Conférence de presse de M. Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur l'aide française au développement, à Paris le 16 novembre 2009.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation des résultats du sondage 2009 "Les Français et l'aide au développement", à Paris le 16 novembre 2009

Texte intégral

Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les Journalistes,
Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui dans les locaux du CAPE pour vous présenter les résultats du sondage 2009 "les Français et l'aide au développement" et répondre à vos questions.
Ce sondage français enrichit le sondage publié en octobre 2009 par la Commission européenne.
Ce dernier montrait un attachement de nos concitoyens à l'aide au développement. Il indiquait également une incompréhension face au jargon technocratique de l'aide. Ainsi, seuls 5% des Européens indiquent savoir ce que sont les Objectifs du Millénaire pour le développement. Ce niveau tombe à 2% en France. C'est dire à quel point il est nécessaire de communiquer sur notre politique d'aide et de faire de la pédagogie.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres en guise d'introduction.
La France tient l'engagement du président de la République et l'annonce du Premier ministre d'augmenter son aide publique au développement (APD), malgré le contexte budgétaire tendu que vous connaissez.
Globalement considéré, notre effort d'APD sera supérieur en 2010 à celui de 2009. Il fait de nous le quatrième donateur mondial. En 2009, notre APD est de 8,46 milliards d'euros. En 2010, elle se situera entre 8,66 et 9,36 milliards d'euros en fonction des annulations de dettes.
Ceci nous placera dans une fourchette allant de 0,44% à 0,48% du RNB en 2010, contre 0,39% en 2009 et 0,38% en 2008.
Ainsi, le projet de loi de finances qui a été adopté vendredi par l'Assemblée nationale et qui sera présenté prochainement au Sénat comprend des crédits budgétaires en hausse de +10% pour les crédits de paiements.
Je voudrais clarifier le sens de cette évolution.
40% de notre aide est attribuée via les organisations internationales comme l'Union européenne (1,9 milliards d'euros dont une petite moitié pour le Fonds européen de développement et une grosse moitié pour le budget communautaire), la Banque mondiale (0,2 milliards d'euros), les Nations unies (0,2 milliards d'euros) ou le Fonds mondial contre le Sida, le paludisme et la tuberculose (300 millions d'euros).
Des actions bilatérales très variées constituent 60% de notre aide. Celles-ci comprennent les annulations de dettes, les écolages, l'accueil des réfugiés et l'aide-projet.
Géographiquement, la France concentre son aide sur l'Afrique sub-saharienne et les pays les moins avancés. Ainsi, 60% de l'effort budgétaire de l'Etat qui transite par l'AFD est destiné à l'Afrique sub-saharienne.
Cette concentration géographique se combine à une concentration sectorielle calée sur les Objectifs du Millénaire pour le développement : santé, éducation et formation professionnelle, agriculture et sécurité alimentaire le développement durable, à travers notamment le soutien à la croissance.
Enfin, je vous confirme également - c'est une forme d'aide publique au développement à mon sens très important - que nous avons tenu et budgété l'objectif que j'avais annoncé en arrivant au secrétariat d'Etat de multiplier par trois le nombre de volontaires internationaux qui passeront, d'ici à la fin du quinquennat de 4.400 à 15.000.
Voilà quelques éléments d'informations que je souhaitais vous donner en ouvrant notre rencontre et en vous remerciant de votre attention.
Concernant le thème de sondage dont je vous renvoie à la page n°16, on s'aperçoit que le taux le plus important, celui de 71%, est pour soutenir la croissance économique. Nos concitoyens souhaitent donc que l'on soutienne la croissance et ils veulent que nous aidions les pays à se développer par eux-mêmes. Je crois qu'ils ont compris que la lutte contre la pauvreté durable, c'est avant tout par l'appropriation du développement à travers la croissance économique. C'est exactement ce que nous essayons de faire et c'est aussi ce que j'ai tenté d'amplifier depuis que je suis là - et je le dis en présence du directeur général de l'AFD - car on nous oppose souvent la question des subventions et des prêts. Les choses ne sont pas à opposer puisque malgré tout, avec les subventions, nous faisons un certain nombre d'actions sociales, de santé, de scolarisation etc. et puis avec les prêts concessionnels, très concessionnels, nous faisons de la croissance économique. C'est d'ailleurs un effet de levier beaucoup plus important que les subventions et cela permet de faire reculer la pauvreté d'une manière durable.
Je constate simplement que, sur cette orientation majeure qui est la nôtre, nous sommes bien en adéquation avec l'opinion publique.
