Interview de M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, à Canal Plus le 14 octobre 2009, sur la réforme des lycées, la candidature de Jean Sarkozy à l'Etablissement public d'aménagement de la la Défense (EPAD), le stress au travail et l'emploi des séniors.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et C. Roux M. Biraben : Nous allons accueillir maintenant notre invité politique, X. Darcos, ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville - il a reçu les syndicats pour entendre leurs propositions sur le contenu du grand emprunt - plus tranquille que son ancien portefeuille de l'Education nationale, alors que, hier, le président de la République, lui, présentait une réforme des lycées, jugée plutôt timide par les syndicats. X. Darcos, bonjour.
 
Bonjour.
 
C. Roux : Bonjour.
 
M. Biraben : Soyez le bienvenu.
 
Merci.
 
C. Roux : Alors, avant de parler de vos dossiers, deux réactions à l'actualité. Tout d'abord, la réforme des lycées, présentée hier par le président de la République. Vous-même, vous aviez présenté en souteneur une réforme des lycées, jugée ambitieuse, trop ambitieuse pour les lycéens, qui l'avaient rejetée. Celle-ci est plus timide, plus consensuelle, disent les syndicats ; vous dites quoi : dommage ?
 
Non, je trouve qu'on a complètement accompli ce qu'on avait promis, c'est-à-dire que la réforme que j'avais proposée avait été mal comprise, on a demandé aux lycéens comment ils entendaient les choses, on a demandé à monsieur Descoings de faire un rapport, et L. Chatel a proposé des aménagements aux lycées d'aujourd'hui, autour de l'orientation, autour de la réorientation, autour des langues vivantes, autour de la culture. Et donc ce qui a été présenté par le président de la République hier me paraît de très, très bonne qualité.
 
C. Roux : On est loin quand même du lycée à la carte, que vous avait demandé N. Sarkozy en juin 2008 ?
 
Mais oui, peut-être que nous avions voulu aller trop loin, peut-être, il n'était pas nécessaire d'aller si loin. Ce que propose en tous les cas aujourd'hui le président de la République me paraît bien fait, et de nature à donner satisfaction aux élèves. C'est l'essentiel.
 
C. Roux : Sans rancune alors ?
 
Non, absolument, et L. Chatel fait un très bon travail.
 
C. Roux : Alors, l'autre sujet d'actualité, c'est J. Sarkozy. Il y a eu hier des réactions des parlementaires de l'UMP, on a beaucoup entendu P. Cardo, député des Yvelines, qui explique qu'il est confronté, lui, à la colère de ses électeurs, dont les enfants n'arrivent pas à trouver du travail. Est-ce que vous entendez cette colère des élus de l'UMP ?
 
J'étais, hier, présent à la réunion de groupe lorsque les députés se sont exprimés, j'ai entendu tout cela. Je peux comprendre que vu de loin, lorsqu'on a soi-même des enfants à aider dans leur carrière, que ce soit difficile à comprendre. Mais cette affaire, au demeurant, est absolument incompréhensible pour moi, je le dis très nettement. Je ne suis pas particulièrement courtisan. Que reproche-t-on dans cette affaire ? J. Sarkozy a été élu par le peuple conseiller général, il a été élu président de son groupe, par les conseillers généraux. Il sera vraisemblablement élu par le conseil d'administration de l'EPAD. Où est le problème ? Ça s'appelle de la démocratie. Alors, est-ce que c'est parce qu'il est trop jeune ? Il y a 11.500 élus de moins de 25 ans en France, il faut les arrêter. Est-ce parce qu'il n'a pas fait suffisamment d'études ? J'ai vu monsieur Fabius qui disait : il est bien jeune ce petit. Alors, il faut être inspecteur des finances pour faire de la politique ? Ça veut dire que par exemple, monsieur Bérégovoy, qui avait un CAP, ne pouvait pas être Premier ministre, ça veut dire que monsieur Monory, qui était garagiste, il ne pouvait pas être président du Sénat ou ministre de l'Education nationale, tout ça, c'est...
 
C. Roux : Qu'est-ce que vous répondez à ces élus qui sont confrontés à la colère de leurs électeurs ?
 
Eh bien, je leur dis qu'il faut expliquer ça, je trouve que... Il y a un climat en France actuellement qui cherche à cibler des personnes au lieu des sujets, et qui est souvent d'ailleurs alimenté par l'extrême droite, qui est absolument délétère, qui est répugnant. On ne va pas faire un délit de sale nom au président Sarkozy ou un délit d'anti-jeune. Je trouve qu'il faut vraiment que la France se ressaisisse, qu'on cesse de chercher des cibles et que l'on parle des vrais sujets.
 
M. Biraben : Alors, on va passer à vos sujets maintenant, à vos dossiers...
 
C. Roux : Alors, les vrais sujets. Le sujet ce matin, c'est un employé de France Télécom qui a tenté de se suicider à Marseille, l'information est tombée ce matin. Vous demandez aux entreprises... déjà, votre réaction à cette information ?
 
