Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'Ecologie, à France-Info le 22 septembre 2009, sur les enjeux et la préparation du sommet de Copenhague et la taxe carbone.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- Bonjour C. Jouanno, merci d'être en direct avec nous ce matin sur France Info. D'après vous, est-ce que la monde a les capacité, est capable en fait de créer finalement un thermomètre commun pour arriver à sauver le planète ?
 
Ce qui se joue aujourd'hui c'est effectivement historique, enfin, c'est déterminant ! La question du climat, peut-être qu'il faut reposer les enjeux, effectivement, c'est d'éviter un réchauffement climatique qui ne dépasse deux degrés d'ici la fin du siècle. Parce qu'aujourd'hui, on est sur les pires perspectives, à savoir plus 5 degrés et c'est très exactement la différence de température qui nous sépare de l'air glaciaire. C'était moins cinq degrés en moyenne. Donc, on voit qu'il y a quand même un enjeu majeur pour nos propres enfants, ce n'est même plus nos petits enfants, maintenant, ce sont nos enfants.
 
On avait fait beaucoup de pas en avant à Kyoto. Aujourd'hui, on est dans l'après Kyoto, on est avant Copenhague, ce sommet au mois de décembre qui doit justement essayer de construire la suite. Vous pensez réellement qu'on a des chances d'y parvenir aujourd'hui ? Parce qu'on a, d'un côté, les pays en développement, de l'autre, les pays industrialisés. Visiblement, c'est difficile de faire accorder les violons.
 
C'est clair, il ne faut pas mentir, les négociations ont piétiné ces derniers mois avec des oppositions entre les pays. Maintenant, il y a quand même des points positifs. D'une part, les grands pays ont reconnu la nécessité de limiter à deux degrés le réchauffement climatique. C'est la première fois. D'autre part, on a les Etats-Unis avec B. Obama, qui est quand même décidé à faire quelque chose, même s'il a des difficultés internes. Ensuite, on a la Chine qui devrait aujourd'hui faire des déclarations sur ses propres engagements. Alors est-ce qu'elle va prendre des engagements chiffrés ?
 
On annonce des mesures phares !
 
On annonce des mesures phares. Après, il y a le Japon, qui a profondément changé de politique et qui est vraiment déterminé aussi à faire des efforts dans ce domaine. Donc, il y a quand même des éléments positifs. Maintenant, il ne faut pas se voiler la face. Les pays en voie de développement demandent aux pays en développement de reconnaître leurs responsabilités.
 
Mais c'est vrai que pour l'instant, on est dans les déclarations de bonnes intentions. B. Obama dit lui vouloir réduire de 17 % par rapport à ce qui se fait aujourd'hui les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020. C'est très bien sur le papier, mais quand est-ce que cela va entrer en vigueur réellement ? Quand est-ce qu'il va y avoir du concret et que tout le monde sera d'accord sur finalement des données chiffrées ?
 
C'est l'objectif normalement de Copenhague, sachant que là, effectivement, nous notre position c'est qu'il faut au minimum pour les grands pays développés réduire de 25 à 40 % leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020.
 
Moins 40 pour la France déjà. Cela c'est une manière de montrer le chemin d'ici 2020 ?
 
Pour l'instant, on est à moins 22 moins 23 par rapport à ce qu'on a fait dans le cadre du Grenelle. Il faut que ce soit un accord global européen. Cela n'aurait pas beaucoup de sens de faire un accord purement français. Il est clair que les Etats-Unis sont le premier émetteur de gaz à effet de serre avec la Chine. Les deux représentent 40 % de gaz à effet de serre. C'est sûr que si on n'a pas un accord de ces pays...
 
Cela ne vaut rien !
 
"Ça ne vaut rien ?!" Il en reste 60 % mais la partie va être très compliquée.
 
C'est une goutte d'eau dans la mer, finalement.
 
La partie sera beaucoup plus compliquée. Mais il y a quand même une très forte mobilisation. J.-L. Borloo est effectivement depuis lundi sur le forum des principaux pays qui polluent ; il y a l'assemblée générale des Nations unies, il y a eu la réunion des petits Etats - des îles, puisqu'elles sont les premières victimes. Et puis il va y avoir ensuite le G20. On a quand même un tunnel de négociations important. C'est là où tout se joue et, vraiment, on ne peut pas rater Copenhague.
 
Mais tout est imbriqué. On voit bien que si les pays en développement ne s'engagent pas, les Etats-Unis ne vont pas signer et, inversement, sans aides financières, les pays en développement eux refusent d'avancer aussi.
 
