Déclaration de M. Hervé Morin, ministre de la défense, sur les progrès de l'Europe de la Défense, à Paris le 24 septembre 2009.

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Circonstance : Ouverture du colloque « Les nécessaires progrès de l'Europe de la défense » organisé par la fondation Robert Schumann, à Paris le 24 septembre 2009

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Nous sommes à quelques jours du vote irlandais et, espérons-le, d'une ratification du traité de Lisbonne.
Les querelles de spécialistes sur l'avenir du projet européen ont laissé des traces dans les opinions publiques. La tentation est grande de céder au scepticisme et de stigmatiser une Europe passive, simple zone de libre échange, sans volonté et sans moyens d'agir. La tentation est grande de ne voir dans la construction de l'Europe de la défense, au mieux, qu'un acte de foi, au pire, qu'une incantation rituelle ou une fantaisie coûteuse.
Ce n'est pas l'idée que je me fais du projet européen.
Je sais bien qu'ici, souvent, nos lenteurs exaspèrent. Mais ailleurs, de l'ASEAN au Mercosur, nos succès forcent l'admiration. Dans tous mes déplacements, sur tous les continents, je constate la demande d'une Europe politique forte, d'une Europe capable d'être un partenaire crédible et de faire prévaloir ses valeurs de liberté, de démocratie et de paix.
Ma conviction, c'est que seule la construction d'une Europe politique, dotée de tous les attributs de la puissance, et en premier lieu d'une politique européenne de sécurité et de défense crédible, peut permettre à notre continent de continuer à peser sur les affaires du monde.
L'Europe de la défense est peut-être un acte de foi, mais c'est un acte de foi plus que jamais nécessaire.
- Nécessaire parce que les risques et les menaces auxquels nous sommes confrontés collectivement, le long de cet arc de crise qui s'étend désormais de la Mauritanie à l'Afghanistan, appellent des réponses à l'échelle européenne ;
- Nécessaire aussi parce que la crise doit encourager les Européens à dépenser mieux, et donc à mettre davantage leurs moyens en commun.
1. Pour avancer dans la construction de l'Europe de la défense, nous avons aujourd'hui toutes les cartes en main.
La France a repris toute sa place au sein de l'OTAN. Grâce à la décision du Président de la République, les choses sont claires. Nos engagements au sein de l'Union européenne et dans l'Alliance atlantique sont complémentaires. Le projet européen peut enfin continuer à avancer, sans querelles byzantines, sans être suspecté en permanence de fragiliser le lien transatlantique.
Davantage de France dans l'OTAN, c'est aussi davantage d'Europe dans l'OTAN. C'est donc une relation plus équilibrée entre Alliés européens et Américains au sein de l'Alliance Atlantique.
Ne l'oublions pas, comme nos grands partenaires européens, nos soldats engagés en opération extérieure le sont aujourd'hui dans le cadre de l'OTAN, de l'Union européenne ou dans un cadre national. La présence de plus de 30 000 militaires européens en Afghanistan témoigne de notre engagement aux côtés de nos Alliés américains, mais aussi de la capacité de nos forces à agir, quel que soit le cadre institutionnel d'emploi, dans des conditions exigeantes.
En moins de dix ans, en effet, la Politique Européenne de Sécurité et de Défense est devenue une réalité sur le terrain.
Depuis 2002, grâce à l'engagement constant de notre pays, dans les Balkans, en Afrique, en Asie, au Proche-Orient, dans le Caucase ou dans l'Océan Indien, plus de 20 opérations civiles et militaires ont été déployées. En moins de 10 ans, 67 000 femmes et hommes venus de toute l'Union européenne ont été déployés au service de la paix et de la sécurité internationale.
L'Europe de la défense n'est plus une vision française, mais bien celle de tous les Européens :
- Des Britanniques commandent l'opération Atalante ;
- Des Irlandais ont commandé l'opération EUFOR au Tchad-RCA ;
- Des Polonais ont apporté une forte contribution à cette opération en Afrique ;
- Un général suédois présidera dans quelques semaines le Comité militaire de l'UE...
