Interview de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à Canal Plus le 17 septembre 2009, sur la réélection de José Manuel Barroso à la présidence de la Commission européenne, la crise du lait et sur le sommet du G20 de Pittsburgh.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : Nous allons recevoir P. Lellouche ; il est secrétaire d'Etat aux Affaires européennes. Ce soir, les vingt-sept chefs d'Etat européens ont rendez-vous pour préparer le G20. Ils vont dîner ensemble pour accorder leurs violons. La star ce sera J.M. Barroso, réélu à la tête de la Commission européenne. Bonjour, P. Lellouche !
 
C. Roux : Bonjour !
 
M. Biraben : Soyez le bienvenu !
 
Bonjour, Mesdemoiselles, Mesdames !
 
C. Roux : En venant ce matin à la radio, on vous a entendu dire que J.M. Barroso n'est pas un génie de l'humanité.
 
Oh non, mais là, écoutez, arrêtez ! Vous n'allez pas me la faire...
 
C. Roux : L'Europe ne mérite pas mieux que ça ?
 
Ecoutez, vous n'allez pas me la faire encore une fois avec des... J'ai essayé de répondre à un journaliste qui, comme d'ailleurs tous ses confrères, tapait à boulets rouges sur J.M. Barroso alors même qu'il vient d'être réélu. Il a montré d'ailleurs que ces critiques n'avaient pas grande importance et on a essayé de me faire dire qu'il était...
 
C. Roux : Vous l'avez dit ou vous ne l'avez pas dit ?
 
Mais, oui, mais enfin je l'ai dit en répondant à quelqu'un qui a utilisé cette expression, donc arrêtons ! Ce que j'ai voulu dire c'est que c'est une belle victoire, c'est une belle victoire pour nous, parce qu'on a fait campagne pour lui...
 
C. Roux : Alors vous avez fait campagne pour lui, ça c'est intéressant, parce qu'on a eu le sentiment à un moment que la France mettait un petit peu de distance ; on se souvient que N. Sarkozy avait lui-même mis des conditions au soutien de la France à la candidature de J.M. Barroso.
 
Non, Barroso était le candidat de l'ensemble du Conseil, c'est-à-dire des vingt-sept chefs d'Etat et de Gouvernement. Nous avons fait campagne aux dernières européennes, au mois de juin, avec le nom et la photo de Barroso dans nos documents. Le Parti populaire européen auquel appartient l'UMP a fait campagne pour lui, il a eu d'ailleurs la totalité des voix de nos députés à Strasbourg. La gauche et les écolos, qui ont essayé de bloquer Barroso, ont pris hier une énorme défaite puisque Barroso a eu plus que la majorité absolue, ce que personne d'ailleurs franchement pensait qu'il puisse faire tout de suite. La grande question juridico-politique dans les couloirs à Bruxelles et à où j'étais d'ailleurs ces derniers jours, c'était qu'est-ce qui va se passer s'il n'a pas la majorité absolue ; est-ce qu'il faudra revoter par la suite, le débat est déjà enterré. Il est maintenant conforté... Il va pouvoir constituer sa Commission et il est en position de force.
 
C. Roux : On a l'impression malgré tout que c'est un soutien sans enthousiasme. Aujourd'hui il a gagné, donc forcément on serre les rangs, mais il fut un temps où la France mettait un peu de distance ; est-ce que vous...
 
Je n'ai honnêtement pas cette impression, la France n'a pas varié. Je suis allé après ma nomination au Portugal, j'ai confirmé dans la presse française, je ne sais pas en quelle langue il faut vous le dire, mais on a toujours soutenu Barroso. Et le procès - c'est ça le point important, je crois- le procès qui est fait à J.M. Barroso, avec toujours dans l'esprit l'idéalisation de la période Delors, on est en train de faire porter à Barroso le procès d'une Europe où on aimerait voir un président de la Commission qui serait le président de l'Europe. Ce n'est pas son métier.
 
C. Roux : C'est-à-dire qu'il faut qu'il soit faible... Non. C. Roux : Il faut qu'il soit insipide, d'une certaine manière, pour laisser la place aux chefs d'Etat ?
 
