Texte intégral
Monsieur le Président de la Fondation Robert Schuman, Cher Jean-Dominique,
Monsieur le Directeur général de l'Institut Constantin Karamanlis pour la Démocratie,
Monsieur le Directeur du Centre d'Etudes européennes,
Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames et Messieurs,
Mes Chers Amis,
Je suis heureux et honoré d'être parmi vous aujourd'hui pour conclure ce colloque sur "les nécessaires progrès de l'Europe de la défense", ouvert ce matin par mon ami Hervé Morin, ministre de la Défense.
Beaucoup d'entre vous dans cette salle connaissent mon tropisme pour les questions de défense et de géopolitique depuis de longues années.
Vous ne serez pas surpris que le thème de la défense figure désormais au coeur des attributions du secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, du moins tel que je conçois ce poste, en accord avec le président de la République, le Premier ministre et mes collègues Bernard Kouchner et Hervé Morin. Pour marquer cet intérêt, j'ai nommé un conseiller militaire au sein de mon cabinet.
La capacité de l'Europe à exister sur la scène internationale passe aussi - voire surtout - par la relance de la Politique européenne de Sécurité et de Défense. Elle est pour moi un axe stratégique du projet européen pour les années à venir.
En faisant de la défense européenne un des mes grands axes d'action, j'ai conscience de m'inscrire totalement dans la vision ambitieuse et volontariste du président de la République.
Nous sommes aujourd'hui, en cette fin d'année 2009, à un tournant décisif : nous allons changer d'époque. Le XXIe siècle commence aujourd'hui. Le XXe siècle s'était achevé un peu avant l'heure, en 1989, avec la chute du Mur de Berlin dont nous célébrerons, dans quelques semaines, le 20ème anniversaire, avec l'écroulement du système communiste en Europe centrale et orientale, puis la disparition de l'URSS elle-même en 1991.
Les vingt années qui nous séparent de 1989 ont été, effectivement, des années de transition, qui ont vu, immense succès, la réunification dans la paix de l'Allemagne et de l'ensemble du continent. Qui aurait pu prévoir, il y a seulement 20 ans, que l'Union soviétique s'effondrerait sans un coup de feu, et que les anciens satellites de ce que l'on nommait à l'époque le "glacis soviétique" nous rejoindraient au sein de la famille européenne, pour être aujourd'hui nos partenaires et nos alliés au sein de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique ?
Cette réunification du continent est aujourd'hui quasiment achevée, après les élargissements de 2004 et de 2007, même si le travail de stabilisation des Balkans reste à parfaire.
Une nouvelle ère s'ouvre donc aujourd'hui. La question que, nous autres Européens, devons nous poser est de savoir si nous serons simplement spectateurs de l'histoire du XXIe siècle, ou si nous voulons en être les co-batisseurs.
Cette question, l'Amérique nous la pose : à la fin du mois de juillet dernier, à Washington, le président Obama, alors qu'il recevait plus de 150 dirigeants chinois venus assister à la 1ère réunion du dialogue économique et stratégique entre les deux pays, a qualifié la relation bilatérale avec la Chine de "peut-être la plus importante au monde" et prédit que le XXIe siècle serait sino-américain. Serions-nous donc condamnés à passer après cette courte transition que j'évoquais, du condominium soviéto-américain qui a marqué toute la seconde moitié du XXe siècle, au fameux G2 sino-américain que l'on nous annonce pour le XXIe siècle ?
Cette question, la crise nous la pose également. Elle nous oblige à regarder la réalité en face, à "penser fort" et sans tabou, à sortir du politiquement correct. La hiérarchie des puissances, comme l'a dit justement le président de la République, ne sera pas la même à la sortie de la crise. Certains pôles de puissance se sont affaiblis, d'autres se sont affirmés - au premier rang desquels l'Europe. Les règles du jeu international vont-elles aussi évoluer, comme en témoigne aujourd'hui même le Sommet de Pittsburgh.
