Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à RTL le 22 octobre 2009, sur la situation en Afghanistan.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.-  Bonjour, H. Morin. 
 
Bonjour, J.-M. Aphatie. 
 
Est-ce que vous nous dites la vérité sur la situation en  Afghanistan ? 
 
Oui, je crois que c'est vous qui déformez beaucoup les choses en  considérant que tout va de mal en pis. 
 
Alors, deux citations, si vous me permettez ! 
 
Bon, je n'ai plus le temps d'expliquer pourquoi ça ne va pas, qu'il y a  des points d'amélioration, mais enfin ce n'est pas grave... 
 
Dans le journal Libération d'hier, un ancien officier de la CIA, B.  Riedel, dit ceci : "La situation s'est clairement dégradée sur le  terrain ces derniers mois". Le général canadien J. Vance, sur la  chaîne CBC, le 14 octobre dernier : "La situation militaire en  Afghanistan est grave et désespérée". Alors, c'est la vérité ou pas ? 
 
Ecoutez, vous allez en vallée de Surobi, où sont une partie des troupes  françaises, et vous y verrez des hommes qui, aujourd'hui, sont capables  d'aller faire leurs courses dans le souk du village d'à côté de leur camp,  sans armes et sans gilet pare-balles. C'est-à-dire qu'il est clair que la  stratégie en Afghanistan, nous l'avons demandée depuis longtemps, elle  doit bouger. Elle doit bouger sur un certain nombre de choses,  notamment sur le fait qu'on doit se préoccuper plus des populations que  de lutter contre les talibans. 
 
Et quand un général canadien dit que la situation est grave... 
 
Mais attendez, attendez, attendez... Vous ne me laissez pas finir.  L'Afghanistan, c'est un puzzle. L'Afghanistan, c'est un nord  relativement calme, mais qui peut faire l'objet d'un IED parce qu'il y a  l'arrivée de talibans qui viennent faire une opération, ce sont les zones  tadjiks calmes ; et puis, ce sont des zones, comme le sud, qui sont  extrêmement difficiles. Mais même dans les zones où les choses  s'améliorent, vous pouvez avoir à tout moment, une intrusion des  talibans, la pause d'un engin explosif improvisé, qui donne le sentiment  à l'opinion publique internationale que les choses vont de mal en pis.  En vérité... 
 
Le journal Le Monde... 
 
Laissez-moi finir. En vérité, aujourd'hui on a une armée nationale  afghane qui devient une véritable armée, de plus de 60.000 hommes,  qui progressivement prend en mains les situations et les opérations  militaires. On a des progrès à faire sur la police ; on a des progrès à  faire dans certaines régions mais la situation n'est pas celle que vous  décrivez. 
 
Mais le journal Le Monde : "les troupes françaises face à une  hostilité croissante de la population afghane". Tout ce qu'on lit, H.  Morin, ne correspond pas à votre discours. 
 
J.-M. Aphatie... 
 
Tout ce qu'on lit... 
 
... Je voudrais simplement vous faire pointer du doigt une chose.  Imaginez qu'on vous écoute et que demain, nous partions parce que les  choses vont mal. 
 
Non, ça n'est pas mon propos. 
 
Alors ce n'est pas vous mais prenons ceux qui considèrent que les  choses vont tellement mal que de toute façon, nous n'avons plus rien à  y faire. Quand on dit "ça va tellement mal", qu'est-ce qu'on en titre  comme conclusion ? Qu'est-ce qu'on fait ? 
 
Augmenter la présence militaire ? 
 
Augmenter la présence militaire. Il y a d'autres solutions d'augmenter  la présence militaire... 
 
Souhaitez-vous que le Président Obama augmente la présence  militaire en Afghanistan ? 
 
Le Président Obama y réfléchit. 
 
Souhaitez-vous qu'il le fasse, qu'il augmente le nombre de troupes  en Afghanistan ?
 
  L'armée américaine estime que pour le sud, il est nécessaire  d'augmenter éventuellement les forces ; mais ça ne règlera pas la  question. 
 
C'est une analyse qui vous paraît juste ou pas ? 
 
Je pense qu'on peut faire beaucoup mieux dans d'autres domaines. Je  pense que, par exemple, il faut faire en sorte qu'on s'occupe des  populations. Pourquoi ? Parce qu'en s'occupant des populations, en  assurant la stabilité et la sécurité dans un premier temps, puis en mettant  en place immédiatement des programmes - la construction de ponts, de  routes, d'écoles, de dispensaires - on crée une collaboration avec la  population ; et c'est cette coopération avec la population qui les  amènera à faire pression sur les talibans pour qu'ils rendent les armes.  Point 1. Attendez, laissez-moi finir. Point 2 : il faut faire en sorte que la  police afghane soit formée et donc si on a un effort à effectuer par une  présence militaire complémentaire, c'est sur la formation qu'il faut le  faire. Si 3, nous mettons en place les instruments qui permettent  d'améliorer la gouvernance en Afghanistan. Voilà des points qui ne  sont pas militaires parce qu'il n'y a pas de solution seulement militaire. 
 
Chercher la vérité en Afghanistan. Il y a une semaine, le journal  londonien Times assurait que les troupes italiennes qui se  trouvaient dans la région de Kapisa avant les troupes françaises... 
 
