Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, à "Europe 1" le 5 août 2009, sur la question du remboursement des aides accordées par l'Etat aux producteurs de fruits et légumes entre 1992 et 2002.

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Média : Europe 1

Texte intégral

A. Caron.- Lundi, les producteurs de fruits et légumes français étaient sommés par le ministre de l'Agriculture, B. Le Maire, de rembourser 500 millions d'euros d'aides que l'Etat leur avait versés entre 1992 et 2002. Derrière cette exigence, Bruxelles qui menace Paris de sanctions financières. Et puis, hier, finalement, changement de ton après une rencontre avec les agriculteurs concernés : ce n'est plus la peine de rembourser tout de suite, on va d'abord faire une expertise, on va renégocier avec Bruxelles. Pourquoi ce revirement ?

Ce n'est pas un revirement, c'est une volonté d'expliquer et d'apaiser les choses. Ce que j'ai indiqué aux producteurs de fruits et légumes que j'ai rencontrés longuement hier, dans une atmosphère d'ailleurs très constructive, c'est que la décision qui avait été prise le 29 juillet est une décision d'engager d'abord une procédure d'expertise pour savoir qui avait touché les sommes que nous reproche la Commission européenne d'avoir versé. C'est une procédure d'expertise qui ne prend pas du temps. Je négocierai aussi la durée avec la Commission européenne. Je conteste, comme je le leur ai indiqué, le montant qui nous est demandé, je le conteste formellement. Et l'objectif était avant tout d'expliquer, de rassurer, de donner le sens de la décision qui avait été prise le 29 juillet.

Nous avions le sentiment que c'était urgent, qu'il y avait déjà des gens au ministère qui étaient en train d'envoyer des courriers aux agriculteurs. Aujourd'hui, on a surtout le sentiment que c'est urgent d'attendre. Vous faites machine-arrière quand même ?

Non, pas du tout. Je crois qu'il y a eu l'incompréhension sur le sens de la décision. Et quand il y a une incompréhension, le mieux c'est de rassembler tout le monde et d'expliquer ce que l'on a voulu faire.

Vous n'avez pas parlé un peu trop vite, quand même ?

Non, je crois qu'à partir du moment où la décision est prise, il faut en politique savoir prendre ses responsabilités et l'assumer. La décision qui est prise c'est entre les deux choix possibles : c'est-à-dire refuser d'entrer dans une procédure de négociations avec la Commission, ou au contraire accepter d'entrer dans un processus de négociations...

Ce n'est pas ce que vous avez annoncé lundi. Lundi, vous avez dit... On va commencer des négociations, vous avez dit : les agriculteurs, maintenant, vous payez.

Je n'ai pas dit que les agriculteurs devraient payer aussi brutalement. J'ai expliqué que...

Oh ! C'était clair pourtant dans Le Parisien.

Nous avions pris la décision, sur la demande qui nous était faite par la Commission de rembourser un certain nombre d'aides, nous avons pris la décision d'engager une procédure de négociation avec la Commission. Je crois que c'est préférable à l'autre alternative, qui aurait été d'être condamnés immédiatement - je dis bien immédiatement - à une amende, à une astreinte de plusieurs millions d'euros à payer par mois, qui nous aurait conduits ensuite à céder, et à céder dans le déshonneur et en perdant au passage beaucoup d'argent.

En tout cas, il y a un certain nombre de personnes, à gauche comme à droite, qui se sont dits un peu désolés de la manière dont les choses se sont passées depuis trois jours. B. Barèges, par exemple, députée UMP du Tarn-et-Garonne dit qu'elle est scandalisée. Et puis elle met carrément en cause votre compétence : "Monsieur Le Maire vient d'arriver, peut-être ne connaît-il pas très bien le dossier". J. Glavany, ancien ministre de l'Agriculture, parle d'une "faute de jeunesse". On peut appeler ça comme cela ? Vous les prenez comment ces critiques, aujourd'hui ?

Je comprends parfaitement toutes les critiques. Vous savez, on est dans un métier où les critiques sont en général profitables ; il y a toujours quelque chose de bon à en tirer.

Qu'est-ce que vous en retirez, justement ?

Ce que j'en retire, c'est qu'il y avait un besoin d'explication, un besoin d'apaisement. Je pense que la réunion que nous avons eue hier a permis d'expliquer les choses et d'apaiser les choses. Mais je crois aussi que ce qu'il faut bien faire comprendre, c'est que ce n'est pas l'intérêt de l'agriculture française de jouer contre l'Europe. Et ce n'est pas l'intérêt des producteurs de fruits et légumes de jouer contre l'Europe. Qu'est-ce qui s'est passé depuis des années ? On a versé des subventions - c'est le système dont a parlé justement Glavany, qu'il critique lui-même d'ailleurs, à demi mots - et en versant des subventions, on l'a fait sous la table, sans prévenir l'Union européenne. Moyennant quoi, quelques années plus tard, nous sommes rattrapés.

Vous dites : il faut être clair...

Par ailleurs, je précise juste qu'en versant ces subventions, nous nous sommes abstenus de régler les vrais problèmes structurels des producteurs de fruits et légumes...

Donc, vous allez vous y attaquer ? On va pouvoir en parler.

Ce que je souhaite, c'est m'y attaquer.

