Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Compte tenu de l'heure avancée et de la longue réponse apportée par Bernard Kouchner, je me limiterai à formuler quelques observations complémentaires.
Bernard Kouchner a évoqué le bilan de la présence française en Afghanistan. Ce bilan n'est pas aussi négatif que d'aucuns veulent bien le dire. Toutes celles et tous ceux qui sont allés en Afghanistan ont constaté la construction de routes, d'écoles, la scolarisation des jeunes filles, etc.
Pour ma part, je veux évoquer le bilan sécuritaire. Le président de Rohan a fait remarquer la dégradation de la situation, mais l'Afghanistan, c'est un kaléidoscope, un puzzle. La situation est extrêmement différente entre l'Est et l'Ouest, entre le Nord et le Sud, d'une vallée à l'autre. Elle varie profondément en fonction de l'ethnie dominante dans telle ou telle vallée. En général, les vallées tadjiks ou hazaras sont relativement calmes, les choses étant plus difficiles en zones pachtounes.
Considérer que la situation en Afghanistan est extrêmement difficile sur la totalité du territoire est une vision occidentale. En vérité, même dans une zone où la sécurité et la stabilité sont assurées, nul n'est à l'abri d'une incursion talibane, d'un IED, un engin explosif improvisé. De ce fait, la population française comme la communauté occidentale et internationale ont l'impression que la situation ne s'améliore pas.
En vérité, les forces militaires ne doivent pas faire face à un front et ne gagnent pas vallée après vallée : elles doivent assurer la sécurité et la stabilité en courant en permanence le risque de mourir, de voir éclater un IED. Et lorsqu'un tel engin éclate, la communauté internationale craint que, in fine, il n'y ait pas de solution.
En termes de stratégie - sujet que Bernard Kouchner a évoqué - conjointement et simultanément doivent être recherchées la stabilité et la sécurité. Nos forces doivent être présentes en permanence pour montrer nos muscles et la capacité française à sécuriser la zone.
Dans le même temps, concomitamment - plusieurs orateurs qui se sont rendus sur le terrain l'ont indiqué - il faut faire en sorte que le développement, la construction de ponts, d'écoles, de routes soient assurés. C'est cette absence de coordination qui, bien souvent, nous amène à perdre rapidement le contrôle d'une situation.
A chaque fois que je me suis rendu en Afghanistan et que j'ai rencontré des Maleks, ils m'ont garanti que les troupes françaises ne courraient aucun risque si le développement et la reconstruction du pays étaient assurés. Celles et ceux qui sont allés dans la province de Surobi, par exemple, ont pu constater que, aujourd'hui, le calme règne. Nous reconstruisons des écoles, nous construisons des routes. La situation s'est nettement améliorée par rapport à celle qui existait voilà deux ou trois ans.
Pour arriver à un tel résultat, les forces de la coalition ne doivent pas se comporter en "cow-boys", selon l'expression employée par certains, mais doivent avoir en tête un élément majeur : le respect des traditions de la population afghane ! L'expérience militaire prouve la nécessité d'engager le dialogue. Les populations afghanes ne doivent pas avoir le sentiment de forces qui passent en déployant des moyens militaires importants, puis qui retournent dans leur base, sans qu'aient été créées les conditions du dialogue et de la confiance. A cette fin doivent être respectées les traditions, la culture et les familles afghanes.
Le renforcement militaire - et je tiens ces propos en ma qualité de ministre de la Défense - est probablement nécessaire pour répondre à tel ou tel besoin ponctuel. Mais le renforcement militaire permanent constituerait une fuite en avant si n'étaient pas menées conjointement une véritable coordination et une réelle politique de développement, d'amélioration de la gouvernance.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je vous laisse apprécier le constat que j'ai fait la dernière fois que je suis allé en Afghanistan. Sur le terrain, 3.000 soldats français - 3.700 hommes si on prend en compte l'ensemble des éléments de soutien - sont présents dans deux vallées ou deux districts et couvrent à peu près 1 % du territoire, voire 2 % à 3 % si l'on exclut les zones montagneuses, où personne ne vit. Si nous voulions déployer des troupes en nombre comparable sur l'ensemble du territoire, le volume des forces serait considérable et inatteignable.
