Texte intégral
C. Barbier.- X. Darcos, bonjour.
Bonjour.
Après New Fabris à Châtellerault, Nortel dans les Yvelines, des salariés menacent de faire sauter leurs usines à grand renfort de bouteilles de gaz. Les comprenez-vous ?
En tous les cas, ce que je constate c'est que cette attitude contrevient à une grande tradition qui est qu'on respecte l'outil de travail et que dans l'histoire du mouvement ouvrier français, il y eu très très peu d'exemples où on s'en prenait à l'outil de travail lui-même. Alors, cela dit, deux observations. La première c'est que souvent dans ces entreprises, les salariés avaient fait eux-mêmes de très grands efforts. Je pense en particulier à celle de New Fabris où ils étaient passés d'une capacité de produire sur plusieurs semaines à deux ou trois jours, ils s'étaient beaucoup investis. Et il se trouve que à cause de la sous-traitance, et aussi à cause du carnet de commandes qui s'écroule, l'entreprise est en très grande difficulté. Donc je comprends leur colère, je comprends que cet investissement aboutissant à cet échec suscite chez eux une très grande frustration. Mais en revanche, je ne saurais comprendre que l'on veuille régler cette difficulté par une position desperado, par une violence incroyable. Donc, il faut que tout le monde reprenne le dialogue. L. Wauquiez, comme vous le savez, et le ministre de l'Industrie, Monsieur Estrosi, sont en contact avec ces entreprises. On va se parler, on va trouver des solutions qui ne demandent pas de passer par des violences extrêmes. Est-ce que vous irez sur place ?
Est-ce que vous pouvez les recevoir ? Est-ce que vous pouvez, vous, vous en mêler ?
Ecoutez, moi, je suis le ministre en charge des Relations sociales et du Travail, mais il s'agit là pour l'instant d'une question de capacité à poursuivre une activité industrielle et à voir comment sur le plan de l'emploi ces choses peuvent se régler. Mais, si on a besoin de moi, évidemment je serai présent.
Faut-il d'abord rétablir l'ordre, c'est-à-dire est-ce que vous demandez au ministre de l'Intérieur, B. Hortefeux, d'intervenir pour qu'on évacue les lieux et qu'on sécurise les sites ?
Je ne crois pas que ce serait la bonne solution. Pour l'instant, il faut aller jusqu'au bout du dialogue, je le répète. Les deux ministres en charge de ce dossier s'en occupent de façon très très précise, ils organisent les conditions du dialogue. Je suis prêt moi-même à y participer de la manière que l'on voudra si les situations ne s'arrangeaient pas. Si on était tout le temps dans ce face-à-face extrêmement brutal, peut-être qu'il faudrait passer par d'autres solutions.
A Châtellerault, les salariés New Fabris ne demandent pas qu'on sauve leur emploi ou leur usine, ils demandent une indemnité de licenciement, 30 000 euros par salarié. Est-ce que Renault, est-ce que Peugeot doivent payer ? Est-ce que vous leur demandez de payer ? Ce n'est rien par rapport à certains golden parachutes de patrons !
Je n'ai pas d'impératif à faire auprès des entreprises. Je sais que Renault pour l'instant a exprimé une fin de non recevoir. C'est le début d'une négociation. PSA ne s'est pas encore exprimé de manière aussi nette. Sans aucun doute on trouvera un accord.
Est-ce que vous avez une idée claire des plans sociaux qui menacent la France dans les 2-3 mois qui viennent ? On parle d'une vague de plans sociaux. Vous-même avez dit qu'on pouvait pronostiquer 800 000 chômeurs de plus sur l'ensemble de l'année 2009. Vous y voyez plus clair désormais ?
J'y vois à peu près clair et j'y vois sombre. C'est vrai que l'été risque de favoriser un certain nombre de plans sociaux.
Vous pouvez chiffrer ? Combien d'emplois disparaîtront ?
Non, je ne peux pas le chiffrer. Il faut s'en tenir aux chiffres que nous fournissent aujourd'hui les ASSEDIC qui sont de 650 000 à peu près, mais nous ne sommes pas à l'abri de quelques dérapages, et souvent l'été est l'occasion de petits plans sociaux qui peuvent ensuite faire boule de neige. Mais, la vision globale que j'ai est une vision, je le répète, assez précise, assez complète, elle est plutôt sombre pour l'instant mais le Gouvernement est à l'oeuvre. Le Gouvernement est à l'oeuvre pour accompagner l'ensemble des situations, pour constater des difficultés qui se posent, pour favoriser des dispositifs de toute nature, y compris de chômage partiel ou de chômage technique, et donc on ne laissera donc pas tomber les ouvriers. Je veux que les salariés de ce pays sachent que le Gouvernement pense à eux et que la crise elle n'est pas là simplement pour que nous la subissions, mais pour que ce soit l'occasion pour le Gouvernement de protéger les salariés.