Ne nous laissons donc pas inhiber lorsqu'il s'agit, par exemple, de défendre le respect des normes sociales et environnementales qui doivent être envisagées sur un pied d'égalité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce.
Je mesure, bien sûr, à quel point tout cela peut paraître surprenant tant l'euro-scepticisme est grand. Il est vrai que jusqu'à une date récente, l'Europe ne nous avait pas habitués à la voir prendre à bras le corps les grands problèmes du monde, toute concentrée qu'elle était sur ses problèmes institutionnels, quand elle ne se préoccupait pas de légiférer, de manière parfois étrange, sur le hamster alsacien ou le vin rosé... Rongée par l'euro-scepticisme, l'Europe, qui s'était divisée sur l'Irak, a toujours, 10 ans après les objectifs de forces proclamés à Helsinki, une politique de défense qui reste faible (une fraction de l'effort de défense des Etats-Unis d'Amérique). Quant aux opinions publiques, elles sont dans une proportion importante détournées de l'idée européenne. Je vais vous faire une confidence : quand je me rase le matin, pour reprendre une expression désormais célèbre, je pense naturellement aux 60 % d'électeurs français et allemands qui ne sont pas allés voter aux élections de juin dernier 60 %, c'est-à-dire 50 % d'abstentionnistes en plus par rapport à il y a 30 ans lors des premières élections au Parlement européen.
Et pourtant, plusieurs développements récents doivent nous amener à regarder l'avenir avec espoir et volonté.
La crise, qui doit aussi être vue comme une opportunité, oblige l'Europe à regarder autre chose que ses institutions, à regarder le nouveau monde en face, en un mot à agir et ce faisant, à redonner à ses 500 millions de citoyens l'envie d'un grand projet commun.
Nous allons pouvoir, dans ce nouveau contexte, refaire de la politique en Europe et nous concentrer sur les sujets qui préoccupent nos concitoyens et qui ont une incidence directe sur leur vie quotidienne : la sortie de crise ; l'énergie ; l'environnement et le climat ; l'immigration et bien sûr, la sécurité et la défense.
Mesdames et Messieurs,
Je vous le dirai d'emblée : mon discours sur ce dernier sujet sera celui de la vérité. Comme le disait le général de Gaulle : "il ne suffit pas de dire Europe, Europe en sautant comme un cabri !". Je vous propose de regarder la réalité en face, sans se masquer ni les succès, ni les insuffisances, ni les difficultés de l'entreprise.
Les progrès de l'Europe de la Défense
Quelle est la situation de l'Europe de la Défense en cette fin 2009 ?
Premier constat : les institutions fonctionnent.
La Politique européenne de sécurité et de défense, née à Helsinki en 1999, un an après Saint-Malo - et qui deviendra bientôt, avec l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la Politique de sécurité et de défense commune - est en train de revenir au coeur de l'agenda politique de l'Union européenne. Après une Présidence française qui a donné un nouvel élan à l'Europe de la Défense, la future Présidence espagnole a d'ores et déjà annoncé sa volonté de continuer sur cette voie dès janvier prochain.
Je le constate chaque semaine au cours de mes entretiens dans les différentes capitales européennes : d'autres pays, instruits par l'Histoire récente, s'en rapprochent. Je pense entre autres au Royaume-Uni, mais aussi à la Pologne.
Nous avons la "boîte à outils" : Comité politique et de sécurité, Comité militaire, Centre de situation, Etat-major de l'Union européenne, Agence européenne de défense.
Grâce aux progrès accomplis pendant la Présidence française, l'Union européenne a renforcé sa capacité de planification avec la création (prévue cette année) de la Direction de planification stratégique civile et militaire (Crisis Management Planning Directorate). Elle est la seule organisation à disposer d'une structure civilo-militaire de ce type.