Tous tirent de cette responsabilité partagée une légitime fierté.
Le savoir-faire européen, c'est enfin une capacité unique de réponse globale face à une crise : militaire, bien sûr, mais aussi économique, financière, diplomatique et humanitaire
Avec 49 milliards d'euros consacrés à l'aide extérieure pour la période 2007-2013 et un budget PESC qui avoisinera les 5 milliards d'euros, l'Union européenne dispose d'une force de frappe considérable pour appuyer sa diplomatie et ses efforts militaires par ce qu'il est convenu d'appeler le « soft power ». Pour paraphraser un auteur qui eut son heure de gloire, l'Europe de la défense, c'est Mars et Vénus.
Au Tchad-RCA, l'intervention européenne nous a permis pour la première fois d'associer aux moyens militaires de l'EUFOR les moyens de la Commission européenne pour assister les réfugiés, réinstaller les populations déplacées et réhabiliter les infrastructures d'accueil.
La mission EULEX, au Kosovo, a montré la capacité de l'Union européenne à prendre la relève des Nations Unies et à accompagner la mise en place de l'ensemble des institutions nécessaires au fonctionnement de ce nouvel Etat.
En Somalie, nous voyons bien que combattre la piraterie implique aussi que soit rétablie l'autorité du gouvernement légal sur son territoire. C'est un engagement qui suppose l'effort de tous. Ce sera l'un des mes objectifs pour la réunion des ministres de la défense de l'Union européenne, à Göteborg.
La Somalie est un cas d'école. Pour la première fois, les Européens ont accepté de se mobiliser pour une opération qui ne relève pas du traditionnel maintien de la paix. Lutter contre la piraterie qui menace nos navires et finance le terrorisme, c'est bien assurer la protection de nos concitoyens. Les Européens ont des intérêts de sécurité communs. Ils peuvent et doivent les défendre ensemble.
L'opération Atalante, fruit d'une initiative franco-espagnole est un succès :
- En un an, les forces européennes sont intervenues dans 200 attaques de piraterie contre des navires marchands, ce qui a permis d'arrêter 68 pirates.
- Elles ont escorté plus de 40 bateaux du Programme alimentaire mondial, permettant ainsi de livrer 277 000 tonnes de nourriture à la Somalie et de nourrir plus de 1,5 million de Somaliens chaque jour.
Le Traité de Lisbonne, qui je l'espère sera bientôt ratifié, consacre cette vocation de l'Union à défendre ses intérêts communs, à travers le devoir d'assistance mutuelle (art 42) et la clause de solidarité (art 222). C'est un pas symbolique mais important, pour une Union européenne qui, il y a moins de 20 ans, rappelez vous de Maastricht, ne savait pas si la défense faisait partie de son être ou de son développement.
2. Pour faire avancer l'Europe de la défense, nous avons cinq grands chantiers à mener de front.
Le premier, c'est celui du renforcement de nos capacités militaires.
Pendant la Présidence Française, les membres de l'Union européenne se sont engagés à renforcer leurs capacités pour être en mesure de mener des missions et des opérations de plus en plus ambitieuses.
Plusieurs projets concrets ont été lancés. Il faut désormais les faire aboutir :
- Dans le domaine de la projection de forces, nous avons créé une flotte multinationale de transport aérien stratégique, constitué un groupe aéronaval européen et modernisé la flotte d'hélicoptères européens.
- En matière de protection, nous avons lancé un programme de déminage maritime, ainsi que la création d'un réseau de surveillance maritime.
- Dans le domaine du renseignement, nous développons ensemble une nouvelle génération de satellites d'observation, avec le programme MUSIS.
Deuxième chantier : l'emploi et le commandement de nos moyens militaires.
Avec le Corps européen, l'EUROFOR ou plus récemment les groupements tactiques de 1500 hommes, nous avons créé des Etats-majors de forces européens, des forces multinationales.
Il n'est pas acceptable que ces forces armées formées, équipées, entraînées, financées, constituées d'officiers et de soldats motivés, restent le plus souvent l'arme au pied dans leur caserne.
