Déclaration de M. Jacques Voisin, président de la CFTC, sur le dialogue social, la gouvernance des entreprises et la représentativité syndicale, Marcoussis le 27 oût 2009.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Université d'été de la CFTC à Marcoussis les 26 et 27 août 2009

Texte intégral


Monsieur le ministre,
Permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir accepté notre invitation. La présence du ministre du Travail à une université d'été de la CFTC est une première ; c'est même, à ma connaissance, une première toute organisation syndicale confondue.
J'ai pu lire, récemment, sur le blog d'un journaliste du Figaro, que la question de votre venue a « empoisonné la CFTC depuis le début de l'été ». Franchement, nous sommes entre nous, monsieur le ministre, il y a des poisons plus mortels !
Si nous vous avons invité, c'est parce que nous pensons que le dialogue social n'est pas un vain mot, mais une pratique profondément ancrée dans nos valeurs et dans notre histoire. Nous pensons même que seul le dialogue social permet d'avancer.
A condition, bien entendu, qu'il se déroule sur des bases claires, sans arrière-pensées, qu'il soit sans concessions, en vérité et en toute franchise, Bref, entre personne de bonne volonté qui ont pour objectif d'avancer.
Pour la CFTC, il n'y a pas d'exclusive au dialogue ; il doit s'effectuer avec l'ensemble des partenaires sociaux et avec le gouvernement, à commencer par le ministre du Travail qui est l'interlocuteur privilégié des syndicats.
Je suis d'autant plus heureux de vous accueillir que, pour vous avoir lu dans La Croix à l'occasion de la publication de la dernière encyclique sociale, je sais que nous partageons les mêmes valeurs. « Benoît XVI, écrivez-vous, dresse un constat sévère des dérives criminelles de la mondialisation, dues à une finance fondée sur le gain immédiat de quelques-uns. Ses analyses sont précises, illustrées et vastes. Elles démontrent l'aliénation d'une humanité, ravagée par une inégalité insupportable entre les êtres, les sociétés et les nations. »
En tant qu'homme politique et, qui plus est, membre du gouvernement français, vous portez une lourde responsabilité, non pas de la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, mais des solutions dont vous devez être porteur pour nous. Je suis sûr qu'avec de telles convictions vous saurez avoir les bons réflexes qu'il faut pour nous sortir de cette impasse.
Votre présence parmi nous aujourd'hui montre votre volonté d'être à l'écoute de nos militants de terrain, de la manière dont ils perçoivent l'évolution des relations sociales dans les entreprises et la politique actuelle du gouvernement.
Deux thèmes figurent à l'affiche de nos deux journées de travail - la gouvernance des entreprises et la représentativité syndicale - qui sont révélateurs de l'absence de dialogue social. Si la question de la gouvernance des entreprises se posent depuis plusieurs années mais avec beaucoup plus d'acuité avec la crise, c'est parce que les salariés ne sont pas écoutés ; pire : ils ne sont pas entendus.
C'est pourquoi, nos militants ont demandé, hier, à plusieurs reprises, à participer à la prise de décision des orientations stratégiques des entreprises.
Or, sur ce sujet, le rapport Besson-Lefebvre du 17 juillet dernier sur le partage de la valeur ajoutée botte en touche, acceptant tout au plus, je cite, de « rendre obligatoire la présence des salariés à titre d'observateurs dans les comités de rémunération ». Compte tenu des enjeux, cette proposition reste très insuffisante. Pour la CFTC, seule la présence des salariés dans les conseils d'administration peut permettre de prendre en compte leurs préoccupations qui ne sont pas seulement d'ordre économique, mais aussi sociales et environnementales. La voilà la vraie rupture avec le capitalisme financier et la rentabilité de court terme !
Le partage de la valeur ajoutée doit aller de paire avec l'association à la prise de décision.
La première question que je vous pose, Monsieur le ministre, concerne bien entendu ce sujet. Le projet de loi osera-t-il aller bien plus loin que le rapport Besson-Lefebvre ?
Quant à la réforme la représentativité syndicale fondée sur l'audience obtenue dans les entreprises par les organisations syndicale, elle déstabilise le dialogue social. Loin de favoriser la démocratie, elle oblige les organisations syndicales à être en permanence en campagne électorale et les incite à la surenchère.