J'insiste, cette création n'est pas encore entrée dans les faits ; il me paraît indispensable que le CMPD soit fonctionnel au premier jour de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. L'Europe sera alors la seule organisation à disposer d'une structure civilo-militaire de ce type.
En deuxième lieu le bilan n'est pas négligeable en terme d'actions.
En 10 ans, quelques 23 opérations civiles et militaires ont été menées dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, dans l'Océan indien.
En 10 ans, ce sont 67.000 Européens, hommes et femmes, qui ont été engagés dans ces 23 opérations civiles et militaires souvent lointaines.
L'Union européenne est aujourd'hui la seule organisation qui ait à sa disposition une panoplie d'outils, économiques, diplomatiques et militaires, qu'elle peut utiliser de manière combinée dans la résolution des crises. Moi qui ai beaucoup travaillé, notamment sur l'Afghanistan, je peux vous dire à quel point cette combinaison de moyens est essentielle.
L'Europe de la Défense, je l'ai souvent constaté, progresse souvent bien plus grâce aux opérations que par les réformes institutionnelles.
Regardez ce qui s'est passé il y a dix ans dans les Balkans et la prise de conscience qui a permis la naissance de la PESD.
En Géorgie, il y a un an, l'engagement du président de la République a permis de lancer une opération purement européenne, la seule possible dans ces circonstances.
Dans le golfe d'Aden et dans l'Océan indien, l'opération Atalante, première opération navale de l'Union, est une réussite, alors que l'opération Ocean Shield de l'OTAN a des difficultés pour mobiliser plus de deux bâtiments. L'Europe joue un rôle majeur en assurant la libre circulation dans cette zone vitale pour nos approvisionnements.
Le nouveau commandant suprême des Forces alliées en Europe (SACEUR), l'amiral Stavridis, l'a bien compris, qui parle désormais d'opérations de l'Otan qui seraient en complément d'Atalante.
Lorsque la volonté existe, lorsque l'Europe est dirigée, la PESD avance.
Ce sont les opérations qui tirent l'Europe de la Défense vers le haut. C'est en travaillant ensemble que nos armées améliorent leur interopérabilité et leurs capacités et développent une doctrine commune. En agissant ensemble, les Etats membres cristallisent peu à peu leurs intérêts communs de sécurité et tout cela va dans le bon sens.
Ces opérations donnent une lisibilité à l'Europe sur la scène internationale et une pertinence à sa politique étrangère.
L'opération EULEX au Kosovo, la plus importante opération civile de l'Union, fait un travail remarquable pour contribuer à bâtir un Etat de droit dans cette partie de l'Europe où est née la défense européenne.
Ceci posé, il faut rester lucide sur le chemin qui reste à parcourir en matière de défense européenne.
Les lacunes de la défense européenne doivent être regardées avec lucidité et courage
- D'abord, les budgets ne sont pas à la hauteur des enjeux.
L'addition des budgets de défense des 27 Etats membres de l'Union européenne, dont le PIB cumulé est pourtant supérieur à celui des Etats-Unis, représente à peine la moitié du budget du Pentagone. Et au sein de l'Union, la situation est très hétérogène : la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne représentent les deux tiers de l'effort de défense total alors que la France et le Royaume-Uni à eux deux "pèsent" 40 % de l'effort de défense des 27.
Avec la crise, la relance de l'Europe de la Défense par le levier budgétaire peut sembler illusoire à certains. Je constate cependant qu'en France l'effort budgétaire décidé par le gouvernement n'est pas remis en cause et que le plan de relance bénéfice aussi à la Défense.
- Il est indispensable de renforcer nos capacités militaires.
Le différentiel avec les Etats-Unis, que j'évoquais à l'instant s'agissant des budgets de défense, est encore plus frappant lorsque l'on regarde les capacités, et en particulier les capacités de projection sur des théâtres extérieurs, où l'Union européenne dans son ensemble est capable d'aligner à peine 10 % des capacités militaires américaines.