La France a toujours contesté l'idée selon laquelle la solution serait seulement militaire. Elle a toujours soutenu que, certes, des moyens militaires devaient être déployés pour assurer la sécurité et que, dans le même temps, des moyens devaient être consacrés au développement et à la reconstruction du pays.
A ce titre, je partage les propos de Nicolas About - certains d'entre vous me rétorqueront que c'est assez normal puisqu'il est président du groupe de l'Union centriste ! - , la reconstruction politique de l'Afghanistan ne peut à l'évidence suivre un schéma purement occidental. Comparer la nation afghane ou l'Etat afghan à ce que nous, nous connaissons en Europe ou dans le monde occidental est une erreur de l'esprit absolue. La reconstruction de l'Afghanistan envisagée selon un comportement ethnocentrique ne peut mener nulle part.
L'Afghanistan est un pays tribal, ethnique, clanique, féodal. Par conséquent, vouloir reconstruire politiquement l'Afghanistan sur un modèle identique au modèle occidental n'a pas de sens !
Il faut donc s'appuyer sur les structures et les institutions traditionnelles de l'Afghanistan, et notamment sur les institutions locales, pour mettre en place une gouvernance stable, compréhensible par les Afghans et s'appuyant sur un Etat central qui respecte quelques canons démocratiques. Voilà ce que nous devons construire politiquement.
Faut-il penser en termes de renforcement militaire des éléments de la coalition ? Bernard Kouchner a cité des chiffres. Pour ma part, je me suis fait communiquer le coût de l'opération. Selon les estimations, le coût pour les Américains s'élève à 100 milliards de dollars par an. La France, quant à elle, engage 500 millions d'euros. L'ensemble de la coalition - 30.000 Européens sont présents en Afghanistan -, si l'on admet que le coût des soldats européens est à peu près identique, consacre 5 milliards d'euros à l'opération, soit 7,5 milliards de dollars. Le coût total atteint environ 110 milliards de dollars.
Notre pays a déployé, je le rappelle, 3.000 soldats sur le terrain pour un coût de 450 millions d'euros. La présence d'un soldat français en Afghanistan coûte 150 000 euros. Avec cette somme, on pourrait rémunérer 100 ou 150 officiers de l'armée nationale afghane dont la solde s'élève à 350 dollars par mois, soit 4 200 dollars par an.
Deux éléments doivent guider notre réflexion. Comment consacrer éventuellement plus d'argent à la formation et à la rémunération de l'armée nationale afghane pour qu'elle connaisse une montée en puissance plus rapide et que les soldats désertent moins, les officiers commettant peu d'actes de désertion ? Comment adapter avec pertinence nos moyens ?
Lorsque l'on se rend dans un certain nombre de bases, notamment à Kandahar, on peut s'interroger réellement sur les effectifs de nos forces qui sont effectivement sur le terrain et participent à la reconstruction de la stabilité.
Je m'en voudrais de ne pas évoquer deux derniers sujets.
Nous avons parlé de la Politique européenne de sécurité et de défense et de la présence de l'Europe. Toutefois, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, la problématique est plus générale. Disons clairement les choses : aujourd'hui, l'Europe serait incapable de conduire une opération identique à celle qui est menée dans le cadre de l'Alliance atlantique, parce que les Européens ont démissionné en grande partie en matière d'effort de défense.
Je vous rappelle que l'essentiel de l'effort de défense est aujourd'hui consenti par trois ou quatre pays européens, et essentiellement par deux d'entre eux, la Grande-Bretagne et la France.
L'insuffisance de la volonté européenne en matière de sécurité et de défense est dramatique ; nous la subissons sur tous les théâtres extérieurs : les moyens militaires ne sont pas à la hauteur du message politique que nous voulons faire passer sur la scène internationale.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, j'ai été très heureux d'entendre l'hommage que vous avez tous rendu à nos forces et à nos soldats.
A travers les témoignages que vous avez pu recueillir en Afghanistan, vous avez pu constater à quel point le dévouement, le courage, le professionnalisme de nos soldats sont exceptionnels.
Globalement, tous les officiers généraux, quel que soit leur pays d'origine, constatent que l'armée française est à la hauteur de sa réputation et de sa mission et que l'action qu'elle mène peut servir d'exemple pour l'ensemble de la communauté internationale.
