Texte intégral
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Le président de la République, avant-hier, le Premier ministre hier ont rappelé dans quel cadre et selon quelles lignes stratégiques nous agissons. Nos invités, nos experts et vous-mêmes avez parcouru le champ extraordinairement vaste des enjeux qui nous attendent et des défis que nous devons relever. Je le remercie et je remercie tous ceux qui travaillent avec moi, du directeur de cabinet et du secrétaire général, au dernier arrivé des rédacteurs, en passant par mon cabinet et tous les directeurs et leurs adjoints.
Je ne vais pas vous brosser un nouveau panorama de la situation internationale. Dommage d'ailleurs ; quelques notes un peu discordantes venues d'autres expériences seraient les bienvenues...une autre fois.
Je voudrais ce soir aller à l'essentiel et vous dire comment j'entends conduire la politique étrangère de notre pays avec à mes côtés Pierre Lellouche et Alain Joyandet, avec votre adhésion et votre aide.
Première illustration simple, très simple : je vous demande de regarder autour de vous. Depuis combien de décennies avez-vous entendu des complaintes légitimes sur les locaux exigus, malcommodes de ce ministère. Combien de fois avez-vous entendu dire que le déménagement ne se ferait jamais, serait retardé, que tous ces stratagèmes ne fonctionneraient pas.
La Convention, La Courneuve : je dois remercier mes prédécesseurs qui ont lancé ces programmes, évidemment les bâtiments ne sont qu'un élément parmi d'autres, mais c'est une belle image de ce que je veux réussir avec vous tous. C'est un ministère rénové, adapté, qui fonctionne vite, très vite, parce que notre matière première, le monde, évolue à une vitesse vertigineuse. Nous savons aujourd'hui, et j'en suis très fier, répondre dans l'immédiat aux crises les plus inattendues avec une compétence qui n'a pas beaucoup d'équivalent. Compétence reconnue, ici, chez nous, en Europe et dans le monde.
Je souhaite insister sur notre capacité à répondre aux événements politiques de ce monde, qu'ils soient positifs ou négatifs, qu'ils soient passés ou à venir ; sur notre capacité à bouger, à analyser et à construire patiemment des solutions pour plus de paix, de développement, plus de justice, pour que notre pays puisse mieux se faire entendre, comprendre.
Car le temps des grands desseins, le temps des grandes actions, est revenu. Nous devons retrouver l'audace des grands fondateurs.
L'audace de ceux qui ont fait l'Europe, qui ont bâti les Nations-Unies. C'est l'évolution du monde qui nous y appelle, et comme l'a dit le président de la république, le temps n'est pas notre allié, c'est notre juge. Fini ce qu'on appelle "l'hyper puissance", au moins est-elle différente, cette domination des Etats-Unis. C'est le retour d'un monde baroque mélangé, multi-réactionnel dans lequel la voix de la France pourra mieux se faire entendre. Si nous en avons la volonté et l'audace.
Oui, le ministère des Affaires étrangères et européennes se transforme et se réforme en profondeur.
La première capacité de mouvement que je veux souligner ici, c'est la vôtre, celle des Ambassadeurs, celle des hommes et des femmes qu'ils sont, et de leurs familles. Je mesure cette mobilisation permanente et la foi nécessaire pour changer de vie -et pas seulement de lieux de vie tous les trois ou quatre ans. Je sais que changer de résidence, quitter ses proches et contraindre les siens à faire de même n'est ni simple ni facile. Je sais le lourd tribut que chacun d'entre vous paye à cette mission, on me dit les longues soirées de solitude et de doutes et je veux très simplement remercier pour cela chacune et chacun d'entre vous.
Cette mobilité matérielle et intellectuelle que vous avez acquise, qu'ont acquise vos collaborateurs, c'est ce qui fait la valeur et la force de ce ministère. En poste puis à Paris vous savez, appréhender le monde le comprendre dans sa complexité et sa volatilité : c'est le coeur du métier pour parler comme dans le secteur privé, et vous y mettez du coeur.