Non, les institutions européennes c'est le Conseil qui représente les Etats, il va y avoir d'ailleurs un président du Conseil dans le cadre du traité de Lisbonne, un haut représentant, c'est-à-dire un ministre des Affaires étrangères, il y a le Parlement européen et il y a la Commission qui est une force d'impulsion. Le problème de cette Commission depuis Delors, elle est devenue une Commission à vingt-sept membres, donc elle est très vaste, peut-être trop vaste. D'ailleurs le traité prévoit une baisse du nombre de commissaires à partir de 2014 et on est en train d'instruire un procès pour manque de présidence à quelqu'un qui est le président de la Commission et pas le président de l'Europe. C'est ça, je crois, le malentendu, le grand malentendu.
 
C. Roux : On dit aussi que c'est un intérêt pour les chefs d'Etat, du coup ça leur permet de donner le la en Europe, en l'occurrence à N. Sarkozy et A. Merkel.
 
Mais c'est normal, les Etats sont les représentants de la souveraineté des Etats. Quand la crise s'est produite, c'est N. Sarkozy, président de l'Europe, qui a organisé la riposte, avec le président de la Commission, avec le président de la Banque centrale, qui a pris les bonnes décisions, c'est un travail d'équipe.
 
C. Roux : On a malgré tout intérêt d'avoir un président fort, pour le coup là pendant cette période de sortie de crise, où il va falloir gérer la sortie des déficits, la reprise européenne.
 
Il faut un président ambitieux et le programme de Barroso est ambitieux. Il parle d'une politique commune de l'énergie et d'ailleurs la Commission, sous Barroso, a déjà commencé à travailler à des mesures d'urgence, quand les Russes, par exemple, ont coupé le gaz ces deux dernières années, ça ça existe déjà ; il faut une vraie politique industrielle, et là, nous sommes ceux qui poussons pour une politique industrielle et il y a des éléments de cela dans le programme de Barroso. Donc il a une vision ambitieuse des choses, c'est très bien parce que sur l'essentiel des priorités, il rejoint nos idées, c'est bien, nous sommes en phase.
 
C. Roux : Bon, pour clore ce chapitre, quand vous dites : "ce n'est pas le génie de l'humanité", vous voulez dire quoi, ce n'est pas un être charismatique et c'est tant mieux ?
 
Non, je veux dire par là que : arrêtons d'instruire un procès qui n'a pas lieu d'être. Il n'est pas le président de l'Europe, il est le président de la Commission. La Commission c'est un organe d'impulsion et de préparation des directives, c'est-à-dire une partie de la législation. Et cette législation elle est quand même adoptée en fin de course par le Parlement européen et le conseil des chefs d'Etat. Il ne faut quand même pas se tromper de rôle.
 
M. Biraben : Alors on passe à la crise du lait maintenant, Caroline. C. Roux : Oui, parce que Barroso reconduit, c'est aussi la continuité d'une politique sur le fond. La crise du lait s'étend en Europe, il y a 40 000 éleveurs désormais européens qui sont mobilisés et on a vu tout à l'heure dans le journal des producteurs de lait en larmes qui nous disent en gros : c'est la faute de l'Europe.
 
C'est la faute... Alors ça c'est le dossier de mon collègue B. Le Maire...
 
C. Roux : Oui, c'est lui qui se prend les oeufs sur la tête !
 
Il est le ministre de l'Agriculture, donc c'est lui qui le gère en direct avec bien entendu la filière agricole en France et avec Bruxelles, c'est lui qui négocie, et moi je ne suis ici qu'en relais.
 
C. Roux : Malgré tout, c'est l'Europe qui est accusée par les producteurs de lait.
 
Je comprends l'angoisse naturellement des gens. Ce qui se passe, c'est que les prix se sont effondrés depuis le début de cette année. Après avoir flambé, augmenté en 2008, il y a une baisse de la demande mondiale en 2009, il y a un conseil, alors pour le coup ce sont les Etats qui sont divisés ; la France et l'Allemagne, une quinzaine de pays contre d'autres producteurs, essentiellement les Danois, les Hollandais, les Anglais, les Espagnols. Donc le conseil est divisé, la Commission... Le sujet c'est est-ce qu'il faut ou pas laisser continuer les augmentations de production, donc au risque d'effondrer les prix, ou bien est-ce qu'on peut autoriser les Etats, avec des systèmes d'aides, de subventions, à court et à moyen terme, pour réguler le marché.
 
C. Roux : Alors comment vous comptez, quelle est la solution...
 
Là-dessus nous travaillons en franco-allemand...
 
C. Roux : Est-ce que la solution donc est franco-allemande et quelle peut être la sortie de crise ? Est-ce que vous avez des rendez-vous prévus ?
 
