Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, à I-télévision le 7 septembre 2009, sur le débat à propos du montant de la taxe carbone et sur la pollution par les nitrates et les algues vertes.

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Média : I-télévision

Texte intégral

L. Bazin.- Notre invitée politique c'est - bonjour madame - la secrétaire d'Etat à l'Ecologie. On entendait ce que disait tout à l'heure Thomas et Amandine dans le journal sur le forfait hospitalier, la taxe hospitalière, "l'impôt déguisé", comme dit la gauche. Après la taxe carbone, ça ne cafouille pas un peu en cette rentrée au Gouvernement ?
 
Sur le forfait hospitalier, il faut être clair : les conseils d'administration des différentes caisses ont fait des propositions pour équilibrer le système, il y a deux mois. Rien n'est arbitré, de toutes façons tout sera présenté aux partenaires sociaux à la fin du mois, le 30 septembre. Donc d'ici là, ce sont des pistes mais rien n'est arbitré, rien n'est décidé sur ce sujet.
 
J'ai entendu six ministres hier, il n'y en a pas un qui a dit la même chose.
 
Je veux bien qu'on se saisisse de tous les sujets pour faire de la polémique mais en l'occurrence, rien n'est arbitré et c'est un processus normal de déroulement des décisions.
 
Vous dites la même chose de la taxe carbone ? Rien n'est plus arbitré même si le Premier ministre a avancé des chiffres et qu'il les a maintenus. Il a dit : ce sera probablement 14 euros la tonne.
 
Sur la contribution climat, c'est différent. Le président de la République va donner son arbitrage définitif jeudi. Ca a été clairement annoncé. Maintenant, enfin franchement il ne faut pas rabaisser le sujet, dire qu'il y a des chicaneurs parce que c'est 14, 15, 16, 20, ce n'est pas le sujet. Le sujet c'est un problème de justice.
 
Pour les Français, c'est le sujet quand même.
 
Pour les Français le problème c'est la justice. Comment vous voulez expliquer aux Français que les grandes entreprises qui ont une forme de contribution climat qui s'appelle le marché du carbone, il y a une forme de contribution climat...
 
Le permis de polluer, trivialement.
 
Voilà, un permis à polluer, trivialement, qu'elle paie 15 euros la tonne. Comment est-ce qu'on peut expliquer aux Français que l'entreprise du CAC 40, elle va payer 15 euros la tonne et lui, le particulier, va payer 32 euros, le double. Donc forcément il faut prendre en compte le prix du marché, c'est une question de justice.
 
N. Hulot dit ce matin : vous les politiques, je parle de la gauche, je parle de la droite aussi, il faut arrêter la démagogie - c'est plutôt pour la gauche dans ses propos mais il vous invite à faire preuve de responsabilité et de pédagogie. On a manqué de pédagogie, est-ce que franchement ce matin vous pouvez nous dire on ne s'y est pas bien pris ?
 
Ce n'est pas un sujet facile. C'est historique, essayer de faire basculer une fiscalité qui pèse complètement sur le travail vers une fiscalité qui pèse sur la pollution. Et surtout de se préparer à l'avenir. C'est quoi l'avenir ? C'est la lutte contre les changements climatiques et la nécessité de se passer des énergies fossiles. Donc c'est historique. Ce n'est évidemment pas facile et on ne le fait pas en un claquement de doigt. Il faut du temps pour préparer tout ça, donc c'est normal qu'il y ait du débat. Moi ça ne me choque absolument pas qu'il y ait du débat sur ce sujet. C'est normal on essaie de faire les choses bien. Et pour les faire bien, forcément ça prend du temps parce qu'on veut un système qui soit juste.
 
Même si on le fait un peu dans le désordre la semaine prochaine, ce n'est pas grave, on efface tout. Le Président a repris l'ardoise et il dira son chiffre.
 