Cette compétence, j'ai voulu la développer en réformant le ministère.
Venons-en à la réforme. Je sais que ce terme est souvent reçu de manière "contrastée" par les agents de ce ministère, y compris parmi ceux qui, comme vous, êtes chargés de la porter et de la faire vivre. En France, nous savons penser les belles réformes, celles qui sont satisfaisantes sur le papier, mais nous n'aimons pas les mettre en oeuvre. Ce fut le cas des feuilles de route de la RGPP et du livre blanc.
Mais nous sommes moins bons sur la l'appropriation de ces réformes, sur la pédagogie de ces réformes et donc, je viens de le dire, sur la mise en oeuvre de ces réformes. De plus, légitimement, ce ministère a pu donner l'impression d'être perpétuellement en mouvement et en réforme depuis des années. Et cela est juste, ce ministère est un modèle. Vous êtes légitimistes et fidèles. Mais vous craignez de voir votre métier évoluer. Je serai -je l'ai déjà beaucoup été- votre défenseur. Mais je serai également fidèle à ma mission : celle de servir les intérêts de notre pays.
Or en deux ans, que de chemin parcouru ! Vous connaissez tous notre Centre de crise. Vous travaillez avec lui nuit et jour. Nous avons l'impression qu'il a toujours existé - et ne savons pas comment nous pourrions agir sans lui. Or il est à peine au bout de sa première année.
Mais au-delà de la crise, nous avons aussi agi en profondeur sur ce ministère pour mieux travailler dans le temps long.
- Direction générale du développement, de la mondialisation et des partenariats est maintenant pleinement opérationnelle. Cela faisait dix ans que l'idée était évoquée, débattue, contestée, soutenue mais que nous ne franchissions pas le seuil. C'est chose faite. C'est lourd. Nous veillerons sur son évolution. S'il faut l'améliorer nous le ferons.
- Direction de la prospective. Mieux anticiper, mieux déceler les signaux faibles, croiser les sources, travailler de manière interdisciplinaire. Pôle religions. Pôle renseignement...
- Mais il y a une autre réforme, moins connue depuis deux ans qui permet au ministère de jouer tout son rôle de coordination interministérielle pour venir en aide à des Français : la création du Service de l'adoption internationale, désormais chargé du pilotage et de la coordination du dispositif français dans ce domaine sensible. Nous l'améliorerons.
Je vous ai dit en introduction ce que je pensais de ces nouveaux lieux pour une diplomatie rénovée. La semaine prochaine j'inaugurerai le nouveau Centre des Archives à La Courneuve. Or une réforme, c'est compliqué. Un déménagement, c'est compliqué. Mais une réforme plus un déménagement, c'est une gageure. Et je crois que nous pouvons dire que nous sommes en passe de la réussir.
Ma conviction est aussi qu'il fallait mieux répondre au "désir de France" qui s'exprime de par le monde, que vous ressentez tous parfois et parfois avec une certaine frustration, faute d'instruments - et de moyens - adaptés.
Vous le savez, je veux créer une agence culturelle extérieure et refonder notre organisation dans le domaine de la coopération ; il y va du maintien de notre politique d'influence au moment où nos compétiteurs augmentent les moyens de leur propre diplomatie publique d'influence ; au moment où le "soft power" prend tant d'importance.
Vous connaissez les éléments du débat : redonner au ministère tout son rôle et son poids dans la définition des stratégies et des politiques ; confier à des opérateurs le soin de gérer avec souplesse les projets de coopération et de les faire émerger et vivre ; faire exercer par le Département une tutelle effective et efficace à Paris mais aussi sur place, grâce à un pouvoir renforcé des ambassadeurs ; préserver la cohérence de notre politique et de notre réseau.