Comme le disait le président de la République devant nos ambassadeurs le mois dernier : "L'Europe doit renforcer ses capacités militaires parce que l'Europe n'est pas une immense Croix Rouge !", l'Europe, en effet, "n'est pas une immense ONG".
- Or il n'y a pas de capacités sans programmes d'armement :
Et la situation, sur ce plan, est là-aussi peu réjouissante.
- Alors que les Etats-Unis investissent trois fois plus que l'Union européenne dans les dépenses d'équipement et cinq fois plus dans la recherche,
- l'Europe éparpille ses moyens en développant 3 programmes d'avions de combat, 6 programmes de sous-marins, une vingtaine de programmes de blindés, au lieu de concentrer ses efforts.
Mesdames et Messieurs, disons-nous les choses : sans programmes de coopération, il n'y aura plus d'industrie de défense en Europe ; et sans industrie européenne d'armement autonome, il n'y aura pas d'Europe de la défense.
J'ai rencontré récemment les industriels de défense français : la vérité c'est qu'il n'y a plus aujourd'hui de grands projets en coopération, pourtant indispensables à la constitution et au maintien d'une base industrielle et technologique de défense européenne.
Nous sommes loin des années 70-80 qui ont vu naître les programmes du TRANSALL, du JAGUAR, des missiles HOT et MILAN et lancer les projets comme l'avion de transport A 400 M, les hélicoptères NH 90 ou TIGRE.
- Sur le plan des opérations, le bilan est encore limité :
Je vous ai dit que nous avions beaucoup progressé depuis Saint-Malo.
C'est vrai, mais beaucoup reste encore à faire. Nous sommes encore bien loin des objectifs de forces initiaux annoncés à Helsinki d'une force de projection de 60.000 hommes !
La réalité, c'est que les opérations actuellement menées par l'Union européenne sont le plus souvent à dominante civile et de faible ampleur au regard du discours et des ambitions affichées.
L'Union européenne n'a conduit que six opérations militaires en l'espace d'une dizaine d'années. Et souvenez-vous des difficultés que nous avons eues pour lancer par exemple l'opération EUFOR TCHAD ! Aujourd'hui, 6.500 hommes et femmes des 27 Etats membres sont engagés dans des opérations européennes, dont la moitié dans des opérations proprement militaires : ALTHEA en Bosnie et ATALANTE au large de la Somalie.
A la même date, comme vous le savez, la France, à elle seule, a pas moins de 9.700 soldats engagés dans une dizaine d'opérations extérieures...
Or l'Europe est un acteur international qui doit faire valoir ses intérêts propres et prendre ses responsabilités. L'Europe doit encore s'imposer.
Je pense en particulier à l'Afghanistan, où l'Europe apparaît divisée avec ses deux représentations : une pour le Conseil et une autre pour la Commission. Les moyens financiers, pourtant très importants, de la Commission sont dépensés sans visibilité, ni cohérence avec les Etats engagés sur le terrain, faute d'un pilotage politique au niveau de l'Union. De même nos contingents européens ont des règles d'engagement différentes et une coopération très limitée entre eux.
Je pense aussi à l'Afrique, où l'Europe a des responsabilités et des intérêts propres.
J'irai bientôt à Djibouti pour mobiliser nos partenaires européens. L'Europe doit s'engager dans la formation des forces de sécurité somaliennes à côté de nos soldats à Djibouti pour renforcer un gouvernement somalien fragile. L'opération Atalante ne pourra pas durer éternellement et chacun sait bien que la solution, à terme, est à terre. L'enjeu, c'est la prolifération du terrorisme dans la Corne de l'Afrique.
Aussi l'Europe doit-elle s'engager sans tarder dans la formation des gardes-côtes de la région qui puissent assurer la liberté de circulation dans l'Océan indien.
