Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à I-télévision le 2 novembre 2009, sur le lancement du débat sur l'identité nationale.

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Média : I-télévision

Texte intégral

L. Bazin.- Bonjour E. Besson.
 
Bonjour L. Bazin.
 
Vous êtes ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale. On avait suffisamment parlé du titre de ce ministère pour qu'on n'y revienne pas mais...
 
... et de l'Intégration.
 
... et de l'Intégration, que vous avez ajouté, pour le coup...
 
Non, non !
 
... en succédant à B. Hortefeux lors du remaniement.
 
Non, non, non, aucune modification : Immigration, Intégration, Identité nationale, Développement solidaire. Ca n'a pas varié.
 
Et tout ça peut aller ensemble, dites-vous.
 
Bien sûr !
 
Vous lancez ce matin sur Internet le débat sur l'identité nationale. Le site est ouvert, on peut y déposer des contributions. Vous ne craigniez pas d'ouvrir la boîte de Pandore ?
 
Je peux le citer le site ?
 
Citez-le !
 
www.debatidentitenationale.fr. Pourquoi la boîte de Pandore ? Je me tourne vers les Français, je leur dis : « pour vous, qu'est-ce qu'être français ? », je me tourne vers les Français et vers les étrangers en leur disant : « qu'est-ce qu'est la France, quelles sont ses valeurs principales, de quelles valeurs avons-nous héritées ? ». Moi, j'ai des suggestions à faire : liberté, égalité, fraternité bien sûr, mais aussi laïcité, mais aussi égalité hommes/femmes. Je pourrais ajouter...
 
...service public.
 
...école.
 
Accueil des étrangers.
 
École, service public, accueil des étrangers.
 
Vous êtes d'accord avec les Français exprimé dans le sondage CSA du Parisien hier : accueil des étrangers ? Vous entendez comme ça résonne évidemment avec ce qui s'est passé ces dernières semaines.
 
Mais c'est une réalité ! La France accueille 180 000 étrangers au titre du long séjour chaque année, deux millions d'étrangers au titre du court séjour, et elle est en Europe le pays le plus généreux en matière d'asile. Pourquoi y aurait-il un problème avec cette question-là ? Et si on remonte dans l'histoire et dans l'actualité, la France est un pays d'immigration, il n'y a pas de peuple premier en France, c'est une terre de métissage. Et ce que je dis, le Président de la République est l'un des rares chefs d'Etat dans le monde à le revendiquer.
 
Vous imaginez bien que la notion de religion, qui est absente d'ailleurs du sondage de CSA, la notion de race qui est également absente, volontairement, du sondage de CSA, va apparaître dans ce débat, sur le forum notamment que vous venez d'ouvrir.
 
Mais pourquoi ? Est-ce que... d'abord, est-ce que vous croyez que les Français n'ont pas conscience qu'ils sont une terre d'immigration, une terre de métissage mais qu'ils posent la question : « comment pouvons-nous bien intégrer, comment quelles que soient nos origines nous devons être des Français tournés vers l'avenir avec un certain nombre de valeurs communes ? ». Vous avez cité...
 
... c'est le reproche que vous fait S. Royal, vous avez une « vision passéiste » dit-elle de la France, elle a une vision d'avenir.
 
Ce que je retiens surtout de S. Royal c'est qu'elle est l'une des plus courageuses à dire « oui, il faut participer dans ce débat ».
 
Dans la bouche d'E. Besson, ce n'est pas rien !
 
Ah, sur ce sujet, je n'ai jamais rien eu à lui reprocher. Elle a effectivement la préoccupation patriotique, si je peux dire, et elle a toujours été mieux que d'autres en relation avec le peuple.
 
Ce n'est pas être nationaliste que de poser la question de l'identité nationale ?
 
Il n'y a qu'en France qu'on se pose la question. La semaine dernière, j'étais en Grande-Bretagne, et la presse française a demandé au ministre de l'Immigration britannique avec lequel j'étais : « qu'est-ce que vous pensez du débat qui s'ouvre en France ? », et le ministre britannique, travailliste, a dit : « G. Brown vient de lancer au Royaume-Uni exactement le même débat, nous nous interrogeons sur ce que c'est être Britannique en 2009 ou en 2010 ». Est-ce que vous croyez que B. Obama n'a pas fait toute sa campagne sur l'identité nationale américaine, sur l'histoire de la Nation ? Donc, il y a un déficit patriotisme en France, c'est ça que vous êtes en train de nous dire d'une certaine manière.
 
