Texte intégral
Chers amis,
Votre Président, M. Badel, vient d'exprimer des voeux dont je le remercie. Et puisqu'il les a placés sous le signe de Christophe, je serais tenté de poursuivre dans la même veine en rappelant cette robuste pensée d'Agénor Fenouillard qui disait doctement : "quand en se penche au-dessus d'un puits et qu'on perd l'équilibre, on tombe dedans".
De fait, un Premier Ministre vit toujours penché au-dessus d'un puits sans fond - celui des difficultés plus ou moins graves qui l'assaillent quotidiennement - avec le risque permanent de perdre l'équilibre.
Mais je ne me sens pas menacé de vertige et à mon propre sens de la gravitation s'ajoutent la confiance maintenue du Président de la République et l'absence attestée d'une majorité parlementaire pour me renverser, toutes choses qui me permettent d'aborder cette année cruciale sans autre souci que celui d'oeuvrer au bien commun du mieux de mes capacités.
Et certes les nuages ne manquent pas. Le plus gros, le plus menaçant, est évidemment celui qui pèse sur le Golfe.
Là, on touche à l'essentiel, le droit ou la force, la paix ou la guerre, et pour beaucoup la vie ou la mort.
A cette aune tout le reste semble second et l'est effectivement.
Je ne me livre sur ce sujet à aucun pronostic. Je m'attache seulement à préparer au mieux toutes les hypothèses de sorte que le Président de la République puisse à tout moment, dans la partie très délicate qu'il conduit, miser sur un dispositif diplomatique, militaire, économique et social convenable.
Ceux qui ne craindraient pas cette échéance seraient irresponsables, autant que ceux qui, parce qu'ils la craignent, seraient prêts à tous les abandons.
Quant à moi je m'en tiens à une seule observation. En quelque 6000 ans d'histoire à peu près connue de l'humanité, c'est la première fois que, face à une agression intolérable, la communauté internationale se lève pour dire non, pour dire "halte", et en prendre les moyens.
On peut regretter qu'elle ne l'ait pas fait plus tôt, déplorer qu'elle ne l'ait pas fait sur d'autres conflits. Une seule chose est certaine : si cette première tentative tournait court faute de détermination, l'humanité en reprendrait pour des décennies, des siècles peut être, avant de pouvoir à nouveau se mobiliser pour faire respecter son droit.
Non seulement la communauté internationale se priverait du moyen de mettre fin à d'autres conflits mais toute démonstration de faiblesse de sa part encouragerait de nouveaux manquements.
Nous sommes tous trop attachés au droit international, trop sensibles à ce qu'il a de porteur de paix, pour accepter qu'après avoir fait un grand pas en avant grâce aux Nations-Unies, toute pusillanimité lui fasse faire aujourd'hui et pour longtemps dix pas en arrière.
Nul plus que le Président de la République et le gouvernement n'est attaché à la paix. Nul plus que la France n'a déployé et ne déploie d'efforts pour la sauver. Mais nul n'oublie, et certainement pas les Français qui en ont eu l'expérience, qu'il est des situations où prétendre sauver la paix au prix d'un abandon conduit généralement à cumuler et la honte et la guerre malgré tout.
Notre premier objectif, c'est le droit car lui seul à l'avenir peut garantir la paix.
Il reste que le pire n'est pas toujours sûr et que nous continuons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour conjurer le déchaînement de la violence.
Mais aussi longtemps que pèse cette hypothèque considérable, il est bien naturel qu'elle domine tous les autres sujets.
Cela ne les fait pas disparaître pour autant, en tout cas pas des préoccupations du gouvernement, bien au contraire.
Je vous avais annoncé à Bron il y a un mois un dispositif assurant la solidarité entre les communes. C'est fait. Le Conseil d'Etat est saisi. Le Conseil des Ministres le sera la semaine prochaine. Le Parlement en débattra dès la fin de ce mois. Une nouvelle avancée, très importante, sera ainsi faite dans la conduite de la politique de la ville.
