Interview de M. Gérard Larcher, président du Sénat, à France 2 le 14 octobre 2009, sur la polémique concernant le renouvellement de la présidence de l'EPAD et la candidature de Jean Sarkozy, la réforme de la taxe professionnelle et la construction d'un nouveau pacte social.

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Média : France 2

Texte intégral

M. Darmon.- Tout d'abord, avez-vous été convaincu par le jeune conseiller général Sarkozy, qui s'est défendu de tout favoritisme hier, pour la première fois, à la télévision ?
 
Ce n'est pas le sujet de fond et au coeur des préoccupations du Sénat. Nous allons, lundi, commencer à examiner la réforme de La Poste. Le sujet, c'est aussi la réforme des collectivités territoriales, leur financement, la taxe professionnelle. Quant au jeune conseiller général J. Sarkozy, il a encore à se soumettre à l'épreuve du vote, ce sera le 4 décembre. Et le 4 décembre, il y a 17 administrateurs qui auront à choisir un président pour l'EPAD. Vous savez, au Sénat, on est parfois pour des mesures assez sages. La question à poser, est pourquoi le président actuel ne poursuit pas jusqu'à la transformation de l'établissement public. Mais ne tous les cas, le rendez-vous, c'est le 4 décembre, et il y aura sans doute peut-être d'autres candidats, parce qu'il n'y a pas que le Conseil général des Hauts-de-Seine représenté à la table du conseil d'administration.
 
C'est vrai que P. Devedjian aurait bien voulu poursuivre, mais l'Elysée en avait décidé autrement. Comprenez-vous quand même ce malaise des élus UMP qui n'arrêtent pas de dire "on va avoir la colère des électeurs sur le terrain". P. Cardo, député des Yvelines, territoire que vous connaissez bien, dit que cela va être terrible pour les élections régionales, il y a les élections législatives de dimanche, le deuxième tour pour le candidat UMP D. Douillet ; est-ce qu'il peut pâtir de cette polémique ?
 
Vous savez, ce qui nous vient tout simplement du territoire et pas simplement des Yvelines, pas simplement de la région Ile-de-France, mais de la France, il y a la crise. Cette crise, même si aujourd'hui un certain nombre de signes positifs sont enregistrés, c'est aussi des plans de licenciement, c'est l'inquiétude sur l'avenir des jeunes. Les vrais sujets, ils sont là. Comment sort-on de la crise, comment sort-on collectivement et positivement de la crise ? Comment fait-on vivre les territoires ? La question du déficit budgétaire ? Aujourd'hui, en Conseil des ministres, projet de loi de financement de la Sécurité sociale, c'est un des soubassement de notre modèle social. Voilà les vrais sujets.
 
On va venir à ces sujets. Mais simplement, c'est vrai qu'il y a aussi beaucoup de ministres qui, sous le sceau de la confidence, disent "on n'a pas fait compagne sur ça. On a fait campagne sur le mérite, sur la fin des héritiers". Aujourd'hui, ils disent qu'ils sont un peu en décalage. Est-ce que, à deux ans et demi de mandat, quelque chose n'est pas en train de se dérégler ?
 
En tous les cas, je suis en train de vous dire que par exemple sur les jeunes, il est insupportable que le taux de chômage des jeunes soit deux fois et demi plus élevé que le taux moyen de chômage national. Il faut agir ! Moi, je suis content quand on dit que le lycée va bouger, il va mieux accompagner les jeunes. Quand on dit "les jeunes, on ne peut pas les laisser tomber, les laisser galérer". J'ai été ministre du Travail, j'ai souvent considéré que notre échec, c'était l'échec de la politique d'insertion professionnelle, tout simplement d'insertion dans la vie des jeunes. Voilà les vrais sujets.
 
Autre sujet qui passe difficilement la réforme de la taxe professionnelle. On voit bien qu'il y a beaucoup d'élus des collectivités locales qui n'acceptent pas cette réforme. C'est, une fois de plus, les collectivités contre le pouvoir central ? Que se passe-t-il ?
 
Non. Nécessité de réformer la gouvernance des collectivités locales.
 
Mais vous comprenez que cette réforme mette en colère ?
 
Tout le monde est d'accord sur le fait qu'il faut clarifier et simplifier.
 
Tout le monde est d'accord mais tout le monde dit, "on ne peut pas !"
 