A partir de ces principes clairs et, je crois partagés par vous tous, j'estime qu'il faut aller résolument vers une organisation simple, lisible, cohérente :
- au ministère, et à la Direction générale de la Mondialisation en particulier, la responsabilité de définir les politiques de coopération et d'exercer la tutelle sur nos opérateurs ;
- à l'AFD le soin de mener les projets de coopération technique et d'aide au développement, sur la base d'une relation de tutelle renouvelée avec le ministère, en préservant le rôle essentiel de banquier et de prêteur ;
- à une nouvelle agence de coopération culturelle, la tâche de repositionner la France dans la bataille mondiale des idées, de la culture et de l'intelligence ;
- à nos ambassadeurs la responsabilité de coordonner étroitement ce dispositif en disposant des pouvoirs appropriés sur l'orientation des moyens et le choix des hommes.
A l'heure où nous parlons, les contours de cette réforme ambitieuse ne sont pas encore arrêtés. Ce ne sont pas des choix faciles. Ce sont des choix qui engagent l'avenir. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé que les agents du réseau soient consultés (j'ai confié cette consultation à Delphine Borione, qui fut ambassadeur au Kosovo) sous la houlette de notre Secrétaire général, et que les nombreuses questions techniques que pose cette réorganisation soient expertisés (j'ai demandé à Dominique de Comble de Nayves, qui fut plusieurs fois ambassadeur et directeur et qui, vous le savez, a dirigé une commission essentielle du livre blanc).
Ils me feront part de leurs conclusions courant octobre. Ensuite, je choisirai. Ce choix sera fait dans l'intérêt de ce ministère certes, mais aussi et surtout pour conforter notre diplomatie d'influence. Le président de la République l'a dit de manière très claire mercredi : souvent, le choix le plus risqué, c'est celui de la prudence. Ce n'est pas le mien, ce n'est pas le vôtre.
Nous pouvons être légitimement fiers du travail accompli jusqu'ici. Nous devons rester aussi mobilisés pour le chemin qui nous reste à parcourir.
Cette capacité de notre ministère à changer, à être en mouvement, nous avons dû et su la mobiliser au cours de l'année écoulée.
Je ne reviendrai pas sur la crise géorgienne, nous en avions longuement parlé lors de la dernière conférence des ambassadeurs et je remercie une fois encore Eric Fournier pour l'exemple de dynamisme et d'efficacité qu'il a donné. Un débat de méthode pourrait pourtant s'en inspirer.
Je voudrais évoquer devant vous trois évènements majeurs qui ont marqué ces douze derniers mois.
Et dans les trois cas, c'est à la fois sur le style et sur le fond que je les choisis.
- Le premier évènement, majeur, que j'ai voulu mettre au coeur de nos débats c'est bien sûr la crise économique et financière. Je ne me risquerai pas à tenter de paraphraser l'exposé remarquable de Jean-Claude Trichet hier matin. Mais je voudrais en tirer quelques leçons pour notre action.
Il fallait, pour éviter la catastrophe, une mobilisation exceptionnelle. N'ayons pas de fausse modestie : le point de départ de cette mobilisation internationale fut française. Et comme nous assurions alors la présidence de l'Union, elle fut rapidement européenne.
L'outil diplomatique français - vous, nous - a su, avec nos collègues de Bercy, se mettre avec efficacité, rapidité et inventivité au service de l'initiative du président de la République. La troisième réunion du G20 qui va se tenir à Pittsburgh en septembre, et dont le monde entier attend beaucoup, en est clairement l'héritière après Washington et Londres.
Tout laisse à penser que nous avons réussi, par une politique de relance coordonnée, à empêcher l'enchaînement fatal de 1929. A Londres en avril dernier, tout le monde avait en tête l'échec du sommet de 1933.
Nous avons su, dans un élan de détermination politique et de volonté collective, réagir avec force, et éviter le pire.
Et n'oublions pas : il serait irresponsable de croire la crise derrière nous.