Non, on n'a pas changé de position sur ce sujet. On fera la contribution énergie climat, on la fera en 2010. Elle sera progressive parce que le plus important pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, c'est de dire à la Nation : voilà la voie. De toutes façons, il faut faire des économies d'énergie.
 
Soyons clairs, jeudi je vais entendre, nous allons entendre le président de la République nous dire, ce sera tant comme prix de départ, ce sera tant en 2020, tant en 2030 ? Est-ce qu'on ira aussi loin dans la transparence ?
 
Le président de la République va clairement fixer le principe de progressivité.
 
Il ne donnera pas le tarif. Je vous donne un exemple, vous partez pour la Suède tout à l'heure...
 
On sait qu'en 2030, c'est 100 euros. Pourquoi ? Parce que c'est les experts qui ont dit que scientifiquement, si on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut donner une visibilité. Mais pourquoi en 2030 ?
 
Les experts disent aussi qu'il faut commencer à 32 euros.
 
Non, les experts ont dit 32 euros, c'est un prix de compromis. A. Quinet qui est l'expert qui a piloté cette commission, lui-même l'a exprimé. Il a dit c'est un prix de compromis. On propose 32 euros pour que ce soit ensuite progressif. Sauf que le vrai sujet aujourd'hui c'est qu'il ne faut pas mettre les Français dans une impasse. On n'a pas, sur le marché, un véhicule électrique qui va remplacer le véhicule qui consomme du pétrole. C'est ça le vrai sujet. Et c'est pour ça aussi qu'on redistribue 100% pour les ménages. Ce n'est pas quelque chose qui va dans les caisses de Bercy. Et c'est pour ça qu'on parle de contribution.
 
Est-ce qu'on va redistribuer sans condition ? Ou est-ce qu'il faut comme le dit encore une fois N. Hulot puisque c'est lui l'inspirateur de la mesure d'une certaine manière et que tout le monde a signé son pacte écologique parmi les candidats à la présidentielle, y compris N. Sarkozy. Il dit, il faut un signal prix très fort parce qu'il faut que les Français changent de comportement. Et il faut les aider à changer de comportement en conditionnant la redistribution au fait que ce soit de l'isolation, des économies d'énergie d'une manière ou d'une autre.
 
C'est exactement ça.
 
Sauf qu'aujourd'hui ce n'est pas ça.
 
Parce qu'il se trouve qu'aujourd'hui, attendez, on n'a pas encore donné les arbitrages. Un signal prix très fort, c'est de dire qu'à terme, 2030, ce sera 100 euros. Ca c'est vraiment le plus important, que les personnes sachent que demain ce sera pas comme hier. Forcément on change nos comportements et le deuxième point, c'est qu'il faut être juste dans la redistribution. Donc il y a forcément... dans les 100% redistribués, on tiendra compte d'une part du critère géographique parce que les ruraux n'ont pas d'autres moyens que de prendre leur véhicule pour travailler et d'autre part, de la condition sociale de chacun. C'est évident qu'on doit prendre en compte ces deux critères pour que la redistribution soit juste.
 
J'ai un mauvais jeu de mot, pardon je vais le faire : ce ne sera pas une usine à gaz cette taxe carbone, franchement ?
 
Ce sera de la dentelle. Pourquoi ? Parce qu'un système unique pour tout le monde, un système uniforme, c'est un système injuste. Parce que vous n'avez pas la même situation que moi. Donc c'est forcément un système injuste. On fait de la dentelle pour que le système soit juste. Et vraiment les deux critères fondamentaux, la situation géographique et la situation sociale. C'est exactement, on essaie, on respecte notre parole qu'on a donnée à N. Hulot et à l'ensemble des Français parce que le pacte écologique il a été soutenu par une grande majorité de Français aussi, il faut le rappeler. Ce n'est pas que les candidats qui ont signé, c'est la grande majorité des Français qui ont soutenu le pacte écologique.
 
Est-ce que ça a un sens d'exclure l'électricité ? C'est une question que pose, encore une fois, N. Hulot qui vous rappelle à vos promesses.
 
