Texte intégral
J.-J. Bourdin.- H. Morin, ministre de la Défense et président du Nouveau Centre est avec nous, ce matin. H. Morin, bonjour.
Bonjour, J.-J. Bourdin.
Merci d'être avec nous. Alors j'ai écouté comme vous le Président... quoi que vous étiez à Dubaï, hier, je crois ?
Non, non, je pars ce soir à Dubaï.
Vous partez ce soir à Dubaï. Nous avons écouté le Président de la République hier ; le débat sur l'identité nationale est nécessaire et noble, a-t-il dit. Et je le cite : "à force d'abandon, nous avons fini par ne plus savoir très bien qui nous étions. A force de cultiver la haine de soi, nous avons fermé les portes de l'avenir. On ne bâtit rien, sur la haine de soi, sur la haine des siens et sur la détestation de son propre pays". Est-ce que vous avez le sentiment que nous détestons notre pays ?
C'est un beau sujet, que celui de l'identité nationale. Parce que ce n'est pas un sujet figé. Et donc c'est important qu'un pays s'interroge sur ce qu'il est, quelles sont les valeurs, quel est son ciment, quels sont les piliers qui construisent la maison commune. C'est un débat qui ne doit pas être un débat qui est un débat nostalgique, ou un débat sur...
Passéiste, vous avez dit passéiste. Surtout évitons les relents passéistes.
Nostalgiques, voilà. Cela ne doit pas être un débat qui doit amener à considérer ce que pourrait être une espèce de France éternelle, la France des villages, des clochers et du bocage. Je vais vous donner deux exemples qui démontrent à quel point l'idée de l'identité nationale est une idée qui a évoluée dans le temps. Vous avez lu comme moi F. Braudel, « L'identité de la France » ?
Oui.
F. Braudel considérait que dans les éléments de ces identités, il y avait la centralisation française. Aujourd'hui, nous vivons dans un pays décentralisé. Prenons un autre exemple : l'égalité entre les hommes et les femmes ; c'est un des éléments majeurs, d'ailleurs qui justifient qu'on soit hostile à la burka. Mais on a donné le droit de vote aux femmes en 1944, on les a rendues juridiquement égaux (sic) aux hommes au milieu des années 60, dans le Code Civil. Et donc on voit très bien que cette idée d'identité nationale évolue en fonction de l'évolution du pays lui-même. Et dans une société métissée, comme la société française, qui est aujourd'hui une société beaucoup plus composite qu'elle ne l'était, il est important que régulièrement notre pays soit en interrogation sur ce qui le porte ensemble...
Mais ne risque-t-on pas de stigmatiser une partie des Français, dans un débat comme celui-là ?
Alors bien entendu, quand on a ce débat sur l'identité nationale - E. Besson en tant que président du Nouveau centre, m'a demandé de participer au débat, c'est ce que je dirai - je dirais : l'identité nationale ça ne veut pas dire qu'on est tous identiques. Et il faut veiller à ce que ce principe d'identité nationale, ces grandes valeurs là, qui fait qu'on est tous ensemble...
Ces valeurs-là sont en danger parfois ?
Non. Que ces valeurs-là, elles n'apparaissent pas comme éventuellement un facteur de stigmatisation de telle ou telle partie des Français.
Il y a ce risque ?
Je ne sais pas, mais il faut éviter que ce débat tourne là-dessus, voilà !
Bien ! H. Morin, il y a eu un nouvel attentat à Kaboul, vous avez vu. Débat sur l'engagement français en Afghanistan, lundi au Sénat, H. Morin. D'abord est-ce que nous allons envoyer de nouvelles troupes en Afghanistan ?
Non, ça c'est clair.
Ca c'est clair, vous n'avez pas changé d'avis ? Ni vous, ni le président de la République ?
Je n'ai pas changé d'avis, ni le président de la République qui est le chef des armées.
Non, je vous dis ça, parce que B. Obama réfléchit, vous le savez ? Les Américains réfléchissent. Déclaration de B. Obama : "l'engagement américain en Afghanistan ne sera pas sans fin". C'est ce qu'il a dit. Nous aussi...
Nous disons la même chose. Ce qui est clair, c'est qu'il n'y a pas de victoire militaire sur l'Afghanistan.
Est-ce qu'il y a une victoire militaire possible ?
Il y a simplement le fait qu'il faut des éléments de sécurité, de stabilité, pour ensuite créer les conditions du développement.
Est-ce qu'il y a une victoire militaire possible ?