Nous avons de nouveau toute notre place pour l'action. Je vous demande de continuer à vous mobiliser chacun d'entre vous, dans vos pays de résidence. J'attends de vous que vous soyez nos vigies, nos yeux et nos oreilles, non seulement pour suivre l'évolution des conséquences de la crise dans les mois à venir, mais aussi pour repérer, découvrir, identifier, inventer, analyser les réponses locales et nationales développées par nos partenaires, les idées qui peuvent surgir d'une université américaine, brésilienne ou indienne, d'une proposition chinoise ou mexicaine, d'une expérience innovante menée en Afrique ou ailleurs.
Travail de tête chercheuse, d'enquêteur politique, de vous et de vos collaborateurs. Moins de notes brillantes et souvent attendues, plus de récits d'expériences, de description des novations et des aventures politiques que l'on tente autour de vos postes.
- Un deuxième événement a marqué l'année écoulée : l'arrivée au pouvoir de Barack Obama. Le nouveau président a rapidement procédé à un vaste réexamen de la politique étrangère américaine. Elle est loin la certitude arrogante de l'hyper puissance. Et pourtant méfions-nous, elle peut revenir.
Ecouter, parler, renouer des liens, réconcilier l'Amérique avec son environnement international, envoyer des messages d'ouverture : autant de signes d'une nouvelle approche, qui redécouvre les vertus de la diplomatie et du multilatéralisme.
La France a anticipé et accompagné ces évolutions au plan européen et bilatéral. J'avais, comme vous le savez, pris l'initiative, sous présidence française, de mettre au point à vingt-sept une feuille de route sur les priorités communes de la relation transatlantique et sur notre nécessaire coopération.
L'Union européenne était donc là, prête à travailler avec la nouvelle administration. Nous avançons unis vers nos amis américains.
Sur ces nouvelles bases, sur cet espoir suscité par l'arrivée du nouveau président américain pour que de nouvelles dynamiques internationales se bâtissent Le temps des réflexions s'achève, l'épreuve de l'action nous attend. Et nous savons bien que les Etats-Unis ne pourront réussir seuls.
Il faut que sur tous les sujets nous soyons des partenaires actifs, crédibles, créatifs, inventifs.
Et là aussi vous avez un rôle déterminant à jouer. A Washington bien sûr, mais aussi vous qui représentez la France en Afrique, en Afghanistan, au Pakistan...
Bien sûr au Proche et Moyen-orient également le statu quo actuel y est détestable. Il renforce les extrémistes de tout bord et mine les efforts des modérés.
Nous pourrons sortir de ce piège en faisant preuve de volontarisme. En n'ayant pas peur de prendre nos risques.
Les circonstances s'y prêtent aujourd'hui plus qu'hier. Le discours du président Obama au Caire, la volonté américaine de travailler aussi bien avec Israël qu'avec les pays arabes aux conditions d'une négociation sérieuse sur le statut final, nous redonnent de l'espoir. La trajectoire du sénateur Mitchell également.
Le congrès du Fatah, qui renforce l'autorité palestinienne conduite par Mahmoud Abbas, et le discours du Premier ministre israélien à Bar Ilan, qui prend en compte sans ambiguïté l'objectif de l'Etat palestinien aux côtés de l'Etat d'Israël, créent un environnement plus favorable pour permettre, enfin, de travailler à la solution des deux Etats. Même si des difficultés persistent ou se renforcent, comme la colonisation qui se poursuit.
La France, au sein de l'Union européenne, entend jouer un rôle actif, en partenariat avec l'Egypte, pour que la communauté internationale reprenne très vite le chemin de la Paix. C'est le sens de la proposition faite hier par le président de la République de tenir avant la fin de l'année, un deuxième sommet de l'Union pour la Méditerranée consacré aux négociations de paix dans leurs trois volets.
Le forum de l'Union pour la Méditerranée va devenir, j'en suis convaincu, un instrument de développement, mais aussi, avec le temps, un instrument de paix ; la conférence internationale que nous allons, je l'espère, bâtir à nos partenaires, pourrait bénéficier de ce lieu de dialogue unique non seulement sur le volet palestinien, mais aussi sur les volets syrien et libanais du processus de paix.