Ce n'est pas un déficit, mais il n'est pas suffisamment revendiqué. Je pense qu'on a mal digéré collectivement la Seconde guerre mondiale, la décolonisation, et que nous ne sommes pas totalement à l'aise avec le sujet, alors que tous les peuples du monde, l'Algérie parle de son identité nationale, le Mali ne fait que ça, le Cameroun ne fait que ça, le Brésil, le Mexique ne parlent que de leur identité nationale.
 
Des hommes comme M. Hirsch aujourd'hui disent qu'ils ne sont pas très à l'aise avec cette idée-là ou ce débat-là. A. Juppé vous renvoie à E. Renan en disant : « allez, tout est dit ! ».
 
Il ne dit pas ça, Martin...
 
...est-ce que tout est dit ?
 
Il dit c'est 100 % politique, et il entièrement raison, c'est 100 % politique.
 
Ah ! Vous revendiquez ça !
 
Bien sûr ! Bien sûr, au sens noble du terme : la vie de la cité, ce qui fait que nous vivons dans la même communauté nationale, une France ouverte, généreuse. Mais, bien sûr, il y a eu quelques déclarations...
 
... vous entendez bien ce qu'on dit quand ont dit « 100 % politique », c'est 100 % électoraliste, les régionales arrivent, il faut ressouder l'électorat de droite.
 
Juste un mot, vous avez retenu, à juste titre, c'est de bonne guerre, deux ou trois déclarations discordantes...
 
Oui, un peu plus.
 
...Que j'ai d'ailleurs mises sur le site que j'ai cité tout à l'heure (debatidentitenationale.fr) pour bien montrer que je n'ai pas peur du débat. Mais en même temps, pourquoi ne retenez-vous pas tout ce que les parlementaires de la majorité vont organiser concrètement dans leur circonscription, dans leur département comme débats ? Demain, avec J.-F. Copé, avec M. Barnier et avec G. Longuet, je lance la mobilisation de tous les parlementaires de la majorité sur cette question.
 
Les préfets disent qu'ils ont été un peu pris de court.
 
C'est vrai.
 
Qu'ils n'ont pas les circulaires, qu'ils n'ont pas les kits.
 
C'est vrai, elles vont partir aujourd'hui. Ils les auront dans les jours qui viennent. On a un peu de temps même si certains disent...
 
... parce que ça c'est improvisé ? Parce qu'il y en avait besoin ?
 
Non, pas parce que ça c'est improvisé, mais parce que ça a pris une ampleur à laquelle je ne m'attendais pas. Je pensais que nous avions...
 
... vous pensiez franchement qu'on pouvait poser la question de l'identité nationale sans que ça devienne un débat considérable ?
 
Il n'y a pas de surprise, vous disiez vous-même il y a deux minutes que les deux principaux candidats de 2007, N. Sarkozy et S. Royal, l'avaient posée dans le débat. Quant à N. Sarkozy, il s'était engagé à en faire l'un...
 
... donc, il n'y a pas de surprise.
 
Il n'y a pas de surprise.
 
Vous saviez bien qu'il y aurait cette ampleur-là.
 
L'ampleur, non, mais peut-être que je pêche par excès de modestie. Ce n'est pas ce que j'ai vu ces derniers jours.
 
C'est vrai, ce n'est pas ce qu'on a dit de vous ces dernières semaines.
 
Mais j'en accepte l'augure. Je veux revenir d'un mot sur ce que vous avez dit sur le calendrier. Imaginez que j'ai lancé le débat juste avant les élections européennes, qu'auriez-vous dit ou qu'auraient dit des commentateurs ? Que c'était quand même surprenant de lancer identité nationale en pleine campagne européenne, autrement dit que j'aurais ramené le terrain sur le terrain politique français au moment où on ouvrait le débat européen. Et si je l'avais fait six mois après les élections régionales, on aurait dit, « ah ben, ça y est, on a compris, c'est pour préparer 2012 ». Nous sommes à la mi-temps du mandat du président de la République, deux ans et demi, il nous reste deux ans et demi avant la prochaine élection présidentielle, il est bien normal que les ministres respectent les engagements de campagne. Deuxième chose, il n'y a rien à craindre de ce débat. Les Français sont plus mûrs, plus généreux qu'on ne le croit. Mais il y a une chose qui m'a frappé, il y a quelques instants il y avait votre micro-trottoir à Marseille, moi je vais souvent au stade à Paris, à Lyon, à Marseille. Quand je vais à Marseille, je vois toujours - foot - « fiers d'être Marseillais ». Pourquoi pourrait-on revendiquer sans difficulté la fierté d'être Marseillais et qu'il y ait un problème à évoquer la fierté d'être français ? Etre fier d'être français ça n'est ni être supérieur aux autres, ni être arrogant, c'est juste dire « voilà, je suis héritier d'une histoire qui me dépasse, je suis un des maillons de la chaîne et maintenant je me tourne vers l'avenir ». Comment à l'avenir la France va être forte et compétitive, solidaire.
 
