Texte intégral
Monsieur le Président,
Messieurs les Présidents de commission,
Je vous remercie d'avoir organisé ce moment d'échanges et de débats à quelques jours d'un événement que je crois très important et même historique : la réunion de 192 pays du monde entier qui doivent s'organiser pour respecter la feuille de route de Bali décidée à l'unanimité il y a deux ans. Cet engagement peut se résumer de la façon suivante : nous devons inventer, développer et organiser un modèle de développement économique respectueux des ressources, sobre en carbone et réduisant les émissions de gaz à effet de serre, tout en parvenant à un accord juste, équitable, solidaire et qui permette de lutter contre la pauvreté de masse et contre l'injustice sociale qui se cumule à l'injustice climatique.
Mesdames, Messieurs les Députés, il faut bien voir quelle est la difficulté de la tâche : il s'agit de réussir à mettre d'accord de manière précise et contraignante 192 pays qui sont pour les uns dans une situation de richesse, pour les autres de pauvreté, situés sous des latitudes extrêmement diverses, aussi variées que leur degré de développement industriel. Le principal risque, le principal danger dans cette affaire, c'est l'approximation, l'incompréhension ou l'amalgame.
La France s'attelle à cette tâche depuis deux ans, c'est-à-dire depuis le Grenelle de l'environnement et le paquet "climat-énergie" adopté sous Présidence française. Dans cette négociation qui dure depuis deux ans, nous sommes très attentifs à éviter les différents pièges : les amalgames, les approximations et les traditionnels raisonnements bloc contre bloc. A la demande du chef de l'Etat, j'ai rencontré l'essentiel des dirigeants de ce monde. J'ai bien vu que tous ont une parfaite conscience de ce qu'est la Conférence de Copenhague, mais que tous ont aussi de l'appréhension quant à la nature des engagements prévus.
Prenons les pays industrialisés : ils doivent globalement diviser par quatre leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050 après les avoir réduits de 25 % à 40 % en 2020. Certains de ces pays sont signataires du protocole de Kyoto et l'ont ratifié, d'autres pas. La première difficulté, c'est de bien expliquer aux pays industrialisés ce que recouvre en réalité l'expression impropre "partage du fardeau". C'est un mauvais concept que de faire croire qu'avoir une économie plus sobre serait un fardeau. Notre tâche a consisté à leur expliquer qu'en ayant des objectifs ambitieux, ils préparent la compétitivité de leur économie pour demain. Si je devais simplifier la problématique des pays industrialisés, je dirais que la question est de savoir si on met l'industrie automobile au service de technologies qui permettent d'aller à 300 kilomètres à l'heure ou de technologies qui permettent aux véhicules actuels de ne consommer qu'un litre ou un demi-litre, voire seulement le fruit d'activités décarbonées. Oui à la liberté de se mouvoir et de se déplacer, mais il faut savoir où se trouve le marché de demain et quelles doivent être les technologies appropriées. Cela peut avoir l'air simple, mais nous avons l'expérience de l'accord à vingt-sept sur le paquet "énergie-climat" : pendant des mois et des mois, il a fallu aller voir tous les Etats de l'Union pour comprendre leur point de blocage, qui en Pologne sur le charbon, qui en Italie sur la céramique, qui en Allemagne sur la sidérurgie et qui en Lituanie sur les centrales. Il a fallu faire un travail d'explications non seulement avec les vingt-sept, mais avec chaque pays industrialisé.
Nous n'avons plus avec ceux-ci que deux questions pendantes. La première concerne les Etats-Unis d'Amérique et le Canada. Ils ont signé l'accord de Bali et ont pris les mêmes engagements que nous depuis deux ans, mais ils éprouvent une difficulté en termes de calendrier ou d'ampleur d'engagement. On appelle cela une demande de flexibilité. On peut en discuter, mais à la condition que l'ensemble des obligations des pays industrialisés se situe bien, au final, dans la fourchette des 25 % à 40 %, certainement plus proche des 30 % à 40 % de réduction des gaz à effet de serre en 2020. La seconde concerne l'Australie : il y a quelques heures, nous avons reçu une mauvaise nouvelle, mais je ne doute pas que ce pays revienne à ses engagements et soutienne son Premier ministre.