La France, qui depuis 2007, n'a cessé d'oeuvrer pour que le Liban connaisse à nouveau la stabilité et la prospérité, et qui a rétabli, en dépit des critiques et des frilosités initiales, une relation de dialogue active avec la Syrie, doit être en mesure d'être ici aussi un partenaire actif capable de proposer des idées et des initiatives utiles.
C'est à vous, au premier chef, qu'il revient de les faire émerger. Six nouveaux diplomates, jeunes et décidés, seront à l'oeuvre dans cette région. J'attends de cette génération de ceux que j'ai choisis avec soin des réflexions et des actions novatrices.
- Le troisième enjeu, c'est bien sûr la crise iranienne, dans ses multiples dimensions.
Reconnaître que l'Iran joue un rôle régional et international majeur - c'est d'ailleurs pour cela que j'avais souhaité sa présence lors des deux évènements que nous avons organisés en France sur l'Afghanistan en juin et décembre dernier - ne doit pas nous interdire d'assumer collectivement et pleinement avec nos partenaires des "cinq plus un", ou au Conseil de sécurité, à l'Union européenne, nos responsabilités en matière de non-prolifération.
Cela ne doit pas non plus nous interdire, sans vouloir intervenir dans la dynamique politique intérieure iranienne, de réaffirmer notre soutien aux principes de la démocratie, de la liberté de parole et de refus de la répression.
Ni, évidemment de renoncer à apporter tout notre soutien à nos compatriotes injustement mises en cause.
Pour tout cela, les conseils, les propositions, les analyses de Bernard Poletti et de son équipe sont évidemment précieux comme l'a souligné le président de la République dans son discours ; Mais je ne compte pas seulement sur notre ambassade à Téhéran sur ces dossiers.
Questions religieuses, place de la politique dans une théocratie, danger de prolifération nucléaire, la question iranienne dépasse bien sûr le seul cadre iranien et continuera à constituer un sujets majeur des mois et années à venir.
J'attends de nos représentants à New York à Bruxelles ou à Vienne, chez nos partenaires du E3 +3, dans les pays de la région, chez nos partenaires européens, mais aussi à Brasilia, à Jakarta, à Alger, dans le Golfe... de se mobiliser sur ce sujet pour nous fournir idées et propositions d'action imaginées localement. J'attends aussi, bien sûr, qu'ils expliquent les positions de la France.
Notre travail, c'est aussi - et surtout - de préparer l'avenir. C'est à dire d'adapter quand on le peut, de repenser quand il le faut, nos outils multilatéraux.
Nous devons pour cela continuer à jouer un rôle moteur au sein de l'ONU, de l'Union européenne, ou de l'OTAN, pour doter la communauté internationale des instruments dont elle a besoin. Qu'il s'agisse de développer une capacité européenne d'action militaire essentielle, d'assurer l'avenir de la justice internationale, de donner à l'ONU les moyens de ses missions et au conseil de sécurité la représentativité nécessaire au maintien de son autorité ; qu'il s'agisse de veiller à l'avenir du traité de non-prolifération nucléaire, ce sont les mêmes combats qui doivent nous trouver en première ligne.
Des combats longs et ingrats parce que le résultat en sort souvent au compte-gouttes, dans l'indifférence générale. Vieille habitude de patience des négociateurs de paix.
Combat difficile parce que le résultat dépend largement de notre capacité à convaincre ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas être convaincus, parce que chaque avancée nécessite des sacrifices politiques et personnels et donc un réel courage de la part de ceux qui y consentent... Parce qu'il convient d'abord de se convaincre soi-même de la nécessité de comprendre les autres.
- En ce qui concerne l'ONU, Il nous appartient tout d'abord de réfléchir aux moyens de retrouver les conditions d'une véritable représentativité du conseil de sécurité de l'ONU, sur la voie tracée par le président de la République et le Premier ministre britannique en 2008.
Chaque mois qui passe creuse un peu plus le fossé entre le système existant et le monde tel qu'il est aujourd'hui. Et la réforme intérimaire que nous proposons recueille toujours plus de soutien.