... Oui, je sais.
 
... payaient les talibans pour ne pas avoir d'ennuis avec eux. Et c'est  parce qu'ils n'auraient pas poursuivi cette pratique que dix soldats  auraient trouvé la mort, en août 2008 dans un accrochage avec les  talibans. Pour affirmer cela, le journal Times s'appuyait sur des  écoutes téléphoniques effectuées par l'armée américaine. Et ma  question est simple, H. Morin : avez-vous cherché à savoir si ces  écoutes téléphoniques existent ou n'existent pas ? 
 
Je n'ai, J.-M. Aphatie, dans les yeux, jamais eu cette information. 
 
Quelle information ? 
 
L'information selon laquelle... 
 
Elle est dans la presse. 
 
Oui enfin, écoutez excusez-moi, mais si tout ce qui se disait dans la  presse tous les matins, était exact, ça se saurait. 
 
Avez-vous cherché à savoir si cela est vrai ou pas ? Si des écoutes de  l'armée américaine existent ou pas, pour savoir si les Italiens  payaient les talibans ou pas ?
 
 Ecoutez, ce que je peux vous dire c'est que le gouvernement italien a  démenti. 
 
Et vous vous satisfaites de ce démenti ? 
 
Je me satisfais, d'une part, de la parole du gouvernement italien ;  heureusement que je considère que la parole d'un gouvernement est, a  priori... 
 
Et vous ne cherchez pas à en savoir plus ? 
 
Mais je cherche à en savoir plus, mais je n'ai jamais eu aucun élément  d'aucune sorte de personne m'indiquant que les Italiens payaient les  talibans pour avoir la paix ! 
 
Les écoutes de l'armée américaine le disent, dit le journal Times. 
 
Mais le journal "Times"... 
 
Cherchez-vous à vérifier si ces écoutes existent ou pas ? 
 
Ecoutez, l'OTAN a déclaré exactement la même chose : ces écoutes, ce  ne sont pas des écoutes américaines, ce sont des écoutes de l'OTAN  puisque tout remonte à l'OTAN. 
 
Ou l'OTAN. Quel est le contenu, vous le savez ? 
 
...Eh bien, l'OTAN lui-même a démenti. Si l'OTAN dément, si les  Italiens démentent, vous pensez que les écoutes, vous les aurez demain  matin comme ça. 
 
La vérité est trop dure à dire sur ce qui se passe en Afghanistan ? 
 
Mais il n'y a pas de vérité trop dure à dire. Je pense qu'en Afghanistan,  se joue une partie de la sécurité du monde ; pas plus, pas moins que  cela.  C'est énorme !  Oui, parce que cette sécurité, elle se joue par un phénomène  extrêmement simple, c'est que si vous laissez l'Afghanistan retomber  dans le chaos, ce sont les talibans qui ont le pouvoir demain. Et si les  talibans ont le pouvoir demain, le terrorisme pourra prospérer et un jour  ou l'autre, frappera l'ensemble des démocraties occidentales. Point 1.  Et point 2, les voisins de l'Afghanistan s'appellent le Pakistan,  s'appellent l'Iran, s'appellent les républiques d'Asie Centrale, des pays  qui ont des éléments de déstabilisation majeure. Vous croyez qu'on  peut laisser l'Afghanistan devenir le chaos sans que ça a de  conséquences avec des pays voisins dont certains ont l'arme nucléaire,  et dont certains sont en réelles difficultés comme le Pakistan  aujourd'hui ? 
 
Si vous posez la question comme ça, évidemment la réponse est non.  Dans ce contexte de l'Afghanistan, renvoyer trois Afghans chez eux,  c'est légal, on l'a compris. Est-ce moral ? 
 
Mais attendez, il y a des filières clandestines qui notamment concernent  l'Afghanistan. La loi s'applique pour tous et permettez-moi de vous  rappeler quand même une chose très simple, c'est que ce que vient de  faire le gouvernement français, toutes les démocraties occidentales le  font ; et même des pays dont on estime qu'en termes de droits de  l'homme, de protection de la personne, ils ont un comportement plus  doux que le nôtre. Vous prenez la Norvège, la Suède, ce sont des pays  qui, eux aussi, pratiquent l'expulsion d'Afghans. 
 
Lundi, dans un papier du Figaro qui évoque, je cite "l'irrésistible  marche iranienne vers la bombe, il est écrit ceci : il y a quinze  jours, une réunion dont rien n'a filtré, s'est tenue à Paris entre les  chefs d'états-majors des armées américaine, israélienne et française  sur l'Iran". C'est vrai, H. Morin ? 
 
Que nous ayons des consultations permanentes avec nos partenaires,  heureusement ! 
 
Américains, israéliens et français. 
 
Mais nous avons une coopération avec l'armée israélienne régulière.  Nous discutons et notamment pour faire en sorte que les Iraniens  cessent ce programme militaire, il nous faut savoir un peu ce qui se  passe, donc on échange nos informations. 
 
H. Morin, ministre de la Défense. Sur l'Afghanistan, ce matin, on a  essayé de savoir la vérité, ce n'est pas facile. 
 
Mais la vérité, c'est celle que je vous dis ! 
 
Nous l'avons entendue, H. Morin. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 octobre 2009