La conclusion de cela, avant de lancer les films, c'est que nos concitoyens ont besoin d'informations, qu'ils en demandent et comme le service public de télévision nous a proposé un certain nombre de clips dans le cadre de cette semaine qui commence, avec l'Agence française, notre opérateur et le ministre des Affaires étrangères et européennes, nous avons donc contribué financièrement à la diffusion de ces films très courts qui passeront sur France 2 et France 5.
Q - On n'a pas évoqué la question de la corruption, je voulais savoir s'il existait des garde-fous ou des façons de surveiller ces dépenses et de savoir dans la réalité, quelle était la part effective dévolue aux Etats directement ?
R - Sur la question de la bonne destination des fonds, notamment lorsqu'il s'agit d'aides gouvernementales, on fait de plus en plus - et j'en ai encore le souvenir très récent d'opérations très importantes conduites avec des Etats notamment d'Afrique subsaharienne où les crédits qui sont alloués sous forme de prêt souverain sont diligentés via la Banque centrale et ensuite, les décaissements en direction des entreprises qui ont effectuées les travaux se font sous doubles signatures.
J'ai vraiment le souvenir d'exemple très précis, ce qui veut dire que cela empêche complètement, compte tenu des sommes très importantes, la corruption. Ces sommes sont versées directement à l'entreprise, après avoir été versées non pas directement aux Etats mais aux Banques centrales puis décaissées sous double signature, comme je l'ai dit. Dans la double signature, il y a celle de l'Agence française. Il y a donc énormément de précautions qui sont prises.
Q - N'estimez-vous pas, malgré tout que ce sondage apporte la contradiction sur plusieurs points et sur ce qui est observé en France ?
La première, c'est l'information que demandent les Français. C'est un problème récurrent et le sondage le met en évidence depuis plusieurs années. Or, en France, il y a quelques années, il existait un organisme spécialement destiné à informer les Français qui est le Haut Conseil à la Coopération internationale. Aujourd'hui, on s'aperçoit que ce Haut Conseil est devenu une coquille vide, il est invisible dans le paysage médiatique. Ne pensez-vous pas qu'il y a une contradiction par rapport à cela ?
Par ailleurs, s'agissant de la priorité accordée à l'Afrique dans ce sondage, on sait depuis plusieurs années - c'est un secret de Polichinelle, Henriette Martinez l'a rappelé lors de son audition pour le budget 2010 - que cette aide vers l'Afrique stagne voire diminue. L'Afrique n'est plus prioritaire, en tout cas, elle l'est moins et vers les PMA, elle tend à diminuer de plus en plus. Quelle est votre analyse ?
R - Sur la question de la communication et du Haut Conseil, je ne suis pas certain que lorsqu'il y avait un Haut Conseil, les Français disaient qu'ils étaient mieux informés. C'est un vrai sujet car vous savez très bien, et je sais de quoi je parle, que l'action quotidienne que nous menons dans le cadre de nos politiques de développement, a beaucoup de mal à faire la "une" des médias grand publics, c'est bien clair. Il faut vraiment qu'il y ait de la corruption pour que cela retienne l'attention des médias.
Je suis désolé de vous le dire, c'est un ancien journaliste qui vous parle, mais je sais bien sur quoi l'on m'interroge. Lorsque je monte une grande opération de coopération très intéressante susceptible d'aller vers les Objectifs du Millénaire et que j'en parle, je fais la comptabilité des articles qui y sont consacrés, ce n'est pas ce qui passionne les foules, ni les journalistes. On ne sait pas qui est le moins intéressé mais en tout cas, j'imagine que si cela faisait vendre beaucoup de journaux, cela ferait beaucoup plus la "une", mais comme ce n'est pas le cas, les gens ne sont pas informés. En tout cas, on est dans un sujet qui est très compliqué à vulgariser et si vous avez une recette, je suis preneur.
En effet, depuis que je suis au ministère, j'essaie par tous les moyens, même en faisant le tour de France comme je l'ai dit, pour intéresser aussi la presse quotidienne régionale que je connais bien, pour que l'on aille en profondeur, il est certain que l'on a un peu plus d'échos, mais je pense que l'on parvient à faire la "une" en France de nos politiques de coopérations lorsqu'il s'agit d'un certain nombre de sujets qui touchent à la corruption ou la pseudo corruption ou les problèmes de démocratie, d'absence d'élection, mais à 90% du temps, il se passe des choses extraordinaires dans le monde entier sur les cinq continents avec la politique de coopération française qui consacre plus de 8 milliards d'euros - on a quand même un certain nombre de choses à vous montrer et c'est ce que j'essaie de faire à longueur d'année - et je vois bien que cela passionne beaucoup moins que lorsque l'on explique que le fils a succédé à son père dans tel pays, que dans tel autre, il n'y a pas d'élection, etc.