Cette réforme intérimaire consisterait à créer, à titre transitoire, une nouvelle catégorie de sièges, avec un mandat plus long que celui de deux ans des membres actuellement élus au conseil de sécurité, et qui serait renouvelable. A la fin de la phase initiale, il pourrait être décidé de transformer ces nouveaux sièges en sièges permanents. L'avantage de cette option est d'expérimenter les paramètres d'une réforme du Conseil de sécurité sans la graver dans le marbre. Elle recueille un soutien croissant.
Avançons dans cette direction.
Nous devons aussi nous poser les bonnes questions au sujet du conseil des droits de l'Homme et de l'examen prévu en 2011 de son fonctionnement et de son statut. A-t-il vraiment répondu aux attentes qu'il a suscitées ? Faut-il une nouvelle réforme pour éviter l'érosion des valeurs qui ont présidé à la fondation de l'ONU ? Je le crois et j'ai entendu avec bonheur ce matin Louise Arbour et Jean-Paul Costa.
Nous avons pris l'initiative, conjointement avec le Mexique, d'un groupe de travail rassemblant quelques pays pour proposer des idées concrètes pour renforcer l'efficacité du Conseil. Dans ce domaine aussi, nous avons besoin de vous. J'ai besoin de vous. De vos analyses, de vos démarches et de vos propositions pour faire progresser ce dossier.
L'élection récente des Etats Unis au Conseil des droits de l'Homme est en tout cas un signe d'espoir.
La France doit plus que jamais promouvoir et défendre l'universalité des droits de l'Homme. La tentation du relativisme n'est pas nouvelle, mais les lignes de confrontation se sont déplacées, notamment vers la question religieuse ou du choc de civilisations.
Le combat pour les droits de l'Homme est aussi un combat pour l'application entière et à tous de ces droits. Nos nombreuses initiatives témoignent de notre position de chef de file, au niveau international, sur ces questions.
Je pense tout d'abord à l'abolition universelle de la peine de mort. Je pense ensuite à la lutte contre toutes les formes de discrimination, dont nous avons fait une priorité de la diplomatie française et en particulier les violations généralisées des droits des femmes et des enfants.
A l'initiative de la France, des étapes importantes ont été franchies concernant les violations des droits de l'Homme fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre.
Les droits de l'Homme, ce n'est pas un concept. C'est une pratique de tous les jours. Ce sont des hommes, des femmes. Recevez dans vos ambassades les défenseurs de droits de l'Homme, qui, avec courage et souvent au péril de leur vie, défendent les droits de l'Homme. J'aime cette formule selon laquelle nous devons non seulement parler mais aussi écouter au nom de la France. Recevez-les, honorez-les, invitez les dans le cadre du programme des personnalités d'avenir ou dans le programme d'invitation de journalistes. Et surtout assistez-les à chaque fois que le besoin s'en fait sentir.
Notre Ambassadeur pour les Droits de l'Homme, François Zimeray, continuera de mener des missions de terrain, à ma demande et en étroite liaison avec les Directions concernées.
Les droits de l'Homme, c'est aussi la protection des civils. C'est pour cela que je suis très heureux que la France ait été un des acteurs majeurs, avec les ONG, de la conclusion d'une convention sur l'interdiction des armes à sous-munitions, en décembre 2008. Je vous remercie de ce que vous avez su faire, chacun dans vos pays, en allant avec les responsables d'Handicap International écouter, expliquer, convaincre. Grâce à votre imagination et à votre détermination, la France a servi de pont entre pays producteurs et pays affectés, entre pays du Nord et du Sud, entre Etat et société civile. Quel bel exemple de succès d'une diplomatie que j'aime. Je suis convaincu de l'efficacité d'un tel travail avec les ONG. Le développement du volontariat international, par le triplement de ses effectifs, va dans le même sens : l'interaction avec la société civile est un enrichissement pour notre diplomatie. Je suis certain que j'aurai besoin de vous mobiliser bientôt sur d'autres sujets avec une telle approche.
