Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RTL le 14 mars 1999, sur la reprise des négociations sur le Kosovo, la préparation du sommet de l'Otan et le rôle de l'UEO pour la sécurité européenne, les relations franco-allemandes, la réforme de la PAC et l'Agenda 2000.

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Texte intégral

Q - Tout dabord, Monsieur Védrine, le Kossovo. La conférence reprend demain à Paris avec quelle chance de succès, à votre avis ?
R - Si on se posait trop la question, je ne sais pas ce quon ferait. Nous sommes animés par la conviction quil faut à tout prix trouver une solution pour la coexistence entre les Serbes et les Albanais du Kossovo. On travaille, on avance, on les réunit et inlassablement, on tente datteindre cet objectif sur ce statut dautonomie substantielle.
Q - Mais vous devez commencer à être un peu déprimé, tout de même, parce que les jours passent et rien ne se passe.
R - Non parce que vous savez, nous sommes dans un monde où il y a des dizaines de problèmes non résolus et sur lesquels il ny a pas dautres solutions que de persévérer, persévérer encore et être plus tenace que les différents obstinés qui bloquent les efforts de paix. On ne se pose donc pas la question en ces termes, on fait tout ce quon peut. Tout ce quon a fait à Rambouillet, on va le faire à nouveau. Il est vrai que si on regarde les éléments, cela ne se présente pas bien, que depuis la fin de Rambouillet, les Kossovars ont éludé sans arrêt lengagement quils promettaient constamment pour le lendemain, les Serbes nont pas bougé, cest-à-dire quils se disent prêts à accepter laccord politique à quelques modifications près - il faut voir lesquelles parce que déjà, des éléments dadaptation ont eu lieu à Rambouillet - mais ils sont toujours aussi bloqués sur les garanties civiles et surtout militaires au sol. On na pas bougé malgré cette pression mondiale coordonnée convergente, cest la réalité. Faut-il baisser les bras ? Cest impensable. Donc on continue, voilà ce quon fait.
Q - Il y a une petite contradiction entre ce que vous dites, vous dites « On persévère, on avance tout doucement, on avance », vous avez prononcé le mot et en même temps, vous dites « On na pas bougé ». Quest-ce qui concrètement a changé depuis le début février où a commencé à se réunir cette Conférence de Rambouillet ?
R - Dabord lacceptation de la négociation, de la discussion. Avant Rambouillet, il ny avait aucun processus, aucune perspective de quoi que ce soit. A partir de Rambouillet, il y a ce que nous appelons un processus. Il faut comparer à des situations comme le Proche-Orient pour avoir une idée de la complexité des choses. Vous pensez bien que ce nest pas du jour au lendemain quon va régler le problème des Balkans ou même simplement du Kossovo. Il y a toute la différence entre une situation sans aucune autre perspective que la tragédie sans fin, massacres, répressions etc. et puis, un processus, fragile, contrarié, contesté, saboté éventuellement mais un processus. Voila ce qui a changé.
Pour être encore plus précis, il y a sur laccord politique dautonomie substantielle du Kossovo, un accord de principe que les deux délégations ont exprimé dans des termes qui ont varié, mais quelles ont quand même exprimé à Rambouillet. Il sagit, dès le début de la reprise des discussions demain après-midi, de fixer, tout de suite, une finalisation concernant la mise en oeuvre, les garanties sur le terrain.
Q - Mais au moment où on se retrouve autour de la table, demain, vous estimez que les responsabilités de la lenteur ou des difficultés sont partagées entre Serbes et Kossovars ou les deux délégations ?
R - Partagées mais cest difficile dêtre arithmétique dans ces domaines. Il y a des responsabilités de part et dautre, ce ne sont pas forcément les mêmes. Historiquement, on ne peut pas mettre les choses sur le même plan ; moralement, encore moins naturellement puisque sil ny avait pas ce refus obstiné de la part de la Yougoslavie de rétablir lautonomie du Kossovo, on nen serait pas là : le Kossovo naurait pas évolué comme ça, on naurait pas lUCK avec ses branches armées, voire plus incontrôlables, même par ses chefs politiques. Tout cela découle dune politique détestable, menée à lorigine par les autorités de Belgrade. Mais au jour daujourdhui, il y a des blocages des deux côtés. Mais je ne les compare pas, je ne les pèse pas, je nai pas de balance par rapport à ça.
Q - Dans le processus, tout de même, le premier verrou à faire sauter, cest donc dobtenir un accord des Kossovars sur le plan dautonomie de leur pays ?
R - Les deux choses sont dialectiquement liées parce quon naura pas lune sans lautre. Nous voulons obtenir de la part des Yougoslaves la confirmation de leur accord complet sur lautonomie politique du Kossovo, lautonomie substantielle - cet accord quon a mis au point dans le Groupe de contact. Dautre part, nous voulons absolument obtenir leur accord, cest notre but, concernant la garantie sur place parce que sil ny a que laccord politique sur le papier, il ny a pas une vraie garantie, ce qui fait que les Kossovars - et on peut les comprendre - ne vont pas, eux, faire le pas décisif que nous attendons deux qui est de renoncer au référendum au bout de trois ans, ce qui veut dire presque automatiquement indépendance, que nous ne soutenons pas. Nous, cest le monde entier, cest le Groupe de contact mais ce sont tous les gouvernements du monde parce que cela déstabiliserait encore plus cette région. Nous leur demandons dans la foulée, en tout cas à lUCK, la branche armée, de déposer les armes. Ils ne le feraient - et encore ils sont divisés là-dessus, cest pour cela quils nont pas signé - que sils sont assurés dune garantie et dune sécurité quils nont pas aujourdhui.
Q - La garantie militaire nest pas négociable...
R - Cette sécurité, cest cette présence militaire internationale qui lapporte. Donc, vous voyez que les choses sont totalement imbriquées...
Q - Alors, là-dessus, le président Milosevic a redit à tous ses visiteurs, quils soient américains ou russes, quil nétait pas question daccepter un seul soldat étranger sur le territoire de la Yougoslavie. Comment faire sauter ce blocage ?
R - En arrivant à convaincre la Yougoslavie que cet accord est, dune certaine façon malgré tout, équilibré puisquil préserve la souveraineté de la Yougoslavie et son intégrité territoriale. Cest une garantie de part et dautre.
Q - Mais en la convainquant, ou en la bombardant comme lAlliance atlantique avait menacé de le faire en cas de blocage ?
R - Attendez ! LAlliance atlantique na pas dit quelle bombardait automatiquement en cas de blocage sur ce point. Il y a une évaluation à faire, une évaluation politique du blocage que nous pouvons faire puisque nous avons pris dans le temps les dispositions pratiques militaires et juridiques, dans la mesure où nous avons voté les textes qui permettent dagir, ce quon appelle l »Act ord » dans notre jargon de lOTAN. On peut faire cela mais cest sur la base dun échec constaté et qui doit être analysé par le Groupe de contact, qui est une analyse politique. Donc, le jeu des hypothèses, je...ce nest pas un jeu électronique, donc...
Q - Est-ce que le moment est venu où il faudra bien passer aux actes, tout de même, ou bien est-ce que vous imaginez quon pourrait se quitter après la conférence de Paris comme on sest quitté après la conférence de Rambouillet en constatant que finalement la responsabilité est un peu partagée et quil ny a pas lieu de bombarder ?
R - On ne bombarde pas pour bombarder. Sil y a une action militaire, cest quà un moment donné, à regret, on doit constater quil ny a pas dautres moyens datteindre un objectif...
Q - Simplement, une précision par rapport à ce que vous venez de dire. Est-ce que vous dites à vos interlocuteurs aujourdhui, de la même manière quà Rambouillet : « Vous avez le choix entre discuter, vous entendre ou bien, la menace pèse de bombardements » ?