On va en parler dans un instant. D'abord, est-ce que vous vous êtes fait remonter les bretelles par l'Elysée ?

Je vais être très précis là-dessus...

Soyez précis !

J'ai fait tout cela en plein accord avec Matignon et l'Elysée, des conseillers qui sont de permanence...

F. Fillon était au courant ? N. Sarkozy était au courant ?

Pour être encore plus précis...

C'est à leur demande que vous avez accordé cette interview au Parisien, lundi, que vous avez fait ces annonces ?

Pour être encore plus précis, j'ai eu le président de la République à deux reprises hier, j'ai eu F. Fillon longuement hier soir. Ils m'ont assuré - je me permets de reprendre leurs propres mots puisqu'ils m'y ont autorisé - ils m'ont assuré de leur soutien total.

Est-ce que lorsque vous avez accordé cette interview au Parisien, vous les aviez contacté, déjà à ce moment-là ? Est-ce qu'ils savaient que vous alliez faire cette annonce ?

La décision qui avait été prise, arbitrée par Matignon, était de rentrer dans une procédure de négociations avec la Commission, et donc d'accepter de rentrer dans cette procédure. Vous savez, cette décision est une décision réfléchie, c'est une décision de responsabilité. Ce n'est pas une décision prise à la va-vite.

Et est-ce que N. Sarkozy ne vous a pas dit : "Bon, ok ! On a décidé d'entrer dans des négociations, mais il ne fallait pas annoncer les choses comme cela ?

N. Sarkozy et F. Fillon m'ont assuré de leur soutien total. Je ne peux pas dire autre chose que ce qu'ils m'ont dit. Je le redis : c'est une décision réfléchie et responsable. Toute autre décision aurait mis la France dans une situation très difficile avec l'Union européenne, nous aurait placés dans un coin, à quelques mois de la négociation de la future PAC qui est dans l'intérêt des agriculteurs, et ne m'aurait pas permis de défendre de la meilleure façon les intérêts des agriculteurs en France.

Aujourd'hui, la principale question c'est qui va payer, parce que si on écoute les agriculteurs à la sortie de la réunion, hier, eux en tout cas ils ont compris qu'ils ne paieraient pas, et qu'ils n'auront jamais à payer. Est-ce que vous confirmez ce sentiment ?

Je confirme que tout cela prendra du temps, et que nous sommes dans une phase d'expertise.

Est-ce que vous payez ou pas ?

Retrouver qui a payé les subventions, qui a bénéficié de quelle aide, à quel moment, sous quelle forme, ça prendra beaucoup de temps...

Combien de temps ?

...Je l'ai expliqué à Mme Fischer Boel, la commissaire à l'Agriculture...

Combien de temps : des mois ou des années ?

Cela prendra plusieurs longs mois.

C'est-à-dire "très longs mois" ? C'est-à-dire que cela pourrait éventuellement arriver sur les bureaux d'un nouveau gouvernement ?

A partir du moment où nous ne sommes pas d'accord sur le montant même, je crois que la sagesse c'est d'abord d'examiner ce montant, de le discuter et d'arriver à trouver un accord avec la Commission sur ce point.

Vous dites "ça prendra du temps" mais n'empêche, la philosophie générale de tout cela, de ces discussions, de ces négociations, de ces expertises, c'est quand même bien de savoir à la fin qui va payer et combien. Est-ce que vous pouvez nous confirmer ce matin qu'il y a des agriculteurs qui vont au final devoir payer de toute façon ?

La philosophie de ce système c'est de sortir d'un fonctionnement qui n'est pas un fonctionnement juste et qui n'est pas dans l'intérêt des agriculteurs.

Ce n'est pas ma question. Est-ce qu'il y a des agriculteurs qui vont devoir payer ?

Je ne peux pas vous dire aujourd'hui quelle est la réponse à cette question, parce que la procédure qui est engagée est une procédure d'expertise. Tant que je ne sais pas quelle est la somme sur laquelle nous allons tomber d'accord avec la Commission européenne, tant que je ne sais pas...

Ah ! Il y a donc des sommes, il y a donc des agriculteurs qui vont devoir payer ? La question est très simple : on paye ou on ne paye pas.

Il y aura de toute façon à un moment ou à un autre à passer à une autre procédure. Nous n'y sommes pas et nous n'y serons pas tant que nous ne serons pas d'accord sur la somme. Moi, je vais me battre avec la Commission pied à pied, sur les délais, sur le montant, sur la légalité ou l'illégalité de certaines aides. C'est ça mon travail immédiat.

C'est quoi votre but final c'est d'annuler complètement cette procédure, de dire : on oublie tout...

Mon but final c'est de réduire la facture le plus possible, et le faire dans des délais qui soient compatibles avec la situation économique de beaucoup de producteurs aujourd'hui en France.

Donc, ce que vous nous dites, ce matin, c'est que, malgré ce qu'ils peuvent dire ce matin, il y a des agriculteurs qui vont devoir payer à un moment ou à un autre. Vous ne savez pas encore lesquels, et vous ne savez pas encore combien. C'est ça ? On vous a bien compris ?

Je vous explique que nous allons d'abord regarder la somme, la discuter, la réduire le plus possible, gagner du temps pour pouvoir essayer d'avoir une expertise qui soit la plus précise possible, et qu'ensuite, nous verrons les décisions que nous prendrons.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 août 2009