Texte intégral
Q - Bonjour Bernard Kouchner. Cette réconciliation avec le Rwanda, cela fait deux ans et demi que nous l'attendions. A force, nous n'y croyions plus. Que s'est-il passé ces derniers jours ?
R - Il a fallu travailler longuement, et c'est ce que nous avons fait. Ce long travail a mené à cette très bonne nouvelle.
Q - Ce week-end, le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, a été reçu à Kigali par le président Kagamé. Quel a été le déclic ?
R - Depuis déjà un certain nombre de mois, on ressentait ce déclic. Il fallait se décider. Plusieurs rencontres ont eu lieu entre le président de la République et le président Kagamé. Je me suis rendu, moi-même, à deux reprises au Rwanda. Il fallait que se rétablisse une volonté commune. Et voilà, à un moment donné, cela se concrétise. C'est désormais concrétisé et c'est formidable que cela survienne après une semaine qui a été particulièrement riche.
Q - Justement, cette dernière semaine, les présidents Sarkozy et Kagamé se sont-ils rencontrés à Trinité, en marge du Sommet du Commonwealth ?
R - Non. Néanmoins, ils se sont entretenus par téléphone cette semaine.
Q - Et ensuite, Claude Guéant est parti à Kigali ?
R - Le voyage de Claude Guéant était prévu depuis longtemps. Ce n'est pas Claude Guéant qui, en une seconde, a décidé au dernier moment. C'est l'aboutissement d'un long travail. Il a fallu dissiper les malentendus et avoir de l'histoire, une vision commune, tournée vers l'avenir. C'est ce que nous avons fait. Ce n'était pas une mince affaire, n'oublions pas le génocide et n'oublions aucune des victimes.
Q - Justement, au sujet de toutes ces rencontres que vous avez eues avec Paul Kagamé. On se souvient qu'il y a trois ans, le Rwanda a rompu les relations diplomatiques avec la France à cause de la décision de la Justice française de lancer neuf mandats d'arrêts contre des proches de Paul Kagamé soupçonnés d'avoir participé à l'attentat du 6 avril 1994 contre le président Habyarimana et à l'heure qu'il est, la procédure suit toujours son cours au niveau du Palais de Justice de Paris. Qu'est-ce qui a décidé Paul Kagamé à changer d'avis ?
R - Il faut le lui demander, mais il y a eu d'autres évènements entre temps. Ainsi, dix Rwandais sont visés par la justice française, après trois ans d'efforts en faveur d'une coopération entre la France et le TPIR. Par ailleurs, deux juges français se sont rendus au Rwanda pour suivre des affaires qui concernent les deux pays.
De plus, deux arrestations ont eu lieu en Allemagne, il y a eu tout un changement de perspectives et de visions. Il y aura un travail commun qui se poursuivra contre l'impunité.
Q - C'est-à-dire qu'en fait, vous avez réussi à dépasser le problème particulier de l'affaire de l'avion de J. Habyarimana.
R - Il n'a jamais été question pour nous de remettre en cause des décisions de justice. On ne pouvait pas, à propos de ces mandats d'amener, faire quoique ce soit. Tout cela se poursuit.
Q - L'an dernier, avec l'arrestation en Europe de l'une de ces neuf personnalités rwandaises recherchées, Rose Kabuye, l'Etat rwandais a eu accès au dossier judiciaire français et il a pu organiser sa riposte.
R - Ce n'est pas une riposte. Nous avons pu envisager ensemble, une vision commune. C'est cela qui a changé depuis trois ans. Nous n'avons pas refusé l'Histoire, nous n'avons pas refusé la lucidité sur les massacres réciproques, nous avons établi un carnet de route pour l'avenir.
Q - Le Rwanda vous a-t-il demandé de mieux collaborer avec le TPIR ?
R - Nous l'avons fait. C'est en collaborant avec le TPIR qu'une part de la vérité s'installe.
Q - Depuis le génocide il y a 15 ans, le régime rwandais demande des excuses à la France.
R - Le régime rwandais ne demande pas d'excuses à la France. Nous allons ensemble rétablir des relations diplomatiques normales et ce sera l'occasion de développer à la fois la mémoire et la fraternité.
Q - Pas de repentance ?
R - Il faut avoir des représentations diplomatiques dans tous les pays africains, c'est fait et cette chose n'a rien à voir avec une quelconque repentance.
Q - Bernard Kouchner, vous êtes un vieil ami de Paul Kagamé que vous connaissez depuis les années 1990.
R - Vous me l'avez déjà dit...
Q - C'est ma dernière question : Vous avez personnellement oeuvré en faveur de cette réconciliation. Dans cette démarche, vous ne vous êtes pas fait que des amis en France, certains vous ont soupçonné d'être près à toucher à l'honneur de l'armée française et de l'Opération Turquoise en échange de réconciliation. Que répondez-vous ?
R - Je réponds que je n'ai jamais mis en cause, ni l'armée française, ni son honneur. Reportez-vous à l'article que j'ai écrit dans la Revue de la Défense nationale et n'écoutez pas les mauvais esprits.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 2009