Cela fait l'actualité. Mais, lorsque l'on relance l'agriculture urbaine au coeur du Cameroun et que l'on réinsère des jeunes délinquants africains, lorsque je suis au coeur des 800.000 personnes qui sont à Kibera au Kenya en train de s'en sortir avec du micro crédit, il est sûr que cela ne fait pas la "une" des grands médias.
Je peux vous dire qu'il se passe des choses formidables dans la coopération et ce n'est pas le Haut Conseil de la Coopération, si toutefois il était ressuscité, qui changerait quoique ce soit. C'est un sujet qui touche à l'intérêt porté par les médias et nos concitoyens, ce n'est pas vrai que pour la coopération, c'est aussi vrai pour d'autres choses. L'information va vite et pour retenir l'attention de nos concitoyens, il faut leur donner autre chose que des choses qui vont bien.
Concernant l'Afrique, il faut que les choses soient très claires. La priorité reste l'Afrique sub-saharienne.
Le CICID, qui a été piloté par le Premier ministre le 5 juin dernier, a confirmé l'engagement de 60% pour l'Afrique subsaharienne, nous avons même été jusqu'à retenir une liste de 14 Etats africains, pratiquement tous en zone francophone à l'exception du Ghana d'ailleurs. Nous avons donc cette zone de concentration géographique et thématique sur les Objectifs du Millénaire.
Je comprends ce qui fait ce malentendu, nous ne faisons pas moins pour l'Afrique subsaharienne, mais nous faisons plus ailleurs. Nous nous déployons ailleurs, l'Agence peut le confirmer, elle l'a fait notamment à ma demande, ce n'est pas parce que l'AFD n'ira pas sur un projet à Hanoi que l'on fera moins ou plus pour l'Afrique saharienne.
Ce que je voudrais dire pour bien lever ce malentendu, c'est que le fait que l'Agence française de Développement aille investir dans un certain nombre de pays émergents notamment ne retire rien à notre zone de concentration en Afrique subsaharienne, au contraire.
C'est simple, c'est arithmétique. Dans un certain nombre d'endroits, l'Agence doit financer un certain nombre de projets sous la forme de prêts à des taux avec lesquels elle ne perdra pas d'argent, elle en gagnera plutôt. Je rappelle que les dividendes de l'Agence depuis cette année dans le budget 2010 apparaissent très nettement et très clairement au budget du secrétariat d'Etat chargé de la Coopération.
C'est d'ailleurs à ce titre que je ne vous annonce que 10% d'augmentation, car si l'on ajoute les dividendes de l'Agence française de Développement, nous ne serions pas à 10% mais à 16%, c'est-à-dire plus de 100 millions d'euros de dividendes. Ceci veut dire que c'est une forme de péréquation naturelle puisque, lorsque l'Agence va financer dans des pays émergents, qu'elle a la possibilité de se déployer, de faire des économies d'échelles et donc, d'être plus "rentable", c'est autant d'argent qui revient - après discussions avec Bercy pour savoir si on nous les laisse ou si on nous les prend, c'est une "cuisine" interne, mais cela veut dire que cela ne coûte pas au gouvernement français, cela ne coûte pas à l'Agence dans bien des cas même si ce n'est pas toujours vrai, dans bien des cas, ce déploiement supplémentaire nous permet au contraire de redonner des moyens à notre zone prioritaire. Ensuite, il faut évidemment continuer d'avoir les mêmes crédits budgétaires en subvention, mais je vous affirme, et il suffit de se reporter à la loi de finance de cette année, que nous sommes en augmentation de 10% sur le Programme 209.
Ce Programme est quand même notre budget, c'est celui avec lequel nous allons alimenter les aides-projets, en Afrique.
Je ne vous dis pas que c'est facile, parfois nous avons des arbitrages et des combats à mener comme on l'a fait l'an dernier lorsqu'il a fallu récupérer des autorisations d'engagements 2008 pour reprendre des projets en phase d'être éventuellement abandonnés, il y a toujours un combat car la subvention est vraiment du budgétaire pur.
Sur les prêts très concessionnels ou concessionnels, on a une partie budgétaire à récupérer pour bonifier les prêts, pour qu'ils soient accessibles aux pays émergeants. Avec un million d'euros en bonification d'intérêts, on fait beaucoup plus qu'avec un million d'euros de subvention et cela dure plus longtemps.