D'autres débats suivront, ou se poursuivront, sur lesquels j'aurai des occasions de m'exprimer, qu'il s'agisse de la Corse sur laquelle le gouvernement reste fidèle à sa ligne de fermeté et d'ouverture, qu'il s'agisse des retraites sur lesquelles le débat s'engage, et de bien d'autres choses encore qui sont le lot quotidien d'un gouvernement qui travaille.
Et certes, les sujets ne manquent pas qui vous donneront l'occasion de présenter et commenter notre action.
Vous le ferez, comme à l'accoutumée, dans la plus totale liberté, sans subir de nous la plus petite pression, sans faire l'objet de la moindre intervention, mais avec un hôtel Matignon toujours prêt, j'espère, à répondre à vos questions et à vous livrer les faits ou les analyses que vous pouvez souhaiter, bref à poursuivre ce que je crois être des relations adultes entre la presse et la politique qui l'une et l'autre ont trop longtemps souffert du mélange des genres.
Je ne vous servirai pas cette année le petit couplet qu'il m'arrive de faire sur votre responsabilité individuelle et collective. Non pas parce que j'en crains les effets urticants, non pas parce que l'année écoulée a montré des progrès sensibles, mais tout simplement parce que s'élèvent ça et là d'autres voix que la mienne, plus autorisées parce qu'émanant souvent de votre profession elle-même, moins suspectes parce que souvent non politiques.
Et l'on voit fleurir les interrogations sérieuses et sincères où l'on reparle de déontologie, de rigueur, de professionnalisme, où l'on considère les rapports de ces deux mondes, qui souvent n'en font qu'un, que sont les domaines politique et médiatique.
Citoyen parmi les citoyens, peut-être un peu plus expérimenté que d'autres, j'ai une opinion sur le sujet et vous la connaissez.
Premier Ministre, mes préoccupations vous concernant sont aujourd'hui ailleurs.
Elles sont à l'AFP et à son plan de redressement. Chacun doit y apporter sa quote part : l'Etat, qui vous le savez fera son devoir, la presse et l'Agence elle-même. Je souhaite que ce pacte à trois soit scellé lors du Conseil d'administration de demain et que l'Agence France Presse s'engage enfin durablement dans le cadre de son statut, sur la voie du développement.
Mes préoccupations vont aussi à la télévision publique.
On a suffisamment dit et écrit qu'elle était en crise pour qu'il ne soit pas nécessaire de s'appesantir sur les difficultés qu'elle connaît. Mais un nouveau chapitre vient de s'ouvrir. J'y fonde l'espoir que la télévision publique retrouve enfin son âme et son public et qu'elle fasse la preuve que la qualité et l'imagination, la relation de confiance avec les téléspectateurs sont les valeurs gagnantes qui animent le service public.
Dans les voeux qu'il a adressés aux Français, le Président de la République a fait état du décalage qu'il constate entre la réalité de la situation de notre pays - très contrastée - et la perception facilement sombre qu'on prête à ceux qui l'habitent.
De ce décalage nous sommes collectivement comptables. Il nous faudrait beaucoup d'inconscience pour peindre l'actualité en rose. Mais il en faut presque autant pour la peindre quotidiennement en noir.
Et si je sais bien, pour prendre un vieux cliché, qu'on ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure, au moins peut on rappeler qu'ils existent et constituent la norme lorsque l'on traite de ceux qui ne partent pas, ou arrivent en retard, ou déraillent en chemin.
L'année qui s'ouvre sera riche d'événements. Nous avons beaucoup à faire et vous aurez beaucoup à dire ou à écrire. Je forme le voeu a priori contradictoire que vous trouviez là de quoi satisfaire vos justes ambitions professionnelles et qu'elles vous laissent quand même le temps de vous consacrer à tous ceux qui vous sont chers.
A vous tous donc, mais aussi à vos familles et à vos rédactions - il peut même arriver que ce soit synonyme - je souhaite une excellente année 1991.
