Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la répression des manifestations en Iran et le dossier nucléaire iranien, Paris le 4 novembre 2009.

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Je voulais dire que je suis inquiet parce que les manifestations de protestation dans les rues de Téhéran ont été réprimées.
Elles ont commencé très tôt ce matin et très vite, dans le centre ville, il y a eu des heurts. Ces manifestations avaient été précédées hier soir par des cris dans la ville, le cri de "Allâhu Akbar !". Je pense que ce soir, ces cris recommenceront. Le dispositif policier mis en place contres ces manifestations est le signe de l'inquiétude du gouvernement de Téhéran. La ville était quadrillée par la police et le service d'ordre des gardiens de la révolution.
On a entendu des tirs dans les rues. Hélas, nous n'avons pas de précision mais j'espère qu'il n'y a eu ni morts ni blessés.
Je suis inquiet parce que la situation demeure tendue, comme vous le savez sans doute et parce que, dans le même temps, sur la question nucléaire, il n'y a pas de réponses aux questions du Comité des experts réunis à Vienne et aux propositions des Américains, des Russes et de nous-mêmes. Ce qui augure très mal d'un nouveau rendez-vous à Genève entre les E 3 + 3 pour que les pourparlers puissent se poursuivre.
Tout cela n'est pas de bon augure, j'espère me tromper.
Un gouvernement qui réprime chez lui et qui refuse le dialogue à l'extérieur, je répète que ce n'est pas de bon augure.
La France a poursuivi en permanence le dialogue. Nous avons tenté chaque fois que possible de rencontrer nos homologues, de rencontrer des Iraniens, quels qu'ils soient et d'ouvrir le débat.
La situation est dangereuse, dans un Moyen-Orient lui-même instable.
Q - Quelle va être la position de la France ? Un renforcement des sanctions ?
R - Il n'est pas question de sanction, il est question de dialogue. Les sanctions, si nous ne dialoguons pas, viendront peut-être plus tard. Je vous rappelle qu'il y a déjà eu trois résolutions avec des sanctions, votées par le Conseil de sécurité des Nations unies, avec les Chinois et les Russes.
Pour l'instant, il n'en est pas question. Maintenant, nous suivons le processus amorcé par les Américains, avec notre soutien bien entendu. Le président Obama avait dit qu'il voulait des contacts directs : alors, parlons.
Les Américains sont venus à Genève, les résultats de cette réunion n'ont pas été mauvais, je crois même que c'était un progrès. Mais depuis, il n'y a pas de réponse à la proposition de l'AIEA d'un éventuel enrichissement de l'uranium destiné à alimenter le réacteur de recherche médical de Téhéran. Donc, pour le moment, la situation est bloquée, ce que je déplore, mais nous ne parlons pas de sanctions maintenant.
Q - Les Iraniens demandent à l'AIEA une nouvelle réunion. Vous paraît-elle inutile ?
R - Ce n'est jamais inutile mais, pour le moment, il n'y a pas de réponse. L'AIEA a beaucoup travaillé et nous remercions tout particulièrement M. Mohamed El Baradeï. Il a tout essayé pour que se débloque la situation, mais nous n'avons pas de réponse à ce stade.
Est-ce à dire que tout est complètement bloqué ? C'est possible. Mais les Iraniens nous ont aussi habitués à une non-réponse écrite et, en même temps, à un certain dialogue qui pourrait peut-être se poursuivre. Nous verrons bien, nous espérons.
Q - Quelle est la gêne du côté iranien ? Pourquoi ne répondent-ils pas ?
R - Il vous faut leur demander. Pour moi, c'est assez incompréhensible.
Tendre la situation au Moyen-Orient, avoir à faire face en même temps à une contestation intérieure, puissante - personne n'en doute à présent - et, en même temps, avoir le monde entier ou presque contre soi, cela ne me paraît pas un bon calcul diplomatique. Il faut demander aux Iraniens pourquoi.
La situation est dangereuse au Moyen-Orient parce qu'il y a des foyers de confrontation qui existaient déjà, celui-ci vient s'y ajouter. Je crois qu'il ne faut pas provoquer les Israéliens avec l'existence potentielle, putative et en tout cas non prouvée de la fabrication d'une bombe nucléaire.
Encore une fois, les Iraniens ont complètement le droit au nucléaire civil, nous avons même offert de les aider. Ce n'est pas cela qui est en cause.
Q - Comment voyez-vous la suite des évènements ? Avez-vous une idée de la manière dont la situation peut évoluer ? Quelles sont les options qui s'offrent à vous ?
R - Je crois que si les Iraniens ne nous répondent pas, s'ils ne répondent pas aux E3 + 3 - je vous rappelle qu'il s'agit des cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne -, si les Iraniens ne répondent pas, il y aura donc de fait, en réalité, rupture de ces pourparlers qui n'avaient pas si mal commencé à Genève le mois dernier.
Je ne l'espère pas, je souhaite que le dialogue se poursuive. Tout ce qui peut détendre l'atmosphère et éviter les confrontations me paraît juste, nécessaire et même indispensable. Mais pour parler, il faut au moins être deux n'est-ce pas ? Sinon...
Q - La France a-t-elle l'intention de proposer autre chose pour faire avancer le dialogue en ce sens ou non ?
R - La France vient de proposer d'enrichir l'uranium dont les Iraniens avaient besoin. La réponse a été de nous dire qu'ils n'avaient pas besoin de la France et qu'il fallait que nous sortions du débat. C'est une approche diplomatique un peu rude n'est-ce pas ?
Q - Lorsque vous dites qu'il ne faut pas provoquer Israël, sentez-vous l'impatience monter ?