D'où, évidemment, la radicalisation du mouvement social à laquelle, vous comme moi, assistons depuis le début de l'année. Cela a commencé avec les séquestrations de patron au printemps, cela a continué avec les menaces d'explosions cet été... Et ce ne sont plus des éléments incontrôlés, mais des syndicalistes qui sont souvent à l'origine de telles actions.
Sans compter que, comme nous l'avons vu chez Continental Clairoix, certains militants d'extrême gauche en profitent pour manipuler des syndicalistes désemparés... Les initiateurs de la loi d'août 2008 ont accouché d'un monstre que bientôt plus personne ne contrôlera.
Aussi, la CFTC fait trois propositions de nature à rendre le dispositif plus respectueux du pluralisme et de nature à vraiment revitaliser le dialogue social, permettre les alliances électorales et éviter les distorsions de droits.
Au cours de ces trois jours, nous ne pouvons pas ne pas évoquer l'actualité et les dossiers chauds de cette rentrée qui nous sont chers, mais aussi l'agenda social des trente mois à venir. En relisant le programme du candidat Sarkozy, nous nous sommes aperçus que de nombreuses promesses ont été tenues, notamment concernant le bouclier fiscal qui coûte cher et dont les résultats ne sont pas toujours à la hauteur de nos attentes.
Nous nous sommes également aperçus que de nombreuses propositions n'ont pas encore trouvé de concrétisations. J'en retiendrai trois, compte tenu du temps qui nous est imparti, qui sont autant de priorités pour la CFTC.
Notre première priorité concerne justement le dialogue social. Dans l'un de ses nombreux discours de campagne, le président de la République a déclaré, je cite : « Je souhaite pour cette raison qu'une Charte du dialogue social [soit] inscrite dans une loi organique ». La CFTC propose d'aller plus loin et de mettre en place une commission permanente du dialogue social.
Notre seconde priorité pour les trente mois à venir est relative à l'emploi. « Contre le chômage, disait le président de la République lors de sa campagne, il faut aussi que nous changions de politique économique. J'ose même dire: il faut que nous ayons une politique économique qui agit, et non qui subit ». Sur ce sujet la crise doit être, pour l'Etat, l'occasion de reprendre la main et d'impulser une nouvelle politique économique favorable à l'emploi.
La troisième priorité concerne les allègements de cotisations sociales. Là encore, les paroles du président de la République sont on ne peut plus claires :
« Je conditionnerai les allègements de charges aux entreprises à la politique salariale de ces mêmes entreprises [...] Je ne donnerai pas les mêmes allègements de charges aux entreprises qui augmentent les salaires et à celles qui ne les augmentent pas. » Malgré cette promesse rappelée à plusieurs reprises, nous n'avons rien vu venir.
Je pourrais rappeler d'autres engagements : la lutte contre la pénibilité de certains emplois, ou contre le dumping social par l'instauration de la préférence communautaire, ou encore cette déclaration en faveur des femmes qui arrêtent de travailler pour s'occuper de leurs enfants qui, dans l'actualité, résonnent de manière bizarre :
« Je propose que ces femmes aient droit à une protection sociale autonome et que les années passées à éduquer leurs enfants leur ouvrent droit à une pension de retraite. Cela existe déjà, mais pas pour toutes et à des niveaux nettement insuffisants [...]
Je propose deux choses : leur reconnaître un droit à la protection sociale, et que ces années consacrées à élever ses enfants comptent dans le calcul de la retraite, puisqu'elles ont permis d'économiser des services publics, je pense par exemple aux crèches,. »
Il reste trente mois pour réparer l'ascenseur social. Il est grippé et le gouvernement n'y parviendra pas seul.
Et les partenaires sociaux sans le soutien et la volonté politique du gouvernement, risquent forts d'être tout aussi impuissants. Je vous propose donc, d'y travailler, ensemble, là encore sans arrière-pensées, en vérité et en toute franchise. Ovide, un auteur que vous appréciez particulièrement, écrivait dans Les Métamorphoses : « Tant qu'il reste quelque chose unissons-nous ! » Je reprendrai volontiers cette invitation à mon compte pour inviter l'ensemble de la société française à l'unité pour lutter contre la crise.
Merci de votre écoute, Monsieur le Ministre.
Source http://www.cftc.fr, le 28 août 2009