Les opérations permettent à l'Europe d'exercer concrètement ses responsabilités d'acteur international à part entière. On doit pouvoir agir ensemble quand nos intérêts sont communs sans compter sur d'autres.
- Enfin, dernière lacune, la coordination entre l'Union européenne et l'OTAN demeure insuffisante.
L'Union européenne et l'Alliance atlantique se côtoient à Bruxelles, mais ne travaillent pas suffisamment ensemble.
Or, vous le savez, 21 pays de l'Alliance atlantique sur 28 sont des Etats membres de l'Union européenne. La coordination dans les opérations, là où les deux organisations sont engagées côte à côte, laisse encore à désirer, en dépit des possibilités ouvertes par les accords dits "Berlin +".
La réalité, c'est que l'Union européenne ne s'est appuyée que deux fois, à ce jour, sur les moyens de l'Alliance, pour les opérations CONCORDIA dans l'Ancienne république yougoslave de Macédoine et ALTHEA en Bosnie-Herzégovine. Il lui manque encore une capacité efficace de planification et de gestion des crises.
Quelles perspectives ?
Il faut avancer.
Pour cela, il faudra une participation forte du Royaume-Uni et de l'Allemagne, mais aussi de l'Espagne, qui va assurer la prochaine Présidence de l'Union, de la Pologne, de la Grèce et de tous les Etats membres qui le souhaitent et qui le peuvent. C'est le message que je porte lors de mes visites en Europe. Mais pour faire avancer l'Europe avec nos partenaires, il faut changer de discours.
Nous devons d'abord lever les hypothèques et renforcer le lien UE-OTAN
Notre retour plein et entier dans les structures de l'Alliance a levé les ambiguïtés d'hier. Vous savez à quel point j'ai oeuvré en ce sens et j'ai soutenu le président de la République. Plus personne ne peut plus aujourd'hui nous faire le mauvais procès de vouloir faire la défense européenne contre l'OTAN. Je le constate à chacun de mes déplacements en Europe : cette hypothèque est désormais levée, ouvrant la voie à l'engagement européen de plusieurs partenaires importants, notamment en Europe centrale. Comme l'a rappelé le président la République "la France dans l'OTAN, c'est une Europe plus forte dans l'Alliance". Et quand on renforce la défense européenne, on renforce également l'OTAN.
L'Union européenne et l'OTAN sont complémentaires. Elles ne doivent pas être opposées parce que les capacités européennes contribuent à celles de l'OTAN et vice-versa. Il faut en finir avec ces débats idéologiques des deux côtés de l'Atlantique et faire preuve de pragmatisme. Nous avons tous besoin d'alliés qui soient forts.
Ceci étant, il faut aussi rénover l'OTAN. L'Alliance atlantique a été créée pour dissuader le Pacte de Varsovie : c'était l'époque des vingt divisions "de choc" soviétique massée en Allemagne de l'Est, et des scénarios d'escalade quasi-instantanée vers l'apocalypse nucléaire. Cette époque est désormais révolue, et l'OTAN a rempli son contrat en préservant la paix sur notre continent. Mais pour conduire les opérations d'aujourd'hui, l'OTAN doit se réformer encore davantage. Le constat fait en Afghanistan est clair. Nous avons besoin d'une OTAN renouvelée pour les crises du XXIe siècle. Je veux espérer que la définition d'un nouveau concept stratégique pour l'Alliance sera l'occasion d'une cure d'amaigrissement bureaucratique et d'un changement de culture : l'OTAN a t elle vraiment besoin des 2.700 officiers dans son QG de Kaboul ? Ces personnels ne seraient-ils pas plus utiles sur le terrain ?
La rénovation de l'OTAN doit être l'occasion de faire progresser l'Europe de la Défense. Une Europe de la Défense forte c'est une OTAN forte. Nous voulons les deux.
