Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je vous souhaite à tous la bienvenue pour cette première session de l'Institut diplomatique.
Pourquoi un institut de formation, au ministère des Affaires étrangères, pourquoi aujourd'hui ?
On entend souvent dire qu'une des caractéristiques de notre époque c'est l'extraordinaire développement des moyens de communication et que le flot d'informations qui l'accompagne est un facteur de complication de la tâche du ministère des Affaires étrangère. Le ministre quant à lui serait "forcé de prendre des décisions, de donner des instructions, d'assumer des responsabilités, sans avoir toujours, comme ses prédécesseurs d'antan, le temps de peser le pour et le contre. Il a donc, plus encore qu'eux, besoin d'avoir toujours sous la main des collaborateurs capables de le renseigner sur l'instant et de l'éclairer sur les conséquences éventuelles des directions qu'il est obligé de donner ".
Il y a beaucoup de vérité dans ces phrases et c'est sans hésitation que l'on en conclurait qu'un ministre des Affaires étrangères a tout spécialement besoin aujourd'hui de collaborateurs toujours mieux formés. La modernité de ces propos doit cependant être relativisée puisqu'ils sont dus à la plume d'un de nos anciens ambassadeurs, M. de Fleuriau, et qu'ils datent de 1934.
Lorsqu'on parle de modernité et de modernisation, il faut donc éviter de tout mélanger. Il est exact que la dernière décennie du 20e siècle a connu un essor fulgurant des technologies de communication et d'information mais la révolution de l'information, pour les affaires étrangères, date, elle, de la deuxième moitié du 19e siècle : le télégraphe électrique est de 1848, les premiers câbles sous-marin ont été posés en 1862, le téléphone a été inventé en 1890 et la télégraphie sans fils en 1910.
M. de Fleuriau, décidément très perspicace, voyait deux autres traits à la diplomatie de son époque : l'augmentation du nombre des Etats, qui avait plus que doublé entre le début du 19ème siècle et le début du 20ème,(il suffit de se rappeler le petit nombre de participants au Congrès de Vienne) et le recours généralisé à l'arbitrage pour régler les litiges internationaux dès 1899, mouvement confirmé par la création de la SDN en 1920.
Il est d'ailleurs étonnant de constater à quel point la mondialisation est un processus engagé depuis longtemps et que ses problématiques sont régulièrement redécouvertes. Il est exact, en même temps, que ces phénomènes se sont amplifiés. Cela remonte d'abord aux lendemains de la seconde guerre mondiale, période qui a vu passer le nombre des Etats de quelques dizaines à 189 aujourd'hui et où les moyens de communication ont connu un essor sans précédent avec le développement des lignes aériennes régulières ou la généralisation du téléphone et de la télévision. En ce sens, des phénomènes comme l'apparition d'Internet ou encore celle de nouveaux Etats issus du démembrement de l'empire soviétique ne sont que la continuation exponentielle, certes, d'un mouvement engagé depuis plus d'un siècle et demi. Cependant, ces vagues successives, ont des conséquences cumulatives. Dans la période récente, ce qui a marqué les esprits, c'est la fin de ce monde bipolaire, coupé en deux, de la fin de toutes les barrières, et par conséquent l'extension à toute la planète du système dominant, unique maintenant, de l'économie globale de marché. Ces conséquences cumulatives ont donc entraîné au final un changement de nature, ce qui se traduit par une exigence croissante de professionnalisme.
S'il faut une raison première à la création de l'Institut diplomatique, c'est celle-là : tracer clairement entre nous, entre diplomates, entre professionnels, la ligne qui sépare l'amateurisme, même très éclairé, et le professionnalisme, qui doit être le nôtre et qui doit correspondre à l'analyse la plus juste, la plus exigeante et la plus opératoire. L'Institut diplomatique sera d'abord et avant tout, le lieu où ce savoir-faire s'aiguisera, un lieu pour échanger nos propres analyses, pour les discuter, les confronter même, en tirer au bout du compte, un enseignement, une formation perfectionnés.
Formation et dialogue sont en effet plus que jamais nécessaires. En effet, avec le monde, le métier de diplomate n'a cessé de changer.