Les grandes entreprises promettent 100 000 jeunes en contrat d'alternance. Le chômage des jeunes est-ce que ça peut s'enrayer ?
Le chômage des jeunes il peut s'enrayer, il a été déjà enrayé plusieurs fois. Cela passe évidemment par l'activité économique elle-même et ça passe aussi par des dispositifs comme ceux que vous venez de montrer, mais il faut être toujours vigilant lorsqu'on arrive au moment de l'été puisque vous avez donc une vague nouvelle qui arrive de jeunes diplômés et qui veulent rentrer sur le marché du travail et qui risquent d'avoir un peu plus de difficulté dans cet été qu'ils n'en avaient eues dans les années précédentes.
Vous étiez ministre de l'Education, vous avez vu les succès exceptionnels du bac. Oui. Ca vaut plus rien le bac sur le marché de l'emploi quand tout le monde l'a !
Ca ne vaut plus rien, il y a quand même encore un jeune en âge sur trois de l'avoir qui ne l'a pas. Nous avons 66 % à peu près...
... d'une classe d'âge.
... d'une classe d'âge qui a le baccalauréat. Mais le baccalauréat ne suffit pas, sauf le baccalauréat professionnel que j'ai revalorisé, le bac pro en trois ans, qui fait aujourd'hui que les taux d'insertion par la voie professionnelle restent tout à fait convenables.
Vote aujourd'hui à l'Assemblée de la loi sur le travail du dimanche. Elle devrait passer mais combien il y aura-t-il de réfractaires à droite, dans la majorité, qui avait été troublée par ces débats ?
Pratiquement plus, je crois ! Je crois que nous sommes arrivés à faire l'union de la totalité, à quelques unités près, de la majorité gouvernementale, en particulier de l'UMP et des centristes, tout simplement parce que la très longue discussion, 50 heures, que nous avons eue a permis d'éclairer ceux qui avaient des inquiétudes, ceux qui pensaient qu'on allait rompre complètement le principe du repos dominical, ceux qui croyaient que tout ça était derrière nous, que nous étions dans une espèce de libéralisation du travail du dimanche partout. Ils se sont rendus compte que les choses se faisaient de manière extrêmement précise, très contrôlée, et finalement petit à petit ont été amenés à approuver le texte.
Certains considèrent qu'il ne s'agit que de sécuriser juridiquement des pratiques qui existaient déjà et que donc il n'y aura pas d'emplois créés, nouveaux, grâce à ces dispositions.
Je ne le crois pas, d'une part parce qu'on va sécuriser les zones touristiques et les communes touristiques qui ont déjà l'usage d'être ouvertes le dimanche, et donc elles pourront continuer en toute tranquillité, en toute légalité. Et par ailleurs, on va aussi sécuriser des périmètres urbains de consommation... des périmètres d'usage de consommation exceptionnels dans des grandes agglomérations de plus d'un million d'habitants où là c'est un petit peu l'anarchie ou la pagaille, avec des conditions sociales très précises pour trois zones, à dire vrai, extrêmement bien identifiées, où là des nouvelles conventions salariales seront passées pour protéger les salariés, qui leur permettront d'être mieux payés, et à défaut d'une convention salariale ils seront payés double. Donc, je crois que tout à été fait pour que les salariés soient protégés, que les périmètres où l'activité du dimanche est possible soient bien repérés et pour que les conditions dans lesquelles tout cela se passe soient encadrées et légales.
Un rapport parlementaire suggère un congé parental plus court et mieux payé. Est-ce que cette idée vous séduit ?
En tous les cas, ce que nous savons c'est qu'il y a à peu près chaque année 800 000 femmes qui cessent de travailler pendant l'année. Nous savons aussi qu'une femme qui a deux enfants, elle a un taux d'activité de 40 % de moins si elle a un enfant de moins de deux ans sur ses deux enfants. Donc, c'est vrai que le congé parental pèse beaucoup sur l'activité économique. Alors, faut-il le réduire ? Moi, je ne sais, c'est aussi très important que la fécondité française continue et que les femmes puissent s'occuper de leurs enfants, car c'est essentiellement des femmes qu'il s'agit. Ce qu'on leur propose c'est que ce soit plus court, mieux payé. Le Président de la République a souhaité que soit mis en place un Haut conseil de la famille, que le Premier ministre a réuni le 5 juin dernier. Il y a des discussions qui sont en cours. Il y a eu un rapport parlementaire en faveur de ce dispositif de raccourcissement. Attendons de voir ce que vont nous dire les associations familiales et ce Haut conseil, et nous en tiendrons compte.