Là encore, je veux croire que le nouveau concept stratégique de l'Alliance devra refléter la nouvelle complémentarité des deux organisations. L'un des enjeux est de trouver les moyens d'un soutien mutuel en opérations, y compris dans le domaine civilo-militaire, sans s'arrêter aux blocages institutionnels actuels et sans répartition rigide des tâches.
La rénovation de l'Alliance, avec le rôle central assigné au Commandement suprême allié pour la Transformation (SAC-T) dans cette rénovation, constitue une opportunité que nous devons, nous Européens, saisir ensemble avec nos alliés américains. J'ai d'ailleurs reçu le général Abrial dès avant qu'il ne soit nommé à la tête d'AC-T et rencontré également la semaine dernière le nouveau SACEUR, l'Amiral Stavridis. J'ai pu constater, dans mes conversations avec eux, une grande convergence de vues.
Cette année sera décisive. C'est une chance pour l'Europe de la Défense.
La Présidence française de l'Union a fixé des pistes que nous devons poursuivre.
Plutôt que de se focaliser sur les institutions, il faut désormais agir sur les capacités. On ne gagne pas la guerre avec des comités.
Sans citer toutes les avancées de la Présidence française de l'Union, il s'agit surtout de :
- 1/ rechercher des synergies entre capacités militaires et civiles, en lançant des projets concrets et utiles, comme la mutualisation des fonctions de soutien des opérations.
- 2/ mettre en oeuvre dans les faits le niveau d'ambition retenu par les chefs d'Etat et de gouvernement en décembre 2008 : être capables, entre autres, de déployer 60.000 hommes en 60 jours en cas d'opération majeure et avoir la capacité à planifier et conduire simultanément deux opérations importantes de stabilisation et de reconstruction avec une composante civile pendant 2 ans.
- 3/ d'employer effectivement en opérations les GT 1500 comme force d'entrée en premier.
- 4/ de donner corps à la base industrielle et technologique et au marché européen des équipements de défense.
Cela implique de soutenir l'Agence européenne de Défense : il faut, certes, lui donner du temps. Cinq ans après sa création, la faiblesse des budgets des programmes de l'Agence illustre surtout l'absence de volonté politique des Etats.
Cela ne remet pas en cause la nécessité d'un marché de l'armement à l'échelle européenne, la réflexion sur les besoins capacitaires communs et la conduite en coopération de programmes de Recherche et Développement.
Cela implique aussi de relancer plus largement la coopération industrielle en Europe : la coopération, cela veut dire mettre en synergie les meilleures compétences pour mieux équiper nos armées. Cela veut dire à l'inverse, que nous devons résister au mauvais réflexe qui consiste, sous prétexte de programmes en coopération, à favoriser des stratégies nationales d'acquisition de nouvelles compétences selon une logique de juste retour, au détriment de la tenue des délais et des coûts.
Cela implique enfin, de réfléchir à la manière de favoriser le marché communautaire pour l'industrie de défense.
Le marché d'armement pris globalement est aujourd'hui avant tout américain : 120 milliards de dollars d'équipement dans un marché unique aux Etats-Unis alors que le marché européen représente 50 milliards d'euros plus ou moins émiettés entre 27 pays.
Nous avons besoin de règlements qui favorisent nos entreprises au sein de l'Union européenne par rapport aux entreprises d'Outre-atlantique ou d'ailleurs.
Nous avons déjà avancé cette année avec l'approbation du "paquet défense". Mais ne devons-nous pas poursuivre ces efforts et envisager en particulier que les dépenses de défense puissent bénéficier de financements communautaires en particulier pour la recherche et le développement ? Il faut ouvrir le débat sur la mutualisation de certaines dépenses liées à la sécurité commune dans le cadre des futures perspectives financières de l'Union.