Votre Président, M. Badel, vient d'exprimer des voeux dont je le remercie. Et puisqu'il les a placés sous le signe de Christophe, je serais tenté de poursuivre dans la même veine en rappelant cette robuste pensée d'Agénor Fenouillard qui disait doctement : "quand en se penche au-dessus d'un puits et qu'on perd l'équilibre, on tombe dedans".
De fait, un Premier Ministre vit toujours penché au-dessus d'un puits sans fond - celui des difficultés plus ou moins graves qui l'assaillent quotidiennement - avec le risque permanent de perdre l'équilibre.
Mais je ne me sens pas menacé de vertige et à mon propre sens de la gravitation s'ajoutent la confiance maintenue du Président de la République et l'absence attestée d'une majorité parlementaire pour me renverser, toutes choses qui me permettent d'aborder cette année cruciale sans autre souci que celui d'oeuvrer au bien commun du mieux de mes capacités.
Et certes les nuages ne manquent pas. Le plus gros, le plus menaçant, est évidemment celui qui pèse sur le Golfe.
Là, on touche à l'essentiel, le droit ou la force, la paix ou la guerre, et pour beaucoup la vie ou la mort.
A cette aune tout le reste semble second et l'est effectivement.
Je ne me livre sur ce sujet à aucun pronostic. Je m'attache seulement à préparer au mieux toutes les hypothèses de sorte que le Président de la République puisse à tout moment, dans la partie très délicate qu'il conduit, miser sur un dispositif diplomatique, militaire, économique et social convenable.
Ceux qui ne craindraient pas cette échéance seraient irresponsables, autant que ceux qui, parce qu'ils la craignent, seraient prêts à tous les abandons.
Quant à moi je m'en tiens à une seule observation. En quelque 6000 ans d'histoire à peu près connue de l'humanité, c'est la première fois que, face à une agression intolérable, la communauté internationale se lève pour dire non, pour dire "halte", et en prendre les moyens.
On peut regretter qu'elle ne l'ait pas fait plus tôt, déplorer qu'elle ne l'ait pas fait sur d'autres conflits. Une seule chose est certaine : si cette première tentative tournait court faute de détermination, l'humanité en reprendrait pour des décennies, des siècles peut être, avant de pouvoir à nouveau se mobiliser pour faire respecter son droit.
Non seulement la communauté internationale se priverait du moyen de mettre fin à d'autres conflits mais toute démonstration de faiblesse de sa part encouragerait de nouveaux manquements.
Nous sommes tous trop attachés au droit international, trop sensibles à ce qu'il a de porteur de paix, pour accepter qu'après avoir fait un grand pas en avant grâce aux Nations-Unies, toute pusillanimité lui fasse faire aujourd'hui et pour longtemps dix pas en arrière.
Nul plus que le Président de la République et le gouvernement n'est attaché à la paix. Nul plus que la France n'a déployé et ne déploie d'efforts pour la sauver. Mais nul n'oublie, et certainement pas les Français qui en ont eu l'expérience, qu'il est des situations où prétendre sauver la paix au prix d'un abandon conduit généralement à cumuler et la honte et la guerre malgré tout.
Notre premier objectif, c'est le droit car lui seul à l'avenir peut garantir la paix.
Il reste que le pire n'est pas toujours sûr et que nous continuons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour conjurer le déchaînement de la violence.
Mais aussi longtemps que pèse cette hypothèque considérable, il est bien naturel qu'elle domine tous les autres sujets.
Cela ne les fait pas disparaître pour autant, en tout cas pas des préoccupations du gouvernement, bien au contraire.
Je vous avais annoncé à Bron il y a un mois un dispositif assurant la solidarité entre les communes. C'est fait. Le Conseil d'Etat est saisi. Le Conseil des Ministres le sera la semaine prochaine. Le Parlement en débattra dès la fin de ce mois. Une nouvelle avancée, très importante, sera ainsi faite dans la conduite de la politique de la ville.