R - La menace est là, constamment puisque nous avons pris dès lautomne dernier les dispositions nécessaires. Cest présent en arrière-plan de toutes les discussions et de toutes les incitations, de toutes les pressions. Les interlocuteurs le savent. Le problème, cest que de part et dautre, nous avons affaire à des gens qui ont un raisonnement, disons, de guerre classique et qui se disent peut-être que dans une situation daffrontement, ils vont tirer leur épingle du jeu voire faire progresser leurs thèses sur tel et tel plan. Nous navons pas réussi jusquà maintenant, aussi bien les Américains, que les Russes et les Européens, à arracher laccord des Yougoslaves sur la présence dune force militaire au sol et nous navons pas réussi à arracher de lautre côté, ce dont je parlais, cest-à-dire le renoncement à lindépendance et lacceptation du désarmement des milices. Voilà la situation. Mais comme on ne peut pas baisser les bras et quil nest pas question de laisser cet abcès de fixation être là avec ce drame et politique et humain constant, nous remettons les choses sur le métier. Nous serons et nous voulons être aussi tenaces queux parce quil faut trouver une solution.
Q - Est-ce quils croient encore à vos menaces de bombardement, en voyant quelle est retardée, finalement, semaine après semaine ? M. Milosevic peut se dire « Après tout, il y a peut-être là-dedans un peu de chantage et de bluff de la part de lAlliance atlantique ».
R - Je crois quil aurait tort de raisonner comme cela. Cela na pas été retardé parce que nous avons fléchi devant le passage à lacte à un moment donné. Simplement, nous avons continué à travailler sur un terrain politique et diplomatique, combiné avec les pressions que nous évoquions, parce que nous avons été devant des situations différentes des schémas trop simples qui avaient été envisagés. Mais nous pouvons arriver à un moment donné à une situation où les choses sont bloquées du seul fait des autorités de Belgrade. Alors, à ce moment-là, on sera dans un des schémas qui a été envisagé et celui pour lequel lOTAN a pris des dispositions. Cest une des hypothèses possibles. Personne ne le souhaite, nous souhaitons tous une percée.
Q - ...Mais est-ce que M. Milosevic aurait tort de penser quil peut exister des différences entre les différents membres du Groupe de contact, je pense aux Russes, aux Américains et aux Français ?
R - Je pense quil se tromperait. Ce serait un calcul erroné, car ce nest pas le cas. Dans laffaire du Kossovo, depuis que ce Groupe de contact - les six pays qui en sont membres, travaillent depuis mars 98 - existe, il ny a eu aucun désaccord fondamental. Il y a eu des nuances mais laxe général de la solution a fait lobjet dun agrément soutenu dailleurs par tous les pays dEurope, des pays voisins, par tout le monde.
Q - Il y a eu des nuances sérieuses entre Russes et Américains, notamment.
R - Oui mais elles ont toutes été surmontées. Ce qui est beaucoup plus frappant si on observe cela du point de vue dun dirigeant politique qui doit sinterroger sur les conséquences de ses actes, cest que les différences ont été minimes et que la ligne générale du Groupe de contact a été constamment confirmée. Cest sur cette base que nous recommençons. Je crois que ni les uns, ni les autres doivent se tromper sur ce plan.
Q - Vous disiez, tout à lheure, que si on faisait un référendum dans cette province, le résultat ne fait aucun doute, ce serait lindépendance qui lemporterait. Quest-ce qui peut justifier quon refuse aux habitants de cette province lindépendance dont vous dites, vous-même, que cest la solution quils souhaitent.
R - Il ny aucun principe général, mondial qui aboutisse à dire quon fait des référendums partout et que, automatiquement. Cela dépend dailleurs de la définition géographique dailleurs des personnes que vous interrogez dans le référendum. Il y a aussi un principe de responsabilité. Dans la politique étrangère, il y a même une éthique de responsabilité : on na pas le droit de prendre des positions à un moment donné parce quelles paraissent sympathiques, sans sinterroger sur les conséquences quelles auront dans deux ans dans cinq ans, dans dix ans. Dans limmédiat, ce quil faut voir, cest quau sein du Groupe de contact, les Etats-Unis, même les Allemands, les Britanniques, tous les Européens ont constaté depuis le début que lindépendance du Kossovo serait dangereuse. Et dabord pourquoi un référendum dans cette seule partie de la Yougoslavie ? La Yougoslavie est un Etat reconnu sur le plan international, ses frontières ne sont pas contestées sur le plan international, donc pourquoi ?
Q - ...Contestées de lintérieur, en loccurrence...
R - ...Contestées de lintérieur mais pas en droit international. Pourquoi un référendum dans cette seule partie du pays ? Cest un précédent extraordinairement dangereux par rapport à toute une série dautres situations dans le monde. Dautre part, les dirigeants de lUCK, de cette organisation radicale des Albanais du Kossovo sont des indépendantistes. Ils ont marginalisé M. Rugovar qui était la figure du combat pacifiste pour lindépendance. Les dirigeants de lUCK ne cachent pas leur programme, qui est de regrouper lensemble des Albanais cest-à-dire de sassocier avec lAlbanie mais aussi avec une partie du Monténégro, une partie de la Macédoine, peut-être même corriger la frontière avec la Grèce. Nous avons là, en puissance, une guerre balkanique. Dautre part, nous essayons en Bosnie, dinciter les trois communautés qui composent la Bosnie - les Croates, les Serbes, les Musulmans de Bosnie - à travailler ensemble et à fabriquer ensemble, à créer une Bosnie dans laquelle on coopère, on cohabite. Si on applique le raisonnement exactement inverse qui est celui de la séparation qui va jusquau bout dans le pays dà côté, il va y avoir un court-circuit entre ces deux politiques. Donc, ce sont ces éléments qui font quau sein du Groupe de contact, il y a eu assez peu de débats et que très vite, cette idée dindépendance, même si sentimentalement on peut comprendre que les Albanais du Kossovo soient à bout sur ces questions, na pas été retenue en raison des conséquences et du côté poudrière. On a cherché une autre solution.
Q - Monsieur Védrine, tout de même, aujourdhui, quest-ce qui peut encore forger, je ne dirais pas votre optimisme parce que vous êtes un pragmatique réaliste, mais néanmoins, dans votre réalisme, quest-ce qui peut vous donner lidée quon pourra éviter un bourbier dans cette région du monde alors quon assiste depuis un certain nombre de semaines à une montée de déclarations extrêmes du côté des Serbes. M. Milosevic qui dit « Il faut résister contre les poussées de lOTAN », des généraux serbes, le président serbe de Bosnie, qui vient dêtre déchu par les autorités internationales parce quil naccomplissait pas son mandat convenablement, dit « il faut prendre les armes contre lOTAN ». Comment pensez-vous que de ce côté-là, il pourrait y avoir une évolution ?
R - Mais il ny a aucun optimisme, aucune ingénuité dans notre action. Il y a simplement une conviction que cette partie-là de lEurope doit faire partie demain, le plus tôt possible, de lEurope au sens moderne du terme, au sens politique, au sens démocratique du terme. On ne peut pas raisonner en considérant que les Balkans, cest un autre monde. Les motivations sont ad vitam aeternam dune nature tout à fait autre et par conséquent, on les abandonne à ces affrontements ethniques sans fin et aux revanches. Il y a une sorte dobligation pour lEurope daujourdhui, au moment où justement elle cherche à donner du corps à sa politique étrangère commune et être de plus en plus cohérente dans ses démarches.