Nous notre position elle est très claire : la position européenne c'est l'Europe s'engage, ensuite l'Europe s'engage à financer aussi - on a annoncé des chiffres de 100 milliards d'euros par an d'ici 2020 pour financer et - les mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et puis pour surtout adapter les pays qui vont en être victimes. On pense surtout aux pays africains. Donc pour nous c'est très clair : il ne s'agit pas d'attendre que les autres fassent. On a mis nos propositions sur la table.
 
T. Blair est aussi sur place à New York. Il dit que les réductions de CO² ont une incidence directe sur le produit intérieur brut et que le système est générateur d'emplois. C'est quelque chose qui peut éventuellement motiver certains pays ?
 
C'est clair que le système est générateur d'emplois. D'ailleurs, en fait c'est le fait de ne rien faire, de laisser le réchauffement climatique, qui va coûter cher à l'ensemble des pays. Cela peut coûter jusqu'à 20 % du PIB. D'ailleurs, la Chine ne s'y trompe pas, ils sont en train d'investir massivement dans cette croissance verte parce qu'ils savent très bien que le modèle économique d'hier est complètement dépassé et que celui de demain sera forcément, entre guillemets, "sans carbone".
 
Puisque vous parlez de croissance verte, la taxe carbone fait toujours aussi peu d'adeptes en France, en tout cas dans les différents sondages. Vous dites qu'on s'engage à long terme, si j'ai bien lu vos récentes déclarations, pour l'augmenter à 100 euros la tonne de CO2. C'est très bien comme objectif chiffré, mais peut-on vraiment s'engager pour les gouvernements qui vont venir d'ici 2030 ?
 
Deux points. La taxe carbone, il faut qu'on continue la pédagogie pour répéter aux Français qu'elle est 100 % restituée. Ce n'est pas quelque chose qui va aller dans les caisses de Bercy ; c'est fait pour changer les comportements. Et effectivement, pour que cela marche, il faut clairement dire aux Français, attention, il faut changer vos comportements parce que les prix de l'énergie vont être de plus en plus chers. Mais les gouvernements suivants, s'ils ne font pas cela, franchement, c'est qu'ils ne méritent pas d'être à leur place parce que ce sont nos propres enfants dont on essaie de déterminer l'avenir. Vous imaginez ce qui va se passer, si nous, la France, "on attend que le train passe", entre guillemets, et qu'on n'engage pas notre pays dans cette révolution, qu'on n'engage pas notre pays dans cette décroissance de besoin en pétrole ? Objectivement, je ne vois pas comment ils pourraient faire. Les Français sont quand même très demandeurs, qu'on leur donne un avenir qui soit clair, un avenir qui soit écologique. Ils ne sont pas fous les Français.
 
Le bonus-malus : en ce moment, visiblement, ça tiraille pas mal avec Bercy. Le système est victime de son succès ; il faut baisser les bonus, c'est ce que dit en tout cas le ministre. Vous trouvez cela normal, vous ?
 
L'engagement était très clair sur le bonus-malus. On veut un système qui se durcisse progressivement. Donc, pour bénéficier du bonus, au fur et à mesure, on baisse de 5 grammes les exigences. Et puis, idem, le malus est de plus en plus contraignant. Donc ça c'était prévu dès le départ, le fait de dire que tous les deux ans...
 
Parce que ça coûte cher pour l'instant.
 
Ce n'est pas un problème de coûter cher. C'est que si l'on veut que ça marche.
 
C'est visiblement un problème pour E. Woerth qui gère le budget.
 
C'est sans doute son problème à lui mais de toute façon, dès le départ, dans le domaine qui est le nôtre, il était clair qu'il faut durcir le dispositif pour qu'il soit efficace. Ce n'est pas une prime à l"'achat de véhicule, c'est une prime au développement des véhicules "propres" - entre guillemets -, parce que des véhicules propres, ça n'existe pas.
 
Les Verts, visiblement, ont le sentiment que tous les partis se peignent en vert en ce moment. C'est la drague côté écolo. C. Duflot dit même que pour l'instant, les preuves d'amour manquent de la part du Gouvernement. Vous avez une preuve d'amour à lui donner ce matin ?
 
On n'a pas besoin de faire des grandes déclarations d'amour, nous on est dans les actes. Donc depuis 2007, le Grenelle de l'Environnement, voilà. On est juste dans les actes. Donc on ne va pas faire des déclarations d'amour aux verts. Soit ils se retrouvent dans ce qu'on dit, et dans ce qu'on fait surtout d'ailleurs. Les autres en parlent beaucoup et en font peut-être moins. Mais soit ils se retrouvent dans ce qu'on fait, soit ils ne s'y retrouvent pas. Voilà, je n'ai pas besoin de faire des déclarations d'amour à C. Duflot. Soit, effectivement, ça lui plait soit ça ne lui plait pas.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 septembre 2009