Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "RTL" le 20 novembre 2009, sur le montant de l'emprunt national, et la nomination d'Henri Proglio, à la tête d'EDF.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour, C. Lagarde.

Bonjour, J.-M. Aphatie.

Le Président de la République avait annoncé un Grand Emprunt. On parlait de 50, 80 ou 100 milliards d'euros. La commission Juppé-Rocard a finalement préconisé, hier, 35 milliards d'euros d'emprunt. Pourquoi ce rétrécissement, C. Lagarde ?

35 milliards d'euros, c'est beaucoup d'argent.

Mais c'est beaucoup moins qu'on avait annoncé au début ?

C'est beaucoup d'argent et c'est structuré de manière intelligente, c'est ça que je trouve remarquable dans les préconisations Juppé-Rocard puisqu'ils envisagent, évidemment, que ce soit 35 par l'Etat dont une partie qui viendra du remboursement par les banques de l'argent que nous leur avons prêté l'année dernière...

Combien ?

13.

13. Donc, 35 moins 13.

Donc, on descend à 22 d'engagements nouveaux.

Donc, ça rétrécit encore !

Non, non, ah non ! Attendez, parce que 35 ce sera bien l'engagement d'argent public ; mais surtout ce qui est très intéressant dans les préconisations Juppé-Rocard, c'est qu'ils proposent dans un certain nombre de cas qu'il y ait aussi de l'argent public...

Privé, vous voulez dire.

... Pardon ! De l'argent privé et que nous ne mettions de l'argent public que s'il y a de l'argent privé.

Donc, s'il n'y a pas d'argent privé, il n'y a pas d'argent public.

Le fait d'allier à la fois de l'argent public et de l'argent privé, c'est à mon avis une bonne idée parce que chaque fois qu'on a eu des partenariats public-privé comme ça, on a souvent bénéficié du regard du secteur privé, de la gestion héritée des habitudes du secteur privé et puis, de la pérennité, du soutien, de la solidité de l'argent public. Donc, ça me paraît un bon gage à la fois de stabilité et de dynamisme dans l'utilisation de la dépense et dans l'efficacité du projet.

Ces 35 milliards représentent 2% du PIB sur plusieurs années. Impact : zéro, disait J.-L. Gombeaud, ce matin, sur RTL.

Impact zéro en matière de croissance, d'économie ?

C'est-à-dire, on ne le sentira pas, quoi.

Ah vous savez, si on interroge les industries, dans le secteur, par exemple, je pense aux bioénergies, à la recherche pharmaceutique dans le secteur qui utilise les biotechnologies, vous leur dites qu'il va y avoir un milliard 500 millions d'euros disponibles, ils sont très, très contents. Donc, je crois qu'il faut se garder de conclusions hâtives, de considérer que c'est petit. D'abord, un, ce n'est pas petit ; deux, c'est préconisé, couplé avec de l'argent privé ; trois, c'est bien centré sur un certain nombre de secteurs dont la commission Juppé-Rocard dit : ça ce sont nos secteurs d'avenir. Moi je suis assez frappée par le fait que c'est à la fois, deux dimensions : l'université, la recherche, d'un côté ; les petites et moyennes entreprises innovantes de l'autre ; et puis un certain nombre de secteurs, notamment les biotechnologies, notamment le numérico-débit et un certain nombre d'autres.

Le 24 juin, C. Lagarde, vous disiez ceci : "J'espère que nous aurons un emprunt mixte avec une partie souscription par les Français et une partie sur les marchés". Maintenez-vous ce point de vue, C. Lagarde ?

Vous savez, j'ai examiné, un, l'histoire de nos grands emprunts ; deux, j'ai consulté mes spécialistes, l'agence France Trésor qui refinance la dette française en permanence. Je crois compte tenu de l'état de nos finances publiques, que nous avons intérêt à choisir la formule qui sera la plus efficace sur le plan financier, c'est-à-dire la moins coûteuse pour le pays.

Vous avez changé d'avis ?

Ca veut dire quoi ? Ca veut dire qu'à ce moment-là, on va sur le marché parce qu'on n'est pas obligé d'assortir l'emprunt d'une espèce de petit hochet fiscal.

D'un bonus. Donc, vous avez changé d'avis ?

Oui, j'ai changé d'avis parce que je crois que nous devons être absolument attentifs à l'utilisation des deniers publics, à la manière dont on engage nos finances, et je crois qu'on a intérêt à être le plus économe possible.

Un autre dossier qui fait beaucoup parler mais dont les responsables politiques, eux, dans le commentaire sont très prudents : H. Proglio sera nommé président d'EDF, la semaine prochaine. Et il y a deux jours, dans le journal Les Echos, il a dit vouloir réorganiser la filière nucléaire française en transformant une partie d'AREVA en filiale d'EDF. Ce projet tel qu'il a été présenté, est-il le projet personnel d'H. Proglio ou est-il le projet du Gouvernement, C. Lagarde ?