On n'avait pas promis de mettre ou pas l'électricité dedans. Ca c'est un point extrêmement important l'électricité. Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui, on choisit de ne pas mettre l'électricité dans la contribution climat ? Parce qu'en réalité, on mettrait les gens aussi dans une impasse.
 
Parce qu'en vérité, dans les périodes de pic électrique, on surconsomme de l'énergie fossile aussi.
 
ui mais on a plusieurs réponses. Sur la contribution climat, je vous dis les véhicules de demain c'est les véhicules électriques. Ils polluent moins que les véhicules pétrole. Et je vous le taxe au même tarif. Qu'est-ce que font les Français ? Ils disent : attendez, c'est le marteau ou l'enclume. Deuxième point important, c'est que c'est vrai que le gros sujet, la priorité des priorités c'est l'économie d'énergie. Et pour ça, on a d'autres outils. On a les certificats d'économie d'énergie qui obligent les grands distributeurs d'énergie à faire faire des économies à leurs clients. On a aussi des tarifs d'électricité qu'on peut moduler pour qu'ils soient plus forts en période de pointe et moins forts en période de base. Donc il y a d'autres outils que la contribution climat, qui aurait ce désavantage en fait de mettre les particuliers dans une impasse.
 
Vous avez d'autres choses dans la boîte à outils ou pas, que cette taxe carbone vous qui êtes l'ancienne patronne de l'ADEME pour la maîtrise de l'énergie.
 
Ca ne s'arrête pas à la contribution climat. Le signal prix est extrêmement important. On sait que c'est ce qui fait bouger tous les comportements. Donc il y a ça. Il y a le changement d'indicateurs de richesse. Cette réflexion géniale qui a été lancée sur le PIB parce que vous savez que le PIB c'est dramatique. Quand vous avez des accidents, quand vous détruisez des forêts, le PIB augmente. Ca ne vous donne absolument pas l'état de votre patrimoine humain et de votre patrimoine naturel. Donc ça aussi c'est une réflexion qui est en cours, dont on aura les conclusions le 14 septembre. Et ce n'est pas la France qui va mener en vase clos, ce sont des prix Nobel de la paix, pardon des économistes internationaux qui se sont réunis pour faire des propositions à la demande du président de la République.
 
Et puis en Islande, ce sera Copenhague.
 
Et puis surtout on a Copenhague, le grand rendez vous de la planète.
 
On peut franchement attendre une révolution à Copenhague parce que des sommets de la Terre, on en a vus, Rio et d'autres ?
 
On n'a pas le choix.
 
Et ça n'avance pas ou peu.
 
Maintenant on n'a pas le choix. B. Obama a été élu.
 
La maison brûle, disait J. Chirac. C'était il y a longtemps déjà.
 
Mais c'est vrai. Mais en plus le pire c'est que ça s'est aggravé. Les scientifiques nous disent, on est sur la pire des pentes actuellement. La pire des pentes c'est quoi ? C'est 6 degrés de plus à l'horizon 2100. Six degrés de plus on ne va pas passer de 21 à 27 parce que pour vous donner juste une petite référence, l'ère glaciaire c'était moins 5 degrés par rapport à aujourd'hui. Et Paris il y avait des mètres de glace. Donc c'est quand même quelque chose de crucial qui se joue pour l'avenir de la planète à Copenhague et objectivement les choses avancent. Au G20 il y a eu des avancées, ils ont accepté qu'il fallait limiter l'augmentation des températures à 2 degrés. Il y a eu des avancées. Objectivement, l'Europe a pris ses responsabilités, c'est le seul continent qui se soit doté d'objectifs contraignants. Faisons confiance, je ne pense pas que les grands leaders...
 