Le deuxième grand enjeu, ce sont les pays émergents. Au cours de toutes ces discussions, ce qui m'a le plus frappé, c'est que chacun arrivait avec son angoisse et ses inquiétudes : celles des pays industrialisés portaient sur la compétitivité, celles des pays émergents sur leur croissance, et celles des pays très vulnérables sur leur manque de moyens devant une telle situation. Je pense que nous allons parvenir à faire respecter par les pays industrialisés leur niveau d'engagement, mais les pays en développement, eux, ne forment pas un bloc homogène. Il y a les grands pays émergents et les pays très vulnérables. Il est indéniable que Singapour n'est pas dans la même situation que Madagascar ou que la République centrafricaine, que Hong-Kong n'est pas dans la même situation que Kigali. Il a donc fallu tenir compte de cette hétérogénéité, comprendre, par exemple, que parmi les 1,2 milliard d'Indiens, 450 millions sont dans une très grande pauvreté et n'émettent que 1,2 tonne de gaz à effet de serre par habitant et par an, c'est-à-dire moins que ce que l'on demande au reste du monde d'atteindre en 2050. Nos amis indiens ne peuvent donc pas donner le sentiment à cette partie de leur population qu'ils braderaient leur sortie de pauvreté contre une réduction d'émission de gaz à effet de serre opérée ailleurs. Mais ces pays émergents sont tellement impactés sur le plan climatique qu'ils ont mis en place des programmes - en Inde, c'est un programme en huit points - pour lutter contre le réchauffement climatique. Nos amis chinois, grands émergents, doivent comprendre et comprennent que nous ne leur demandons pas une réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre, car leur croissance est encore basée là-dessus, mais la réduction de l'intensité carbone d'un point de PIB. Nous saurons ainsi où se situe le pic d'émission et où se situe le plateau. Ce sera l'enjeu du débat avec eux. Il ne s'agit pas de créer une contrainte nouvelle, mais de les intégrer dans le mouvement du monde de réduction globale de l'intensité carbone des économies.
Et puis parmi les pays en développement, il y a les pays les plus vulnérables, les PMA - les pays les moins avancés : 1,2 milliard de personnes sur terre, en proie au chaos climatique sous forme d'inondations ou de sécheresse - que ce soit le lac Tchad, la déforestation en Guinée ou les digues qui explosent et les inondations qui ravagent l'agriculture des hauts plateaux éthiopiens. Le problème est d'autant plus grave que les pays les plus vulnérables n'ont pas bénéficié des avancées de Kyoto, car les grands financements liés au marché du carbone et aux mécanismes du développement propre n'ont pas été affectés à ces pays. Ils ont été destinés aux grands pays émergents industrialisés. L'Afrique, le Cambodge, le Laos et le Bangladesh n'ont pas profité des mécanismes de Kyoto. Je considère que la solidarité internationale est décisive et que l'on ne peut pas laisser ces pays dans une telle situation. De quoi ont-ils besoin ? On annonce de grands chiffres - 100 milliards ou 150 milliards de dollars par an -, mais il faut un minimum de financement public automatique, garanti, simple d'utilisation et annualisé pour les pays les plus vulnérables, en plus de l'aide au développement et des autres mécanismes de Kyoto. Il faut un plan d'énergie renouvelable visant à l'accès à l'énergie pour 100 % des Africains alors que, pour le moment, seuls 23 % y ont accès, et seulement 16 % si l'on retire du décompte les habitants situés sur la frange des cinq kilomètres le long des côtes méditerranéennes. Il nous faut un plan et un financement automatique "justice-climat" pour stopper l'érosion fluviale et côtière, pour la reforestation et la lutte contre la désertification ! Ce que j'appelle plan ou initiative "justice-climat", certains pays l'appellent Green Fund, peu importe, mais il ne faut pas que derrière de grands chiffres et des amalgames, dans les financements d'atténuation ou d'adaptation des pays en développement, y compris ceux qui disposent d'énormes stocks de devises, on passe à côté du soutien solidaire, indispensable et vital, des pays les plus vulnérables et les plus pauvres de la planète.