Il s'est d'abord démocratisé : il s'est ouvert à des hommes et à des femmes, encore trop peu nombreuses, choisis à raison de leur mérite, de leur compréhension du monde, de leur connaissance des langues et civilisations étrangères.
Les interlocuteurs des diplomates ont aussi changé et se sont d'abord multipliés : pour représenter efficacement son pays, il ne doit plus seulement rencontrer des ministres, d'autres diplomates et des hauts fonctionnaires mais aussi des hommes politiques, des chefs d'entreprises, des syndicats, des journalistes, des représentants d'ONG, des artistes, des ingénieurs. La liste est sans fin.
Les sujets de l'activité diplomatique se sont aussi étendus : en plus de la paix et de la sécurité internationale, qui sont le travail "de base" il s'agit aujourd'hui de défendre ou de promouvoir, intelligemment, la démocratie, le développement économique, y compris des moins avancés, la protection de l'environnement, pour que la planète survive, les Droits de l'homme, bref ce que nous appelons les enjeux globaux et qui traduisent la prise de conscience de ces phénomènes de mondialisation, surtout depuis ces années charnières de 1989-1991. La complexité de ces enjeux n'a pas d'équivalent dans le passé. Le respect de l'environnement, que l'opinion considère comme une chose simple, naturelle et impérative, est en réalité pour le négociateur et donc souvent pour le diplomate, une somme d'intérêts particuliers, économiques, techniques, politiques, idéologiques, absolument opposés. L'apparition de tribunaux pénaux internationaux répond à une exigence morale, celle de la lutte contre l'impunité et reflète un progrès de la conscience universelle. Mais le diplomate, qui est engagé dans une action concrète à partir d'une crise sait que juger et punir ne suffisent pas à résoudre une crise, ne peut se sentir dispensé pour autant de ses propres efforts.
Je pourrais citer d'autres évolutions fondamentales, comme les efforts renouvelés pour faire émerger des ensembles géographiques organisés, dont l'Union européenne est à la fois l'exemple le plus accompli et un cas unique en son genre. Je pourrais citer toutes les évolutions qui amènent le diplomate à repenser des notions fondamentales comme la souveraineté des Etats ou l'intérêt national. Je ne dis pas abandonner, je dis repenser.
Ou encore, pour parler comme les physiciens, l'entropie de plus en plus marquée dans les relations internationales et qui est perçue, tantôt de façon positive, comme l'expression d'un progrès de la démocratie planétaire ou, tantôt au contraire, comme synonyme de désordre et de risque. La regrettable non élection des Etats-Unis à la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, où l'hyperpuissance américaine se trouve mise en difficulté par la démocratie onusienne - un pays, un vote -, est un exemple tout à fait frappant de cette tendance et de ses effets aléatoires.
Nous sommes donc dans un monde d'une complexité croissante. Ceci a trois conséquences fondamentales pour le métier de diplomate :
1°) C'est un métier nécessairement pluriel. La question du développement dans le tiers monde, le rôle croissant des médias - et l'on voit à chaque fois à quel point la communication est quelque chose de subtil - ou encore, la construction européenne, ont fait apparaître de nouvelles spécialités, de nouvelles expertises. Un bon diplomate se doit d'en maîtriser à fond deux ou trois mais aussi de disposer d'une bonne culture générale dans tous les domaines. Quand on sait les enjeux colossaux, par exemple, qui sont aujourd'hui ceux des télécommunications dans les domaines scientifique, économique ou stratégique, on voit l'ampleur des difficultés. On ne peut plus considérer qu'il s'agit d'un sujet à laisser aux seuls techniciens. C'est pourquoi les formateurs de l'institut diplomatique viendront d'horizons les plus divers : c'est l'illustration même de cette nécessité d'ouverture et de diversification. La multiplication des négociations sur tous les plans, sur tous les terrains dans toutes les enceintes, oblige absolument à avoir un corps de spécialistes polyvalents de négociation en soi. La négociation, c'est aussi un métier, ce n'est pas uniquement la connaissance du domaine sur lequel on négocie.