Dieu merci, cet homme a pu être sauvé, il n'est pas mort. Il était chez lui depuis plusieurs mois, il était très malade. Peut-être, il y a des liens avec l'entreprise, mais enfin, c'est quelqu'un qui était à son domicile. Alors, sur l'affaire de France Télécom, je pense que nous serons, à la fin de cette année, en situation que ce que nous voyons aujourd'hui ne se produise plus, puisque, comme vous le savez, France Télécom, avec moi d'ailleurs, a réalisé une feuille de route qui oblige à ouvrir de la négociation sur toutes les questions, de stress au travail, d'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, sur les mutations, sur l'accompagnement des personnes qui ont changé de métier. Et donc j'ai l'impression qu'actuellement, les choses sont en train de se stabiliser...
 
C. Roux : L'impression ?
 
Oui, écoutez, je ne suis pas tous les jours dans la négociation, il y a un nouveau numéro deux, enfin, les choses progressent, très sensiblement.
 
C. Roux : Vous considérez que vous avez pris les choses suffisamment en main sur ce dossier, c'est ce qu'on vous reproche, c'est ce que certains vous reprochent...
 
D'avoir pris les choses en main ?
 
C. Roux : Non, de ne pas l'avoir fait suffisamment tôt, de ne pas l'avoir fait de manière suffisamment ferme...
 
Je l'ai fait assez tôt tout de même, je l'ai fait d'ailleurs avant les derniers suicides, je le rappelle, et je l'ai fait de manière assez ferme. Et en même temps, je ne suis pas chef d'entreprise, moi, j'avais signalé qu'il fallait agir plus vite, plus tôt peut-être, bon, les choses sont là maintenant, ne cherchons pas ce qui s'est passé, voyons les résultats que nous aurons dans les semaines qui viennent.
 
C. Roux : Alors, les résultats justement. Vous avez demandé aux entreprises de plus de 1.000 salariés d'ouvrir des négociations sur le stress au travail, vous dites : on mettra en ligne la liste des entreprises les plus vertueuses. Qu'est-ce que vous faites avec les entreprises les moins vertueuses ?
 
On les mettra aussi en ligne, et nous verrons bien comment cette pression de la transparence s'exercera sur les entreprises...
 
C. Roux : La pression de qui, de l'opinion ?
 
De l'opinion, évidemment, vous savez, quand vous serez sur une liste où on expliquera que vous êtes absolument indifférent à la question du stress au travail, du harcèlement, du risque psychologique, du stress que ressentent les employés, je pense que vous serez en situation difficile.
 
C. Roux : Alors, la pression de l'opinion, ce n'est pas bien pour J. Sarkozy, mais c'est bien pour les entreprises.
 
Ça n'a rien à voir en l'occurrence.
 
C. Roux : Ah bon...
 
Mais enfin, admettons-le, de toute façon, j'ai déjà dit que c'était une première étape, et le Gouvernement est absolument déterminé à avancer sur cette question, qui est une question centrale, parce que c'est lié à l'évolution de la société elle-même. Nous sommes passés d'une société industrielle, avec des accidents physiques, à une société de services avec des accidents qui sont de plus en plus liés à la psychologie. Et donc il faut que nous avancions sur ces sujets. Et si des entreprises ne jouent pas le jeu, eh bien, nous passerons peut-être à une autre étape.
 
C. Roux : C'est-à-dire une autre étape ? Est-ce qu'on peut imaginer des sanctions ?
 
Mais vous savez, nous savons déjà le faire, nous allons le faire à partir du 1er janvier prochain, pour les entreprises qui refusent d'avoir des plans de négociations, et des négociations autour de l'emploi des seniors. A partir du 1er janvier, celles qui ne l'ont pas fait, elles auront un prélèvement de 1% sur leur masse salariale, nous savons tout à fait faire pression sur les entreprises si c'est nécessaire.
 
C. Roux : Et ça, ça pourrait être appliqué dans le cadre des négociations sur le stress au travail ?
 
Je n'exclue rien. Nous avons proposé une première étape, qui est la transparence, et puis, on verra si ça marche. Après, on passera à une autre étape.
 
C. Roux : Certains proposent de muscler le droit pénal du travail, est-ce qu'il faut aller jusque-là aussi ?
 
Mais là aussi, je ne l'exclus pas. J'ai vu hier un syndicat d'inspection du travail qui trouve qu'il faut mettre une pression pénale plus grande sur les chefs d'entreprise. Il ne faut rien exclure, mais enfin, laissons pour l'instant - nous avons un délai très court, puisqu'il s'agit d'avoir terminé tout ça au plus tard au 1er février - laissons les entreprises travailler, nous verrons ce que ça donne. Et si ça ne donne pas satisfaction, eh bien, nous irons plus loin.
 
C. Roux : Alors, le grand emprunt, vous avez reçu les syndicats pour les entendre sur ce qu'ils attendent du grand emprunt, le contenu du grand emprunt, est-ce que tout le monde va dans le même sens ?
 