De plus, avec la volonté de travailler en étroite entente avec les Etats-Unis et la Russie - ce qui me paraît fondamental dans cette région du monde - il y a une obligation de tout tenter. On na pas besoin dêtre optimiste, ni encore une fois ingénieux ou naïf pour le faire. Nous tenterons tout et nous travaillerons jusquau bout en employant et en combinant tous les moyens de pression et dincitation pour y arriver et jespère quon y arrivera.
Maintenant, ce que vous me décrivez, je le connais bien. Vous pourriez consacrer une heure ou plus à donner des citations montrant les protagonistes arc-boutés dans le refus de cette solution. Ces personnes ont en tête des solutions archaïques, ils sont dans un monde du XIXème siècle et ne pensent quà des solutions militaires. Nous voulons au bout du compte les extirper de leurs pensées.
Q - Il y a des considérations militaires dans les deux scénarios. Le scénario optimiste est darriver à un compromis et de le mettre en oeuvre... et la solution pessimiste quon a commencé à évoquer. Sur ces deux solutions, jai deux précisions à vous demander. Sur le scénario pessimiste, lOTAN ou les Etats-Unis sont obligés de frapper. Question très précise : que frappe-t-on ? Et à quoi cela peut-il servir ?
R - Cest difficile dêtre trop précis sur ce point. Rappelons que cette hypothèse-là concerne le cas où les Serbes, seuls, sont responsables de lensemble du blocage.
Q - Et si les deux sont responsables ?
R - Cest une situation différente. A ce moment-là, nous nous réunirons, nous verrons, nous procéderons à une évaluation politique fine de la situation pour savoir sous quelle forme, on continue nos pressions.
Q - Alors, si ce sont les Serbes, seuls, qui sont responsables...
R - Vous savez, il y a beaucoup dhypothèses qui se décomposent. Cest par rapport à cette hypothèse-là que nous avons pris au sein de lOTAN des dispositions, à lautomne dernier quand le président Milosevic avait pris des engagements. Nous avons réussi - il sen est fallu dun cheveu - à arrêter cette grande catastrophe humanitaire qui se présentait. Dans ce cas-là, il y a frappe après décision politique. Cela concerne des cibles militaires afin daffaiblir la capacité de répression de larmée yougoslave.
Q - ...Scénario optimiste maintenant : on arrive à un compromis, il faut le mettre en oeuvre, il faut limposer sur place. Il faut beaucoup de militaires, on a parlé de 26.000, certains disent 60.000.
R - Non, non, pas 60 000, il y a des évaluations qui sont de lordre de 25 à 30. Cest dans
lhypothèse où on arrive à un accord au bout du compte, parce quon a arraché de part et dautre
un acquiescement, même si cest avec des arrière-pensées. Dans ce cas-là, cest tout à fait
différent, cela signifie quil y a un accord politique pour trois ans, quil faut le mettre en oeuvre et
quil est garanti par une force militaire internationale. Dans ce cas de figure, de nombreux pays
se sont dits prêts à participer et nous sommes en train de travailler entre nous sur la façon dont il
serait justement organisé. Cela ne veut pas dire que cela soit facile
Q - Mais ce serait organisé sous direction américaine ?
R - Non pas sous direction américaine. Ce serait dans le cadre de lOTAN sur le plan logistique et sur le plan de lorganisation mais il ne serait pas organisé sous direction américaine mais vraisemblablement européenne. Il y a une confusion avec lavenir de la mission de vérification de lOSCE. Le plan aura un volet civil et un volet militaire. La force militaire sera très vraisemblablement dirigée par un Européen de toute façon mais cela fait partie dun tout. Noubliez pas que cest une démarche qui est commune, Européens, Américains, Russes dans cette affaire.
Q - Alors, Monsieur Védrine, justement, vous dirigez avec vôtre collègue britannique M. Cook ce Groupe de contact...
R - Non, nous coprésidons le processus de Rambouillet. Le Groupe de contact na pas de président, cest tournant et cest très, très pragmatique.
Q - ...Vous coprésidez le processus de Rambouillet. Nêtes-vous pas soumis à une très vive pression américaine pour quil y ait, tout de même, à brève échéance des bombardements ? Est-ce quil ny a pas une envie américaine de bombarder ? Après tout, on les voit en Iraq, quasiment chaque jour, ils envoient des avions bombarder lIraq, sans résultat apparent dailleurs, mais enfin, ils le font. Est-ce quil ny a pas le même genre de pression pour ce qui concerne la Serbie ?
R - LIraq, cest encore autre chose et jai eu loccasion récemment, en voyage dans le Golfe, de dire ce que jen pensais. Dans le cas despèce, cest différent. Dans cette partie de lEurope, il est très important que les Européens aient une approche homogène. Je crois que nous lavons obtenue depuis le début et nous travaillons avec les Américains parce que sinon, vous auriez une politique européenne et une politique américaine, qui pourraient se contredire. Ce serait désastreux pour les uns comme pour les autres. Cest ce qui sétait passé en Bosnie jusquen 94 : les Européens nétaient pas daccord entre eux, les Américains avaient encore une autre politique, sans parler des Russes. Il a fallu un certain temps pour savoir quel était lobjectif à atteindre et on dit souvent que cest le recours à la force qui a débloqué. Le recours à la force ne débloque que quand il sert un objectif et quand on sait pourquoi on fait des pressions y compris militaires.
Aujourdhui, dans cette situation terriblement compliquée que vous analysez très bien - nous savons à quel point les choses sont difficiles -, cest une chance relative davoir cette cohésion. Je peux vous dire que de lintérieur il y a des vraies discussions dans le Groupe de contact parce que nous avons une lourde responsabilité sur le problème terrible quest le Kossovo. De plus, nous avons en tête tout ce quil faut faire pour européaniser lensemble des Balkans. Chaque fois que nous avons une discussion, nous sommes arrivés quand même à des conclusions et nous sommes, au bout du compte, sur la même ligne. Alors, ne mélangez pas. Parfois on peut lire des commentaires dans la presse américaine ou des déclarations un peu périphériques. Moi, je sais ce que pense le président Clinton, Mme Albright, le secrétaire à la Défense M. Cohen. Je sais que nous sommes dans la même ligne jusquà maintenant.
Q - Tout de même, est-ce que ces conversations ne se déroulent pas dans un contexte où on prépare le sommet de Washington sur lAlliance atlantique qui aura lieu à la fin du mois davril, au cours duquel les Américains souhaiteraient...
R - Cela pousse plutôt à la cohésion, ça...
Q - ...ladoption dune nouvelle stratégie qui permettrait à lOTAN dintervenir à peu près partout dans le monde, sans obtenir laval de lorganisation des Nations unies. Mme Albright a même dit « Quand même, lOTAN ne va pas être lotage du veto de tel ou tel pays à lONU ! ». Alors, cette pression américaine, elle existe tout de même ?
R - Lexemple du Kossovo nest pas pertinent par rapport à cela.
Q - Oui, mais examinons quelques instants la stratégie américaine et ce qui concerne lorganisation du monde.
R - Cest un autre débat qui est très vaste mais je suis content davoir eu loccasion de dire que sur la question Kossovo, on a réussi à travailler ensemble parce que je ne conçois pas de solution durable si on nest pas tous dans le même bateau y compris les Russes...
Q - Sortons des Balkans et parlons du monde maintenant. Est-ce que lOTAN va être le gendarme du monde ?
R - Un grand sommet, Sommet de lOTAN, se prépare à Washington. Les Etats-Unis voudraient quà cette occasion, on confirme le rôle de lAlliance atlantique, quon lui définisse de nouvelles missions. Pourquoi pas ?
