Déclaration de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, sur la notion de l'identité nationale, à Paris le 18 novembre 2009.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Contribution au Grand débat sur l'identité nationale, à Paris le 18 novembre 2009

Texte intégral

En me posant la question de l'identité nationale, je l'ai réduite à : pourquoi je me sens française. Je pensais que c'était une évidence. Elle m'a entraînée dans un abîme de perplexité.
Par simplicité, autant se retourner vers l'intellectuel de référence sur ce sujet Ernest Renan. Il affirme que la Nation est une famille spirituelle, non un groupe déterminé par la configuration des sols. En d'autres termes, ce sont les valeurs qui fondent notre unité, non les frontières, non le sang, non la langue, non la prospérité économique. La France n'a pas pour idéal un rêve économique, mais la fierté de ses valeurs morales et humaines.
Notre histoire politique est, à cet égard, éclairante. La France a développé une vision universaliste de la citoyenneté dans la constitution de 1791 et l'acte constitutionnel de 1793. Tout étranger jugé par le corps législatif mériter de l'humanité pouvait être reconnu français. Ce n'est qu'en 1848 que la citoyenneté est devenue un enjeu politique, celui de la nationalité. C'est la fin de son universalité. Et pourtant, la question de l'identité ne peut se résumer à celle de la nationalité.
A la fin du 18ème et au 19ème siècle, être français signifiait porter des valeurs universelles qui ont baigné le monde. Les valeurs des droits de l'homme, les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, les valeurs de laïcité.
Le 20ème siècle, par contre, ne fut pas celui du rayonnement universel de la France et, à l'exception du refus de l'aliénation par la résistance, la conception de la nationalité française s'est refermée. L'égalité s'est fondue dans l'égalitarisme. La fraternité s'est réduite aux communautés. La liberté s'est muée en individualisme. A défaut de valeurs universelles, les dérives de la mondialisation se sont imposées : l'hyper consommation et le casino financier ont remplacé les valeurs humanistes de l'être, du savoir et de la responsabilité.
Pour poser la question de l'identité nationale, il faut écrire l'avenir que nous voulons. Jamais nos nations n'ont été confrontées à de tels enjeux mondiaux. Les changements climatiques, pour la première fois, nous rendent responsables de la planète que nous léguons à nos enfants, et plus encore des drames que nous créons à l'autre bout du monde. Jamais nos nations n'ont été confrontées au défi du vieillissement qui impose de penser la solidarité intergénérationnelle. Et pour la première fois, nous devons penser l'identité nationale en écrivant l'identité européenne.
Je me sens responsable de la planète que je lègue à mes enfants et celle que j'impose à travers le monde. Notre identité est internationale car la France a toujours eu conscience de l'universalité de l'humanité. Les enjeux écologiques nous imposent cette évidence aujourd'hui et demain plus qu'hier. C'est toute l'humanité qui est menacée par ses propres excès. Les communautés numériques nous révèlent aussi la réalité de notre unité.
Je me sens autant européenne que française. J'adhère pleinement à l'ambition de Monnet qui avait une pleine vision universaliste des rapports entre les hommes tournés vers un objectif : la paix. La France doit réaffirmer dans son identité ses ambitions universalistes.
Nous avons en commun avec l'Europe ces valeurs universelles : la paix entre les peuples, la démocratie, la liberté de l'Homme, c'est-à-dire le refus du diktat de l'Etat, des communautés, des religions mais aussi de l'économie. Et il est évident que la langue ne bloquera pas la naissance de cette identité européenne. La Marseillaise, symbole de lutte contre l'asservissement, fait autant partie de mon identité que l'hymne à la joie, symbole de fraternité.
Mais au sein de cette identité européenne, il y a bien une identité française. Une identité enracinée dans notre histoire, nos terroirs, la richesse de notre art, la diversité de nos cultures, la beauté de nos villes, nos villages et nos paysages. Une identité totalement déterminée par notre attachement à la liberté de l'Homme. Tout signe, tout acte d'aliénation des femmes est profondément contraire aux valeurs françaises. Les intégrismes, quels qu'ils soient, nous blessent. L'égoïsme écologique ou social nous déshonore. L'uniformisation intellectuelle ou esthétique nous bafoue.
La France est un peuple qui sait dire « non ». Etre français c'est refuser de transiger avec les principes au nom de la réalité économique ou militaire.
Etre français, c'est refuser l'oppression identitaire de quelque communauté ou quelque religion.
Etre français, c'est défendre la liberté absolue de choisir ses dirigeants, le droit de vote.
Etre français, c'est affirmer que l'environnement et le social ont autant d'importance que l'économique.
Etre français, c'est considérer que nous avons une responsabilité universelle d'exemplarité. Etre français, c'est l'amour de la culture et de l'art, c'est le goût de l'esthétisme.
Par conséquent, le fondement de notre identité est notre éducation ; une éducation libre de toute influence sociale, économique ou politique ; une éducation d'excellence du savoir, la seule capable de nous enseigner la liberté ; une éducation humaniste, qui par la diversité des matières est apte à nous libérer de nos certitudes.
Pour défendre des valeurs universelles et de liberté qui sont les nôtres, nous devons comprendre le monde qui nous entoure. A la complexité des faits, nous devons répondre par la clarté de nos valeurs.
Source http://www.debatidentitenationale.fr, le 20 novembre 2009