Conférence de presse de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, notamment sur la politique européenne de sécurité et de défense, à Bruxelles le 5 octobre 2009.

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Circonstance : Déplacement à Bruxelles (Belgique) pour des entretiens sur le thème "Politique européenne de sécurité et de défense", le 5 octobre 2009

Texte intégral

J'ai consacré cette journée hebdomadaire aujourd'hui à Bruxelles aux questions de Politique européenne de Sécurité et de Défense qui sont l'une des priorités sur lesquelles nous travaillons.
Je vous ai dit que l'une des particularités de mon cabinet est de comporter un conseiller militaire qui m'a accompagné aujourd'hui. J'ai donc voulu revoir - parce que je l'avais déjà vue - toute la machinerie européenne en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense, ce que nous avons fait, puisque nous avons vu avec notre ambassadrice au COPS, Mme Roger, l'ensemble des responsables, notamment le général Bentegeat et notre ambassadrice à l'OTAN pour parler des relations entre l'Union européenne et l'OTAN. Ensuite, nous avons visité différents centres (Centre d'opération Watchkeeping Capability, Centre des Opérations Civiles, le SITCEN) qui s'occupent de politique étrangère et de défense et nous avons terminé par l'Agence européenne de Défense. Tout cela, à quelques jours d'un déplacement que j'effectue pour une fois hors zone Europe puisque j'irai à Djibouti ce week-end pour voir Atalante et notre opération de formation des soldats de l'armée somalienne mais aussi pour montrer le volontarisme français en matière de politique de défense commune, parce que s'agissant d'Atalante je crois que l'on peut dire que c'est un vrai succès, qui donne de vrais résultats et qui fonctionne très bien. Tout le monde comprend bien que cette opération en mer n'a de sens que si cette situation se stabilise à terre, c'est de là que viennent les pirates, il faut donc aider la Somalie à se redresser et commencer par la formation de ses forces de sécurité. La France est un petit peu seule dans ce domaine et j'ai voulu profiter de la présence de nos partenaires européens, membres de l'Union, pour leur parler de cette étape ultérieure. Car comme vous le savez, il y a deux étapes qui sont envisagées, y compris dans les projets de l'Union européenne, la formation de l'armée somalienne et puis éventuellement, un travail de formation des garde-côtes des pays de la région qui permettrait, à terme, de garantir cette sécurité localement sans faire appel à des forces extérieures.
Je vais quand même dire un mot sur mon impression générale. Pour l'instant, notre opération sécurité et défense en Europe est toute petite, 200 militaires sur 30.000 fonctionnaires de l'Union pour 500 millions d'habitants à comparer aux 22.000 employés de l'OTAN. Atalante marche bien, il y a un vrai potentiel : j'ai trouvé des gens, toutes nationalités confondues, absolument prêts à travailler ensemble. Ce qui manque c'est peut-être un peu d'impulsion politique et je vais donc m'efforcer de contribuer à cette impulsion côté français en sachant que nous y travaillons tous et puisque c'est l'Europe, on va essayer de parler de défense européenne. C'est une façon de rendre l'Europe plus pertinente pour ses citoyens, je crois que les Européens sont satisfaits de voir que l'on peut lutter efficacement contre la piraterie, satisfaits de voir que nous sommes les seuls à être intervenus efficacement en Georgie. Je crois que voilà au moins deux opérations qui peuvent fournir la base d'une vraie fierté européenne. J'ajoute que ce que l'on fait dans les Balkans est plus qu'honorable, et puis, dernière remarque, il y a un vrai "plus" européen dans cette capacité tout à fait unique d'avoir une vision politique d'une crise et donc de pouvoir combiner les moyens, à la fois civils et militaires parce que bien souvent la seule lorgnette militaire ne permet pas de résoudre la crise. J'ai plein d'exemples à l'esprit, mais ce qui fait la différence, c'est la capacité de faire travailler ensemble les militaires et les civils et cela, la machinerie de l'Union sait bien le faire. Ce qu'il faut c'est peut-être donner un peu plus d'essor à tout cela, un peu plus de volontarisme, un peu plus de moyens aussi. Je pense que pour revenir à l'actualité récente, la bonne nouvelle de Dublin, la levée de ce dernier obstacle vers l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, une présidence stable, un Haut représentant qui est à la fois au Conseil et vice-président de la Commission avec un vrai service européen pour l'action extérieure, tout cela va permettre de mettre tous ces moyens en synergie et, je pense, de doper l'ambition européenne. Je sors donc de cette journée, lucide sur les moyens à court terme, plein d'espoir sur les potentialités de développement, d'efficacité de notre machine européenne dès lors qu'il y a une volonté, qu'on y met un petit peu de moyens. Si vous avez des questions ...