Il y a un certain nombre de sujets sur lesquels nous discutons. Les choses dailleurs sont ouvertes parce que nous souhaitons, par exemple, que ce Sommet de lOTAN salue la légitimité et lutilité de la démarche en matière dEurope de la défense, dune Identité européenne de défense et de sécurité selon les termes du Traité dAmsterdam ou alors la démarche de Saint-Malo où les Français et les Britanniques essaient de résoudre la quadrature du cercle sur ce sujet qui nous a longtemps opposés. On voit que les choses bougent aujourdhui. Nous souhaitons une réaction positive du sommet.
Autre point délicat, cest celui que vous avez en tête, les Etats-Unis ont tendance à dire « Il faut que lOTAN puisse exercer certaines missions » en dehors de sa mission basique qui est de défendre ses membres contre une agression extérieure. Cest ce quon appelle dans le jargon larticle 5. Ca, ça ne change pas, il ny a pas de débat. Mais là, il sagit de ce que fait lOTAN en dehors en opération de maintien de la paix ou sur ces sujets, genre yougoslaves dont nous parlons. Et là, cest vrai quil y a une approche différente. Nous disons quil faut respecter la charte des Nations unies. Dailleurs le Traité qui a fondé lAlliance atlantique en 49 reconnaît tout à fait clairement la prééminence de lONU et de la Charte des Nations unies. Les Américains ont tendance à dire « Oui, mais on ne peut pas se laisser enfermer dans cette situation parce que sil y a un veto russe ou chinois au Conseil de sécurité, on ne peut pas avoir dans tous les cas de figure une résolution du Conseil de sécurité ». Nous répondons que, par exemple lan dernier, sur le Kossovo, nous avons eu une résolution parce quil suffisait de négocier, de parler, de convaincre. Même si dans tel ou tel cas particulier, cela peut être gênant pour une action nécessaire ou légitime, ce nest pas pour autant quil faut mettre par terre ce système de légalité internationale.
Q - Mais est-ce que ce débat...
R - Je vous décris la discussion telle quelle a lieu en ce moment, ce nest pas encore conclu.
Q - ...Est-ce que ce débat a une chance daboutir à autre chose que finalement le constat quil existe une domination américaine, que les Etats-Unis sont la grande puissance sur la planète et que, par conséquent, ils agissent un peu comme bon leur semble. Sils ont envie de bombarder lIraq, par exemple, ils bombardent. Personne ne peut les en empêcher - sans conséquence dailleurs, car cela ne fait pas tomber Saddam Hussein. Apparemment, cela ne gêne pas non plus les Etats-Unis dans leur rayonnement mondial.
R - Vous savez que jemploie un terme original, moi, pour parler des Etats-Unis daujourdhui. Je dis que cest une hyper puissance pour bien montrer que cest plus gros quune super-puissance et que leur prédominance sexerce dans tous les domaines allant du militaire à léconomique, monétaire, technologique et culturel, domaine culturel qui est une dimension considérable aujourdhui.
Q - Est-ce que lEurope peut être un contrepoids ?
R - ...Cest un simple constat. Je veux dire que ce nest pas polémique. Cest une évidence que les Etats-Unis sont dans une position particulière. Juste après, il y a six ou sept pays - dont nous dailleurs mais aussi les Britanniques, mais aussi lAllemagne, le Japon, la Chine, la Russie, lInde - qui sont des pays qui ont des éléments de linfluence mondiale mais pas tous les éléments. Ils ne sont pas dans la même position. Et puis après, il y a tous les autres pays très nombreux puisquil y en a 185 dans le monde. Ca, cest de lordre de la description.
Ce qui est de lordre de la critique légitime, je crois, cest quand nous parlons de lunilatéralisme américain. Cest une tendance qui est très forte, qui nest pas toujours dominante mais qui est très forte au Congrès, par exemple.
Q - Et qui saffirme de plus en plus ?
R - ...qui saffirme dans lopinion américaine. Nous sommes dans une phase où cest une tendance qui gagne du terrain parce que les Etats-Unis se voient avec une sorte de responsabilité globale, ne voient pas de contrepoids et considèrent que dans certains cas, ils peuvent négocier avec les autres mais que dans dautres cas, ils doivent dicter la ligne. Regardez tous les conflits que nous avons à lheure actuelle dans le domaine commercial, par exemple, sur la banane, sur la viande aux hormones, sur les organismes génétiquement modifiés, sur laéronautique, il y a toujours des contestations. Aujourdhui, il y a une action qui fait que le Concorde est en quelque sorte pris en otage à propos dune réglementation européenne sur le bruit. Il y a un grand nombre de cas et la caractéristique de ces affaires, cest : chaque fois les Etats-Unis disent « On veut bien négocier avec lEurope, dans le cadre de lOrganisation mondiale du commerce », à un moment donné, si la négociation ne va pas dans le sens qui leur convient, ils larrêtent et ils appliquent...
Q - Lunilatéralisme. Pourquoi, cela na pas de conséquences ? Pourquoi peuvent-ils continuer comme ça ?
R - Vous ne pouvez pas dire que cela na jamais de conséquence. Prenez le cas des lois Helms-Burton et dAmato qui ont été adoptées par le Sénat américain qui vote des sanctions allègrement contre beaucoup de gens. Si on appliquait toutes les lois de sanction adoptées par le Sénat américain, je crois que les deux tiers de lhumanité seraient sous sanction, ce qui est quand même beaucoup, vous voyez. LEurope sest dressée comme un bloc par rapport à cela, et a refusé ces lois dAmato et Helms-Burton, y compris des pays européens qui en général ne veulent pas, par tradition, contester les visions américaines. En ce qui nous concerne, nous avons, par exemple, laissé nos compagnies pétrolières travailler même quand cétait en contradiction, mais ça ne létait pas, avec les prétentions des lois votées par le Sénat américain. Par exemple, les relations avec lIran. Vous ne pouvez pas dire quil ny pas de réactions. Il y a des réactions, il y a des contrepoids qui sorganisent.
Q - Oui mais alors, sur laffaire agricole, les produits dont vous parliez, est-ce quon peut imaginer quil y ait des mesures de rétorsion européenne si les Américains maintiennent leurs intentions...
R - Il y a une concertation à lheure actuelle entre Européens pour savoir comment gérer précisément le fait que, dans le contentieux à propos de la banane, les Etats-Unis étant mécontents de la procédure, ont déjà pris des sanctions unilatérales sans attendre quil soit arrivé à son terme normal.
Q - Sans attendre, alors que lOMC, en principe, devrait faire la loi.
R - ...Exactement, cest fait pour ça. Cest dailleurs un progrès lOMC... Les Etats-Unis ont eu un débat à propos de lOMC. Dailleurs, la raison pour laquelle les accords davant, quon appelait le GATT, ont mis si longtemps à être transformés en OMC, cest parce que le Congrès des Etats-Unis ne voulait pas entrer dans un mécanisme multilatéral dans lequel les Etats-Unis sengagent à accepter larbitrage rendu par ce quon appelle maintenant lorganisme de règlement des différends. Il y a donc des pulsions différentes dans ce grand pays et une des tâches de la politique étrangère aujourdhui de nimporte quel pays - surtout quand on est comme nous un ami et un allié des Etats-Unis - est de ne pas être aligné. On estime avoir une autonomie de décision et nos propres intérêts essentiels, quils soient français ou européens. Notre politique précisément est dessayer sans arrêt de rétablir léquilibre et davoir un type de dialogue dans lequel on aide aux Etats-Unis ceux qui sont, eux-mêmes, gênés par cet excès dunilatéralisme qui est très fort au Congrès. On les aide, eux-mêmes, à rééquilibrer la politique américaine. Cest la moitié du débat franco-américain.