C'est le fils d'un soldat mort pour la France et d'une mère d'origine libanaise qui parle, c'est ce que vous allez me dire, j'imagine.
 
Je ne vous l'aurais pas dit, mais puisque vous l'évoquez, oui, c'est une histoire qui me touche. Je suis né au Maroc d'une mère d'origine libanaise, d'un père... j'ai appris très vite quand j'étais enfant que mon père était, entre guillemets, « mort pour la France ». Bien sûr que je me suis posé la question : « qu'est-ce que c'est que la France ? ». Regardez, tous les hommes politiques qui sont nés et qui ont vécu outre-mer à l'étranger, ils ont, j'allais dire mythifié, presque sanctifié la France, « la France est une femme, la France est une personne », comme le disait Renan. Et effectivement, on a un rapport particulier. Moi, la France et La Marseillaise m'ont fait vibrer quand j'étais enfant et adolescent. Je suis extrêmement heureux, j'ai 51 ans, donc 45 ans après de me retrouver à la tête de ce ministère et de pouvoir engager avec nos concitoyens ce débat. Ca me fait extrêmement plaisir, oui.
 
Ecoutons les accusations, notamment de la gauche, mais pas seulement. C. Duflot parle de « propagande », le PS dénonce un « débat cynique », « opération de diversion » dit aussi S. Royal qui par ailleurs a dit du bien de l'idée d'en débattre. Et M. Le Pen ce matin. (Extrait interview M. Le Pen - France 2). Voilà, « on habille » dit-elle.
 
Ca m'amuse parce qu'au moment de dire « escroquerie électoraliste », elle avait l'air de si peu y croire elle-même qu'elle a été obligée de regarder sa fiche pour être sûre qu'elle avait mis les bons mots. Bon, ça, c'est sur la forme. Sur le fond, je vais être brutal, je m'en fiche de ce que dit M. Le Pen. Ca ne lui appartient pas ce débat. Il appartient au peuple français et le peuple français, votre bandeau le disait il y a quelques minutes, sur ce que j'ai dit, il s'en est déjà saisi. Regardez les comptoirs de bars, de commerce, regardez les débats sur les radios, sur les télés, la vôtre, mais toutes les radios, toutes les télés, le peuple français s'est emparé de ce débat.
 
Donc, la gauche a tort quand elle vous dit « propagande, cynisme » ?
 
Mais la gauche...
 
... et on vous utilise, vous, E. Besson, qui venez des rangs de la gauche, pour jouer ce débat-là.
 
On ne m'utilise pas, ce débat c'est moi qui l'ai voulu. La commande du président de la République c'était de valoriser l'identité nationale, le débat c'est moi qui l'ai voulu, qui l'ai proposé, bien évidemment j'ai informé le Président et le Premier ministre quelques jours avant de le lancer. On ne m'a rien demandé. Je vous ai dit tout à l'heure combien...
 
... le Président ne vous a pas dit que c'était une bonne idée ? Si !
 
Si ! Il m'a dit que c'était une bonne idée. Il ne m'a pas demandé...
 
... vous avez devancé ses souhaits, d'une certaine manière, parce que la semaine dernière dans le discours sur l'agriculture, on entendait bien déjà cette notion.
 
J'ai surtout devancé les convictions communes que nous avons qu'il est normal que la Nation s'interroge sur le lien. Quand on dit qu'on est membre d'une... moi, la lutte à laquelle je crois c'est la lutte contre les communautarismes, je crois à l'ancien modèle français d'intégration et d'assimilation...
 
... là-dessus, vous revendiquez le conservatisme.
 
... Oh non, ce n'est pas du conservatisme, c'est d'une grande modernité. Je citais tout à l'heure le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni ça a été l'exemple le plus achevé, et soyons juste, le plus tolérant du droit à la différence, d'une forme de communautarisme. Pourquoi le Royaume- Uni s'interroge ? Parce qu'il sent qu'il est dans l'impasse, et que notre bon vieux modèle qui paraissait un peu ringard, qui a des failles, qui a des limites, il n'est pas merveilleux notre modèle, il doit être au contraire revivifié.
 
Un dernier mot et puis on en reparlera, évidemment, de ce débat. B. Kouchner dit ce matin sur France Info qu'il veut du « concret, qu'on ne peut pas en rester aux mots ». Concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ? Ca pourrait déboucher par exemple sur La Marseillaise, l'apprentissage obligatoire de La Marseillaise à l'école, le salut au drapeau le matin ? Les petits Américains le font ?
 
