez, "remise sur pied", vous allez créer une nouvelle administration, un nouveau service ?
 
On va unifier les différentes choses pour les détacher de l'école, pour qu'ils aient leur autonomie et qu'ils soient unifiés entre le système d'orientation professionnel, le système d'orientation universitaire ou le système d'orientation scolaire. Et puis on va le mettre au service des jeunes, plutôt qu'au service de l'immobilisme du système. On va proposer que l'obligation de scolarité à 16 ans soit étendue sous une forme un peu plus souple jusqu'à 18 ans. On va proposer qu'on ne puisse plus laisser un jeune entre 18 et 25 ans, ballotté d'un système à l'autre, quelquefois trois ans tout seul. On va proposer que les stages dont les entreprises ont abusé soient interdits quand ils ne sont pas dans un cursus scolaire ou universitaire. A Radio France, comme dans les entreprises privées. Et puis on va proposer qu'on puisse mettre en place des aides pour ceux qui en ont plus besoin dès maintenant, c'est ce qu'on bouclera cet après midi, et expérimenter d'autres choses pour qu'on puisse avoir un système de soutien des jeunes, digne de ce nom.
 
Alors justement quoi de neuf concernant cette fameuse dotation autonomie ? On pourrait la recevoir sous certaines conditions, elle pourrait atteindre 4.000 euros.
 
Je ne peux pas vous donner ces détails-la parce que je pense, à la fois par respect pour la Commission mais surtout je pense que tout ne va pas se réduire à une question d'argent. Je vous dis juste mon raisonnement, sur les jeunes on ne peut pas monter un système dans lequel on considérerait comme acquis un faible taux d'emploi, un faible taux de qualification. Donc là aussi je suis pour des grandes expérimentations et j'espère que j'aurai les moyens financiers de faire ces expérimentations parce que les jeunes en ont besoin. Et pour que ça aille le plus rapidement possible et qu'on puisse ajuster en fonction de ce qui marche le mieux.
 
Mais elle verra le jour cette dotation autonomie ?
 
Ca dépend déjà de cet après midi. Si je suis tout seul, elle ne verra pas le jour et j'aurais échoué. Si on arrive à faire qu'elle soit portée par des acteurs différents, qui d'habitude ne sont pas d'accord, se tapent dessus, là, à ce moment-la je pense que nous pouvons faire des propositions qui soient aussi inarrêtables que le RSA l'a été depuis quatre ans.
 
Alors vous allez faire des propositions, des recommandations. Juste un mot et puis ensuite pour que ça puisse devenir une réalité, ça va se transformer en texte de loi. Vous avez des assurances à ce propos, vu les recommandations en commission ?
 
Pour l'instant je n'ai pas d'assurance. Les assurances elles se conquièrent au fur et à mesure. On se bat pour cela.
 
Vous avez encore un travail de conquête ?
 
J'ai un énorme travail de conquête collective, qu'on va essayer de faire collectivement.
 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 juillet 2009