R - Je ne sens pas monter l'impatience car je ne me trouve pas en Israël. Mais je sais - les Israéliens l'ont dit - qu'ils n'accepteraient pas l'existence d'une arme atomique dans ce pays. La France et la communauté internationale ne l'acceptent pas non plus avec un pays qui a signé le Traité de non-prolifération.
Q - Et, malgré tout, vous avez donné le délai de la fin de cette année ?
R - Ce sont les Américains qui ont déclenché cette nouvelle étape des pourparlers, avec beaucoup d'espoir et l'espoir français les accompagnait. Nous l'avons non seulement accepté, mais nous avons dit : "Bienvenue au club". Hélas, cela ne se déroule pas comme nous le souhaitions. Attendons encore, nous ne sommes pas à la fin de l'année et cette fin d'année n'est pas une "dead line".
Mais enfin ils ne répondent pas et je souhaitais vous dire cela, je souhaitais vous dire combien la France désirait que le dialogue se poursuive, en un jour où les manifestations à Téhéran ont été importantes. C'est le signe très net d'une opposition grandissante qui demeure et qui a le courage de manifester dans la rue face à une répression qui est rude, vous le savez.
Avez-vous vu les condamnations des manifestants ? Cinq condamnations à mort et une répression féroce. Je trouve cela très courageux et vraiment, nous sommes du côté des personnes qui veulent plus de démocratie en Iran.
Q - N'avez-vous pas l'impression que ce genre de propos risque justement de déplaire aux autorités iraniennes et à M. Ahmadinejad qui pourrait parler d'ingérence ?
R - Ce qui m'intéresse, ce ne sont pas les fauteurs de guerre, ce sont les fauteurs de paix. Donc, si M. Ahmadinejad se compte dans les premiers, tant pis pour lui.
Q - (A propos des derniers développements à Téhéran)
R - Tout d'abord, nous ignorons la réalité de la situation actuelle à Téhéran. Nous savons qu'il y a eu des manifestants particulièrement déterminés et très nombreux, qu'il y avait une foule importante au coeur de Téhéran. Nous ne savons pas si certains d'entre eux ont été blessés, tués. Tout ce que je sais c'est qu'il s'agit d'un vaste mouvement populaire.
Par ailleurs, malheureusement, le gouvernement iranien n'a pas répondu à nos demandes concernant l'enrichissement de l'uranium lors des pourparlers à Vienne, ni sur la tenue prochaine de la nouvelle session de pourparlers politiques à Genève. Il ne nous assure de rien, que sommes-nous donc supposés faire ? Attendre ? Oui, nous attendons, mais nous n'attendons pas la fin du monde ! S'ils veulent accéder à l'énergie nucléaire civile, nous sommes d'accord et même nous sommes prêts à les y aider. Mais s'ils veulent développer l'arme nucléaire, nous y sommes totalement opposés, parce que c'est contraire au Traité de non-prolifération qu'ils ont eux-mêmes signé. Nous attendons un résultat s'agissant des demandes sur l'enrichissement de l'uranium et de l'aide technique depuis plus de quinze jours, depuis les pourparlers de Vienne. Alors, attendons et espérons.
Q - Combien de temps allez-vous attendre ?
R - Cela dépend en particulier de nos amis américains parce qu'ils ont développé une nouvelle approche avec les pourparlers politiques. Ils voulaient un dialogue direct avec les Iraniens et nous les soutenions. Or, aujourd'hui à moins que je ne me trompe, ils ont découvert que c'est impossible. Je veux être plus optimiste. Attendons un, deux, trois mois...
Q - Est-il possible que d'autres pays puissent aider le groupe 5+1 pour approcher les Iraniens ?
R - Quels pays ? Bienvenue à tous ceux qui le veulent ! S'ils ont la moindre influence sur le gouvernement iranien, ils peuvent nous aider. Pourquoi pas ? Mais vous savez, tous ont essayé. De nombreux pays, gouvernements, Premiers ministres, ministres des Affaires étrangères ont essayé de favoriser le dialogue. Ce serait évidemment bienvenu !
Q - Ne pensez-vous pas que toutes ces déclarations iraniennes sur le nucléaire au cours des dernières semaines ne sont pas le reflet de divisions profondes à l'intérieur du régime mais d'une hésitation ?
R - Hésitation, je ne sais pas mais il y a quelques nuances dans les réponses qui vont dans votre sens. Je ne sais pas s'il y a un vrai dialogue mais, en tout cas, il y a des positions différentes parmi les dirigeants. C'est évident parce qu'ils font face - et je pense que c'est beaucoup plus difficile pour eux que le reste - à une opposition intérieure qui semble très déterminée. Il y a un certain nombre de responsables religieux qui viennent de déclarer, encore hier, qu'il était légitime de s'élever contre des élections qu'ils jugeaient sinon truquées au moins comme ayant été suivies de l'annonce d'un résultat contestable. Il s'agit de grands dignitaires religieux qui démontrent que cela n'est pas une attaque contre la république islamique, mais une attaque contre ce gouvernement.
Q - Une dernière question, concernant la durée des pourparlers des 5+1. Vous avez parlé de la fin de l'année, y a-t-il une date limite ?
R - Tout le monde sait que la fin de l'année ne sera pas une date limite au sens où après ce ne sera plus possible et avant c'était possible. Non, mais je pense que lorsque nous aurons attendu quatre mois la réponse des Iraniens, il sera temps de se poser des questions. C'est peut-être la fin de l'année.
Q - Et après ?
R - Après, on verra. Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 novembre 2009