Il n'y a pas de victoire militaire, il n'y a pas de victoire seulement militaire. Il faut des forces pour assurer les conditions du développement et de la reconstruction du pays. Il faut des forces pour assurer la formation de l'armée de la police afghane. Parce que quand on aura construit les institutions de l'Afghanistan, c'est là où nous pourrons partir.
Ça fait des années qu'on le dit ?
Non, mais ça ne fait que 8... c'est un pays qui a été détruit par 25 ans de guerre. On ne reconstruit pas un pays qui est en plus un pays clanique, tribal, qui est un pays composite, avec des dizaines d'ethnies différentes, on ne le reconstruit pas en l'espace de 24 heures...
Et on fait avec H. Karzaï, si je comprends bien. On fait avec, parce qu'on n'a personne d'autre.
C'est lui qui a été élu, il a été élu...
Elu ! Oui, oui, enfin bon...
Non, non, mais il ne faut pas sous-estimer ce qu'a représenté le vote du peuple afghan. Moi, j'ai les militaires français qui m'ont expliqué ce qui s'est passé.
Oui, 34 % du peuple afghan.
Oui, mais 34 %... Ecoutez, on a des taux de participation qui sont chez nous, parfois pas beaucoup plus élevés que ça. On m'a raconté dans les vallées, les Afghans sont allés voter alors qu'il y avait de tirs de roquettes, ils sont allés voter alors que les talibans indiquaient que ceux qui auraient le doigt marqué par l'encre qui indiquait qu'ils avaient participé au scrutin, se feraient couper la main. Voter dans ces conditions-là, c'est un acte de foi sur l'avenir qui est important.
Avec 1 million sur 3 millions de votes frauduleux.
Mais ça, c'est vous qui le dites, mais...
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la commission indépendante, ce n'est pas moi.
Mais il n'empêche que la construction de l'Afghanistan passera par cette meilleure adéquation entre présence militaire, et reconstruction du pays. On ne peut pas être en guerre contre les talibans, en permanence, il faut d'abord s'occuper de la population.
Donc c'est ce que vous allez dire lundi, lors du débat ?
Voilà. Il faut que la population se sente assez en sécurité, pour qu'elle crée les conditions d'une pression sociale sur les milliers de talibans pour leur dire : vous posez les armes.
C'est ce que vous allez dire lundi, au Sénat ?
C'est ce que je dirais, oui.
Pour justifier le maintien de la force française en Afghanistan ?
Dans les informations, tout à l'heure, vous aviez l'attentat au Pakistan, à Peshawar.
A Peshawar oui.
C'est une des raisons pour lesquelles on ne peut pas partir, parce que l'Afghanistan est au coeur d'un arc de crise, et si nous partons d'Afghanistan, comme certains le préconisent...
Peu le préconisent, peu préconisent le départ ?
Certains le préconisent. Le risque de contagion sur les autres pays est majeur. Et quand on sait que le Pakistan est un pays de 130 ou 140 millions d'habitants et un pays détenant l'arme nucléaire, avant de décider de partir, on réfléchit aux conséquences de ce genre de proposition.
Alors le renvoi dans leur pays, d'Afghans, en situation irrégulière, déclaration de B. Kouchner : "je pense que ce n'est pas comme cela qu'il faut faire, surtout quand on se bat là-bas. Je pense que ce n'est pas utile, je l'ai dit à E. Besson, et au président de la République". Vous êtes plutôt Besson ou plutôt Kouchner ?
Je suis plutôt... moi, j'ai demandé à E. Besson - je vous le dis, parce que c'est important - j'ai demandé à E. Besson qu'on puisse favoriser le regroupement familial ou la venue en France des Afghans qui sont nos interprètes, qui sont les interprètes de l'armée française et il m'a dit oui. Ça... B. Kouchner, je ne suis pas chargé de faire de la politique...
Mais vous êtes plutôt Kouchner ou...
... Je suis plutôt Besson, pour une raison très simple : c'est parce que tous les autres pays européens procèdent de la même façon. C'est-à-dire qu'ils renvoient des Afghans. Si vous créez un point de fixation en France, en considérant qu'il y aura un traitement particulier en France, vous alimentez les filières. Et on ne peut pas considérer que la Suède, la Norvège, ou la Grande-Bretagne, qui renvoient les Afghans, sont des pays dont on estime qu'ils ne respectent pas les droits de l'homme, etc. Donc il faut avoir une politique en la matière qui soit harmonisé au niveau européen.
Vous l'avez dit à B. Kouchner ?
Je l'ai déjà dit, puisqu'on m'a déjà posé la question.