Autre sujet : les forêts. Elles constituent un élément de souveraineté nationale et ont la caractéristique d'être localisées tout en contribuant globalement à l'équilibre mondial de la biodiversité et en assurant évidemment une fonction de puits de carbone. La déforestation représente aujourd'hui le deuxième poste d'émission de gaz à effet de serre, soit près de 20 %. Tous les ans, c'est l'équivalent de la superficie de la Grèce qui disparaît. Nous proposons un programme de reforestation de 5 milliards à 7 milliards de dollars par an, axé sur des financements innovants ou sur le budget des Etats industrialisés.
Il faut prendre en compte le fait que nous entrons dans un nouveau monde car nous avons besoin que le suivi de la Conférence de Copenhague soit assuré par une organisation mondiale de l'environnement, supérieure ou équivalente à l'OMC. C'est un nouveau monde, dans lequel il faut une organisation pour les mers et pour les océans.
Mesdames, Messieurs les Députés, la France, grâce à vous et au vote du Grenelle de l'environnement, grâce aux qualités d'expertise qu'elle a montrée dans le cadre de l'accord européen, est très présente dans le débat de Copenhague. Elle exerce une forme de leadership, mais avec beaucoup d'humilité. Nous souhaitons un accord le plus audacieux et le plus élevé possible entre les pays industrialisés, et des financements garantis automatiques pour les pays les plus vulnérables. Le président de la République et le gouvernement considèrent que nous entrons dans un nouveau monde, un monde de la mesure, un monde plus solidaire, un monde de développement durable, un monde beaucoup plus humain. Voilà l'enjeu de la Conférence de Copenhague. Il ne s'agit pas d'une négociation les uns contre les autres, mais d'un projet partagé.
Q - (A propos de la lutte contre la déforestation)
(S'agissant du mécanisme d'inclusion carbone)
(Concernant l'évolution de la position des Etats-Unis)
R - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Parlementaires, avant de donner quelques éléments de réponse, je souhaiterais faire une observation sur l'ambiance. Cette assemblée a été absolument exemplaire en validant la démocratie à cinq, en votant une évolution du Conseil économique et social, en passant des nuits entières avant la négociation de l'accord européen. L'Assemblée a accepté, à quatre heures du matin, de voter très vite ou de renoncer à certains amendements pour que la France soit en position forte pour mener à bien ce paquet climat-énergie. Je regrette donc que de tels incidents se soient produits dans cette assemblée. Je le dis sans excès : à un moment où beaucoup de choses nous dépassent, nous ne bâtirons la société de demain que dans la compréhension, la tolérance et le respect de l'autre.
Souvenez-vous, Mesdames, Messieurs, de l'époque du paquet climat-énergie. Dans quelle situation se trouverait le monde si, aujourd'hui, il n'y avait pas une feuille de route européenne - entre 20 et 30 % - contrôlée sous Cour de justice ? C'est le premier organisme au monde qui a pris des engagements contraignants. C'est peut-être maintenant, alors que l'on connaît la difficulté de Copenhague, que l'on mesure à quel point cela a été une performance tout à fait extraordinaire.
