Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec la radio publique israélienne "Kol" à Jérusalem le 18 novembre 2009, sur la poursuite des constructions israéliennes à Jérusalem et en Cisjordanie, la proclamation unilatérale d'un Etat palestinien, le dialogue israélo-syrien, et le nucléaire iranien.

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Q - Quelle est la position de la France sur la construction dans le quartier de Guilo, à Jérusalem ?
R - Cette construction a été annoncée hier et vous connaissez la position de la France : nous sommes pour l'arrêt de la colonisation. Ce n'est pas nous qui commandons, et c'est simplement le reflet d'une opinion, généralement partagée par la communauté internationale. Je pense que c'est un obstacle, mais ne parlons plus des obstacles. Parlons de la nécessité du retour à des dialogues politiques. C'est du dialogue politique que sortira, j'imagine, je l'espère, je le crois, je le veux, la paix. Et tout le monde est d'accord. Vous savez, nous avons quand même fait des progrès. Tout le monde est d'accord maintenant en Israël sur la nécessité d'un Etat palestinien. C'est quand même quelque chose qu'on ne doit pas passer sous silence. Il y a eu des progrès. Alors maintenant, est-ce qu'il faut un geste pour que M. Mahmoud Abbas renonce à son intention de ne pas se présenter pour un second mandat ? Je l'espère parce qu'il est indispensable, je le crois profondément, de dialoguer. Et il a fait avec le gouvernement précédent des étapes de dialogue tout à fait importantes avec les Israéliens. Donc, voilà, je pense qu'il faut en revenir là.

Q - Pour en revenir à Guilo, est-ce que vous faites une différence entre les quartiers juifs à Jérusalem et les colonies de peuplement en Cisjordanie ?
R - Je crois qu'il faut un geste à propos de la colonisation et peut-être s'agit-il d'un geste simple. Mais ce n'est pas à moi de dire lequel. C'est aux intéressés eux-mêmes de s'entendre pour le dialogue. La communauté internationale, les Américains, l'Europe, tout cela compte beaucoup. Mais c'est quand même aux Israéliens et aux Palestiniens de s'entendre. Je crois que vraiment il faut peu de choses pour que Benjamin Netanyahou, l'actuel dirigeant de l'Etat d'Israël, entre par ce geste vraiment dans l'Histoire.

Q - Vous pensez que les dirigeants israéliens sont avides de paix, recherchent la paix ?
R - Je l'espère. J'ai vu des sondages qui me rassurent. Il y a quelques temps, je me disais : mais où sont les volontés de paix ? Je voulais dire, exprimées, comme elles le faisaient avant, très visiblement, dans des manifestations. Et j'ai vu les sondages : 70% des Israéliens veulent la paix, veulent une solution qui passe maintenant, c'est là le progrès, par un Etat palestinien, qui, d'ailleurs, a été évoqué par Benjamin Netanyahou lui-même.

Q - La France a-t-elle l'intention d'user de son droit de veto si la proclamation unilatérale d'un Etat palestinien est discutée au Conseil de sécurité ?
R - Nous n'en sommes pas là. Et, en parlant avec le président de l'Autorité palestinienne hier, je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'une incitation au dialogue, d'éveiller la conscience internationale. Nous n'en sommes pas du tout au Conseil de sécurité.

Q - En ce qui concerne la Syrie, est-ce que vous proposez une médiation de la France ?
R - En effet, le président Sarkozy à reçu le président Bachar Al-Assad il y a quelques jours, après avoir reçu M. Benjamin Netanyahou. Si la France peut jouer un rôle, elle y est tout à fait prête. Il faut que, là aussi, les deux protagonistes le demandent. Il y a eu une médiation turque, vous le savez, qui a été très loin d'ailleurs. Et il faut en féliciter la diplomatie turque, qui est très active. Si la France peut jouer un rôle maintenant, à la demande des deux protagonistes qui deviendraient partenaires, nous n'en sommes pas là, mais nous y sommes prêts.

