Entretien de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "Les Echos" du 5 novembre 2009, sur le couple franco-allemand dans la construction européenne et sur le rôle de la Commission européenne.

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Q - Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se retrouvent lundi à Berlin puis mercredi à Paris pour les cérémonies du 11 novembre. Ils affirment tous deux que leurs relations sont au beau fixe. N'est-ce pas le moment de prendre de nouvelles initiatives dans le domaine bilatéral ou européen ?
R - Je crois que s'il fallait convaincre les deux chefs d'Etat et les classes politiques de l'importance cardinale du moteur franco-allemand pour le bon fonctionnement de l'Europe, la crise s'en est chargée ! On a vu à cette occasion que sans accord entre Paris et Berlin, il ne se passe rien. Cette conscience là, a vraiment pénétré les esprits. Dès lors, tout s'enchaîne : qu'il s'agisse des nominations en Europe, des politiques économiques, de la réglementation financière ou des grands dossiers de la planète, comme le climat ou l'immigration, nos deux pays sont en phase. C'est dans l'entente franco-allemande que se dessinent presque chaque fois des esquisses de solutions. Je ne dis pas pour autant que c'est facile. Mais je crois que, s'agissant de l'Europe, nous avons plus de devoir que les autres Etats membres et j'ai la conviction absolue que cette conscience là existe des deux côtés du Rhin.
Q - On a quand même l'impression que chaque fois que la France a fait, ces derniers mois, des propositions à l'Allemagne sur la gouvernance économique, le rapprochement des politiques budgétaires ou, de façon plus anecdotique, des échanges de ministres, l'Allemagne s'est défilée.
R - Il est vrai qu'il y a un débat sur ces questions y compris en Allemagne. Cela vient du fait que l'Europe s'est beaucoup élargie et que son fonctionnement en a été rendu plus compliqué et plus coûteux. D'ailleurs, nous avons déjà commencé à évoquer avec nos partenaires allemands de ce que seront les besoins budgétaires de l'Union européenne à partir de 2013. En matière de gestion économique, il est vrai qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire. Nous les souhaitons. L'Allemagne nous rejoindra -t-elle ? Je pense que oui. Mais je ne crois pas que la solution ne se trouve que dans les obligations et les traités. C'est la réalité et le dialogue permanent qui comptent.
Q - N'est-ce pas la chute du Mur, en 1989, qui est à l'origine d'une certaine perte d'intérêt de l'Allemagne pour l'Europe ?
R - La césure qui s'est produite alors a provoqué un séisme mondial qui a relativisé la taille et la place de la Russie, des Etats-Unis, et de la plupart des pays en Europe. Personne ne conteste que l'Allemagne y a retrouvé un poids central. Mais arrêtons, en France, de passer d'une peur à l'autre. Il fut un temps où l'on redoutait la finlandisation de l'Allemagne puis, dans les années 90, la "grande Allemagne" était de retour et l'on craint désormais le nationalisme allemand.
Q - La question est plutôt de l'utilité pour l'Allemagne de jouer le jeu de l'Europe.
R - Les dirigeants de la nouvelle coalition viennent de faire un choix très important : ils ont décidé de faire de l'Allemagne la locomotive de la croissance en Europe au cours des prochaines années, en poursuivant la politique de relance économique. Nous ne pouvons que nous en réjouir car ce sont les choix que nous avons faits pour la France. L'Allemagne aurait pu imposer, de facto, une cure d'austérité à toute l'Europe.
Nous avons devant nous un immense défi : au premier janvier, l'Union européenne disposera de nouvelles institutions et devra répondre à une demi-douzaine de problèmes urgents ; la sortie de crise, la politique de l'énergie, l'immigration, la sécurité et l'environnement. Réussira-t-on à catalyser les énergies des deux plus grands pays en Europe et à la mettre au service de l'Europe dans le monde ? L'Europe existera t-elle au XXIème siècle comme l'un des grands pôles de puissance de cette planète ou s'installera -t-elle dans le sillage d'un "G2" américano-chinois ?
Q - Dans cette vision plutôt intergouvernementale de l'Europe, quel rôle attribuez-vous à la Commission européenne ?
R - Il n'est écrit nulle part que la Commission était le gouvernement de l'Europe. La réalité d'aujourd'hui c'est que c'est une institution qui pense l'Europe, qui agit pour l'Europe, ce qui est utile, et elle pèse de tout son poids quand les Etats ne sont pas d'accord. Quand la Commission Barroso propose des mesures à prendre lorsque les coupures de gaz russe risquent d'entraîner des pénuries en Europe, ce qui est une bonne chose. Mais quand elle prend des sanctions beaucoup trop dures pour des pratiques anticoncurrentielles comme les aides d'Etat illégales, je pense qu'on doit revenir à des choses raisonnables. Il est indispensable de mettre en oeuvre une meilleure concurrence sur le marché intérieur européen, mais il ne faut pas non plus fragiliser les industriels européens face à des géants étrangers, chinois et indiens notamment. Je pense donc qu'en amont la Commission et les Etats membres devraient davantage travailler ensemble. Il y a eu dans le passé des dérives idéologiques qui ne doivent plus se reproduire.
Q - Vous niez qu'elle défende les intérêts de l'Europe ?
R - Je dis simplement que sa politique est parfois ambiguë. Prenons l'exemple de la taxe carbone aux frontières : on soupçonne la France de protectionnisme parce qu'elle refuse que les sociétés européennes soient davantage pénalisées que les autres qui auraient refusé toute contrainte sur les émissions de CO2. Si l'on veut que les négociations sur le climat avancent, il faut poser des conditions et proposer des pénalités, dans le cas où aucun accord ne serait trouvé avec les pays émergents. Dans la crise du lait, j'ai été également frappé par la première réaction de la Commission aux demandes du ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire, en faveur de meilleures aides de soutien aux producteurs. Soit on laisse le marché fonctionner tout seul et on débouche sur un désastre pour le secteur comme pour les consommateurs. Soit on maintient un filet de protection utilisable en cas de crise, comme c'est la philosophie d'origine de la Politique agricole commune. Toutes ces questions se posent et exigent, à mon avis, une meilleure concertation avec la Commission.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 novembre 2009