Q - Au sujet du blocage OTAN-Turquie-Chypre
R - Il faudra essayer de le résoudre. Je suis conscient de la difficulté, ce n'est pas simple parce que c'est lié naturellement à ce différend toujours non résolu autour de Chypre. J'espère que nous y arriverons, c'est tout ce que je peux vous dire à ce stade. Je note que des progrès sont en train d'être faits entre la Turquie et l'Arménie, je souhaite de tout coeur, comme tous les Européens, une solution à Chypre qui lèvera en plus cette hypothèque importante sur la relation entre l'Union européenne et l'OTAN.
Q - Qu'en est-il de la ratification du Traité de Lisbonne par la République tchèque ?
R - Il y a mercredi un rendez-vous important à l'initiative de la Présidence suédoise qui mène le jeu, c'est son rôle, elle réunit ici même le Premier ministre tchèque qui naturellement est favorable à la ratification rapide, et puis M. Barroso, donc j'espère que nous allons avoir une issue favorable très rapidement.
Q - Et M. Cameron ?
R - De mon point de vue, le Royaume-Uni a ratifié le Traité de Lisbonne, je ne vois pas pourquoi vous soulevez le nom de cet homme politique respectable, le sujet c'est le dépôt des instruments de ratification par la Pologne et la République tchèque, la Présidence suédoise est à la manoeuvre et nous l'appuyons.
Attendons la réunion de mercredi, j'imagine que le Premier ministre tchèque va apporter toutes les informations nécessaires. L'ensemble des chefs d'Etat de l'Union s'est engagé à ce que le Traité soit mis en oeuvre à la fin de l'année.
Q - Vous y croyez, en particulier avec les délais de la Cour tchèque ?
R - Je rappelle quand même que la Cour constitutionnelle tchèque a déjà été saisie et elle a statué à l'unanimité la conformité du Traité par rapport à la Constitution tchèque. Les questions ont été posées et la Cour y a répondu.
On va voir ce que va dire la Cour mais il est clair que dès lors que la Cour aura donné sa réponse, l'exécution de la signature ira de soi, c'est l'obligation constitutionnelle de ce pays. C'est pour cela qu'il suffit d'être un petit peu patient et de laisser la Présidence suédoise travailler.
Q - Pourriez-vous nous en dire plus sur la nomination des commissaires ?
R - Le processus de nomination des commissaires n'est pas l'affaire des secrétaires d'Etat chargés des Affaires européennes mais l'affaire des chefs d'Etat et de gouvernement. Bien entendu, ce processus jusqu'à présent, dépendait du référendum irlandais. A partir de maintenant je pense que M. Barroso et les chefs de l'Etat vont se concerter.
Q - Il va commencer dès maintenant ?
R - Je ne vais pas me livrer à des conjectures ou des commentaires sur des choses que je ne connais pas. A ce stade la seule chose que je sais c'est qu'une réunion doit se tenir mercredi dans laquelle la Présidence, la Commission et le gouvernement concernés vont se concerter et je pense qu'on aura ce jour là une idée un peu plus claire de l'organisation du temps d'ici le rendez-vous de la fin du mois d'octobre qui est un rendez-vous important. Je crois que tout le monde souhaiterait que les institutions se mettent en place le plus vite possible, c'est naturellement le souhait de tous, de la Présidence, de la France, de la Commission. L'Europe a beaucoup de travail devant elle, mais la séquence des événements d'ici la fin du mois d'octobre dépend beaucoup de ce rendez-vous dans lequel le Premier ministre tchèque va expliquer la situation de son pays dans le détail.
Q - Même si le président tchèque n'a pas encore signé à la fin du mois ?
R - L'objectif est évidemment d'aller le plus vite possible parce que beaucoup d'échéances attendent l'Europe, nous avons levé le dernier obstacle politique qui était la ratification par l'Irlande, tous les pays, je le répète, ont ratifié le Traité, il reste deux instruments de ratification à déposer. On est dans la procédure, on n'est pas sur le fond. Le fond a été accompli, politiquement le Traité est ratifié. Donc il est souhaitable que l'Europe se mette en marche rapidement, ensuite il faut respecter les procédures de chacun des Etats, on respecte parfaitement les procédures polonaise et tchèque, il ne faut pas que cela devienne dilatoire, il y a une frontière quelque part entre le respect des procédures et les tentatives dilatoires de torpiller un traité qui est ratifié.
Q - Et le travail sur le service européen d'action extérieure ?