Q - Dans la première partie de notre émission, on évoquait lemprise des Etats-Unis et les possibles contrepoids européens. Il y a une réunion, de lUnion de lEurope occidentale (UEO) la semaine prochaine. Son secrétaire général dit que lUEO pourrait devenir le bras armé de lUnion européenne. Est-ce que ça vous semble souhaitable, possible et quel pourrait être le contenu ?
R - Cela me semble très souhaitable que lEurope développe une capacité propre dans sa politique étrangère et de sécurité commune. Cela me paraît logique, par rapport au développement de lEurope, ses ambitions, par rapport au fait quelle a une monnaie maintenant unique et pas rapport au fait que nous allons petit à petit, crise après crise, grâce à la concertation, avoir une politique étrangère commune de plus en plus homogène et cohérente, même si cest long.
Il est logique quil y ait une dimension militaire mais en même temps, il faut quand même avoir à lesprit quen matière militaire, cest comme sil y avait déjà la monnaie commune puisquil y a lOTAN et lOTAN est une situation tout à fait satisfaisante pour la plupart de nos partenaires. Il a fallu pour quon commence à bouger un peu sur cette affaire, que la France admette lidée que nos autres partenaires nétaient pas du tout intéressés par lidée de bâtir un système concurrent. Par contre, ils sont très demandeurs de bâtir quelque chose dans lAlliance atlantique mais qui puisse avoir un caractéristique européenne propre et que lUnion européenne, sur un plan politique, ait ses capacités pour analyser les situations, les menaces et prendre des décisions.
Cest autour de cette idée quavec les Britanniques, à Saint-Malo, dans un sommet récent, nous avons décidé davancer. Nous avons un peu bougé, nous avons une approche plus pragmatique pour essayer de faire bouger les choses. Les Britanniques, de leur côté, ont un peu bougé parce que jusquà maintenant, cela leur semblait tout à fait impie que lon puisse parler de défense dans lEurope. A travers ce double mouvement, qui crée une immense attente chez nos autres partenaires européens - certains Européens sont neutres, ne sont pas dans lOTAN - qui acceptent tout à fait ce mouvement, même sil ne les concerne pas directement. Il y a enfin une espérance. Je dirais que, pour la première fois depuis des dizaines dannées, il y a des chances raisonnables de voir se concrétiser un pilier européen de lAlliance atlantique ou alors une Identité européenne de défense et de sécurité.
Est-ce que cela doit passer par lUEO ? Cest un autre débat mais je ne crois pas que ce soit le débat central aujourdhui parce que, en quelque sorte, ce quon a lancé est potentiellement plus ambitieux, plus important et il enjambe la question de lUEO. Alors, est-ce que lUEO doit demeurer telle quelle ? Est-ce quelle doit être intégrée à lUnion européenne ? Cest plutôt notre position. Et quest-ce quon en fait ? Il y a là un savoir-faire, un mode dorganisation, même si cest modeste. Ce sont des questions quon ne veut pas trancher maintenant parce quon ne veut pas se heurter à des questions institutionnelles trop compliquées et juridiques, mais on veut bouger.
Q - Joschka Fischer, votre homologue allemand, disait que le Secrétaire général de lUEO pourrait devenir le « Monsieur PESC », le « Monsieur Politique étrangère et de Sécurité commune de lEurope ».
R - Je trouve que cest un peu prématuré comme une idée. Cela a lair sympathique, je lui ai dailleurs dit mais le « Monsieur PESC », cest quelquun qui doit être secrétaire général du Conseil, Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, cest déjà deux tâches absolument écrasantes et difficiles à exercer. Je ne sais pas si cest une bonne idée dajouter lUEO par rapport à cela. En plus, on ne peut pas le faire tant quon na pas tranché ce quon voulait faire avec lUEO. Nous travaillons plutôt en ce moment sur le contenu et sur la réalité des choses que sur les institutions. Il faut ramener cela à des choses plus simples même, est-ce que les Européens veulent ou non avoir une capacité de défense propre dans le cadre de lAlliance ?
Q - A votre avis ?
R - Je crois que ce nétait pas vrai du tout, il y a quelques années et que les systèmes leur allaient très bien. Maintenant, oui, il y a quelque chose qui change, avec leuro, avec ces crises en périphérie de lEurope par rapport auxquelles il est frustrant et pénible de ne pas avoir des moyens daction. Il y a quelque chose à changer, il y a un désir, il y a une attente, il y a une insatisfaction par rapport à la situation actuelle qui est assez partagée.
Q - Alors, la question complémentaire, cest est-ce que les Américains sont prêts à accepter cette identité européenne de défense...
R - Exactement, cest lautre question...
Q - ...On lavait vu à la dernière conférence de lOTAN à Madrid que cela navait pas marché : quand la France avait revendiqué le commandement du flanc Sud de lAlliance en Europe, les Américains avaient refusé.
R - Disons que cétait une autre approche. Mais il est vrai que depuis très longtemps, chaque fois quil y a eu une tentative tout à fait mineure et apparemment de leur point de vue inoffensive, ils se sont gendarmés aussitôt parce quils voulaient vraiment ne voir quune seule tête dans le système de lAlliance.
Q - Américaine, de préférence.
R - Naturellement. Maintenant, nous sommes dans un dialogue, peut-être parce que nous sommes, avec nos alliés dont nous parlions tout à lheure, dans une coopération dans laquelle on défend très fermement nos positions. La discussion est permanente et on ne les prend pas par surprise. On discute à lavance des sujets sur lesquels il va y avoir des problèmes. Sur ce plan, ça veut dire que le président Clinton a dit « Pourquoi pas si cest dans lOTAN ». Alors, on regarde, on discute. Mme Albright dit « Pourquoi pas, à condition que ça ne fasse pas double emploi avec lOTAN » mais personne na envie de monter un deuxième système et personne nen a les moyens.
Il y a une discussion, il ne faut pas quil y ait de découplages entre les Etats-Unis et lEurope mais, nous pensons que la meilleure façon de rester couplés dans le bon sens du terme, cest justement davoir une Alliance vivante, dynamique et quest-ce qui peut la rendre plus vivante que davoir un pilier européen ? On discute donc. Nous ne sommes pas dans une situation où il y a une sorte de herse qui est tombée avec un refus. Jai participé dans le passé à plusieurs tentatives en matière de défense européenne et notamment de relance de lUEO mais je nai jamais connu cette situation...
Ce nest pas gagné, ce nest pas conclu mais là, il y a quelque chose de prometteur.
Q -...On voit que vous agissez beaucoup en ce moment avec le ministre britannique sur le Kossovo, vous êtes très actifs tous les deux, vous venez daller faire un tour en Afrique. Quand même, voir un ministre anglais et un ministre français tous les deux en Afrique, cest quand même une première historique...
R - Cétait le but, cest pour que vous disiez cela quon y a été.
Q -...Est-ce que finalement, la France a décidé de sappuyer sur la Grande-Bretagne et réciproquement... parce que ce sont deux anciennes puissances coloniales, deux anciennes puissances planétaires qui ont un sens de la diplomatie. Et puis, parce que les autres européens, en revanche, nont pas cette expérience, sont un petit peu petits garçons et incapables dexprimer des idées fortes en matière de diplomatie et de défense ?
R - Mais pas du tout. On ne procède pas par soustraction et élimination, on procède par addition et par combinaison. Il y a des choses très importantes que lon peut faire avec les Britanniques.
Regardez lexemple que vous avez pris. Je viens, en effet, avec Robin Cook, mon homologue britannique, daller dans un pays anglophone dAfrique de louest le Ghana et chez son voisin francophone la Côte dIvoire où nous avons réuni pour la première fois, cela ne sétait jamais fait - des ambassadeurs français et britanniques en Afrique pour quils travaillent ensemble. Nous avons dit « Nous sommes là pour montrer que les pays européens veulent rester engagés en Afrique et veulent rester engagés dune façon moderne ». Cela fait partie de lévolution générale, en plus de notre politique africaine, « en travaillant entre eux et en dépassant les concurrences stériles qui sont encore parfois présentes dans les esprits ».