Pour commander les opérations de l'Union, je reste persuadé qu'une capacité européenne de planification et de commandement des opérations reste nécessaire. Comment voulez-vous pouvoir réagir rapidement s'il faut construire de toutes pièces, à chaque opération, un état-major européen ? Pour le démonter sitôt l'opération achevée ! La mise en place de cette capacité a longtemps été hypothéquée par les craintes liées à a position française au sein de l'OTAN. Ce débat est désormais derrière nous. Les Américains n'y sont plus opposés. Nous devons aller de l'avant.
Il nous faut également avancer sur la question d'un financement plus solidaire des opérations, permettant un juste partage des coûts et une décision d'action plus rapide.
Notre troisième chantier, c'est encourager l'émergence d'une véritable culture européenne commune.
C'est dans cet esprit que j'ai lancé sous notre Présidence le projet d'ERASMUS militaire. Plusieurs centaines de jeunes officiers européens en bénéficieront chaque année.
Nous devons aussi explorer des pistes de formation communes avec nos partenaires, qu'il s'agisse de l'entraînement à la mer ou de l'entraînement de nos pilotes. Je pense notamment au site de Cazaux, qui a tous les atouts pour devenir un pôle européen majeur de formation des pilotes de chasse.
L'arrivée prochaine de l'A400 M dans nos Armées doit nous permettre également de mettre en place des formations communes avec nos partenaires, comme nous l'avons fait autour de l'hélicoptère « Tigre ».
Notre quatrième chantier, c'est l'édification de l'Europe de l'armement. L'Europe de la défense ne se fera pas sans une base industrielle et technologique solide et compétitive. C'est une nécessité stratégique. C'est aussi une exigence économique, si nous voulons préserver les compétences industrielles européennes.
La réunion que j'ai présidée au Castellet, le 24 juillet dernier, a permis de relancer le programme A 400 M. Elle me confirme dans la conviction que l'Europe de l'armement ne peut pas se priver d'un engagement fort des gouvernements.
- Nous devons continuer à favoriser l'ouverture des marchés nationaux. Les directives que nous avons fait adopter sous PFUE sur les marchés publics et les transferts intra-communautaires sont une première étape dans cette voie.
- Nous devons surtout identifier de nouveaux programmes en coopération susceptibles de favoriser les alliances industrielles et les regroupements d'activités au niveau européen. C'est pourquoi nous devons utiliser davantage la commande publique pour favoriser la mise en place de leaders européens, dans le domaine naval comme dans celui des armements terrestres.
- Nous devons réserver un pourcentage de nos dépenses de recherche et technologie à ces programmes européens.
Nous comptons sur l'Agence européenne de défense pour mener à bien les programmes que nous lui avons confiés sous la PFUE, qu'il s'agisse de MUSIS, des hélicoptères lourds, des drones ou de la surveillance maritime.
En novembre dernier, nous avons lancé le rapprochement entre l'AED et l'OCCAr. Il permettra de renforcer la cohérence entre la conception et la conduite de ces programmes en coopération.
Enfin, dernier défi à relever : celui du leadership européen en matière de défense.
Le Traité de Lisbonne doit nous permettre d'améliorer la conduite des affaires étrangères de l'Union, avec une présidence stable du Conseil européen, capable de donner l'impulsion et de garantir la continuité des travaux.
Un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité/vice-président de la Commission sera gage de cohérence de l'action extérieure de l'UE, aujourd'hui handicapée par un découpage entre action intergouvernementale et communautaire.
Dans la mise en place de ce leadership européen, les ministres de la défense doivent aussi avoir toute leur place. Aujourd'hui, la PESD ne peut plus être pilotée avec des ministres de la défense qui se voient pour solde de tout compte, deux fois par semestre, à échéances fixes, dont une réunion informelle - donc en principe non décisionnelle...
Mesdames, Messieurs,
L'Europe est forte quand elle prend l'initiative, comme nous l'avons vu en Géorgie en juillet 2008.
Prendre l'initiative toujours et encore, faire preuve d'audace et d'imagination, tel est le défi que nous devons relever ensemble.
Je vous remercie.


source http://www.defense.gouv.fr, le 29 septembre 2009