Il y a naturellement - B. Le Maire a fait ça toute la journée - il y a énormément de travail fait en franco-allemand et le rendez-vous décisionnel c'est dans quelques semaines, puisque le Conseil européen de fin octobre devra trancher cette question. Mais il y a une négociation dure entre la France, l'Allemagne, d'autres états et la Commission.
 
C. Roux : C'est la Commission qui doit céder ?
 
C'est un problème européen.
 
C. Roux : C'est la Commission qui doit céder ?
 
Nous, nous faisons pression sur la Commission, avec les Allemands, pour obtenir les subventions et la régulation du marché dont nous pensons avoir besoin.
 
M. Biraben : Le G20 c'est ce soir.
 
C. Roux : Oui, le G20 c'est ce soir, les vingt-sept chefs d'Etat...
 
M. Biraben : Pardon, le G27, [pour la] préparation du G20.
 
La préparation européenne du G20.
 
C. Roux : Voilà, les vingt-sept chefs d'Etat ont rendez-vous ce soir à Bruxelles pour accorder leurs violons sur ce qu'ils vont demander au G20 de Pittsburgh, est-ce que tout le monde va mettre ses pas dans les pas du couple Sarkozy-Merkel, c'est ça l'idée ?
 
Eh bien, écoutez, je le souhaite, d'ailleurs c'est un couple élargi d'ailleurs à G. Brown, parce que ce qu'il y a de bien c'est que les idées françaises, comme l'année dernière au beau milieu de la crise, les idées de régulation sont reprises, sont partagées par nos partenaires allemands, sont ensuite partagés par les Européens et c'est tous ensemble que nous pouvons faire ensuite bouger la gouvernance mondiale. Je rappelle que tout cet exercice de G20 c'est quand même une idée française au départ, c'est N. Sarkozy... mais non c'est fondamental, on avait avant un G8 où il n'y avait pas les grandes puissances émergentes, Sarkozy qui a inventé le G20 ; Washington, Londres, aujourd'hui Pittsburgh, la régulation des paradis fiscaux ça a été obtenu dans le cadre du G20 et aujourd'hui il est question de réguler la rémunération, c'est-à-dire les bonus, mais aussi la transparence...
 
C. Roux : Mais il a déjà lâché sur le plafonnement des bonus N. Sarkozy.
 
Non, il n'a rien lâché... Alors là, franchement, je n'ai pas eu l'impression hier matin en Conseil des ministres, qu'il avait lâché sur quoi que ce soit...
 
C. Roux : Sur le plafonnement des bonus.
 
Au contraire, il est très très déterminé et je crois que l'Europe le sera aussi et c'est une bonne chose. Nous travaillons aussi à la transparence, c'est-à-dire aux ratios des fonds propres des banques par rapport à leurs expositions, les agences de notation. Bref ! Nous sommes en train d'essayer de bâtir à la sortie de cette crise un monde qui sera régulé, c'est la dérégulation et la cupidité qui ont amené le monde à l'effondrement économique et financier.
 
C. Roux : Et à la sortie de cette interview je vous propose le « J'aime, j'aime pas » ; vous allez nous dire si vous aimez ou si vous n'aimez pas R. Dati qui est déjà candidate aux législatives à Paris.
 
J'aime R. Dati !
 
M. Biraben : Et qu'elle soit déjà candidate...
 
C. Roux : Candidate aux législatives ?!
 
Oh mais c'est son droit d'être candidate, c'est son droit...
 
C. Roux : Elle est attendue à Paris...
 
Elle sera peut-être élue sénateur l'année précédente d'ailleurs, on va voir.
 
C. Roux : Elle n'a pas dit qu'elle était candidate pour le Sénat.
 
M. Biraben : Pas encore. C. Roux : « J'aime, j'aime pas » D. de Villepin surveillé.
 
M. Biraben : Il dit qu'il a été suivi...
 
Par qui ?
 
M. Biraben : Par des plaques d'immatriculation qui se sont révélées être des Renseignements généraux, ce qu'ils démentent...
 
Ce n'est pas bien d'être surveillé.
 
M. Biraben : Ce qu'ils démentent et ils disent que c'est une doublette, dans le jargon ça veut dire...
 
Non, non, ce n'est pas bien d'être surveillé.
 
M. Biraben : Ça vous fait rigoler !
 
Non, ça ne me fait pas rigoler, mais je pense que tout ça fait partie du travail médiatique avant le procès. Voilà, je n'ai pas de commentaire supplémentaire.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 septembre 2009