De même nous avons agi dans le conflit, dans cette région aussi, de la Guinée-Bissao, avec les Portugais, pour que cela ne se transforme pas en antagonisme complètement archaïque contre les francophones et les lusophones. Ailleurs, nous aurons à travailler avec les Belges, les Américains et les Britanniques. Nous avons mis au point des systèmes de formation au maintien de la paix pour les armées africaines. Vous voyez, nous sommes en train de dépasser tout un héritage. Quand on fait cela, cest logique de le faire avec les Britanniques. Ce nest pas parce quon na pas envie de travailler avec les Allemands avec lesquels on fait mille choses ou avec les Italiens avec lesquels récemment nous avons fait une conférence des ambassadeurs français et italien dans la région des Balkans. Il faut combiner tout cela. La politique étrangère commune de lEurope viendra aussi à travers ce travail de bénédictin qui va féconder des situations et créer des références communes. Je dirai quil y a du travail pour tout le monde et de la place pour toutes les combinaisons à deux, trois, quatre, cinq, quinze, vingt plus tard, pour avancer.
Q - Alors, parlons dune combinaison essentielle, la combinaison entre la France et lAllemagne. Le départ dOskar Lafontaine dabord, cela vous paraît quelque chose pour nos relations - je dis bien pour nos relations - de relativement anecdotique ou quelque chose qui change profondément la donne dans les relations franco-allemandes ou plus exactement entre le gouvernement de Lionel Jospin et celui de Gerhard Schröder ?
R - Cest toujours délicat de commenter des événements de politique intérieure même chez un partenaire aussi proche que lAllemagne. Ce sont des décisions qui relèvent des Allemands, qui relèvent de M. Lafontaine lui-même, du chancelier Schröder. Donc, sur un plan politique, je nai pas à commenter cela.
Je peux simplement dire que sur le plan humain Oskar Lafontaine est quelquun qui a beaucoup damis en France, au sein du gouvernement et que, en tout cas, ceux qui ont des responsabilités dans le domaine quil avait, étaient extrêmement heureux de travailler avec lui. Mais, cest la politique intérieure allemande, donc, cest à eux de prendre leurs dispositions dans ce domaine.
Je crois que la relation franco-allemande de toute façon est plus forte que toutes les situations de conjoncture, que ce soit les hommes ou que ce soit même des configurations partisanes. Cest plus fort. Cela correspond à quelque chose qui est structurant et même quand on voit que les intérêts des deux pays ne sont pas les mêmes, comme cest le cas aujourdhui dans une partie de la négociation au sein dAgenda 2000. Ce nest pas une tragédie dailleurs, cest comme cela. Cela peut arriver. Même quand on voit cela, on voit bien que la relation franco-allemande nest pas remplaçable par une autre, aujourdhui.
Q - Mais pour rester sur le cas dOskar Lafontaine, vous évoquiez implicitement Dominique Strauss-Kahn. Cest vrai quon avait cru voir un rapprochement entre eux deux, lidée quand même quau niveau européen dans les rapports avec la Banque centrale il y avait une manière de sy prendre qui pouvait être commune.
R - En effet, il y avait une approche très convergente.
Q - Alors, la disparition dun des deux termes, dun des deux éléments de lattelage signifie-t-il que cela va être remis en cause ?
R - Je ne le souhaite pas.
Q - Avez-vous le sentiment, sans entrer dans les affaires intérieures allemandes, quon assiste à une victoire au fond dune certaine logique libérale qui a obligé Oskar Lafontaine à sen aller ?
R - Je préfère que ce soit lui qui le dise que dautres responsables politiques étrangers.
Q - Vous analysez ce qui se passe en Europe.
R - Naturellement. Mais, on est quand même obligé de respecter si vous voulez le fait que ce soit des affaires intérieures allemandes. Je ne commenterai pas des affaires intérieures britanniques sur ce plan. Ce que je peux dire, cest que premièrement je ne crois pas que M. Lafontaine ait finalement démissionné parce quil y avait un désaccord au sein du gouvernement allemand sur la façon de traiter les relations avec la France. Je ne pense pas que ce qui ait été relevé comme positif il y a un instant dans sa relation avec Dominique Strauss-Kahn et dans ses conceptions densemble sur la croissance en Europe et sur la Banque centrale, soit un élément du désaccord. Jai tout lieu de penser et en tout cas despérer que son successeur sera dans cette ligne. Cest ce que nous souhaitons en tout cas.
Q - Enfin, il y avait tout de même eu récemment un Congrès des socialistes européens, au cours duquel Lionel Jospin a dit cest loccasion de mettre lEurope à gauche. Pour reprendre la formulation : si cest le libéralisme qui triomphe en Allemagne, est-ce que vraiment lEurope va être à gauche après les élections européennes ? Est-ce que le Parti socialiste français na pas perdu là un allié de poids en la personne dOskar Lafontaine ?
R - Je crois quil faut combiner à la fois tout le bien que nous pensons dOskar Lafontaine et le fait quil ne faut pas juger son successeur avant quil ait déclaré quoi que ce soit, avant quil soit là et avant quil ait fait quoi que ce soit. Laissez les choses ouvertes.
Q - Vous êtes diplomate.
R - Non, je suis politique dans cette réponse, excusez-moi de vous le dire. Il faut penser que nos amis allemands savent très bien eux aussi - ils sont bien placés pour le savoir - quune grande partie des pays dEurope ont voté socialiste ou social-démocrate avec des raisons précises. Cela veut dire quils attendent que lEurope soit plus orientée sur les questions de croissance, demploi, avec une véritable lutte contre le chômage, dans tous les domaines où lEurope peut apporter quelque chose de plus par rapport aux politiques nationales. Je crois que cette réalité politique est toujours là.
Q - Vous êtes sûr quelle est toujours à lordre du jour ?
R - Elle est toujours là. Les électeurs ont voté de cette façon. Cela nest pas modifié par ce qui sest passé. Il ne faut donc pas je crois surinterpréter cet événement dont on ne connaît dailleurs pas tous les éléments, tous les tenants et les aboutissants comme si cétait un changement radical. Attendons la suite. Il y a eu aussi une campagne du chancelier Schröder. Il sest personnellement engagé par rapport à lélecteur allemand et encore une fois, ce vote allemand exprimait quelque chose qui sest exprimé dans beaucoup de pays dEurope. On voit bien aujourdhui quil y a un effort, à travers lidée qua lancée Lionel Jospin qui est maintenant tout à fait acquise, du rendez-vous annuel pour parler au sein de lEurope des politiques sur lemploi. Il y a quelque chose qui a déjà commencé à changer.
Q - Sur les relations franco-allemandes et les questions de lAgenda 2000, vous aviez une réunion ce week-end en Allemagne avec vos homologues européens. On a entendu deux sons de cloche un peu différents selon quon écoute M. Fischer ou vous-même. Lun a lair très optimiste sur les progrès qui ont été faits concernant la politique agricole notamment et vous avez lair plus réservé.
R - M. Fischer est, en tant que ministre allemand des Affaires étrangères et président de ce quon appelle le Conseil Affaires générales - qui a une fonction de coordination, une fonction de synthèse avant les réunions au sommet, cest-à-dire avant les Conseils européens au niveau des chefs dEtat et de gouvernement. Cest là où se fait la synthèse des travaux faits par les ministres de lEconomie et des Finances, de lAgriculture ou dans dautres domaines parfois. Il y a une grande négociation, ce nest pas toujours les mêmes acteurs, mais on se repasse le ballon. Cest comme dans une équipe : M. Fischer est président puisque cest lAllemagne qui est présidente en ce moment, et il faut que la réunion de Berlin, - ce sommet des chefs dEtat et de gouvernement -, aboutisse dans une dizaine de jours.