Q - Et ces négociations pourraient se dérouler à Paris ?
R - Le lieu importe peu. Si Paris était choisie, nous en serions très fiers.

Q - Sur le dossier iranien, pensez-vous qu'il y a encore un moyen d'arrêter la course à la confrontation dont vous parliez récemment ?
R - Oui, je crois qu'il y a un moyen, c'est la fermeté de la communauté internationale. Et vous savez, il y a une position qui consiste à dire : les Iraniens gagnent du temps. Je ne le crois pas. Je pense qu'ils perdent du temps, parce que la situation devient de plus en plus dangereuse. Vous connaissez aussi la position de fermeté de la France à ce propos. Nous ne pouvons pas accepter que finalement, le programme nucléaire iranien puisse servir à fabriquer un engin militaire. Nous ne pouvons pas l'accepter. Nous avons fait tout ce que nous pouvions. La France, mais évidemment les 5 + 1, l'Allemagne, l'Angleterre, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et la France, nous avons fait tout ce que nous avons pu à Genève. Il y a eu une discussion relativement positive et puis, depuis, plus rien. Il n'y a plus de rendez-vous annoncé. Alors, techniquement, nous avons connu aussi un autre épisode à Vienne où nous avons proposé, pour des besoins médicaux, pour un réacteur de recherche à Téhéran, d'enrichir l'uranium iranien jusqu'à 19% - 20%, afin de servir aux isotopes médicaux. Cela aussi, finalement, ce n'est pas accepté. Que pouvons-nous proposer de plus ? Nous avions salué la décision du président Obama, qui voulait ouvrir des pourparlers directs avec les Iraniens, nous le comprenions très bien, nous l'avions fait nous-mêmes, depuis deux ans et demi. Pour le moment, cela n'a pas été très fructueux et même pas du tout. Alors, attendons encore. Mais nous ne pourrons pas attendre éternellement.

Q - Vous avez eu une petite friction avec Israël en ce qui concerne votre visite à Gaza. Si je comprends bien, vous avez renoncé à vous rendre à Gaza ?
R - Non, il n'y a pas eu de friction. Je pense qu'il y a eu un malentendu et quelques propos qui ont été mal traduits. Moi, je pense que je suis un ami d'Israël, depuis toujours. Oui, c'est vrai, je le suis. Et je suis également l'ami des Palestiniens. Ecoutez, la France est dans une position identique des deux côtés. Le discours à la Knesset de M. Nicolas Sarkozy a été reproduit à Ramallah. Et les deux parties, les Israéliens et les Palestiniens, l'ont accepté comme un discours de générosité, d'ouverture et de fraternité. Que peut-on espérer de plus ? Je n'ai pas changé.

Q - En ce qui concerne Gilad Shalit, vous avez rencontré ses parents ce matin je crois. Est-ce que vous avez un message ? Est-ce qu'il y a des développements ?
R - Je crois que les développements positifs sont connus. Nous avons failli réussir, nous n'avons pas réussi. J'espère que cette médiation allemande portera ses fruits. Et nous l'appuyons sans réserve, Bien sûr, je rencontrerai les parents de Gilad Shalit. Je les rencontre toujours et si nous pouvons jouer un rôle, nous le ferons. Je viens de signer, à propos de Gaza, pour la reconstruction de l'hôpital Al-Quds avec des Qatari, avec le Croissant-Rouge palestinien et, j'espère, les Marocains. La France fait ce qu'elle peut. Là, nous venons de donner deux millions d'euros. Ce sont des rôles très importants et l'Europe doit compter, l'Europe doit être engagée politiquement aux côtés de nos amis américains. Non pas en confrontation avec les Américains mais ensemble, parce que nous voulons la même chose : un Etat palestinien, seule garantie de sécurité pour l'Etat d'Israël, pour son développement économique et même pour l'avenir de ses enfants, tout cela nécessite un Etat palestinien. Il est encore temps.

Q - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2009