J'ai été un peu long sur cette question, je m'en excuse mais c'est capital car c'est une question que l'on me pose en permanence, l'Agence fait, il est vrai plus là où elle n'est peut-être pas autant ailleurs, mais cela ne veut pas dire que nous faisons moins en Afrique subsaharienne.
Pour donner des chiffres précis, concernant l'aide-projet totale, nous étions à 61,6 % l'an dernier avec 132,6 millions d'euros, pour cette année 2009, nous sommes à 65,9 % avec 150,1 millions d'euros. Ce ci concerne la partie subvention car les prêts sont beaucoup plus importants, ce qui reste significatif, c'est bien cette partie subvention déléguée par l'Etat à l'AFD.
Q - Quel va être le suivi donné à ce sondage notamment concernant le volet de transfert de l'aide aux collectivités locales ?
R - Il y a déjà un certain nombre de projets et une partie de notre Aide publique au développement qui transite par l'intermédiaire des collectivités locales des pays partenaires. Il y a aussi un certain nombre de projets qui sont conduits directement entre les collectivités locales elles-mêmes.
L'Etat abonde actuellement de 20% tous les projets qui sont retenus bien sûr entre les collectivités territoriales elles-mêmes.
Je vous rappelle que l'an passé, la France avait fait, au moment notamment de la Présidence européenne, avec la relance de l'agriculture, de la gouvernance locale, l'un des thèmes forts de notre Présidence européenne, s'agissant des politiques de coopérations.
Q - Pourquoi n'avez-vous pas profité de cette occasion pour poser des questions aux Français sur les sujets qui suscitent la passion, à savoir l'aide liée ou déliée ? Sont-ils favorables à cette aide ?
Sur les moyens de financements innovants dont on a beaucoup parlé et vous l'avez fait vous-mêmes avec ces sujets en ligne, M. Kouchner a parlé d'une nouvelle taxe Tobin à 0,005. Que pouvez-vous nous dire ?
R - Nous ne sommes pas entrés, il est vrai, trop dans le détail, nous aurions pu le faire.
Q - L'année prochaine peut-être ?
R - Pourquoi pas mais, c'est vrai que demander aux Français s'ils sont favorables à la création d'une taxe sur les transferts financiers, je pense que les Français seraient majoritairement favorables à la création d'une taxe à 0,005% sur les transactions financières qui est soutenue par la France et qui ne peut être mise en place que si l'ensemble des places boursières le font en même temps.
Si seule la France le fait, cela n'a pas de sens, d'autant que la France, c'est quatre points au niveau mondial, cela ne produira donc pas ce que l'on en attend.
Si tout le monde le met en place, il est vrai que cela peut produire un minimum de 30 milliards d'euros par an, comparé aux 120 milliards de l'aide publique mondiale, vous voyez bien que c'est une production financière supplémentaire qui serait très importante et qui nous permettrait de changer la voilure.
Mais, ce serait de la subvention, ce ne serait pas du prêt puisqu'en plus, ce serait une recette supplémentaire récurrente. Je pense que si l'on posait la question aux Français, comme en plus ce ne serait pas eux qui paieraient la taxe pour la plupart d'entre eux puisque s'ils ne sont pas majoritairement acteurs des échanges financiers, ils seraient forcément favorables à cette taxe. Nous pourrons les interroger l'an prochain.
Q - C'était une vraie manière de rendre hommage au travail qui a été fait par M. Severino depuis 8 ans je crois. A quoi ressemblerait le futur ?
R - Si vous attendez de moi qu'une fois de plus, je rende hommage à l'AFD et à son Directeur général, je le ferais une fois de plus puisque j'ai déjà eu l'occasion de le faire souvent.
Nous venons de créer le comité d'orientation stratégique, il est en place, la première séance a été présidée il y a quelques jours par Bernard Kouchner puisqu'il est le ministre en charge et à l'avenir, ce sera le secrétaire d'Etat par délégation qui continuera aux côtés du ministre à travailler. Tout s'est très bien passé et pour une fois, on a enfin tranché quelque chose que j'attendais, que j'ai demandé, donc mon combat n'a pas été inutile, c'est le ministère des Affaires étrangères en charge de la Coopération qui est le président du Comité d'orientation stratégique. Les autres ministres sont là mais c'est le ministère des Affaires étrangères qui préside.
Voilà ce à quoi nous sommes parvenus, c'est un premier pas très satisfaisant, c'est absolument indispensable et je vous confirme d'ailleurs que, si j'ai autant envie de travailler avec l'Agence, c'est parce que je trouve qu'elle fait du bon travail et que j'aime bien son directeur général.
Merci beaucoup de votre présence.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2009