Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse à France 2 le 30 septembre 2009, sur les mesures en faveur de l'insertion des jeunes, notamment le revenu de solidarité active pour les jeunes sous certaines conditions.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
R. Sicard.- Hier, N. Sarkozy a annoncé toute une série de mesures en faveur de l'insertion des jeunes, ce sont des mesures que vous aviez vous-même inspirées. Ca ne vous agace pas un petit peu, qu'il annonce des mesures que vous aviez vous-même inspirées ? Vous n'auriez pas préféré les annoncer vous-même ?
 
Quel drôle de question, bien au contraire ! On travaille. Le président de la République est le premier président de la République depuis 30 ans à annoncer une stratégie globale pour la jeunesse, qui me dépasse de loin, qui concerne l'ensemble des ministères...
 
C'était des idées à vous.
 
Oui, mais attendez, mon métier c'est de faire en sorte qu'elles soient reprises, qu'elles soient reprises au sommet de l'Etat, et surtout qu'elles se diffusent sur l'ensemble des jeunes, elles sont 10.000 fois plus puissantes que si c'était moi-même qui le faisais dans mon coin. C'est plutôt un signe de reconnaissance des jeunes au plus haut sommet de l'Etat. Et si c'était l'inverse, si c'était moi qui avais dans un coin de table annoncé ces mesures-là, vous vous seriez moqué de moi.
 
Avant de parler du fond des mesures, on va parler d'argent. On parle de 500 millions, peut-être même de 650 millions, vous nous direz pourquoi, ça va être financé comment ?
 
Effectivement, c'est un gros effort pour les jeunes, à tel point d'ailleurs que, quand on a préparé ces mesures, pas tout seul - on les a préparées avec tous les syndicats étudiants, les organisations syndicales, les organisations patronales, etc., des députés de droite et de gauche, ensemble, dans la même commission - tout le monde pensait qu'ils travaillaient pour des prunes et que jamais on ne sortirait l'argent pour les jeunes. Parce que depuis des années, pour les jeunes on leur annonce un sous-contrat de travail, un sous-Smic jeunes, toute une série de choses, mais quand il s'agit de mettre la main à la poche et de demander à l'ensemble de la société d'être solidaire de sa jeunesse, il n'y avait plus personne. Donc on a trouvé 650 millions d'euros. Pourquoi 650 millions d'euros ? 250 millions d'euros pour les jeunes qui travaillent, 250 millions d'euros pour les jeunes qui se forment ou qui ont des besoins d'insertion, et 150 millions d'euros l'année prochaine, si les universités font passer l'année universitaire de neuf mois à dix mois, et dans ce cas-là, dixième mois de bourse, que les étudiants demandent depuis dix ans sans jamais avoir été entendus. Quand on travaille en septembre à l'université, on a besoin de manger, on a besoin de se loger, on a besoin de vêtir, et pour l'instant il y avait zéro de bourse.
 
Je repose ma question : l'argent vient d'où, en période de déficit important ?
 
En période de déficit important, d'abord il y a des priorités. Donc, là, c'est priorité jeunes. Puisqu'on est aux "Quatre Vérités" aujourd'hui, ce qu'on peut dire c'est que pour les jeunes, il n'y a qu'une vérité : c'est priorité à vous. Et cet argent il vient du budget de l'Etat, sur lequel on va prendre 250 millions d'euros dans le Fonds de solidarité active que j'ai créé en mettant en place le Revenu de solidarité active, et 250 millions d'euros du Fonds d'investissement social, qui a été mis en place au début de l'année pour faire face aux situations de crise les plus criantes, et les jeunes sont dans la situation de crise la plus criante.
 
La mesure qui retient le plus l'attention, c'est le RSA pour les jeunes, sous certaines conditions : il faudra avoir travaillé deux ans. Pourquoi ces conditions ?
 
Pour une raisons simple : personne, ni moi, ni le président de la République, bien évidemment, mais ni la gauche, ni les syndicats, avec lesquels on a travaillé, ne voulait voir un jeune sortir de l'école à 18 ans, et ouvrir la porte de la Caisse d'allocations familiales en demandant son chèque, personne n'en voulait ! Donc, la première porte qu'on va franchir, c'est la porte du travail. Et de dire, il faut d'abord avoir travaillé pour avoir les droits qui sont liés au travail, c'est aussi simple que cela, c'est aussi juste que cela, c'est aussi efficace que cela. Mais pour autant, on n'est pas aveugle, on sait bien qu'il y a des jeunes qui auront des difficultés pour rentrer dans la vie active, et pour ceux-là, il y a un programme qui s'appelle "CIVIS" - Contrat d'insertion dans la vie professionnelle (sic) -, qui leur permet d'avoir auprès d'eux un accompagnateur qui a de l'argent pour pouvoir les aider à débloquer les premières étapes, voilà. Donc, on a essayé de penser à toutes les catégories de jeunes pour pouvoir répondre à toutes les situations de jeunes.
 
Ca n'empêche pas certains dans la majorité de dire que, finalement, on est en train de substituer la logique de l'assistanat à la logique du travail. Que leur répondez-vous ?
 