2°) C'est aussi un métier actif. L'expression "tour de contrôle" de l'action extérieure, que j'emploie souvent, est là pour exprimer dans l'idéal ce que doit être l'activité du ministère des Affaires étrangères, et pour frapper quand on l'entend. Nous savons bien que le diplomate n'est pas seulement un contrôleur de la navigation et encore moins le spectateur du monde, mais bien un acteur, et qui souvent tient le premier rôle dans les négociations internationales, dont le nombre ne cesse de croître, et dans tout ce qui les entoure. C'est pour cette raison que votre programme d'études comporte de nombreuses simulations.
3°) C'est aussi un métier méthodique, qui repose sur des savoir-faire. Ceux-ci existent au sein du Quai d'Orsay, et on été enrichis depuis la fusion avec la Coopération par des métiers complémentaires, mais jusqu'ici ces métiers n'ont pas été traités comme tels, en tout cas pas assez. Il faut les valoriser pour mieux les transmettre. D'anciens responsables de haut niveau ont été invités pour cela. Vous connaissez tous l'histoire des relations internationales mais l'objectif n'est plus comme à l'école de savoir ce qui s'est passé, encore qu'en ces temps d'amnésie cela reste fondamental, mais comment on en est arrivé là. Etre diplomate, c'est hiérarchiser les priorités, choisir le cheminement propice à l'obtention d'un bon résultat au regard de nos intérêts, de nos idées et de nos valeurs. Comment traduire un intérêt, un objectif en stratégie puis en tactique de négociation ? Cela s'apprend, cela s'analyse, cela s'évalue, c'est la question que vous n'hésiterez pas, j'en suis convaincu, à poser à vos interlocuteurs.
Pourquoi fallait-il pour atteindre ces objectifs se doter d'un Institut ?
Le ministère de la Défense, qui nous accueille pour cette première session, et je l'en remercie, s'est déjà attelé à relever avec succès le défi de la formation permanente. C'est un des ministères qui fait le mieux dans ce domaine Il y a d'autres exemples dans l'administration française comme l'Institut des hautes études de sécurité intérieure ou le récent Institut des hautes études d'aménagement et de développement du territoire. Des diplomaties étrangères ont su aussi créer des outils mieux adaptés à l'exercice de la profession diplomatique, comme le département d'Etat aux Etats-Unis ou celle de nombreux pays européens.
A contrario, il était confortable de penser que le ministère des Affaires étrangères avait déjà atteint un bon niveau en matière de formation. De fait, la qualité de la formation des hommes et des femmes qui composent le Département a progressé dans de nombreux domaines comme les activités consulaires ou dans celui des langues, qu'il faut encore améliorer. Je sais l'engagement déterminé de la DRH dans ces domaines.
Mais, j'ai pensé qu'il fallait aller encore plus loin. C'est pourquoi j'ai annoncé lors de la 8ème conférence des ambassadeurs le 29 août dernier, la création d'un institut destiné à regrouper les moyens de formation existants au sein du Département. Mon ambition était d'aller encore plus loin.
Notre objectif, au fond, s'apparente à celui d'une entreprise. Il ne s'agit pas de réviser les formations générales acquises à l'ENA ou à Sciences Po, mais bien de former nos propres cadres en fonction de nos propres besoins.
Le ministère des Affaires étrangères disposait jusqu'à présent de programmes de formation riches, mais à la carte : l'administration encourage, propose ; on y va si l'on veut, si l'on peut, on en tient compte dans les évolutions de carrière si c'est possible. C'est bien mais ce n'est pas suffisant, c'est trop hasardeux, trop aléatoire.
L'institut tel que je le conçois, c'est d'abord le renversement de la logique qui prévalait jusqu'à présent : on ne va plus à l'extérieur suivre des cours, ce sont les formateurs qui viennent au Département ; les cours ne sont plus uniquement choisis à la carte mais sélectionnés et organisés de façon cohérente pour répondre aux besoins du Département et de ses agents ; les stagiaires ne sont plus des personnes isolées mais des groupes ou des générations qui se forment en commun avec un objectif précis.
Car l'Institut diplomatique sera aussi à terme un élément déterminant dans la gestion des carrières et des affectations. Je m'adresse ici, en dehors des invités et des formateurs, à de futurs directeurs et chefs de poste. Les formations doivent permettre de réaliser ces projets. L'idée que dès que l'on remplit les conditions administratives pour accéder à un certain type d'emploi on détient du même coup la science infuse qui correspond à cet emploi a vécu. Tout dément cette croyance. Cela est vrai pour le savoir faire diplomatique comme pour les nouveaux métiers que j'évoquais : la communication, la gestion, le management. Les responsables de cette maison ne peuvent plus se contenter d'un savoir fragmentaire. Je les invite tous à passer par l'institut à un moment ou à un autre.