D'autres débats suivront, ou se poursuivront, sur lesquels j'aurai des occasions de m'exprimer, qu'il s'agisse de la Corse sur laquelle le gouvernement reste fidèle à sa ligne de fermeté et d'ouverture, qu'il s'agisse des retraites sur lesquelles le débat s'engage, et de bien d'autres choses encore qui sont le lot quotidien d'un gouvernement qui travaille.
Et certes, les sujets ne manquent pas qui vous donneront l'occasion de présenter et commenter notre action.
Vous le ferez, comme à l'accoutumée, dans la plus totale liberté, sans subir de nous la plus petite pression, sans faire l'objet de la moindre intervention, mais avec un hôtel Matignon toujours prêt, j'espère, à répondre à vos questions et à vous livrer les faits ou les analyses que vous pouvez souhaiter, bref à poursuivre ce que je crois être des relations adultes entre la presse et la politique qui l'une et l'autre ont trop longtemps souffert du mélange des genres.
Je ne vous servirai pas cette année le petit couplet qu'il m'arrive de faire sur votre responsabilité individuelle et collective. Non pas parce que j'en crains les effets urticants, non pas parce que l'année écoulée a montré des progrès sensibles, mais tout simplement parce que s'élèvent ça et là d'autres voix que la mienne, plus autorisées parce qu'émanant souvent de votre profession elle-même, moins suspectes parce que souvent non politiques.
Et l'on voit fleurir les interrogations sérieuses et sincères où l'on reparle de déontologie, de rigueur, de professionnalisme, où l'on considère les rapports de ces deux mondes, qui souvent n'en font qu'un, que sont les domaines politique et médiatique.
Citoyen parmi les citoyens, peut-être un peu plus expérimenté que d'autres, j'ai une opinion sur le sujet et vous la connaissez.
Premier Ministre, mes préoccupations vous concernant sont aujourd'hui ailleurs.
Elles sont à l'AFP et à son plan de redressement. Chacun doit y apporter sa quote part : l'Etat, qui vous le savez fera son devoir, la presse et l'Agence elle-même. Je souhaite que ce pacte à trois soit scellé lors du Conseil d'administration de demain et que l'Agence France Presse s'engage enfin durablement dans le cadre de son statut, sur la voie du développement.
Mes préoccupations vont aussi à la télévision publique.
On a suffisamment dit et écrit qu'elle était en crise pour qu'il ne soit pas nécessaire de s'appesantir sur les difficultés qu'elle connaît. Mais un nouveau chapitre vient de s'ouvrir. J'y fonde l'espoir que la télévision publique retrouve enfin son âme et son public et qu'elle fasse la preuve que la qualité et l'imagination, la relation de confiance avec les téléspectateurs sont les valeurs gagnantes qui animent le service public.
Dans les voeux qu'il a adressés aux Français, le Président de la République a fait état du décalage qu'il constate entre la réalité de la situation de notre pays - très contrastée - et la perception facilement sombre qu'on prête à ceux qui l'habitent.
De ce décalage nous sommes collectivement comptables. Il nous faudrait beaucoup d'inconscience pour peindre l'actualité en rose. Mais il en faut presque autant pour la peindre quotidiennement en noir.
Et si je sais bien, pour prendre un vieux cliché, qu'on ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure, au moins peut on rappeler qu'ils existent et constituent la norme lorsque l'on traite de ceux qui ne partent pas, ou arrivent en retard, ou déraillent en chemin.
L'année qui s'ouvre sera riche d'événements. Nous avons beaucoup à faire et vous aurez beaucoup à dire ou à écrire. Je forme le voeu a priori contradictoire que vous trouviez là de quoi satisfaire vos justes ambitions professionnelles et qu'elles vous laissent quand même le temps de vous consacrer à tous ceux qui vous sont chers.
A vous tous donc, mais aussi à vos familles et à vos rédactions - il peut même arriver que ce soit synonyme - je souhaite une excellente année 1991.