Pas complètement, j'ai reçu donc l'ensemble des partenaires sociaux avec E. Woerth, nous avons fait ces réunions ensemble, nous entendons des choses extrêmement diverses, mais ce que je constate, c'est que personne ne conteste le principe même du grand emprunt, l'idée qu'il faille investir lourdement sur des dépenses qui ne seraient pas faites naturellement, parce qu'il faut prévoir ce qui, en 2040 ou en 2050, sera en jeu pour qu'il y ait un bond qualitatif, si vous voulez, de ce pays, par rapport à d'autres, personne ne le conteste. Alors, ensuite, il y a des propositions les plus diverses...
 
C. Roux : Alors, les plus diverses, J.-C. Mailly, lui, propose de consacrer une partie des recettes de l'emprunt au Fonds de réserve des retraites.
 
Non, je ne pense pas que ce soit une très bonne idée, ça. En revanche...
 
C. Roux : Pourquoi ?
 
Parce qu'il ne s'agit pas de bloquer de l'argent, il s'agit, au contraire, de l'investir pour avoir, je le répète, une sorte de vue plus enrichissante, plus stimulante sur ce qui sera en jeu dans les années 2040 ou 2050, c'est-à-dire dans le domaine des technologies, dans le domaine de la recherche, dans le domaine des transports...
 
C. Roux : Et vous êtes sur la ligne Guaino, c'est-à-dire, il dit : attention à ce que ça ne devienne pas un tout petit emprunt. Vous êtes pour un très grand emprunt, c'est-à-dire, on parlait de cent milliards, ou vous êtes plutôt sur la ligne des vingt, quarante milliards...
 
Cent milliards, ce sont des sommes considérables, moi, je n'ai pas à en juger, mais je pense en effet que le président de la République avait plutôt l'idée, qu'à tout faire, à tant faire que faire un emprunt, il fallait que ce soit un emprunt conséquent, dès lors qu'il s'agit bien de faire en sorte qu'il y ait un retour sur investissement. A ce moment-là, je pense en effet qu'il vaut mieux être ambitieux.
 
M. Biraben : On va passer au « J'aime/J'aime pas » maintenant, vous allez nous dire si vous aimez ou si vous n'aimez pas le tabac en vente libre sur Internet.
 
Je n'aime pas.
 
M. Biraben : Vous pouvez développer ?
 
Non, je pense que le tabac est un danger, et qu'il ne faut rien faire qui incite à fumer facilement.
 
C. Roux : J'aime/J'aime pas, D. de Villepin plus populaire dans les sondages que N. Sarkozy ?
 
Parce qu'actuellement, on a l'impression que c'est lui la victime, D. de Villepin, et N. Sarkozy, le persécuteur, par un jeu horrible d'ailleurs, qui consiste à renverser la charge de la preuve, puisque jusqu'à preuve du contraire, la victime dans cette affaire, celui qu'on a voulu détruire par une machination horrible, c'est N. Sarkozy.
 
M. Biraben : J'aime/J'aime pas la TVA qui ne fait pas baisser les prix dans la restauration ?
 
Je n'aime pas du tout, c'est vraiment mal joué, parce que nous avons fait un gros effort, nous nous sommes beaucoup battus pour accomplir cette promesse de baisser à 5,5% les prix de la restauration, il faut que les restaurateurs le répercutent sur leurs prix. C. Roux :
 
Un petit dernier, J'aime/J'aime pas l'avis du Conseil économique et social qui recommande l'abandon du projet de fiscalisation des indemnisations pour accidents du travail ; est-ce qu'ils ont bien fait ?
 
Je n'aime pas, parce que c'est une proposition parlementaire qui me paraît aller dans le bon sens. Lorsque vous êtes enceinte, lorsque vous êtes malade, vous êtes chez vous, vous avez un revenu de substitution. Lorsque vous avez un accident du travail, c'est le même cas. Et donc il n'y a pas de raison que ces revenus ne soient pas taxés, dès lors que ça ne touche pas ni à la rente, ni à la compensation que vous pourriez avoir, recevoir au titre de votre accident du travail, c'est un revenu.
 
M. Biraben : Et un petit dernier après le petit dernier : les ministres au régime, vous aimez, vous n'aimez pas ?
 
Pas tellement, parce que je suis plutôt un amateur de bonnes choses, et je trouve que nous avons une vie déjà très difficile, et si en plus, il faut se soumettre à un régime draconien, je trouve que notre vie deviendrait bien ingrate.
 
C. Roux : Ah ! Donc, on ne vous l'impose pas, le régime !
 
Mais personne ne m'impose rien, Dieu merci, dans ce domaine, enfin, bon...
 
M. Biraben : Très bien. Merci beaucoup à vous d'avoir été notre invité aujourd'hui...
 
C. Roux : Merci...
 
C'est moi qui vous remercie.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 octobre 2009