Enfin, si le président français a souhaité que nous allions à la rencontre de chacun de ces pays, c'est parce que nous connaissions la difficulté du paquet européen. Le président français s'est assigné pour premier objectif que ce ne soit pas les ministres qui représentent les pays dans une discussion aussi grave et importante, mais les chefs d'Etat et de gouvernement. Cela a été ensuite le président Lula. Je me suis, enfin, rendu en Chine, en Inde, au Bangladesh et partout en Afrique. La première condition d'une réussite ou d'un non-échec réside bien dans ce niveau de représentation. Je pense qu'au moins, sur ce point, l'objectif a été atteint.
J'ajouterai trois observations complémentaires.
Concernant la forêt, nous souhaitons, bien entendu, accélérer le processus. Nous avons évoqué des chiffres et des dates et surtout des financements en tenant compte de la réalité dans chacun des pays, mais nous sommes évidemment très volontaires sur ce point. Un autre aspect n'a pas été évoqué, je n'en ai moi-même pas parlé dans mon propos, il s'agit du "fast start". Des dossiers, de l'ordre de 10 milliards de dollars, sont quelque peu bloqués à l'échelle de la communauté internationale. Le président a souhaité que 20 % du financement international des trois prochaines années au profit des pays les plus vulnérables soient débloqués sur le budget public et consacrés à la lutte contre la déforestation.
Enfin, je répondrai plus globalement aux interrogations générales sur le mécanisme d'inclusion carbone et sur le président Obama. Concernant le mécanisme d'inclusion carbone, nous étions les seuls, à l'époque, à croire vraiment que le paquet climat-énergie européen existerait. Le sujet se développe, bien évidemment. J'ai observé que nos amis chinois, eux-mêmes, envisageaient de mettre en place un dispositif de ce type.
Enfin, Pierre Lequiller a posé la question que nous nous posons tous. Oui, il est vrai que les Etats-Unis ont changé, mais peut-être pas assez, et ce avec un risque d'effet de dominos. Je suis convaincu que l'on va encore pouvoir évoluer, puisque c'est le bon président, c'est le bon endroit. Il faut juste, maintenant, que ce soit la bonne date.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2009
Messieurs les Présidents de commission,
Je vous remercie d'avoir organisé ce moment d'échanges et de débats à quelques jours d'un événement que je crois très important et même historique : la réunion de 192 pays du monde entier qui doivent s'organiser pour respecter la feuille de route de Bali décidée à l'unanimité il y a deux ans. Cet engagement peut se résumer de la façon suivante : nous devons inventer, développer et organiser un modèle de développement économique respectueux des ressources, sobre en carbone et réduisant les émissions de gaz à effet de serre, tout en parvenant à un accord juste, équitable, solidaire et qui permette de lutter contre la pauvreté de masse et contre l'injustice sociale qui se cumule à l'injustice climatique.
Mesdames, Messieurs les Députés, il faut bien voir quelle est la difficulté de la tâche : il s'agit de réussir à mettre d'accord de manière précise et contraignante 192 pays qui sont pour les uns dans une situation de richesse, pour les autres de pauvreté, situés sous des latitudes extrêmement diverses, aussi variées que leur degré de développement industriel. Le principal risque, le principal danger dans cette affaire, c'est l'approximation, l'incompréhension ou l'amalgame.
La France s'attelle à cette tâche depuis deux ans, c'est-à-dire depuis le Grenelle de l'environnement et le paquet "climat-énergie" adopté sous Présidence française. Dans cette négociation qui dure depuis deux ans, nous sommes très attentifs à éviter les différents pièges : les amalgames, les approximations et les traditionnels raisonnements bloc contre bloc. A la demande du chef de l'Etat, j'ai rencontré l'essentiel des dirigeants de ce monde. J'ai bien vu que tous ont une parfaite conscience de ce qu'est la Conférence de Copenhague, mais que tous ont aussi de l'appréhension quant à la nature des engagements prévus.
