Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, dans "Les Echos" du 7 septembre 2009, notamment sur la présence militaire française en Afghanistan, l'industrie d'armement et sur la place du Nouveau Centre dans la vie politique française.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

Texte intégral

- Deux Français sur trois sont opposés à notre présence militaire dans ce pays, selon un récent sondage Ifop pour « Le Figaro ». Etes-vous inquiet des risques de coupure entre la nation et son armée ?
Il faut faire mesurer aux Français ce que représenterait notre départ d'Afghanistan. A ce titre, la position du Parti socialiste est totalement irresponsable. Un retrait des 70.000 hommes et femmes de la coalition signifierait d'abord l'effondrement de tout ce qu'on a construit, en matière de scolarisation des filles, d'accès aux soins, même rudimentaires, les 13.500 kilomètres de routes construites ou encore la montée en puissance de l'armée nationale afghane. Sans oublier l'effort de chair et de sang de nos soldats, comme ce fut malheureusement encore le cas la semaine dernière. Au-delà, si nous quittons l'Afghanistan, c'est à coup sûr le chaos, le retour des talibans au pouvoir et c'est faire de l'Afghanistan un terreau du terrorisme...
- ... Sauf que les Français ne sont pas convaincus...
... Parce qu'il est difficile d'appréhender que notre sécurité se joue aussi à 8.000 kilomètres de nos frontières. L'Afghanistan se situe au coeur d'un arc de crise avec comme voisins l'Iran et surtout le Pakistan, puissance nucléaire qui connaît de sérieux problèmes de stabilité. Le risque de contagion est loin d'être négligeable. La victoire ne peut pas être seulement militaire. Mais l'échec n'est pas envisageable.
- Comment garantir que l'explosion de la dette ne rattrapera pas les 180 milliards d'euros de crédits militaires prévus d'ici à 2014 ?
Depuis deux ans, on m'a toujours expliqué que demain serait pire. Je constate que chaque année infirme ces propos pessimistes. La Défense n'a jamais bénéficié d'un budget aussi élevé. C'est la juste contrepartie d'un effort considérable de réforme. Le plan de relance permet d'accélérer le renouvellement de l'équipement des forces. Cette année, ce sont 18 milliards d'euros qui seront dépensés, contre 15 milliards en 2007. Ma meilleure garantie c'est que jusque-là, tout ce que l'on a dit, nous l'avons fait. Et il reste des sources d'économies. On va appuyer fort sur l'accélérateur.
- Dans quel domaine ?
Les systèmes d'information et de communication par exemple, qui absorbent la bagatelle de 3,5 milliards d'euros chaque année.
- Les recettes exceptionnelles attendues en 2009 à hauteur de 1,6 milliard d'euros vont-elles faire « pschitt » ?
Le milliard d'euros attendu de la vente de l'immobilier est toujours notre objectif. La vente des fréquences n'interviendra que l'année prochaine. Mais, en compensation des 600 millions attendus à ce titre pour 2009, j'ai obtenu un arbitrage du Premier ministre m'autorisant à consommer 400 millions de crédits de reports. L'inflation inférieure à ce que nous avions prévu nous permettra d'économiser les 200 millions restants.
- Où en est l'application du volet défense du plan de relance ?
Début juillet, nous avons passé pour 1,3 milliard d'euros de commandes, soit 80 % de ce qui est prévu. Sur cette somme, 355 millions ont été payés aux entreprises. Les 500 millions d'arriérés de paiement ont été apurés. La commande d'un troisième navire de projection et de commandement à STX-Chantiers de l'Atlantique va donner du travail à 1.000 personnes dans le bassin de Saint-Nazaire. Chez le fabricant de blindés légers Panhard, 70 emplois ont été créés. Et nous avons purement et simplement sauvé des PME qui, en disparaissant, nous auraient fait perdre des compétences et des technologies souvent uniques.
- Comment se passe la mise en oeuvre de la carte militaire ?
A ce jour, 90 % du personnel des sites fermés ont été reclassés. On m'avait expliqué que cette carte militaire mettrait à feu et à sang les territoires concernés. Il n'en a rien été parce que nous avons su jouer la carte de la concertation et de la responsabilité. Je suis de très près la mise en oeuvre de cette réforme et mes collaborateurs se rendent régulièrement sur les sites. Sur 2009, nous avons réussi l'accompagnement social et, en même temps, les premiers projets de reconversion apparaissent. Comme à Sourdun avec un lycée d'excellence, à Barcelonnette avec une société de haute technologie ou à Arras avec des logements universitaires.
- Pas de problème pour trouver des volontaires au départ avec la crise ?
Aucun. La trajectoire des 8.500 suppressions de postes par an est respectée. L'équation de la loi de programmation c'est une masse salariale inférieure en 2012 à celle de 2007, permettant ainsi de dégager, en dépit du coût des restructurations, 4 milliards de plus pour l'équipement. Toute la communauté militaire avait conscience qu'il fallait faire évoluer profondément les structures. Je suis un ministre qui peut parler de réforme de l'Etat.
- Finalement, vous êtes le meilleur élève de la classe Sarkozy...
Si vous le dites... Je le fais avec conviction et enthousiasme.
- Peut-on dire que le programme d'avion de transport militaire A400M est définitivement sauvé ?