Ecoutez, c'est manifestement une expression d'H. Proglio qu'il a exprimée dans un journal économique.

Vous n'en partagez pas le fond ?

Je crois qu'il faut faire chaque chose en son temps. Il est sur le point d'être nommé patron d'EDF...

Mercredi prochain en Conseil des ministres.

...Il conserve un certain nombre de fonctions au sein du groupe Veolia comme président non exécutif. Cela fait déjà beaucoup. Et je crois que...

Trop ?

Non, non, je ne suis pas en train de dire ça, je suis en train de dire que c'est beaucoup de projets, beaucoup de stratégies à définir. Je comprends très bien et j'approuve sa détermination à vouloir renforcer la position de la France dans le domaine nucléaire, parce qu'on y est puissant, reconnu et qu'on a largement une longueur d'avance. En revanche, je crois qu'il y a un groupe qui s'appelle AREVA, aujourd'hui, dont on est en train de financer un plan de développement très important, et je crois qu'il faut que chacun s'occupe de ses dossiers.

Très bien dit. Il a parlé un peu vite, H. Proglio, c'est ça ?

Chacun doit s'occuper de ses dossiers. Il a beaucoup, beaucoup à faire avec EDF, et je pense que le renforcement d'une filière, les éléments de l'intégration que présente le groupe AREVA dans la perspective d'investissements et donc d'identification de financement par la cession notamment de l'activité de transmission et distribution, par la recherche de nouveaux partenaires, c'est un projet qui suit son cours, qui a été approuvé par le conseil d'administration, et il faut laisser les choses avancer.

Donc, ce matin, C. Lagarde, sur RTL, vous défendez AREVA. L'actuel PDG d'EDF...

Je ne défends pas Pierre, Paul ou Jacques...

Si, vous défendez l'actuel..., il faut appeler un chat un chat.

Je dis qu'il y a des stratégies d'entreprise qui ont été identifiées par des conseils d'administration, il faut les mettre en oeuvre. Donc, voilà.

Voilà donc, vous défendez AREVA. L'actuel PDG d'EDF, P. Gadonneix, gagne un peu plus d'un million par mois. Et pour ce même poste, H. Proglio souhaite une augmentation de salaire.

Ce n'est pas un million par mois.

Un million cent... Par an, pardon.

Ah bon.

Pardon, pardon... un million cent par an. Et pour le même poste, H. Proglio souhaite une augmentation de salaire, à peu près le doublement du salaire. Ceci vous paraît-il légitime, C. Lagarde ?

Ce qui me paraît légitime, c'est ce que j'ai déjà d'ailleurs dit, c'est qu'il n'y ait pas de cumul de rémunérations. Quand on exerce des fonctions non exécutives dans un groupe, exécutives dans l'autre, il ne faut pas qu'il y ait du cumul, il ne faut pas qu'il y ait un avantage comparatif tiré d'une double activité de ce type.

Mais ma question, c'est l'augmentation du salaire du PDF d'EDF.

Je n'ai pas à statuer sur l'augmentation du salaire du PDG d'EDF. D'abord, elle sera fixée...

Je le disais, les responsables politiques ont du mal à parler de tout cela.

Elle sera fixée par... Mais non, chacun doit faire son métier. Elle sera fixée...

Ben oui, mais H. Proglio veut que le salaire d'EDF augmente. EDF est une entreprise publique.

Eh bien, il évoquera cela avec le comité des rémunérations, puis ça sera décidé par le Conseil d'administration et on verra en fonction des propositions qui seront faites.

Je rappelle que l'Etat est l'actionnaire très majoritaire à EDF : 83 %.

C'est pour ça qu'on sera amené à s'exprimer au moment du conseil.

Mais vous ne souhaitez pas le faire ce matin ?

On n'est pas au conseil d'administration d'EDF, J.-M. Aphatie.

Je vous le confirme. Trouvez-vous normal, C. Lagarde, que l'équipe de France de football se trouve qualifiée pour la Coupe du monde à la suite d'une tricherie ?

Je trouve cela fort triste. Je suis évidemment très contente que l'équipe soit dans la Coupe du monde, mais je trouve ça très triste de s'être qualifié sur cette tricherie. Et je trouve que la Fifa ferait bien de regarder les règles en vigueur parce que je trouve que ça serait bien de pouvoir dans de telles circonstances décider, peut-être, de faire rejouer un match.

Oh ! Des propos qui vont être commentés ce matin. C'était sur RTL, et pas au conseil d'administration d'EDF, qu'ils étaient tenus.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 novembre 2009