- Nous devons aussi préparer l'Europe à assumer davantage ses responsabilités :
L'engagement américain sur le continent européen ne cesse de se réduire depuis la fin de la Guerre froide - la récente décision de la nouvelle administration américaine de renoncer à l'installation en Pologne et en République tchèque des bases américaines prévues dans le cadre du "bouclier anti-missiles" n'en étant que la dernière illustration. Cette tendance doit renforcer chez les Européens la volonté de combler leurs lacunes capacitaires, mais aussi de mieux coordonner leur vision stratégique. Certains pays de l'est de l'Europe - et je pense en particulier à la Pologne - en ont déjà fait part publiquement.
Il faut aussi réfléchir à une contribution européenne opérationnelle à la non-prolifération nucléaire, bactériologique et chimique, à la protection contre les conséquences possibles de programmes comme celui que développe l'Iran.
La nouvelle évaluation américaine de la menace iranienne est proche de la notre. Elle souligne que c'est bien la sécurité de l'Europe qui est en cause. Dans ce contexte, il importe aussi de travailler à un système d'alerte précoce commun.
Il faut, enfin, comme l'a proposé le président de la République à Cherbourg en mars 2008, "engager avec ceux des partenaires européens qui le souhaiteraient, un dialogue ouvert sur le rôle de la dissuasion et sa contribution à notre sécurité commune".
Plus généralement, le moment est venu, selon moi, d'aborder l'ensemble de ces questions de front à travers ce qui pourrait être un "Livre blanc sur la sécurité de l'Europe" : nos citoyens attendent de l'Europe qu'elle les protège face aux menaces, aux crises, à la prolifération et au terrorisme, mais aussi face aux pandémies et aux risques naturels.
Au moment où nous avons l'espoir de voir se mettre en place les institutions prévues par le Traité de Lisbonne, le moment est venu pour l'Europe de se soucier, enfin, de ce qui préoccupe ses habitants.
- Dernière perspective à plus court terme : le Traité de Lisbonne.
Il donnera à l'Europe la cohérence dont elle manque aujourd'hui pour agir.
Avec le Traité de Lisbonne, l'Europe verra sa capacité de décision et d'action facilitée. C'est l'enjeu des jours à venir et en particulier du référendum irlandais.
De nouvelles institutions seront créées : un Président du Conseil européen stable et, surtout, un Haut Représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, qui sera à la tête du Service européen pour l'Action extérieure, principale novation du traité.
Cette force de frappe diplomatique nouvelle sera le plus grand service diplomatique au monde. En la coordonnant avec l'aide au développement et les questions de sécurité, elle constituera un moyen essentiel pour affirmer l'existence de l'Europe sur la scène mondiale.
Nous travaillons d'ores et déjà, au Quai d'Orsay, à définir la nature, le périmètre et les missions de ce nouveau service, en étroite liaison avec nos partenaires. Nous examinerons, à l'issue du vote irlandais, les modalités de sa mise en oeuvre.
Il faut éviter un nouveau mécano institutionnel sans réelle plus-value décisionnelle. La France est résolument ambitieuse : ces institutions doivent permettre de faire avancer dans les faits l'Europe de la Défense. Car à quoi bon une diplomatie sans bras armé ?
Mesdames et Messieurs,
Vous l'avez compris la question fondamentale pour l'avenir de l'Europe de la Défense et de l'Europe en général est celle de la volonté politique.
Les leviers sont identifiés. Il faut maintenant une volonté politique forte et partagée. Car quand l'Europe veut, elle peut.
Regardez ce que l'Europe a permis de faire ces derniers mois ! Loin d'être remises en question par la crise, l'Union européenne et la zone euro se sont imposées comme un acteur marquant et un leader du système économique et financier mondial. La même chose vaut sur le climat.
La France entend jouer un rôle moteur pour, sur ce troisième volet qu'est la sécurité, construire une Europe capable d'assurer où elle le veut et quand elle veut ses responsabilités sur la scène internationale. Les mois qui viennent, c'est ma conviction, seront déterminants. La volonté existe du côté de la France. Nous espérons qu'elle sera entendue par ses principaux partenaires.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2009