Tout laisse à penser que c'est le cas, sauf si le programme devait connaître un nouvel avatar industriel tel qu'il décourage les nations clientes. Si je ne m'étais pas investi personnellement, l'A400M serait mort aujourd'hui. Le dialogue politique avec les Britanniques a été essentiel pour les maintenir à bord.
- Il y a un peu plus d'un an, vous avez souhaité relancer les discussions en vue de rapprochements industriels européens. Avez-vous avancé ?
DCNS et Nexter mènent des discussions avec leurs partenaires, et je souhaite qu'elles aboutissent au plus vite. Le contexte est favorable, contrairement à bien d'autres pays, car la France augmente son budget de défense.
- Et en France ?
Je souhaite que les rectifications de frontières entre Thales et Safran puissent être mises en oeuvre d'ici à la fin de l'année [pour limiter les doublons, l'optronique irait chez le premier, la navigation inertielle chez le second, « Les Echos » du 21 novembre 2008]. Dans le domaine de la propulsion solide pour Ariane et les missiles balistiques, le rapprochement entre SNPE et Safran devrait également être opéré d'ici à la fin de l'année.
- 2009, année du premier contrat à l'exportation pour le Rafale ?
On peut l'espérer.
- A votre arrivée à la Défense, vous aviez fait de l'égalité des chances une priorité. Avez-vous progressé ?
L'armée est un modèle républicain extraordinaire. C'est probablement la seule institution construite sur la reconnaissance de l'effort et du mérite. Il reste des progrès à faire pour favoriser l'accès aux grandes écoles militaires pour les enfants issus de milieux modestes et de la diversité. Or, avec les lycées militaires, nous disposons d'un formidable outil de promotion sociale. J'ai donc d'abord axé mon plan sur la scolarisation des jeunes défavorisés. Aujourd'hui, ils sont 200. Ils seront le double à la fin de l'année prochaine. Par ailleurs, nous avons créé des classes tampons aux classes préparatoires. Avec 100 étudiants, elles affichent complet. Du coup, nous allons pourvoir disposer, comme aux Etats-Unis, d'écoles d'officiers ou d'ingénieurs de l'armement qui reflètent la diversité française. Et sans discrimination positive.
- François Bayrou vient de faire une offre de dialogue aux partis de gauche. N'est-ce pas une mauvaise nouvelle pour la majorité ?
Non, parce que le masque de François Bayrou vient de tomber. Il a trahi le centre comme nous le disions il y a déjà deux ans. Les électeurs centristes attachés au projet politique européen seront heureux d'apprendre qu'ils vont désormais faire chambre commune avec les communistes, Mélenchon et Chevènement. Il brade les valeurs du centre pour éviter le naufrage définitif aux élections régionales de mars. Finalement, François Bayrou et Martine Aubry sont entrain de réinventer la gauche plurielle. Plus que jamais, je suis décidé, moi, à faire revivre l'UDF à travers le Nouveau Centre.
- Ne craignez-vous pas que l'entrée de Philippe de Villiers dans la majorité n'effraie l'électorat centriste ?
C'est Philippe de Villiers qui nous rejoint, et non l'inverse. De plus, au second tour de chaque élection, à commencer par les législatives, les candidats villieristes et chasseurs ont toujours appelé à voter pour tous les candidats du centre ou de l'UMP. Tant mieux si leur ralliement à la majorité peut nous permettre en mars 2010 d'en finir avec le quasi-monopole des socialistes qui détiennent 20 régions sur 22.
- Quel est, selon vous, la stratégie la plus appropriée au 1er tour des régionales ?
Je souhaite que ces régionales soient pour nous l'occasion d'une reconquête. Ce sera aussi un moment fort de construction de la majorité pour la prochaine présidentielle. Cela pourrait plaider pour des listes d'union dès le premier tour, mais, avant que les militants du Nouveau Centre ne prennent leur décision en décembre, je souhaite un examen approfondi région par région de la stratégie la plus appropriée. En Bretagne, par exemple, une liste de rassemblement centriste conduite par Jean-Yves de Chaisemartin, maire de Paimpol, au 1 tour permettrait de donner une représentation à l'électorat humaniste, européen qui a toujours existé en Bretagne.
- Quelles sont les régions où vous prétendez au leadership de la majorité ?
Dans le Nord - Pas-de-Calais avec Valérie Létard, en Bourgogne avec François Sauvadet, en Picardie avec Stéphane Demilly, en Basse-Normandie avec Philippe Augier, en Rhône-Alpes avec notre député européen Damien Abad et en Ile-de-France avec André Santini et Jean-Christophe Largarde, le Nouveau Centre est aussi bien placé que l'UMP.
- Là vous faites monter les enchères... Même en Ile-de-France, vous contestez le leadership de votre collègue de gouvernement Valérie Pécresse ?
Dans de nombreux départements et communes d'Ile-de-France, le Nouveau Centre, comme auparavant l'UDF, a réalisé des scores très remarquables. Il est impossible de ne pas en tenir compte.
PROPOS RECUEILLIS PAR ELSA FREYSSENET, DAVID BARROUX ET ALAIN RUELLO
source http://www.le-nouveaucentre.org, le 8 septembre 2009