« Il ne faudra pas forcément travailler plus longtemps », avez-vous dit à propos de la réforme des retraites en évoquant la retraite par capitalisation. Souhaitez-vous que la retraite par répartition devienne facultative, que les travailleurs choisissent au début de leur carrière entre les deux ?
Non ! J'ai dit simplement qu'il ne fallait rien exclure, et c'est très volontairement que j'ai rappelé la retraite par capitalisation. L'usage restera la retraite par répartition, mais on ne peut rien exclure. Je le dis encore une fois, Monsieur Barbier, la question des retraites ce n'est pas une question théorique, ce n'est pas une question polémique, ce n'est pas de l'idéologie, c'est un constat simple qui est le vieillissement de la population et le raccourcissement du temps de travail qui fait que au total petit à petit vous allez avoir à l'horizon 2070-2080 plus de retraités que d'actifs.
Oui, mais il n'y a pas d'idéologie non plus dans la capitalisation quand on voit que la crise a ruiné les fonds de pension. On voit bien que c'est très fragile aussi.
Bien entendu ! Mais je l'ai dit, c'est une piste qui ne peut être que volontaire, qui ne peut être que marginale, qui peut exister, qui peut se combiner et toute sorte de méthodes d'assurance volontaire qu'on puisse imaginer à côté d'un principe de répartition. Le président de la République souhaite que nous ne nous interdissions rien. Ouvrons la discussion, regardons tout ce qui est sur la table sans préjugé. Nous avons du temps, puisque nous allons discuter de cela jusque pratiquement au second semestre de 2010, jusqu'à la mi-2010, donc nous avons du temps devant nous pour tout mettre sur la table, pour regarder les chiffres et pour faire des propositions. D'ailleurs, nous serons condamnés à faire des propositions. Je le répète, ce n'est pas une lubie politique, c'est une obligation impérieuse que de préparer l'avenir lorsqu'on sait que vous aurez de plus en plus des personnes âgées et dépendantes, et vous aurez des actifs qui seront parfois en difficulté. Savez-vous que d'ici 2015 le nombre de personnes qui ont aujourd'hui plus de 85 ans, plus de 85 ans, va augmenter de 30 %. Elles sont un million et demi aujourd'hui, elles seront deux millions. Donc, ça ce sont des chiffres objectifs, et il faut les prendre comme tels.
Vous avez commencé un cycle de rencontres, de dialogue avec les syndicats. Est-ce qu'ils préparent un automne chaud, une rentrée sociale chaude ?
Ecoutez, ils le disent toujours, mais je crois surtout que les syndicats que je rencontre sont des syndicats très responsables, et ce sont des gens très raisonnables, très sérieux, avec qui on peut parler assez longuement de tout. Je les trouve, moi, très très bien informés. Et ils savent très bien que la situation est difficile et que la France s'en tire plutôt mieux que les autres grâce à l'énergie du président de la République française, N. Sarkozy, et grâce aux divers dispositifs qui ont été mis en place pour l'investissement, pour protéger les salariés. Et donc, au fond, ils ont quand même conscience, je le répète, que ça va. C'est difficile mais que ça va plutôt mieux qu'ailleurs.
En un mot, F. Mitterrand a pris la défense du rappeur Orelsan qui n'a pas pu se produire aux Francofolies. De quel côté êtes-vous ?
Moi, je ne suis pas du côté de la censure, surtout lorsqu'elle s'accompagne d'un chantage à la subvention, mais je trouve que...
... S. Royal a démenti.
Bon, ben, alors dans ce cas-là qu'elle démente ! Je ne suis pas favorable à la censure en général, d'autant qu'en l'occurrence Orelsan avait dit qu'il ne chanterait pas la chanson qui est incriminée à cette occasion-là. Donc, moi, je ne me sens pas très censeur même si, même si, lorsqu'on écoute ses chansons parlant des femmes on se demande ce qu'on en penserait si on remplaçait « femme » par un autre mot, par Noir, Arabe, homosexuel, Juif. Ce monsieur serait évidemment traîné devant les Page 11 sur 23 Journaux et invités du matin - Dept. Revues de presse - 01 42 75 54 41 15/07/2009 https://rpa.applications.pm.gouv.fr/journaux_et_invites.php3?date=2009-07-15 tribunaux. Il n'y pas de raison qu'on dise des femmes ce qu'on n'oserait pas dire d'une autre catégorie sociale ou familiale.
X. Darcos, merci et bonne journée.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 31 juillet 2009