Il a dit aujourdhui quil lui semblait quil y avait quelque chose de très positif dans cette réunion où nous étions à côté de Francfort pendant deux jours. Jai été obligé de rappeler mais ce nest pas en contradiction que sagissant des nouvelles propositions de la Commission à propos du volet agricole de la négociation, donc, lavenir de la Politique agricole commune. Notre ministre de lAgriculture, Jean Glavany avait fait plusieurs réserves sur les nouvelles propositions tout en reconnaissant quil y avait des éléments nouveaux positifs, bien meilleurs que les propositions de huit jours avant. Mais en même temps, il y a encore des réserves.
Q - Et Jacques Chirac a dit que cétait inacceptable.
R - Il a dit en effet que les nouvelles propositions qui ont été faites ne pouvaient pas être présentées comme un accord, et de fait, il ny a pas daccord puisque les propositions faites sont trop coûteuses pour simplifier. Elles dépassent le plafond que nous avions fixé pour la Politique agricole commune, plafond quavaient récemment rappelé les chefs dEtat et de gouvernement. On ne sait pas comment financer ces six milliards et demi deuros qui seraient là pendant la période de sept ans, période sur laquelle nous travaillons, parce que lEurope fait son budget sur des rythmes particuliers. Cest pour cela aussi que cest compliqué.
Q - Par un cofinancement.
R - Alors, le cofinancement est une méthode qui était recommandée par beaucoup de nos partenaires avant mais que nous avons écartée parce que nous pensons que cest mettre le ver dans le fruit.
Q - Est-ce-quil nest pas sorti par la porte ? Est-ce quil nest pas en train de rentrer par la fenêtre ?
R - Non pas aujourdhui, en tout cas, pas à la réunion dont je reviens, certainement pas. Nous naimons pas le cofinancement, ce qui veut dire refaire financer une partie des politiques communes de façon nationale Nous ne laimons pas parce que cela va détruire de proche en proche toute la solidarité qui fait que lUnion européenne est autre chose quun simple marché. Nous avons tenu bon là-dessus. Le chancelier Schröder en tant que président a constaté que ce nétait pas possible daller plus loin sur cette base, et à une réunion récente à Petersberg la présidence allemande est repartie sur une meilleure base.
Doù cette idée quil y a une nouvelle avancée au Conseil agriculture. Nous nous navons pas fini dévaluer les conclusions de cette réunion et cest ce que le gouvernement a dit, ce que le président a dit. Nous allons voir, nous allons travailler pour analyser ces nouvelles propositions. De toute façon, il ny aura daccord global sur Agenda 2000 que lorsquon aura tout traité. On ne peut pas avoir un accord sur le morceau agricole et puis passer après, à ce quon appelle les Fonds structurels, et puis les autres sujets tout simplement parce quils sont liés les uns aux autres ne serait-ce que par le problème dont jai parlé il y a un instant qui est que laccord est trop coûteux.
Q - Ce sera possible à Berlin fin mars ?
R - Comme il est trop coûteux, cela aggrave la situation des contributeurs nets dont lAllemagne qui depuis le début demande quon atténue la charge qui pèse sur elle. Cest pour cela que nous avions mis en avant lidée de stabilisation des dépenses. Et dans le morceau darrangement agricole que certains présentent comme un accord, on lalourdit, il y a une contradiction .
Q - Cest presque aussi compliqué que le Kossovo ce financement de lEurope..
R - Oui. Il se trouve que le financement de lEurope est assez compliqué. Mais enfin, heureusement, les méthodes...
Q - On arrivera à un accord fin mars ?
R - Les méthodes employées ne sont pas les mêmes pour discuter. Nous souhaitons conclure le plus vite possible parce que plus tôt on pourra regarder vers lavenir et avoir bouclé cette affaire financière, mieux cela vaudra parce que beaucoup de choses attendent lEurope et il est temps quelle aille de lavant sur beaucoup dautres sujets.
Q - Vous qui avez bien connu la relation franco-allemande du temps du chancelier Kohl, vous lavez vécue de lintérieur et quotidiennement, comment ressentez-vous aujourdhui vos nouveaux partenaires allemands ?
R - Je pense que des choses ont changé pour beaucoup de raisons, aussi bien en France quen Allemagne. Le temps passe, et aujourdhui la relation franco-allemande, comme dailleurs la construction européenne, nest pas habitée par lidée quon est en train de faire cela pour écarter la guerre entre Européens. Tout le monde considère cela comme un acquis, quelque chose qui ne peut pas être remis en cause. On a donc, on a une approche qui est différente, qui est moins lyrique peut-être, plus difficile, plus concrète. Vous avez des pays dont les intérêts coïncident parfois, mais souvent ne coïncident pas, cest comme cela, cest dans la nature des choses. Ils discutent, et chacun défend ses intérêts, tout en ayant un oeil quand même sur lintérêt général européen. Cest donc compliqué. Je vois lAllemagne comme ayant changé, étant devenue un grand partenaire normal comme dautres et défendant ses intérêts nationaux comme le fait la France, la Grande-Bretagne.
Q - Est-ce que le nouveau gouvernement allemand manque dexpérience sur le plan européen ou est-ce que, au fond, il a dautres idées en tête après vous ?
R - Le phénomène que je décris a commencé avant le changement de gouvernement. Vous parliez déjà du chancelier Kohl, dont le bilan est immense, sur le plan européen. Déjà les deux ou trois dernières années, le chancelier Kohl navait plus tout à fait la même approche parce que les länder allemands ne voulaient pas quon touche à leurs prérogatives. Ils voulaient bien quon transfère à lEurope des pouvoirs exercés par Bonn mais pas par les leurs. Dautre part, il y avait des forces politiques comme la CSU qui sexerçait sur la CDU dans un sens qui nétait pas du tout européen. Cest dailleurs encore plus net maintenant. Il y avait déjà un changement dans les deux ou trois années avant le changement de gouvernement.
Le gouvernement de M. Schröder après sa victoire électorale et à travers cette coalition exprime bien, je crois, la réalité de cette Allemagne. Il y a donc un changement. Nous sommes obligés de traiter ce problème de budget et il faut bien le traiter. Cest comme dans chaque pays, on na pas le choix. Il faut donc discuter jusquà ce quon se mette daccord. Jespère bien quon va se mettre daccord à Berlin parce quon a beaucoup de travail à faire après, dès quon sera dégagé de cette discussion.
Q - Pour rester sur les affaires européennes, demain, va être remis au président du Parlement européen un rapport qui a été fait par cinq sages à la demande du Parlement européen sur les éventuelles dérives de la Commission ou de certains commissaires. Est-ce que vous êtes vous toujours attaché au principe de la collégialité de la Commission ? Autrement dit, sil y a des dérives, sil y eu des dérapages de tel ou tel, sans citer notamment Mme Cresson ou M. Marin, est-ce que cest toute la Commission qui doit en tirer les leçons ou cest tel ou tel commissaire, le cas échéant Mme Cresson ou M. Marin, qui doivent démissionner ?
R - Sur la collégialité, ce nest pas une question dattachement de tel ou tel. Cela fait partie des traités. Cest un organisme collégial.