Prenons les pays industrialisés : ils doivent globalement diviser par quatre leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050 après les avoir réduits de 25 % à 40 % en 2020. Certains de ces pays sont signataires du protocole de Kyoto et l'ont ratifié, d'autres pas. La première difficulté, c'est de bien expliquer aux pays industrialisés ce que recouvre en réalité l'expression impropre "partage du fardeau". C'est un mauvais concept que de faire croire qu'avoir une économie plus sobre serait un fardeau. Notre tâche a consisté à leur expliquer qu'en ayant des objectifs ambitieux, ils préparent la compétitivité de leur économie pour demain. Si je devais simplifier la problématique des pays industrialisés, je dirais que la question est de savoir si on met l'industrie automobile au service de technologies qui permettent d'aller à 300 kilomètres à l'heure ou de technologies qui permettent aux véhicules actuels de ne consommer qu'un litre ou un demi-litre, voire seulement le fruit d'activités décarbonées. Oui à la liberté de se mouvoir et de se déplacer, mais il faut savoir où se trouve le marché de demain et quelles doivent être les technologies appropriées. Cela peut avoir l'air simple, mais nous avons l'expérience de l'accord à vingt-sept sur le paquet "énergie-climat" : pendant des mois et des mois, il a fallu aller voir tous les Etats de l'Union pour comprendre leur point de blocage, qui en Pologne sur le charbon, qui en Italie sur la céramique, qui en Allemagne sur la sidérurgie et qui en Lituanie sur les centrales. Il a fallu faire un travail d'explications non seulement avec les vingt-sept, mais avec chaque pays industrialisé.
Nous n'avons plus avec ceux-ci que deux questions pendantes. La première concerne les Etats-Unis d'Amérique et le Canada. Ils ont signé l'accord de Bali et ont pris les mêmes engagements que nous depuis deux ans, mais ils éprouvent une difficulté en termes de calendrier ou d'ampleur d'engagement. On appelle cela une demande de flexibilité. On peut en discuter, mais à la condition que l'ensemble des obligations des pays industrialisés se situe bien, au final, dans la fourchette des 25 % à 40 %, certainement plus proche des 30 % à 40 % de réduction des gaz à effet de serre en 2020. La seconde concerne l'Australie : il y a quelques heures, nous avons reçu une mauvaise nouvelle, mais je ne doute pas que ce pays revienne à ses engagements et soutienne son Premier ministre.
Le deuxième grand enjeu, ce sont les pays émergents. Au cours de toutes ces discussions, ce qui m'a le plus frappé, c'est que chacun arrivait avec son angoisse et ses inquiétudes : celles des pays industrialisés portaient sur la compétitivité, celles des pays émergents sur leur croissance, et celles des pays très vulnérables sur leur manque de moyens devant une telle situation. Je pense que nous allons parvenir à faire respecter par les pays industrialisés leur niveau d'engagement, mais les pays en développement, eux, ne forment pas un bloc homogène. Il y a les grands pays émergents et les pays très vulnérables. Il est indéniable que Singapour n'est pas dans la même situation que Madagascar ou que la République centrafricaine, que Hong-Kong n'est pas dans la même situation que Kigali. Il a donc fallu tenir compte de cette hétérogénéité, comprendre, par exemple, que parmi les 1,2 milliard d'Indiens, 450 millions sont dans une très grande pauvreté et n'émettent que 1,2 tonne de gaz à effet de serre par habitant et par an, c'est-à-dire moins que ce que l'on demande au reste du monde d'atteindre en 2050. Nos amis indiens ne peuvent donc pas donner le sentiment à cette partie de leur population qu'ils braderaient leur sortie de pauvreté contre une réduction d'émission de gaz à effet de serre opérée ailleurs. Mais ces pays émergents sont tellement impactés sur le plan climatique qu'ils ont mis en place des programmes - en Inde, c'est un programme en huit points - pour lutter contre le réchauffement climatique. Nos amis chinois, grands émergents, doivent comprendre et comprennent que nous ne leur demandons pas une réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre, car leur croissance est encore basée là-dessus, mais la réduction de l'intensité carbone d'un point de PIB. Nous saurons ainsi où se situe le pic d'émission et où se situe le plateau. Ce sera l'enjeu du débat avec eux. Il ne s'agit pas de créer une contrainte nouvelle, mais de les intégrer dans le mouvement du monde de réduction globale de l'intensité carbone des économies.