R - Il y a plusieurs éléments là-dedans, il y a le travail préparatoire qui a déjà été conduit au sein du Quai d'Orsay par les diplomates, par les experts sous la direction de Bernard Kouchner et de moi-même et c'est vrai que nous avons une vision ambitieuse de ce service dans lequel nous voyons une grande chance pour l'Europe d'exister, de peser sur la scène mondiale, et le moyen de démultiplier la volonté politique des Etats et notamment de la France, nous sommes donc très favorables à une vision ambitieuse de ce service. Ensuite, il y a la décision, le choix de la personne qui sera le Haut représentant, ce choix n'est pas entre mes mains mais relève de la décision du président de la République avec ses collègues, chefs d'Etat et de gouvernement.
Q - Quelles sont ces différentes visions ?
R - Il y a beaucoup d'idées qui circulent, il est trop tôt pour préciser quoi que ce soit ... il y a simplement eu pour l'instant un échange préliminaire organisé par la Présidence suédoise, beaucoup de choses restent donc à préciser sur le périmètre, le statut du personnel, ce service va être composé à la fois de membres de la Commission, de membres du Conseil et aussi de diplomates envoyés par les différents Etats. Ce sera donc un service puissant, important, après tout va dépendre de son périmètre et de la façon dont il sera organisé. Beaucoup de questions restent à préciser, tout cela c'est une affaire de discussions entre les Etats. Ce que je peux vous dire c'est que du côté français nous sommes très allants. Il y a deux attitudes possibles, soit on est frileux, et on veut garder le statu quo, soit on veut, au contraire, être plus ambitieux, nous faisons parti des plus ambitieux.
Q - A propos de l'ambition française pour la PESD, cela ne se traduit pas par le respect de l'usage du français à l'Agence européenne de défense.
R - Sachez qu'au Parlement européen j'ai soulevé la question des écrans en langue anglaise, j'ai écrit au président Buzek pour lui faire savoir que ce ne serait pas mal - le Parlement étant situé à Strasbourg - que les écrans soient au moins bilingues, qu'on n'ait pas les horaires et les lieux de réunions en anglais avec le thème des réunions de groupes en anglais. J'ai eu la même réaction en allant tout à l'heure à l'Agence européenne de défense, je sais bien qu'ils n'ont que 30 millions d'euros par an, mais je pense que parler un tout petit peu français à Bruxelles ce n'est pas honteux, y compris dans les documents de base de présentation de l'Agence. D'autant que nous sommes nous, la France, l'un des pays les plus allants, comme vous le savez, pour soutenir l'Agence européenne de défense. Ce que j'ai fait pour le président du Parlement européen, je vais le faire pour le directeur de l'Agence mais qui a eu la gentillesse de me parler en français tout à l'heure.
Q - Avez-vous parlé avec le Secrétaire général de l'OTAN de sa bureaucratie ?
R - Je lui souhaite de se réformer en profondeur, j'ai vu récemment le commandant en chef, le SACEUR à Paris qui m'a fait l'amitié de venir me voir et de parler d'Afghanistan avec moi. Je lui ai dit combien j'ai été ému par les 2.700 officiers de l'Etat major à Kaboul. 2.700, c'est-à-dire quasiment deux régiments de combat. Je crois, en effet, qu'il y a beaucoup à réformer dans la machinerie de l'OTAN.
Q - Comment avancez-vous sur l'Europe de la Défense ?
R - L'Europe apprend par les missions et je crois que de mission en mission, on est en train de se donner des moyens qui deviennent de plus en plus pertinents. Le dernier en date, c'est celui qu'il est convenu de créer, l'organe de planification civilo-militaire qui est d'ailleurs très original, que l'OTAN voudrait bien imiter d'ailleurs, il ne reste plus qu'à nommer le chef de cet organe.
Il faut déterminer les personnes, mais enfin, la structure elle-même est actée et c'est une structure originale et utile, puis quand on l'aura créée on s'apercevra que ce serait sans doute pas mal d'avoir quand même un organe de planification militaire de façon à perdre peut-être moins de temps en cas de crise, d'avoir d'ores et déjà des plans, des planifications prêtes, donc je ne désespère pas d'y arriver, je crois que depuis deux ou trois ans les choses avancent pas mal.
Q - Même si les Irlandais ont confirmé leur neutralité ?
R - Il n'y a pas d'obligations dans les traités, vous le savez bien, il y a aussi les traditions nationales qui sont maintenues et qui seront respectées. Cela ne les a pas empêchés de travailler au Tchad. Tout cela est un peu à géométrie variable et dépend des situations, cela ne veut pas dire que l'on ne puisse pas compter sur tel ou tel pays officiellement neutre dans une opération commune.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2009