En même temps, dans certains articles du traité, la responsabilité personnelle de chacun dans la façon dont il gère son portefeuille est aussi soulignée. De toute façon, ce sont des spéculations parce que, jusquici, on a vu beaucoup de propos en lair pas forcément étayés. Un rapport a été demandé, vous y faisiez allusion et il sera remis demain. Donc attendons. On verra bien ce quil y a dedans. On ne sait pas aujourdhui ce qui est reproché, à qui, à quel autre, et dans quelles conditions, donc je ne peux pas...
Q - M. Santer a été un peu vite en besogne quand il a dit il faudra bien que les commissaires tirent les conséquences de ce qui leur sera annoncé.
R - Je crois que tout ce qui a été dit par les uns et les autres à cet égard est prématuré parce quil faut précisément avoir ce rapport. Je crois que cest bien quil existe pour savoir quest-ce qui est reproché à qui et quel est le contenu des reproches. On ne peut pas débattre sans avoir cet élément.
Q - Dans lactualité internationale, il y a dautres choses et notamment lIran avec une victoire des réformateurs aux différentes, enfin aux municipales. Le président Khatami que vous aviez rencontré il y a quelques mois à Téhéran vient deffectuer un voyage en Italie Il a même rencontré le pape. Il va venir bientôt en France. On peut dire que lIran nest plus un Etat terroriste ?
R - Chaque fois que nous avons les moyens de faire évoluer un pays qui par son comportement sest mis en marge de la société internationale par les moyens quil a employés, que nous pouvons encourager dans un pays des forces de modernisation ou douverture ou de démocratisation, - cela dépend des cas -, nous essayons de le faire tout en le faisant avec prudence, lucidité et mesure.
Dans le cas de lIran, cest vrai que lélection du président Khatami a montré un élément tout à fait nouveau, un corps électoral, qui a voté massivement, - notamment les femmes et les jeunes dans des très grandes proportions -, pour lui. Cest une ouverture. Jusquoù peut-elle aller ? Nous ne savons pas exactement. Lui non plus peut-être ? Mais, en tout cas, nous navons pas voulu laisser passer cette occasion peut-être unique par rapport à cette évolution de lIran. Jy suis allé, mon homologue est venu et maintenant le président de la République a invité le président Khatami. A lavenir, nous voulons continuer à encourager cette évolution.
Jai vu, il y a quelques jours, lors dun voyage dans le Golfe que lensemble des pays de la région étaient très satisfaits de voir ce dialogue entre la France et lIran, même sil y a beaucoup de problèmes encore et justement parce quil y a beaucoup de problèmes encore. De même que nous avons beaucoup de points de désaccord naturellement avec lIran sur lanalyse...
Q -Sur le terrorisme, tout est clair ou pas ?
R - Tout est clair, je ne sais pas. On nest jamais sûr de tout. Comment voulez-vous que je sois aussi affirmatif ? Je crois que, en tout cas, la volonté de lactuel président et de lactuel gouvernement est de changer complètement la politique iranienne par rapport à cela. Il reste dautres sujets bien sûr, touchant aux Droits de lHomme. Il y a beaucoup de contentieux Quand on est dans le Golfe il y a des histoires dîles qui sont contestées. Cest précisément pour cela que cette nouvelle politique que la France mène est suivie avec beaucoup dintérêt par tous les pays qui considèrent que lIran a une position stratégique, quil vaut mieux quil y ait une politique de coopération avec le reste du monde quune politique daffrontement. Même les Etats-Unis, je peux vous dire, regardent cela avec beaucoup dintérêt.
Q - Quand on est dans votre situation et sans entrer dans les affaires intérieures, sur le Proche-Orient, par exemple, sur le processus de paix, est-ce que vous comme ministre des Affaires étrangères, vous vous dites de toute manière : « il ny a rien à faire aussi longtemps que les prochaines élections israéliennes nauront pas lieu ? » Autrement dit on ne peut rien faire pour faire avancer en quoi que ce soit ce processus de paix bloqué. Cest un dossier que vous rangez en attendant les élections ?
R - Dabord cest dans quelques semaines simplement, et puis il ny a aucun dossier qui soit complètement abandonné. Quand on nest pas dans une phase daction, on est dans une phase de réflexion en tout cas, ou de maturation, de préparation. Cest un sujet sur lequel on réfléchit beaucoup à lheure actuelle pour savoir ce quon peut faire dans les différentes hypothèses. Evidemment lhypothèse que nous préférons...
Q - Quand vous dites « on », cest qui ?
R - « On », ce sont les responsables français, mais aussi les Européens. On en a un peu parlé à Quinze. On doit en reparler dans une prochaine réunion. Dans le dialogue franco-américain, cest également constamment traité, pour chercher une synergie des politiques, pour quelles soient en tout cas complémentaires, quelles ne soient pas tout à fait les mêmes. On travaille donc là-dessus.
A lheure actuelle, on travaille évidemment sur lhypothèse de la relance du processus de paix. Quest-ce quon peut faire dutile si les conditions sont réunies ? Mais là aussi il y a un pays qui a sa politique intérieure et dans laquelle il ny a pas à singérer. On peut donc exprimer des espérances par rapport à cela, réfléchir à la façon de relancer le processus.
Q - Pourquoi les gouvernements socialistes européens et notamment celui de la France sont aussi indulgents avec la Turquie, aussi précautionneux, et lorsque par exemple votre majorité à lAssemblée vote un texte sur le massacre des Arméniens au début de ce siècle, le texte nest pas inscrit à lordre du jour du Sénat ?
R - Il y a une politique sur la Turquie. Il y a une politique qui est celle de tous les pays européens et également celle des Etats-Unis et de beaucoup de pays, consistant à faire en sorte que ce pays évolue dans le meilleur sens possible. Il y a donc un raisonnement. On peut discuter des moyens mais lobjectif est de renforcer en Turquie les forces modernes, les forces démocratiques, les forces pro-européennes. Après se pose un débat sur la façon de sy prendre et quelle est la répartition entre les critiques, les regrets, les appels à ceci, ou à cela. Dans laffaire Ocalan, par exemple, nous sommes tous extrêmement clairs sur le procès. Nous demandons à la Turquie de respecter les engagements quelle a pris en étant membre du Conseil de lEurope. Nous demandons quelle les respecte à loccasion du procès dOcalan.
Q - Et sur cet aspect historique alors des Arméniens
R - Sur laspect historique des Arméniens, cest une réflexion sur les conséquences dune démarche de ce type. Est-ce que cela va nous aider à jouer un rôle utile dans la région ou pas ? Est-ce que cela va nous aider à pouvoir apporter quelque chose de positif dans la relation entre la Turquie et la Grèce dans laffaire de Chypre ? Est-ce que cela va nous aider dans laffaire du Caucase, par exemple où il y a une situation très tendue là aussi entre lArménie, - surtout quen Arménie maintenant il y a un nouveau président, un nouveau gouvernement qui sont plutôt sur une ligne très dure - et lAzerbaïdjan et les autres voisins.
Il y a une politique française dont on parle peu souvent mais qui est active, par exemple au Caucase, nous sommes co-présidents du Groupe de Minsk. Notre rôle est sollicité et demandé par beaucoup de ces pays. Il faut que nous gardions une capacité de parler avec eux, à intervenir, à proposer des idées, à faire baisser des tensions sans être récusés.
Sur le plan de lopportunité et de lutilité, on a demandé au gouvernement : est-ce que cela aide la diplomatie française dans son oeuvre de paix ? On est obligé de répondre « non ». Cest donc pour cela que le gouvernement en ce qui le concerne, a dit quil ne demandait pas linscription de ce texte à lordre du jour prioritaire qui est sous son contrôle. Mais chaque assemblée a également son propre contrôle de son propre ordre du jour. Il ny a rien de caché, je crois, ni de mesquin dans les arguments à lappui de cette réticence./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 1999 )