Tribune de MM. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP, dans "Le Monde" du 20 octobre 2009, sur les priorités que doit se fixer l'Etat pour la gestion de la crise, intitulée "le grand emprunt, une ardente obligation nationale".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Jean Monnet disait : "les hommes ne voient la nécessité que dans la crise." Nous y sommes. Et nous voyons la nécessité de rompre avec les erreurs qui, en vingt-cinq ans, ont conduit le monde là où il est. Le règne du court terme, les exigences de rentabilité excessives, le dénigrement systématique de l'Etat stratège, la confiance aveugle dans la main invisible du marché, la promotion d'une mondialisation non coopérative destructrice de l'environnement : tout cela doit être remis en cause.
Sur le plan philosophique, on se souviendra longtemps de la déclaration penaude d'Alan Greenspan reconnaissant, comme au détour d'une phrase, qu'il s'était trompé en croyant que "le déploiement des intérêts individuels conduirait automatiquement à la satisfaction de l'intérêt collectif". Cette phrase ne vaut pas seulement pour la finance, mais aussi pour la politique industrielle, la politique environnementale, la politique sociale. On ne construit pas une civilisation sur le laisser-faire. Le bon sens élémentaire l'a toujours su, mais par un étrange renoncement, la politique s'était mise à croire le contraire, pour mieux s'exonérer de ses responsabilités.
C'est dans cette remise en cause radicale des préjugés d'une époque que l'idée du grand emprunt, lancée par le président de la République, trouve son origine et sa justification. S'il est en effet une leçon à retenir de cette crise, c'est qu'il faut s'occuper du long terme, qu'il faut dépenser plus pour l'avenir. L'Etat n'est pas toujours et partout le meilleur acteur, assurément. Mais lorsqu'il s'agit de se projeter au-delà des horizons de rentabilité trimestrielle, de mener une action coordonnée, d'accélérer la mise en place d'une infrastructure, de financer ce qui profite à tout le monde mais que personne à titre privé n'a intérêt à produire - les biens publics -, il est irremplaçable.
Nous ne repartirons pas comme avant. Inutile de remettre de l'essence dans un moteur cassé. Nous devons en inventer un autre. Pour y réfléchir, toutes les énergies, toutes les imaginations doivent pouvoir s'exprimer librement. C'est ce que l'UMP a décidé de faire en lançant une grande réflexion en son sein, en lien avec nos parlementaires nationaux et européens, emmenés par Jean-François Copé, Gérard Longuet et Michel Barnier. Riches de tout ce que nous aurons entendu, nous rendrons nos propositions au gouvernement le 20 octobre, lors d'une convention sur les priorités nationales.
Initiative de l'Etat ne signifie pas ignorance de la société. Il faut bien que le décideur public s'imprègne des aspirations des Français et de la vitalité des entrepreneurs, créateurs, inventeurs de notre pays. Faire entendre la voix de la société pour inventer l'avenir, c'est le rôle d'un grand parti politique moderne.
Quelle est notre méthode de réflexion et quelles sont les pistes qui nous paraissent prometteuses ? D'abord l'objectif : améliorer le potentiel de croissance de notre pays. Certains diront : "La croissance n'est pas la solution, c'est le problème !" Ne jouons pas sur les mots. Ce n'est pas au moment où la commission Stiglitz, créée par le président de la République, attire l'attention sur la nécessité de rompre avec la religion du PIB que nous allons défendre un productivisme à l'ancienne.
Lorsque nous parlons de croissance, nous désignons désormais un accroissement de notre richesse, compatible avec une réduction à terme de notre empreinte écologique. Une croissance de la richesse qui ne soit pas réalisée au détriment de la qualité de vie et de la justice sociale. Mais nous n'allons pas non plus négliger l'impératif absolu, qui est de créer des emplois durables en France. Et qu'on ne dise pas que c'est la quadrature du cercle ! Un exemple : produire en France les voitures électriques dont la Chine a besoin, ce serait tout à la fois conforme à une conception saine de la croissance, favorable à nos exportations et bénéfique pour l'emploi.
Comment donc, au-delà de cet exemple, définir les priorités nationales d'investissement ? Il faut commencer par repérer les grandes tendances mondiales, pour ne pas raisonner dans le vide. Nous devrons, en effet, produire ce dont le monde aura besoin. Ces tendances sont connues : urbanisation croissante, raréfaction des ressources énergétiques, vieillissement de la population, exigences croissantes en matière de santé, accroissement des tensions géopolitiques... Voilà qui détermine les grands secteurs de la consommation de demain (urbanisme écoresponsable, technologies médicales, transports propres, alicaments, télécommunications spatiales).
Ensuite, il faut que les investissements répondent à nos impératifs nationaux de politique publique. Nous en voyons cinq : renforcer la compétitivité du tissu productif français, renforcer l'attractivité de notre territoire, garantir notre souveraineté, améliorer notre capital humain, créer des emplois.
En croisant ces deux analyses avec une évaluation des forces et faiblesses de notre économie, nous pourrons obtenir une définition plausible des domaines dans lesquels la France pourrait investir avec de vraies chances d'atteindre la masse critique et d'obtenir un bon retour sur un investissement. D'ores et déjà, nous pouvons dire que trois grands domaines doivent faire l'objet de nos efforts : les technologies génériques, qui diffusent dans l'ensemble de l'économie (nanotechnologie, robotique, logiciels), les technologies assurant notre indépendance énergétique (véhicule électrique, réseaux de recharge, nucléaire de 4e génération, solaire), enfin la formation du capital humain (apprentissage des langues, internats d'excellence, création de grands campus).
Au-delà de la question des domaines stratégiques d'investissement, nous souhaitons également insister sur un point capital : le grand emprunt est l'occasion d'opérer une révolution dans la gestion de la dépense publique, en distinguant la bonne de la mauvaise dette. Il convient pour cela d'appliquer une méthode très stricte.
Car il est vrai qu'historiquement les emprunts n'ont pas été remboursés par les fruits de la croissance qu'ils auraient permise. Singulièrement, nous insisterons sur l'importance de bénéficier d'un chiffrage le plus précis possible des coûts des projets identifiés, du plan de financement et des retours raisonnablement prévisibles. C'est à cette condition que la distinction légitime entre dette productive et dette improductive pourra convaincre, même les plus réticents.
Enfin, nous estimons que les deux questions qui ont jusqu'ici attisé les débats - le montant de l'emprunt et l'identité de ses souscripteurs (le marché et/ou les Français) - ne doivent intervenir qu'en dernière instance. Ce ne sont pas là les questions essentielles. Si les citoyens doivent être associés, c'est d'abord à la réflexion sur les priorités de notre nation, le dessein commun de la France et des Français ! C'est le but du débat que lance l'UMP ! Source http://www.u-m-p.org, le 20 octobre 2009