C'est dans cet esprit et avec ambition que le programme de la première session a été préparé, en coopération étroite entre le CAP, la DRH et le directeur des études à qui j'ai confié le soin de coordonner vos travaux, M. Pierre Grosser, maître de conférences à l'Institut d'études politiques et historien des relations internationales. Ce programme couvre cinq thèmes, qui sous l'angle de la méthode comme sous celui de fond devrait, sous réserve d'une future évaluation, nous permettre d'embrasser la totalité du travail diplomatique d'aujourd'hui. Il s'agit des métiers de la diplomatie, des temps de la diplomatie, des nouveaux champs de la négociation, des défis de l'époque, des questions régionales. Il faudra sans doute ajouter un module sur la gestion.
L'effort accompli par la création de L'Institut participe aussi d'une modernisation d'ensemble. Beaucoup a déjà été fait au cours des quatre dernières années, et l'on commence déjà à en parler.
1/ la structure du Quai d'Orsay a été unifiée et simplifiée, notamment avec la réforme de la Coopération conduite par Charles Josselin et moi-même ; les divers comités que j'ai créés et que je préside personnellement ainsi que la réunion annuelle des ambassadeurs permettent des échanges plus simples et plus directs. Dans le même sens des efforts importants ont été accomplis sous l'impulsion du Secrétaire général pour moderniser les méthodes de travail et la correspondance.
2/ La capacité d'alerte, de prévention et de réaction du ministère a été accrue avec la création d'un comité stratégique et l'amélioration de la procédure de gestion des crises. Tout cela est amené à être perfectionné.
3/ L'amélioration de la gestion des ressources humaines, de l'administration financière et domaniale restent pour moi fondamentales. Il est vrai qu'il y a encore beaucoup à faire en matière d'évaluation, d'ouverture et de mobilité. Il y a des obstacles sérieux, dont certains, d'ailleurs ne sont pas de notre fait mais relève du statut général de la Fonction publique. Cela ne justifie pas le statu quo, il faut avancer, c'est une exigence fondamentale pour nous permettre de retrouver et d'exercer efficacement notre rôle de coordination et de convaincre tous nos partenaires, au sein de l'appareil d'Etat et ailleurs, de notre légitimité à le faire.
4/ Des efforts considérables ont enfin été accomplis pour que la mission de service public du Département - je pense en particulier aux questions d'adoption, d'Etat civil, à l'information des touristes - le site conseils aux voyageurs- dispose de moyens modernes et réponde de mieux en mieux aux attentes des citoyens et des usagers.
L'Institut s'insère donc dans un programme global de modernisation du Quai d'Orsay et plus généralement de l'Etat comme l'a décidé le Premier ministre et comme s'y emploie le gouvernement. C'est tout à fait essentiel au moment où l'administration "s'internationalise" de plus en plus, et où elle doit intégrer à ses réflexions et à son action les préoccupations correspondantes, au moment où les intervenants sur la scène internationale se multiplient.
Les diplomates demeurent des spécialistes indispensables mais ils ne sont plus les seuls. Je pense qu'ils conservent une spécialité, à savoir celle de la négociation, qu'elle s'applique aux OGM, aux gaz à effet de serre, à la sécurité en Méditerranée. Tout pays qui laisserait dépérir cette capacité s'affaiblirait lui même dans le monde de demain, qui sera plus concurrentiel. Dans ce monde global, instable, nous devons absolument pour soutenir nos projets avoir la capacité de réunir des minorités de blocage, face à des projets qui ne nous conviendraient pas et de réunir des majorités d'idées pour progresser. Il ne faut sans doute pas tout réinventer, mais constamment toujours affiner.