- Parler de promotion des droits de l'Homme et du droit international humanitaire n'a pas de sens si les coupables ne sont pas sanctionnés. Nous devons continuer à lutter contre l'impunité, tout en étant conscient des faiblesses et des lourdeurs de la Justice internationale et en cherchant à les corriger.
Mais plutôt que d'avoir à punir les coupables, je préfère prévenir les crimes. Cela a toujours été ma conception du "droit d'ingérence" devenu "responsabilité de protéger". Ce droit recule. Prenons-y garde.
- Mais il arrive parfois qu'une mission de la paix soit nécessaire.
Tout le monde fait le constat qu'il faut faire évoluer ces missions de la paix des Nations Unies. C'est pour cela que nous avons lancé en janvier avec le Royaume-Uni une initiative sur l'efficacité des opérations de maintien de la paix. Il ne sert à rien d'avoir multiplié par 6 les effectifs militaires déployés (presque 100.000 aujourd'hui), si l'ONU ne dispose pas des moyens de planification et de suivi des forces nécessaires à leur emploi.
L'ONU doit jouer son rôle. Mais c'est évidemment aux Nations et aux alliances que les responsabilités doivent être prises. Ceci nous renvoie à nos responsabilités de nations développées disposant de forces armées performantes. Notre contribution est-elle à la hauteur de notre devoir ? Combien de victimes encore en Afrique avant que nous décidions ensemble un engagement à la hauteur de l'enjeu humain ? La France doit répondre, l'Europe doit répondre.
Nous avons ouvert de nouvelles voies durant la présidence française de l'Union Européenne.
En agissant d'abord. En Géorgie où nous avons pleinement joué sur la capacité européenne de conjuguer action politique immédiate et envoi sans délai d'observateurs sur le terrain. Je ne reviendrai pas là dessus. Au Kosovo où nous avons lancé la plus vaste opération civile de l'Union européenne, en mer ou pour la première fois sous commandement britannique, l'Europe a pris l'initiative dans la lutte contre la piraterie. Et du Tchad : plus grosse opération de la PESD. Amener nos partenaires à prendre leurs responsabilités en Afrique. Sauver des vies. Nous avons aussi tracé des voies d'avenir en adaptant aux situations nouvelles les objectifs de capacités, en lançant des projets conjoints, en proposant des nouvelles formes, plus intégrées, de coopérations entre nos armées.
Mais tout cela est insuffisant. L'Europe est aujourd'hui incapable de s'engager militairement au service de ses valeurs au niveau où elle devrait s'engager. La France et le Royaume Uni représentent à elles seules les deux tiers des capacités de projection de l'Union. Ce n'est pas normal et n'est pas acceptable à long terme. Là encore, il faut convaincre, utiliser les perspectives que, je l'espère, le Traité de Lisbonne va ouvrir et les utiliser en plein accord avec les prochaines présidences qui partagent nos aspirations sur l'Europe de la défense.
L'Europe de la défense est un objectif en soi. Il est pleinement complémentaire de notre pleine participation à l'OTAN. C'est donc en toute confiance que nous ferons entendre notre voix dans les chantiers ouverts sur la transformation de l'OTAN et dans ses engagements. Le premier d'entre eux est bien sûr en Afghanistan où, je vous le rappelle, l'engagement militaire demeure un instrument et non une fin.
Autre chantier ouvert cette année, celui de la sécurité en Europe. Il faudra progresser avec la Russie, sans se cacher les difficultés apparues après la Géorgie, ni la situation en Tchétchénie et ses meurtres insupportables, mais en prenant pleinement en compte le rôle que ce grand pays doit et devra jouer à l'avenir sur la sécurité en Europe.
Enfin, avec la conférence d'examen du Traité de non-prolifération, c'est tout un pan de notre sécurité qui sera à l'ordre du jour l'an prochain.