B. Kouchner a beaucoup de travail, donc il n'a sans doute pas eu le temps de lire les neuf ou dix propositions que j'ai mises en débat. J'en prends une très précise, quand je dis « parrainage républicain », qu'est-ce que ça veut dire, et vous allez voir d'ailleurs si ça ne nous éloigne pas d'un certain nombre d'arrière-pensées supposées ? Quand je dis que tout Français... tout étranger arrivant sur le sol français au titre du long séjour doit se voir proposer un parrain ou une marraine, c'est-à-dire un Français qui volontairement, bénévolement, l'accueille et aide à son intégration, est-ce que vous n'avez pas l'impression que c'est conforme à la tradition d'accueil que vous évoquiez tout à l'heure ?
 
C'est une proposition. Sur La Marseillaise, sur le salut au drapeau ?
 
Sur La Marseillaise, je pense effectivement qu'il faut que les enfants la connaissent. Pourquoi notamment ?
 
Et qu'il faudrait une loi, par exemple, pour obliger les...
 
Non, il n'y a pas besoin de loi, la loi n'est pas indispensable dans tous les domaines. Il peut y avoir des propositions, quand je dis par exemple que j'aimerais que le ministre de l'Intégration puisse accélérer l'intégration d'étrangers qui ont eu un parcours exceptionnel d'intégration, ça, si c'était retenu, ça doit passer par la loi.
 
Mais sur La Marseillaise, on peut le faire.
 
Mais pour La Marseillaise, non, mais pourquoi ?
 
En la mettant au programme, en quelque sorte.
 
Elle est déjà au programme et je voudrais que les enfants la chantent plus. Pourquoi ? Parce qu'il faut expliquer aux enfants ce qu'est « le sang impur », « qu'un sang impur abreuve nos sillons », il faut expliquer aux enfants, et aux adultes d'ailleurs parfois, que c'est un chant de liberté et que « le sang impur » ce n'était pas le sang des étrangers, c'était le sang de ceux qui voulaient abattre la Révolution française et que si La Marseillaise s'est imposée partout dans le monde comme un chant de liberté, c'est justement parce qu'elle a été le symbole du peuple en action, de la Nation qui représente le mieux la liberté. Donc, c'est ça qu'il faut expliquer, c'est pour ça, ce n'est pas du ringardisme (sic) pour le plaisir de dire tout le monde au garde à vous, c'est d'expliquer que ce chant est toujours d'actualité si on veut bien le remettre dans le contexte de l'époque.
 
Un mot de politique pure, pour le coup, avec la fronde de J.-P. Raffarin au Sénat. On va l'écouter J.-P. Raffarin. E. Woerth lui a répondu, non, ce matin, « on ne reculera pas sur la taxe professionnelle ». Il persiste. (Extrait interview J.-P. Raffarin - Europe 1). Oui ?! « La terre », disait le Président ; J.-P. Raffarin dit : « attention, nous avons, nous, élus du terroir, de la terre, des choses à faire valoir, n'allez pas trop vite en besogne ». Est-ce que vous allez trop vite en besogne au Gouvernement d'une manière générale sous l'impulsion du Président ?
 
D'abord, je ne le crois pas. Le Président de la République lorsqu'il était candidat disait « je veux être élu pour réformer, pour que notre modèle de cohésion sociale ne soit pas mis à mal par notre absence de compétitivité ». Oui ou non, depuis 2000, la France était-elle en train de décliner en matière de compétitivité ? Aucun économiste ne le conteste, aucun politique non plus. Quant à la taxe professionnelle, au-delà des joutes ou des discussions normales entre des parlementaires et un Gouvernement, la question fondamentale c'est « est-ce que la taxe professionnelle est un boulet ou pas dans la compétition internationale ? ».
 
La réponse est ?
 
Et la réponse est oui. F. Mitterrand disait « c'est un impôt imbécile », ça ne date pas d'aujourd'hui. D. Strauss-Kahn avait commencé à le démanteler en enlevant ce qu'on appelle la part salaire. Quel est l'enjeu ? D'empêcher ce qu'on appelle les délocalisations, c'est-à-dire le départ de nos entreprises. Il faut réformer. On peut discuter des modalités, mais sur le principe bien sûr qu'il faut supprimer la taxe professionnelle.
 
Merci d'avoir été notre invité ce matin.
 
Merci à vous.
 
On a parlé longuement, identité nationale version Besson, mais le débat est ouvert sur le site dont vous avez indiqué l'adresse tout à l'heure.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 novembre 2009