Pour que cette vision soit retenue, qu'elle se répande et s'enrichisse il fallait disposer d'une structure, d'un lieu d'échange d'expériences entre diplomates, fonctionnaires d'autres administrations, universitaires et membres de la société civile. Et ce lieu pourra être également très profitable aux non-diplomates qui pourront trouver là un complément d'informations et de formation sur les problèmes internationaux dispensé par des praticiens expérimentés. C'est pourquoi un tiers des participants de cette première session viennent de l'extérieur du Quai d'Orsay. Je leur souhaite tout spécialement la bienvenue et je souhaite que leur présence permettra un échange très fécond.
La modernisation, je le dis souvent, passe aussi par l'enracinement d'une culture d'évaluation sincèrement acceptée. Le 13 juillet, je reviendrai vous voir pour que nous faisions ensemble le bilan de cette première session. Je remercie Mme Marie-Françoise Bechtel, directrice de l'ENA, d'avoir bien voulu accepter d'y participer. Je remercie également tous ceux qui viendront faire partager leurs expériences professionnelles et leurs analyses aux auditeurs et aux auditrices de cette première session de l'Institut diplomatique, à qui je souhaite plein succès.
Très vite, cet institut se développera et deviendra un élément fondamental pour tous ceux qui dans la société française sont attachés à cette dimension internationale.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2001)
Q - Quel est pour vous aujourd'hui un bon diplomate qui peut répondre aux enjeux de la mondialisation ? Comment définiriez-vous le bon diplomate au XXIème siècle ?
R - Un bon diplomate, c'est quelqu'un qui conserve cet extraordinaire héritage, un savoir-faire transmis de génération en génération sur les relations avec les autres Etats dans le monde et qui ajoute une ouverture qui l'amène à être capable d'avoir des relations aussi utiles, efficaces avec les entreprises, les médias, les ONG, tous les autres partenaires de ce système international.
Par ailleurs, le nombre des Etats a prodigieusement cru et le nombre des organisations internationales a lui même explosé. Donc, c'est une révolution, mais il ne faut pas perdre le coeur de ce savoir-faire parce que dans le monde global de demain, tout sera négociation en permanence. Il n'y aura quasiment plus aucun sujet qu'un pays même aussi gros que les Etats-Unis puisse trancher entièrement seul. Donc, nous allons sans arrêt négocier pour avoir des minorités de blocage, pour éviter des choses dont on ne veut pas, des majorités pour faire passer certaines idées et cela est un métier.
C'est un métier, c'est un vrai professionnalisme, et si j'ai voulu créer un Institut diplomatique, c'est parce qu'au ministère des Affaires étrangères il y avait toutes sortes de formations à la carte, mais pas assez intégrées systématiquement dans les carrières, dans le cursus, qu'il fallait rassembler tous ces savoir-faire très riches au sein du Quai d'Orsay mais un peu épars. J'ai souhaité que cet institut soit ouvert à des auditeurs qui viennent d'autres administrations ou qui viennent de la société civile, ou des entreprises, parce que cela donnera à cet institut le caractère d'un lieu d'échange et d'enrichissement mutuels.
C'est un élément, pour moi, fondamental de la modernisation du ministère.
Q - Qu'est-ce que vous espérez de la visite d'Arafat et de Sharon ?. Vous avez invité Sharon en France, alors que dans le temps, le Premier ministre nous avait dit que le gouvernement avait fait tout pour ne pas l'inviter quand il n'était pas Premier ministre ?
R - La France ne baisse pas les bras par rapport à la situation au Proche-Orient. Cette situation est véritablement très mauvaise, presque tragique. Ce qui est désespérant, c'est de voir à quels points les différents groupes pacifiques qui ont travaillé sur le dialogue politique depuis des années, sont aujourd'hui déconsidérés, réduits au silence. Et bien nous, nous n'acceptons pas cette situation, cet engrenage qui ajoute les morts aux morts, alors que nous savons bien qu'il faudra bien que les Israéliens et les Palestiniens à un moment donné se reparlent. S'il n'y a pas de solution, il n'y a pas de sécurité sans une perspective de solution politique, c'est pour cela que la France poursuit ses efforts, que nous parlons avec M. Sharon, comme nous parlons avec Yasser Arafat, comme nous parlons avec le président syrien, le président libanais, les Jordaniens, les Egyptiens.