Qu'on va en discuter, mais que je leur fiche mon billet qu'on arrivera à les convaincre, qu'on arrivera à les convaincre que c'est le bon équilibre, que ce qu'on fait est bien. On demande souvent si ces réformes : est-ce que c'est ce gauche, est-ce que c'est de droite, est-ce que c'est au milieu, etc. ? C'est assez clair. D'habitude la gauche fait le soutien aux revenus sans faire les réformes, la droite fait souvent les réformes (CPE, etc.), sans le soutien aux revenus, et là, on fait les deux en même temps. Et on n'oublie rien. On fait aussi la possibilité pour les jeunes de s'engager. J'entends dire depuis deux jours, "le RSA ouvert aux jeunes, c'est la mesure phare", mais non ! Il y a douze phares dans cette stratégie ! Il y a le service civique, il y a la réforme de l'orientation, il y a l'obligation de se former jusqu'à 18 ans, là aussi, demandée par tout le monde. C'est Jules Ferry qui a installé l'obligation scolaire jusqu'à 14 ans, on est passé à 16 ans, et là, on passe à une obligation de formation jusqu'à 18 ans. C'est vraiment une stratégie qui change toute la donne pour les jeunes dans les prochaines années.
 
Et pourtant, on a l'impression qu'à droite, vous agacez ?
 
A gauche aussi. Mais je ne sais pas si "agacer", est le bon mot. Peut-être qu'on dérange, peut-être qu'on perturbe, peut-être que etc., mais tant mieux ! On ne va pas rester dans une société figée. Je pense que c'est de l'agacement dans le bon sens du terme.
 
Mais est-ce que vous avez le sentiment que N. Sarkozy vous défend contre sa majorité ?
 
Pas contre sa majorité. Il me défend conformément à... Il défend les idées qu'on propose. Votre première question, "est-ce que cela vous choque que ce soit le président de la République qui l'annonce ?" Je dis non, au contraire. Et en se mouillant, en mouillant sa chemise pour les jeunes, en s'impliquant, en allant violer des tabous sur les jeunes qui sont... Il y a des barrières d'âge, en donnant un signe pour les jeunes qui est formidable. Et comme je m'occupe des jeunes, c'est vraiment une très grande journée hier.
 
Et peut-être aussi en allant un peu forcer la main de sa majorité, non ?
 
Et peut-être en forçant la main de tout le monde. Mais c'est pas mal de forcer la main, on est là pour ça, on n'est pas là pour du suivisme. On n'est pas là pour appliquer une sorte de catalogue, de recettes de cuisine toutes faites, réchauffées, d'il y a vingt ans ; douzième édition du même vieux bouquin de cuisine. On est là pour faire les nouvelles sauces de demain.
 
Une des mesures, c'est la dotation pour les jeunes, c'est-à-dire qu'une partie des allocations ne sera plus versées aux familles mais directement aux jeunes.
 
Chez les volontaires, expérimentalement, attention, on touche là aussi une image sacrée gigantesque. Il y a un truc génial qu'il faut comprendre. Aujourd'hui, la droite et la gauche ont mis dans leur programme politique "vive l'autonomie des jeunes". Mais quand vous avez 22 ans, on va quand même verser une aide à vos parents et pas à vous. Pour l'autonomie, on peut faire mieux ; l'autonomie, ce n'est pas de tenir son enfant en laisse quand même. Et donc, on dit, des jeunes volontaires, avec l'accord de leur famille pour commencer, pourront effectivement choisir de bénéficier d'une dotation sur leur compte en banque. Il n'y aura plus les allocations familiales sur papa et maman qui ont un enfant de 22 ans et demi. Et puis, on verra si c'est plus efficace, si chacun s'y retrouve. Et dans ce cas-là, on ira peut-être plus loin tranquillement.
 
Certains dans la majorité disent que cela va déstructurer la famille, déresponsabiliser la famille.
 
Il ne faut pas plaisanter sur la déresponsabilisation. Je trouve que la jeunesse, on a beaucoup réfléchit à cela, c'est une période de transition. Donc il faut trouver la manière progressive de passer de "on est dans le giron, le cocon familial", à un moment donné, on est un peu entre les deux, et puis à un moment donné, on est effectivement autonome, on accède à l'autonomie, on conquiert son autonomie. L'autonomie, ça se conquiert, ensuite ça se conserve, qu'on soit un responsable public ou qu'on soit un jeune.
 
Vous êtes un ministre d'ouverture ; est-ce qu'aujourd'hui, vous vous sentez plus à gauche ou plus à droite ?
 
Je me sens bien à bousculer, et la gauche et la droite, pour des causes auxquelles je crois. La cause de la lutte contre la pauvreté comme la cause des jeunes.
 
Aux élections, voterez-vous à gauche ou à droite ?
 
Aux élections, j'utiliserai un isoloir qui me permet d'avoir mon bulletin de vote secret, qui est une des grandes garanties de la démocratie.  
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er octobre 2009