Et vous le lui direz à l'occasion, si j'ai bien compris. (.../...)
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 novembre 2009
Bonjour, J.-J. Bourdin.
Merci d'être avec nous. Alors j'ai écouté comme vous le Président... quoi que vous étiez à Dubaï, hier, je crois ?
Non, non, je pars ce soir à Dubaï.
Vous partez ce soir à Dubaï. Nous avons écouté le Président de la République hier ; le débat sur l'identité nationale est nécessaire et noble, a-t-il dit. Et je le cite : "à force d'abandon, nous avons fini par ne plus savoir très bien qui nous étions. A force de cultiver la haine de soi, nous avons fermé les portes de l'avenir. On ne bâtit rien, sur la haine de soi, sur la haine des siens et sur la détestation de son propre pays". Est-ce que vous avez le sentiment que nous détestons notre pays ?
C'est un beau sujet, que celui de l'identité nationale. Parce que ce n'est pas un sujet figé. Et donc c'est important qu'un pays s'interroge sur ce qu'il est, quelles sont les valeurs, quel est son ciment, quels sont les piliers qui construisent la maison commune. C'est un débat qui ne doit pas être un débat qui est un débat nostalgique, ou un débat sur...
Passéiste, vous avez dit passéiste. Surtout évitons les relents passéistes.
Nostalgiques, voilà. Cela ne doit pas être un débat qui doit amener à considérer ce que pourrait être une espèce de France éternelle, la France des villages, des clochers et du bocage. Je vais vous donner deux exemples qui démontrent à quel point l'idée de l'identité nationale est une idée qui a évoluée dans le temps. Vous avez lu comme moi F. Braudel, « L'identité de la France » ?
Oui.
F. Braudel considérait que dans les éléments de ces identités, il y avait la centralisation française. Aujourd'hui, nous vivons dans un pays décentralisé. Prenons un autre exemple : l'égalité entre les hommes et les femmes ; c'est un des éléments majeurs, d'ailleurs qui justifient qu'on soit hostile à la burka. Mais on a donné le droit de vote aux femmes en 1944, on les a rendues juridiquement égaux (sic) aux hommes au milieu des années 60, dans le Code Civil. Et donc on voit très bien que cette idée d'identité nationale évolue en fonction de l'évolution du pays lui-même. Et dans une société métissée, comme la société française, qui est aujourd'hui une société beaucoup plus composite qu'elle ne l'était, il est important que régulièrement notre pays soit en interrogation sur ce qui le porte ensemble...
Mais ne risque-t-on pas de stigmatiser une partie des Français, dans un débat comme celui-là ?
Alors bien entendu, quand on a ce débat sur l'identité nationale - E. Besson en tant que président du Nouveau centre, m'a demandé de participer au débat, c'est ce que je dirai - je dirais : l'identité nationale ça ne veut pas dire qu'on est tous identiques. Et il faut veiller à ce que ce principe d'identité nationale, ces grandes valeurs là, qui fait qu'on est tous ensemble...
Ces valeurs-là sont en danger parfois ?
Non. Que ces valeurs-là, elles n'apparaissent pas comme éventuellement un facteur de stigmatisation de telle ou telle partie des Français.
Il y a ce risque ?
Je ne sais pas, mais il faut éviter que ce débat tourne là-dessus, voilà !
Bien ! H. Morin, il y a eu un nouvel attentat à Kaboul, vous avez vu. Débat sur l'engagement français en Afghanistan, lundi au Sénat, H. Morin. D'abord est-ce que nous allons envoyer de nouvelles troupes en Afghanistan ?
Non, ça c'est clair.
Ca c'est clair, vous n'avez pas changé d'avis ? Ni vous, ni le président de la République ?
Je n'ai pas changé d'avis, ni le président de la République qui est le chef des armées.
Non, je vous dis ça, parce que B. Obama réfléchit, vous le savez ? Les Américains réfléchissent. Déclaration de B. Obama : "l'engagement américain en Afghanistan ne sera pas sans fin". C'est ce qu'il a dit. Nous aussi...
Nous disons la même chose. Ce qui est clair, c'est qu'il n'y a pas de victoire militaire sur l'Afghanistan.
Est-ce qu'il y a une victoire militaire possible ?
Il y a simplement le fait qu'il faut des éléments de sécurité, de stabilité, pour ensuite créer les conditions du développement.
Est-ce qu'il y a une victoire militaire possible ?