Aujourd'hui, il y a deux choses à partir desquelles on peut travailler malgré tout : c'est l'initiative égypto-jordanienne et d'autre part les conclusions de la Commission Mitchell qui sont des conclusions claires, courageuses et utiles et, pour nous Français, pour être utiles précisément, il faut être en contact permanent avec tous les protagonistes. C'est ce que nous faisons.
Q - Est-ce qu'il n'y a pas un immobilisme de la part de l'administration Bush quand même ; depuis quelques mois, il n'y a plus rien ?
R - Chaque fois qu'il y a un changement d'administration aux Etats-Unis, il y a un temps de latence - nouvelles nominations, confirmation -, et la nouvelle administration met un certain temps à définir ses propres orientations.
Pour autant, je ne crois pas que les Etats-Unis, compte tenu de leur poids et de leur responsabilité mondiale, puissent s'abstraire de cette situation très mauvaise au Proche-Orient. Je sais qu'en particulier le secrétaire d'Etat Powell est tout à fait conscient du rôle des Etats-Unis, alors le style changera. Il a déjà changé, notamment en ce qui concerne l'implication personnelle du président. Mais l'engagement des Etats-Unis ne peut pas disparaître, c'est leur intérêt, bien compris, que cette évolution s'arrête - je parle de cet engrenage mortel pour les personnes qui sont touchées.
Donc, aujourd'hui, il faut à la fois que les Etats-Unis retrouvent un rôle plus actif, il faut que l'Europe ait une expression plus forte et plus convaincue et que ces deux démarches fortes convergent.
Q - Hier, il y a eu un regain de tension sur les frontières libano-israéliennnes, alors c'est pour cela que vous avez dit que la situation était la plus grave depuis 15/20 ans ? Est-ce que vous avez toujours la même analyse ? Ou vous voyez les choses ...... ?
R - J'ai dit à propos de la situation dans son ensemble et d'abord à propos de la relation israélo-palestinienne que nous étions dans la plus mauvaise situation depuis une quinzaine d'années et nous en voyons la confirmation chaque jour et l'aggravation chaque jour.
Quant aux relations israélo-syriennes et israélo-libanaises, elles sont à l'évidence bloquées à ce stade. C'est sur cet engrenage israélo-palestinien qu'il faut travailler en priorité.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2001)
Je vous souhaite à tous la bienvenue pour cette première session de l'Institut diplomatique.
Pourquoi un institut de formation, au ministère des Affaires étrangères, pourquoi aujourd'hui ?
On entend souvent dire qu'une des caractéristiques de notre époque c'est l'extraordinaire développement des moyens de communication et que le flot d'informations qui l'accompagne est un facteur de complication de la tâche du ministère des Affaires étrangère. Le ministre quant à lui serait "forcé de prendre des décisions, de donner des instructions, d'assumer des responsabilités, sans avoir toujours, comme ses prédécesseurs d'antan, le temps de peser le pour et le contre. Il a donc, plus encore qu'eux, besoin d'avoir toujours sous la main des collaborateurs capables de le renseigner sur l'instant et de l'éclairer sur les conséquences éventuelles des directions qu'il est obligé de donner ".
Il y a beaucoup de vérité dans ces phrases et c'est sans hésitation que l'on en conclurait qu'un ministre des Affaires étrangères a tout spécialement besoin aujourd'hui de collaborateurs toujours mieux formés. La modernité de ces propos doit cependant être relativisée puisqu'ils sont dus à la plume d'un de nos anciens ambassadeurs, M. de Fleuriau, et qu'ils datent de 1934.
Lorsqu'on parle de modernité et de modernisation, il faut donc éviter de tout mélanger. Il est exact que la dernière décennie du 20e siècle a connu un essor fulgurant des technologies de communication et d'information mais la révolution de l'information, pour les affaires étrangères, date, elle, de la deuxième moitié du 19e siècle : le télégraphe électrique est de 1848, les premiers câbles sous-marin ont été posés en 1862, le téléphone a été inventé en 1890 et la télégraphie sans fils en 1910.
M. de Fleuriau, décidément très perspicace, voyait deux autres traits à la diplomatie de son époque : l'augmentation du nombre des Etats, qui avait plus que doublé entre le début du 19ème siècle et le début du 20ème,(il suffit de se rappeler le petit nombre de participants au Congrès de Vienne) et le recours généralisé à l'arbitrage pour régler les litiges internationaux dès 1899, mouvement confirmé par la création de la SDN en 1920.