Là-dessus, ce qu'il faut savoir, c'est qui fait quoi. De quoi s'occupe la commune, de quoi s'occupe la région, de quoi s'occupe le département, de quoi s'occupe l'Etat ? Et puis, il faut le financement de tout cela. La taxe professionnelle, on ne va pas lui trouver des vertus qu'on ne lui trouvait pas tous ensemble il y a quelques mois. C'est un impôt qui est contre, aujourd'hui, la compétitivité de nos entreprises.
 
Mais les maires font leurs comptes et ils se disent qu'il va falloir tout reporter sur les ménages...
 
En même temps, il faut assurer le financement des collectivités locales. Voilà pourquoi, avec d'autres sénateurs, j'ai demandé que sur la réforme de la taxe professionnelle, on garantisse les recettes de l'année 2010 pour les collectivités territoriales et que ce soit le Parlement qui débatte de la répartition de la nouvelle ressource financière. Donc, d'abord, on engage la réforme de la gouvernance et ensuite on assure le financement.
 
Mais A. Juppé dit qu' "on n'est pas garanti pour un euro, avec N. Sarkozy c'est toujours pareil..."
 
C'est au Parlement - d'où sa liberté de ton -d'apporter les garanties qu'attendent les collectivités territoriales. Et particulièrement au Sénat, nous qui représentons le territoire. La responsabilité du Sénat, c'est vraiment d'assurer que le territoire, je pense au territoire rural, notamment ces territoires et ces départements qui ont beaucoup de personnes âgées dépendantes, qui ont peu d'activités économiques, qui ont des besoins de financement qu'il faudra imaginer, notamment sur la solidarité intergénérationnelle, parce que les personnes âgées dépendante c'est un faux engagement financier des départements. Et il y a une quinzaine de départements dans ce pays qui vont être dans le rouge, si on ne s'en préoccupe pas.
 
D'où vient cette difficulté de la droite à ne pas vraiment écouter ce qui se passe au sein du pays, alors qu'à Paris on décide autrement...
 
Je ne suis pas sûr qu'elle ne l'écoute pas. Regardez les réactions...
 
...Que la gauche gagne toutes les élections locales...
 
Regardez les réactions que nous avons à l'occasion de nos réunions de groupe, que ce soit à l'Assemblée nationale et au Sénat. Au Parlement, quand la majorité ne dit rien, on dit qu'elle est godillot et alignée, quand elle parle on dit qu'il y a malaise. Le rôle d'un Parlement c'est de parler !
 
Mais vous dites tout le temps "Attention on perd les territoires, attention c'est difficile, attention ça décroche !"
 
Oui, je dis attention aux territoires parce que je crois qu'on ne s'est pas assez préoccupé du territoire. Nous avons besoin d'une vraie politique d'aménagement du territoire. Nous avons besoin d'une vraie politique, notamment de soutien à la ruralité dans ce pays. La ruralité ce n'est pas fait simplement pour la récréation des urbains, c'est d'abord un lieu qui fait de nous la deuxième puissance agricole du monde, ne l'oublions pas ! A un moment où nos agriculteurs souffrent, je pense à la crise laitière, à des prix céréaliers qui n'existent plus. Il y a des réalités qu'il nous faut traiter. Voilà les vraies préoccupations : La Poste, le modèle social, les crises agricoles... C'était les sujets qui étaient au Sénat par exemple hier. Et je dois vous dire que les crises agricoles, ça nous angoisse encore plus que l'avenir de l'EPAD de La Défense.
 
Et vous dites il y a également un nouveau pacte social à reconstruire ?
 
Essentiel. Je crois que le modèle d'il y a cinquante ans, le modèle que certains appelaient "les Trente Glorieuses", il nous faut le réinventer. Il nous faut notamment se dire comment répond-on aux angoisses de nos concitoyens ? Et notamment, vous savez, jadis, dans la génération de mon père, on rentrait dans une entreprise, on y passait sa carrière. Comment on sécurise le parcours professionnel ? Comment on favorise l'insertion des jeunes ? Comment on préserve notre système de retraite ? Ce nouveau pacte social, il n'est possible que par le dialogue social. C'est cela qu'il faut réinventer.
 
Pourquoi on vous surnomme le "gaucho" du Sénat ?
 
Parce que je pense qu'il faut être attentif aux autres. Et être attentif aux autres c'est ne pas répondre à la seule logique économique. Que l'économie est au service de l'homme et de la société. Et si c'est cela être "gaucho", je ne sais pas si je suis "gaucho", en tout les cas, c'est le fond des valeurs gaullistes qui m'ont été transmises.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 octobre 2009