Et puis parmi les pays en développement, il y a les pays les plus vulnérables, les PMA - les pays les moins avancés : 1,2 milliard de personnes sur terre, en proie au chaos climatique sous forme d'inondations ou de sécheresse - que ce soit le lac Tchad, la déforestation en Guinée ou les digues qui explosent et les inondations qui ravagent l'agriculture des hauts plateaux éthiopiens. Le problème est d'autant plus grave que les pays les plus vulnérables n'ont pas bénéficié des avancées de Kyoto, car les grands financements liés au marché du carbone et aux mécanismes du développement propre n'ont pas été affectés à ces pays. Ils ont été destinés aux grands pays émergents industrialisés. L'Afrique, le Cambodge, le Laos et le Bangladesh n'ont pas profité des mécanismes de Kyoto. Je considère que la solidarité internationale est décisive et que l'on ne peut pas laisser ces pays dans une telle situation. De quoi ont-ils besoin ? On annonce de grands chiffres - 100 milliards ou 150 milliards de dollars par an -, mais il faut un minimum de financement public automatique, garanti, simple d'utilisation et annualisé pour les pays les plus vulnérables, en plus de l'aide au développement et des autres mécanismes de Kyoto. Il faut un plan d'énergie renouvelable visant à l'accès à l'énergie pour 100 % des Africains alors que, pour le moment, seuls 23 % y ont accès, et seulement 16 % si l'on retire du décompte les habitants situés sur la frange des cinq kilomètres le long des côtes méditerranéennes. Il nous faut un plan et un financement automatique "justice-climat" pour stopper l'érosion fluviale et côtière, pour la reforestation et la lutte contre la désertification ! Ce que j'appelle plan ou initiative "justice-climat", certains pays l'appellent Green Fund, peu importe, mais il ne faut pas que derrière de grands chiffres et des amalgames, dans les financements d'atténuation ou d'adaptation des pays en développement, y compris ceux qui disposent d'énormes stocks de devises, on passe à côté du soutien solidaire, indispensable et vital, des pays les plus vulnérables et les plus pauvres de la planète.
Autre sujet : les forêts. Elles constituent un élément de souveraineté nationale et ont la caractéristique d'être localisées tout en contribuant globalement à l'équilibre mondial de la biodiversité et en assurant évidemment une fonction de puits de carbone. La déforestation représente aujourd'hui le deuxième poste d'émission de gaz à effet de serre, soit près de 20 %. Tous les ans, c'est l'équivalent de la superficie de la Grèce qui disparaît. Nous proposons un programme de reforestation de 5 milliards à 7 milliards de dollars par an, axé sur des financements innovants ou sur le budget des Etats industrialisés.
Il faut prendre en compte le fait que nous entrons dans un nouveau monde car nous avons besoin que le suivi de la Conférence de Copenhague soit assuré par une organisation mondiale de l'environnement, supérieure ou équivalente à l'OMC. C'est un nouveau monde, dans lequel il faut une organisation pour les mers et pour les océans.
Mesdames, Messieurs les Députés, la France, grâce à vous et au vote du Grenelle de l'environnement, grâce aux qualités d'expertise qu'elle a montrée dans le cadre de l'accord européen, est très présente dans le débat de Copenhague. Elle exerce une forme de leadership, mais avec beaucoup d'humilité. Nous souhaitons un accord le plus audacieux et le plus élevé possible entre les pays industrialisés, et des financements garantis automatiques pour les pays les plus vulnérables. Le président de la République et le gouvernement considèrent que nous entrons dans un nouveau monde, un monde de la mesure, un monde plus solidaire, un monde de développement durable, un monde beaucoup plus humain. Voilà l'enjeu de la Conférence de Copenhague. Il ne s'agit pas d'une négociation les uns contre les autres, mais d'un projet partagé.