Il est d'ailleurs étonnant de constater à quel point la mondialisation est un processus engagé depuis longtemps et que ses problématiques sont régulièrement redécouvertes. Il est exact, en même temps, que ces phénomènes se sont amplifiés. Cela remonte d'abord aux lendemains de la seconde guerre mondiale, période qui a vu passer le nombre des Etats de quelques dizaines à 189 aujourd'hui et où les moyens de communication ont connu un essor sans précédent avec le développement des lignes aériennes régulières ou la généralisation du téléphone et de la télévision. En ce sens, des phénomènes comme l'apparition d'Internet ou encore celle de nouveaux Etats issus du démembrement de l'empire soviétique ne sont que la continuation exponentielle, certes, d'un mouvement engagé depuis plus d'un siècle et demi. Cependant, ces vagues successives, ont des conséquences cumulatives. Dans la période récente, ce qui a marqué les esprits, c'est la fin de ce monde bipolaire, coupé en deux, de la fin de toutes les barrières, et par conséquent l'extension à toute la planète du système dominant, unique maintenant, de l'économie globale de marché. Ces conséquences cumulatives ont donc entraîné au final un changement de nature, ce qui se traduit par une exigence croissante de professionnalisme.
S'il faut une raison première à la création de l'Institut diplomatique, c'est celle-là : tracer clairement entre nous, entre diplomates, entre professionnels, la ligne qui sépare l'amateurisme, même très éclairé, et le professionnalisme, qui doit être le nôtre et qui doit correspondre à l'analyse la plus juste, la plus exigeante et la plus opératoire. L'Institut diplomatique sera d'abord et avant tout, le lieu où ce savoir-faire s'aiguisera, un lieu pour échanger nos propres analyses, pour les discuter, les confronter même, en tirer au bout du compte, un enseignement, une formation perfectionnés.
Formation et dialogue sont en effet plus que jamais nécessaires. En effet, avec le monde, le métier de diplomate n'a cessé de changer.
Il s'est d'abord démocratisé : il s'est ouvert à des hommes et à des femmes, encore trop peu nombreuses, choisis à raison de leur mérite, de leur compréhension du monde, de leur connaissance des langues et civilisations étrangères.
Les interlocuteurs des diplomates ont aussi changé et se sont d'abord multipliés : pour représenter efficacement son pays, il ne doit plus seulement rencontrer des ministres, d'autres diplomates et des hauts fonctionnaires mais aussi des hommes politiques, des chefs d'entreprises, des syndicats, des journalistes, des représentants d'ONG, des artistes, des ingénieurs. La liste est sans fin.
Les sujets de l'activité diplomatique se sont aussi étendus : en plus de la paix et de la sécurité internationale, qui sont le travail "de base" il s'agit aujourd'hui de défendre ou de promouvoir, intelligemment, la démocratie, le développement économique, y compris des moins avancés, la protection de l'environnement, pour que la planète survive, les Droits de l'homme, bref ce que nous appelons les enjeux globaux et qui traduisent la prise de conscience de ces phénomènes de mondialisation, surtout depuis ces années charnières de 1989-1991. La complexité de ces enjeux n'a pas d'équivalent dans le passé. Le respect de l'environnement, que l'opinion considère comme une chose simple, naturelle et impérative, est en réalité pour le négociateur et donc souvent pour le diplomate, une somme d'intérêts particuliers, économiques, techniques, politiques, idéologiques, absolument opposés. L'apparition de tribunaux pénaux internationaux répond à une exigence morale, celle de la lutte contre l'impunité et reflète un progrès de la conscience universelle. Mais le diplomate, qui est engagé dans une action concrète à partir d'une crise sait que juger et punir ne suffisent pas à résoudre une crise, ne peut se sentir dispensé pour autant de ses propres efforts.
Je pourrais citer d'autres évolutions fondamentales, comme les efforts renouvelés pour faire émerger des ensembles géographiques organisés, dont l'Union européenne est à la fois l'exemple le plus accompli et un cas unique en son genre. Je pourrais citer toutes les évolutions qui amènent le diplomate à repenser des notions fondamentales comme la souveraineté des Etats ou l'intérêt national. Je ne dis pas abandonner, je dis repenser.