L'équilibre fondamental du TNP est menacé lorsque des Etats parties comme l'Iran ou la Corée du Nord agissent en contradiction avec leurs engagements pour se doter d'une capacité nucléaire militaires. Nous ne pouvons pas accepter cette menace sur un équilibre global dont dépend la sécurité de la planète. En matière de sécurité comme en matière de droits de l'Homme, il ne suffit pas d'avoir des règles, il faut à la fois les faire évoluer lorsque c'est nécessaire ; et les faire respecter toujours.
Préparer l'avenir, ce n'est pas seulement adapter et repenser nos outils multilatéraux... c'est surtout s'assurer que l'on a un avenir. La question du changement climatique est à cet égard fondamentale. J'appelle votre attention sur ce point. Il nous reste moins de quatre mois d'ici la conférence de Copenhague, en décembre 2008. On assiste à la tentation, ici ou là, de faire prévaloir les intérêts nationaux. Il faut que chacun d'entre vous soit en mesure de faire connaître la position française, de l'expliquer à ses interlocuteurs, notamment dans les pays du G7, dans les pays émergents, aux Etats-Unis, pour que soit mis en place le cadre ambitieux qui permettra de limiter l'élévation des températures à +2 degrés, par rapport à l'ère pré-industrielle, et la réduction des émissions mondiales.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs je compte sur vous pour ces missions importantes. Je vous demande donc d'être plus politiques.
Qu'est ce que cela signifie ?
Cela signifie d'abord que vous ne devez fixer aucune limite à votre ambition intellectuelle.
Je le répète, je n'attends pas de vous que vous vous contentiez de décrire des situations, même avec brio, ou que vous développiez une analyse originale d'un blocage bien connu. J'attends de vous que vous inventiez et que vous proposiez des solutions. Des solutions fondées sur votre expérience, sur votre réseau de connaissances sur votre réflexion et celle de vos collaborateurs.
Et si ces solutions consistent à remettre en cause ce que vous faites et ce qu'ont fait vos prédécesseurs depuis des années, tant mieux.
Et si ces solutions vous paraissent iconoclastes et vous font hésiter, craindre le ridicule ou la disgrâce, c'est que vous êtes sur la bonne voie.
Le seul vrai risque est celui de l'inertie, de la passivité et du fatalisme.
Etre politique, c'est être en mesure de sentir à quel moment agir, avec quels partenaires et quels instruments. Qui mieux que vous peut concevoir, recommander un plan d'action, et les modalités les plus intelligentes de sa mise en oeuvre, son suivi ? Vous connaissez admirablement les rouages et les blocages, les perspectives et les limites de votre pays de résidence. Il n'y a que vous qui soyez en mesure de repérer les opportunités, d'éviter les embûches. C'est ce que nous attendons de vous. Nous voulons, grâce à vous, jouer collectif.
Etre politique, c'est également saisir toutes les dimensions et tout l'environnement d'une situation : le social, le culturel, l'économique, le terrain que vous vivez tous les jours, sont chacun une clé indispensable de votre analyse, ce qui en fait toute la valeur. C'est pour cela qu'il est si important que vous alliez à la rencontre de tous ceux qui comptent dans votre pays de résidence ou qu'ils soient, surtout, bien sûr, s'ils sont en dehors des circuits confortables et connus.
Etre politique enfin, c'est tout simplement se souvenir que vous êtes les conseillers des plus hautes autorités de l'Etat qui ont en charge la politique étrangère de la France. Ce que vous nous écrivez, vous ambassadeurs, personnellement, doit toujours être guidé par ce principe. Nous avons, ensemble, la charge de l'action au service des valeurs, des intérêts et des alliances de notre pays. C'est l'essentiel, il se conçoit généralement en quelques mots, quelques idées. Dispensez-vous de l'accessoire mais n'acceptez aucune limite.
En un mot, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, c'est un vieux militant qui vous le demande, avec le plus grand respect et la plus grande affection pour ce mot, pour ce qu'il signifie d'engagement, de conviction, de courage, de sacrifice souvent, de bonheur parfois, je vous demande d'être des militants de la France.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 septembre 2009