J'ai été très heureux de constater que la représentation nationale s'était associée à l'hommage rendu à l'armée française.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2009
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Compte tenu de l'heure avancée et de la longue réponse apportée par Bernard Kouchner, je me limiterai à formuler quelques observations complémentaires.
Bernard Kouchner a évoqué le bilan de la présence française en Afghanistan. Ce bilan n'est pas aussi négatif que d'aucuns veulent bien le dire. Toutes celles et tous ceux qui sont allés en Afghanistan ont constaté la construction de routes, d'écoles, la scolarisation des jeunes filles, etc.
Pour ma part, je veux évoquer le bilan sécuritaire. Le président de Rohan a fait remarquer la dégradation de la situation, mais l'Afghanistan, c'est un kaléidoscope, un puzzle. La situation est extrêmement différente entre l'Est et l'Ouest, entre le Nord et le Sud, d'une vallée à l'autre. Elle varie profondément en fonction de l'ethnie dominante dans telle ou telle vallée. En général, les vallées tadjiks ou hazaras sont relativement calmes, les choses étant plus difficiles en zones pachtounes.
Considérer que la situation en Afghanistan est extrêmement difficile sur la totalité du territoire est une vision occidentale. En vérité, même dans une zone où la sécurité et la stabilité sont assurées, nul n'est à l'abri d'une incursion talibane, d'un IED, un engin explosif improvisé. De ce fait, la population française comme la communauté occidentale et internationale ont l'impression que la situation ne s'améliore pas.
En vérité, les forces militaires ne doivent pas faire face à un front et ne gagnent pas vallée après vallée : elles doivent assurer la sécurité et la stabilité en courant en permanence le risque de mourir, de voir éclater un IED. Et lorsqu'un tel engin éclate, la communauté internationale craint que, in fine, il n'y ait pas de solution.
En termes de stratégie - sujet que Bernard Kouchner a évoqué - conjointement et simultanément doivent être recherchées la stabilité et la sécurité. Nos forces doivent être présentes en permanence pour montrer nos muscles et la capacité française à sécuriser la zone.
Dans le même temps, concomitamment - plusieurs orateurs qui se sont rendus sur le terrain l'ont indiqué - il faut faire en sorte que le développement, la construction de ponts, d'écoles, de routes soient assurés. C'est cette absence de coordination qui, bien souvent, nous amène à perdre rapidement le contrôle d'une situation.
A chaque fois que je me suis rendu en Afghanistan et que j'ai rencontré des Maleks, ils m'ont garanti que les troupes françaises ne courraient aucun risque si le développement et la reconstruction du pays étaient assurés. Celles et ceux qui sont allés dans la province de Surobi, par exemple, ont pu constater que, aujourd'hui, le calme règne. Nous reconstruisons des écoles, nous construisons des routes. La situation s'est nettement améliorée par rapport à celle qui existait voilà deux ou trois ans.
Pour arriver à un tel résultat, les forces de la coalition ne doivent pas se comporter en "cow-boys", selon l'expression employée par certains, mais doivent avoir en tête un élément majeur : le respect des traditions de la population afghane ! L'expérience militaire prouve la nécessité d'engager le dialogue. Les populations afghanes ne doivent pas avoir le sentiment de forces qui passent en déployant des moyens militaires importants, puis qui retournent dans leur base, sans qu'aient été créées les conditions du dialogue et de la confiance. A cette fin doivent être respectées les traditions, la culture et les familles afghanes.
Le renforcement militaire - et je tiens ces propos en ma qualité de ministre de la Défense - est probablement nécessaire pour répondre à tel ou tel besoin ponctuel. Mais le renforcement militaire permanent constituerait une fuite en avant si n'étaient pas menées conjointement une véritable coordination et une réelle politique de développement, d'amélioration de la gouvernance.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je vous laisse apprécier le constat que j'ai fait la dernière fois que je suis allé en Afghanistan. Sur le terrain, 3.000 soldats français - 3.700 hommes si on prend en compte l'ensemble des éléments de soutien - sont présents dans deux vallées ou deux districts et couvrent à peu près 1 % du territoire, voire 2 % à 3 % si l'on exclut les zones montagneuses, où personne ne vit. Si nous voulions déployer des troupes en nombre comparable sur l'ensemble du territoire, le volume des forces serait considérable et inatteignable.