Q - (A propos de la lutte contre la déforestation)
(S'agissant du mécanisme d'inclusion carbone)
(Concernant l'évolution de la position des Etats-Unis)
R - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Parlementaires, avant de donner quelques éléments de réponse, je souhaiterais faire une observation sur l'ambiance. Cette assemblée a été absolument exemplaire en validant la démocratie à cinq, en votant une évolution du Conseil économique et social, en passant des nuits entières avant la négociation de l'accord européen. L'Assemblée a accepté, à quatre heures du matin, de voter très vite ou de renoncer à certains amendements pour que la France soit en position forte pour mener à bien ce paquet climat-énergie. Je regrette donc que de tels incidents se soient produits dans cette assemblée. Je le dis sans excès : à un moment où beaucoup de choses nous dépassent, nous ne bâtirons la société de demain que dans la compréhension, la tolérance et le respect de l'autre.
Souvenez-vous, Mesdames, Messieurs, de l'époque du paquet climat-énergie. Dans quelle situation se trouverait le monde si, aujourd'hui, il n'y avait pas une feuille de route européenne - entre 20 et 30 % - contrôlée sous Cour de justice ? C'est le premier organisme au monde qui a pris des engagements contraignants. C'est peut-être maintenant, alors que l'on connaît la difficulté de Copenhague, que l'on mesure à quel point cela a été une performance tout à fait extraordinaire.
Enfin, si le président français a souhaité que nous allions à la rencontre de chacun de ces pays, c'est parce que nous connaissions la difficulté du paquet européen. Le président français s'est assigné pour premier objectif que ce ne soit pas les ministres qui représentent les pays dans une discussion aussi grave et importante, mais les chefs d'Etat et de gouvernement. Cela a été ensuite le président Lula. Je me suis, enfin, rendu en Chine, en Inde, au Bangladesh et partout en Afrique. La première condition d'une réussite ou d'un non-échec réside bien dans ce niveau de représentation. Je pense qu'au moins, sur ce point, l'objectif a été atteint.
J'ajouterai trois observations complémentaires.
Concernant la forêt, nous souhaitons, bien entendu, accélérer le processus. Nous avons évoqué des chiffres et des dates et surtout des financements en tenant compte de la réalité dans chacun des pays, mais nous sommes évidemment très volontaires sur ce point. Un autre aspect n'a pas été évoqué, je n'en ai moi-même pas parlé dans mon propos, il s'agit du "fast start". Des dossiers, de l'ordre de 10 milliards de dollars, sont quelque peu bloqués à l'échelle de la communauté internationale. Le président a souhaité que 20 % du financement international des trois prochaines années au profit des pays les plus vulnérables soient débloqués sur le budget public et consacrés à la lutte contre la déforestation.
Enfin, je répondrai plus globalement aux interrogations générales sur le mécanisme d'inclusion carbone et sur le président Obama. Concernant le mécanisme d'inclusion carbone, nous étions les seuls, à l'époque, à croire vraiment que le paquet climat-énergie européen existerait. Le sujet se développe, bien évidemment. J'ai observé que nos amis chinois, eux-mêmes, envisageaient de mettre en place un dispositif de ce type.
Enfin, Pierre Lequiller a posé la question que nous nous posons tous. Oui, il est vrai que les Etats-Unis ont changé, mais peut-être pas assez, et ce avec un risque d'effet de dominos. Je suis convaincu que l'on va encore pouvoir évoluer, puisque c'est le bon président, c'est le bon endroit. Il faut juste, maintenant, que ce soit la bonne date.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2009