D'autant que c'est vous qui allez vous battre, donc faites-vous confiance à vous-même. On jugera, on s'intéresse à ça. Les algues vertes, je me suis mis au bord de mer deux minutes là. Un salarié chargé de leur transport est mort et un certain nombre de ses collègues disent que c'est à cause des algues. D'abord est-ce qu'on sait si c'est à cause des algues que cet homme est mort et ensuite qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu'on peut se satisfaire du ramassage ? Est-ce qu'il ne faut pas aller chercher du côté de l'agriculture intensive une bonne fois là aussi ?
 
Ce malheureux salarié est décédé effectivement le 22 juillet à un moment où effectivement tout le monde disait : les algues c'est un problème environnemental mais il n'y a pas de problème sanitaire. Ensuite début du mois d'août, encore, mort de deux chiens d'où l'expertise que j'avais demandée à l'INERIS pour savoir, qu'on fasse un peu la transparence sur ce sujet. Donc on ne sait pas aujourd'hui si cet homme est décédé du fait des algues parce qu'il a eu une crise cardiaque et les algues font mourir par oedème pulmonaire. Voilà, parce que c'est un gaz, une émanation de gaz. Donc on ne fait pas directement le lien. Par contre tous les éléments ont été transmis au procureur qui va décider ou non du lancement d'une enquête pour savoir s'il y a un lien direct. Moi je préfèrerai savoir.
 
Et les nitrates de l'agriculture intensive ?
 
La question des nitrates, il y a eu des efforts de faits. Il faut quand même savoir que depuis dix ans, il y a moins 18% de nitrates. Ce n'est pas suffisant. Pourquoi ? Parce qu'on est dans une zone spécifique. Les eaux là-bas, le pire c'est qu'elles respectent les normes européennes. Les normes européennes vous disent, il faut moins de 50 milligrammes par litre, je simplifie. Là bas, on est entre 26 et 30 milligrammes. Et pour qu'il n'y ait pas d'algues vertes, il faut qu'il y ait, qu'on descende à 10. Donc je ne vais pas vous mentir, c'est très simple. Il faudra des années pour le faire parce que les cheptels existent, les exploitations existent, donc pas d'augmentation des exploitations mais il faudra des années. Pour ça, on a demandé une mission interministérielle parce qu'on n'est pas les seuls concernés évidemment, de faire pendant trois mois maximum un plan d'action. On ne veut pas un rapport, on veut un plan d'action pour réduire à la source la question des algues vertes. Mais vous savez dans ce dossier, ce qui est important c'est que l'Etat a reconnu sa responsabilité.
 
Il ne fera pas appel donc de sa condamnation ?
 
Non.
 
C'est entendu. Un dernier mot pour F. Bayrou qui tend la main à la gauche. Ca vous inquiète ?
 
Ca ne m'inquiète pas, je trouve dommage. En politique, on peut rassembler autour d'idées, autour d'un projet mais essayer de rassembler avec seule l'alternance, je me dis pourquoi. Est-ce que c'est vraiment, même ce que les militants du MoDem ont envie d'entendre ? Il faut lancer des idées, il faut débattre sur des idées. L'ouverture c'est autour d'idées qu'elle doit se faire, ce n'est pas autour d'un simple principe qui est celui de l'alternance.
 
C. Jouanno sera candidate aux régionales dans les Hauts de Seine finalement ou pas ? Le Président vous a dit calmos au conseil des ministres. Est-ce que vous êtes déterminée ?
 
Ce que je fais pour l'instant, c'est le projet politique de V. Pécresse pour l'Ile-de-France. On a commencé à voter depuis le mois de mars.
 
Si elle vous demande d'être candidate, vous irez ?
 
Bien sûr. De toutes façons, dans ces affaires-là, ce n'est pas nous qui décidons. On est à disposition et franchement ça fait plaisir.
 
Vous avez bien retenu le message du président de la République. C'est l'Elysée qui décide. Merci beaucoup d'avoir été notre invitée ce matin. Bon voyage pour la Suède où la taxe carbone est à 140 euros la tonne, si mes fiches sont justes.
 
Ils ont commencé il y a plus de dix ans.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 septembre 2009