La France a toujours contesté l'idée selon laquelle la solution serait seulement militaire. Elle a toujours soutenu que, certes, des moyens militaires devaient être déployés pour assurer la sécurité et que, dans le même temps, des moyens devaient être consacrés au développement et à la reconstruction du pays.
A ce titre, je partage les propos de Nicolas About - certains d'entre vous me rétorqueront que c'est assez normal puisqu'il est président du groupe de l'Union centriste ! - , la reconstruction politique de l'Afghanistan ne peut à l'évidence suivre un schéma purement occidental. Comparer la nation afghane ou l'Etat afghan à ce que nous, nous connaissons en Europe ou dans le monde occidental est une erreur de l'esprit absolue. La reconstruction de l'Afghanistan envisagée selon un comportement ethnocentrique ne peut mener nulle part.
L'Afghanistan est un pays tribal, ethnique, clanique, féodal. Par conséquent, vouloir reconstruire politiquement l'Afghanistan sur un modèle identique au modèle occidental n'a pas de sens !
Il faut donc s'appuyer sur les structures et les institutions traditionnelles de l'Afghanistan, et notamment sur les institutions locales, pour mettre en place une gouvernance stable, compréhensible par les Afghans et s'appuyant sur un Etat central qui respecte quelques canons démocratiques. Voilà ce que nous devons construire politiquement.
Faut-il penser en termes de renforcement militaire des éléments de la coalition ? Bernard Kouchner a cité des chiffres. Pour ma part, je me suis fait communiquer le coût de l'opération. Selon les estimations, le coût pour les Américains s'élève à 100 milliards de dollars par an. La France, quant à elle, engage 500 millions d'euros. L'ensemble de la coalition - 30.000 Européens sont présents en Afghanistan -, si l'on admet que le coût des soldats européens est à peu près identique, consacre 5 milliards d'euros à l'opération, soit 7,5 milliards de dollars. Le coût total atteint environ 110 milliards de dollars.
Notre pays a déployé, je le rappelle, 3.000 soldats sur le terrain pour un coût de 450 millions d'euros. La présence d'un soldat français en Afghanistan coûte 150 000 euros. Avec cette somme, on pourrait rémunérer 100 ou 150 officiers de l'armée nationale afghane dont la solde s'élève à 350 dollars par mois, soit 4 200 dollars par an.
Deux éléments doivent guider notre réflexion. Comment consacrer éventuellement plus d'argent à la formation et à la rémunération de l'armée nationale afghane pour qu'elle connaisse une montée en puissance plus rapide et que les soldats désertent moins, les officiers commettant peu d'actes de désertion ? Comment adapter avec pertinence nos moyens ?
Lorsque l'on se rend dans un certain nombre de bases, notamment à Kandahar, on peut s'interroger réellement sur les effectifs de nos forces qui sont effectivement sur le terrain et participent à la reconstruction de la stabilité.
Je m'en voudrais de ne pas évoquer deux derniers sujets.
Nous avons parlé de la Politique européenne de sécurité et de défense et de la présence de l'Europe. Toutefois, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, la problématique est plus générale. Disons clairement les choses : aujourd'hui, l'Europe serait incapable de conduire une opération identique à celle qui est menée dans le cadre de l'Alliance atlantique, parce que les Européens ont démissionné en grande partie en matière d'effort de défense.
Je vous rappelle que l'essentiel de l'effort de défense est aujourd'hui consenti par trois ou quatre pays européens, et essentiellement par deux d'entre eux, la Grande-Bretagne et la France.
L'insuffisance de la volonté européenne en matière de sécurité et de défense est dramatique ; nous la subissons sur tous les théâtres extérieurs : les moyens militaires ne sont pas à la hauteur du message politique que nous voulons faire passer sur la scène internationale.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, j'ai été très heureux d'entendre l'hommage que vous avez tous rendu à nos forces et à nos soldats.
A travers les témoignages que vous avez pu recueillir en Afghanistan, vous avez pu constater à quel point le dévouement, le courage, le professionnalisme de nos soldats sont exceptionnels.
Globalement, tous les officiers généraux, quel que soit leur pays d'origine, constatent que l'armée française est à la hauteur de sa réputation et de sa mission et que l'action qu'elle mène peut servir d'exemple pour l'ensemble de la communauté internationale.
J'ai été très heureux de constater que la représentation nationale s'était associée à l'hommage rendu à l'armée française.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2009