Il n'y a pas de victoire militaire, il n'y a pas de victoire seulement militaire. Il faut des forces pour assurer les conditions du développement et de la reconstruction du pays. Il faut des forces pour assurer la formation de l'armée de la police afghane. Parce que quand on aura construit les institutions de l'Afghanistan, c'est là où nous pourrons partir.
Ça fait des années qu'on le dit ?
Non, mais ça ne fait que 8... c'est un pays qui a été détruit par 25 ans de guerre. On ne reconstruit pas un pays qui est en plus un pays clanique, tribal, qui est un pays composite, avec des dizaines d'ethnies différentes, on ne le reconstruit pas en l'espace de 24 heures...
Et on fait avec H. Karzaï, si je comprends bien. On fait avec, parce qu'on n'a personne d'autre.
C'est lui qui a été élu, il a été élu...
Elu ! Oui, oui, enfin bon...
Non, non, mais il ne faut pas sous-estimer ce qu'a représenté le vote du peuple afghan. Moi, j'ai les militaires français qui m'ont expliqué ce qui s'est passé.
Oui, 34 % du peuple afghan.
Oui, mais 34 %... Ecoutez, on a des taux de participation qui sont chez nous, parfois pas beaucoup plus élevés que ça. On m'a raconté dans les vallées, les Afghans sont allés voter alors qu'il y avait de tirs de roquettes, ils sont allés voter alors que les talibans indiquaient que ceux qui auraient le doigt marqué par l'encre qui indiquait qu'ils avaient participé au scrutin, se feraient couper la main. Voter dans ces conditions-là, c'est un acte de foi sur l'avenir qui est important.
Avec 1 million sur 3 millions de votes frauduleux.
Mais ça, c'est vous qui le dites, mais...
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la commission indépendante, ce n'est pas moi.
Mais il n'empêche que la construction de l'Afghanistan passera par cette meilleure adéquation entre présence militaire, et reconstruction du pays. On ne peut pas être en guerre contre les talibans, en permanence, il faut d'abord s'occuper de la population.
Donc c'est ce que vous allez dire lundi, lors du débat ?
Voilà. Il faut que la population se sente assez en sécurité, pour qu'elle crée les conditions d'une pression sociale sur les milliers de talibans pour leur dire : vous posez les armes.
C'est ce que vous allez dire lundi, au Sénat ?
C'est ce que je dirais, oui.
Pour justifier le maintien de la force française en Afghanistan ?
Dans les informations, tout à l'heure, vous aviez l'attentat au Pakistan, à Peshawar.
A Peshawar oui.
C'est une des raisons pour lesquelles on ne peut pas partir, parce que l'Afghanistan est au coeur d'un arc de crise, et si nous partons d'Afghanistan, comme certains le préconisent...
Peu le préconisent, peu préconisent le départ ?
Certains le préconisent. Le risque de contagion sur les autres pays est majeur. Et quand on sait que le Pakistan est un pays de 130 ou 140 millions d'habitants et un pays détenant l'arme nucléaire, avant de décider de partir, on réfléchit aux conséquences de ce genre de proposition.
Alors le renvoi dans leur pays, d'Afghans, en situation irrégulière, déclaration de B. Kouchner : "je pense que ce n'est pas comme cela qu'il faut faire, surtout quand on se bat là-bas. Je pense que ce n'est pas utile, je l'ai dit à E. Besson, et au président de la République". Vous êtes plutôt Besson ou plutôt Kouchner ?
Je suis plutôt... moi, j'ai demandé à E. Besson - je vous le dis, parce que c'est important - j'ai demandé à E. Besson qu'on puisse favoriser le regroupement familial ou la venue en France des Afghans qui sont nos interprètes, qui sont les interprètes de l'armée française et il m'a dit oui. Ça... B. Kouchner, je ne suis pas chargé de faire de la politique...
Mais vous êtes plutôt Kouchner ou...
... Je suis plutôt Besson, pour une raison très simple : c'est parce que tous les autres pays européens procèdent de la même façon. C'est-à-dire qu'ils renvoient des Afghans. Si vous créez un point de fixation en France, en considérant qu'il y aura un traitement particulier en France, vous alimentez les filières. Et on ne peut pas considérer que la Suède, la Norvège, ou la Grande-Bretagne, qui renvoient les Afghans, sont des pays dont on estime qu'ils ne respectent pas les droits de l'homme, etc. Donc il faut avoir une politique en la matière qui soit harmonisé au niveau européen.
Vous l'avez dit à B. Kouchner ?
Je l'ai déjà dit, puisqu'on m'a déjà posé la question.
Et vous le lui direz à l'occasion, si j'ai bien compris. (.../...)
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 novembre 2009