Ou encore, pour parler comme les physiciens, l'entropie de plus en plus marquée dans les relations internationales et qui est perçue, tantôt de façon positive, comme l'expression d'un progrès de la démocratie planétaire ou, tantôt au contraire, comme synonyme de désordre et de risque. La regrettable non élection des Etats-Unis à la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, où l'hyperpuissance américaine se trouve mise en difficulté par la démocratie onusienne - un pays, un vote -, est un exemple tout à fait frappant de cette tendance et de ses effets aléatoires.
Nous sommes donc dans un monde d'une complexité croissante. Ceci a trois conséquences fondamentales pour le métier de diplomate :
1°) C'est un métier nécessairement pluriel. La question du développement dans le tiers monde, le rôle croissant des médias - et l'on voit à chaque fois à quel point la communication est quelque chose de subtil - ou encore, la construction européenne, ont fait apparaître de nouvelles spécialités, de nouvelles expertises. Un bon diplomate se doit d'en maîtriser à fond deux ou trois mais aussi de disposer d'une bonne culture générale dans tous les domaines. Quand on sait les enjeux colossaux, par exemple, qui sont aujourd'hui ceux des télécommunications dans les domaines scientifique, économique ou stratégique, on voit l'ampleur des difficultés. On ne peut plus considérer qu'il s'agit d'un sujet à laisser aux seuls techniciens. C'est pourquoi les formateurs de l'institut diplomatique viendront d'horizons les plus divers : c'est l'illustration même de cette nécessité d'ouverture et de diversification. La multiplication des négociations sur tous les plans, sur tous les terrains dans toutes les enceintes, oblige absolument à avoir un corps de spécialistes polyvalents de négociation en soi. La négociation, c'est aussi un métier, ce n'est pas uniquement la connaissance du domaine sur lequel on négocie.
2°) C'est aussi un métier actif. L'expression "tour de contrôle" de l'action extérieure, que j'emploie souvent, est là pour exprimer dans l'idéal ce que doit être l'activité du ministère des Affaires étrangères, et pour frapper quand on l'entend. Nous savons bien que le diplomate n'est pas seulement un contrôleur de la navigation et encore moins le spectateur du monde, mais bien un acteur, et qui souvent tient le premier rôle dans les négociations internationales, dont le nombre ne cesse de croître, et dans tout ce qui les entoure. C'est pour cette raison que votre programme d'études comporte de nombreuses simulations.
3°) C'est aussi un métier méthodique, qui repose sur des savoir-faire. Ceux-ci existent au sein du Quai d'Orsay, et on été enrichis depuis la fusion avec la Coopération par des métiers complémentaires, mais jusqu'ici ces métiers n'ont pas été traités comme tels, en tout cas pas assez. Il faut les valoriser pour mieux les transmettre. D'anciens responsables de haut niveau ont été invités pour cela. Vous connaissez tous l'histoire des relations internationales mais l'objectif n'est plus comme à l'école de savoir ce qui s'est passé, encore qu'en ces temps d'amnésie cela reste fondamental, mais comment on en est arrivé là. Etre diplomate, c'est hiérarchiser les priorités, choisir le cheminement propice à l'obtention d'un bon résultat au regard de nos intérêts, de nos idées et de nos valeurs. Comment traduire un intérêt, un objectif en stratégie puis en tactique de négociation ? Cela s'apprend, cela s'analyse, cela s'évalue, c'est la question que vous n'hésiterez pas, j'en suis convaincu, à poser à vos interlocuteurs.
Pourquoi fallait-il pour atteindre ces objectifs se doter d'un Institut ?
Le ministère de la Défense, qui nous accueille pour cette première session, et je l'en remercie, s'est déjà attelé à relever avec succès le défi de la formation permanente. C'est un des ministères qui fait le mieux dans ce domaine Il y a d'autres exemples dans l'administration française comme l'Institut des hautes études de sécurité intérieure ou le récent Institut des hautes études d'aménagement et de développement du territoire. Des diplomaties étrangères ont su aussi créer des outils mieux adaptés à l'exercice de la profession diplomatique, comme le département d'Etat aux Etats-Unis ou celle de nombreux pays européens.
A contrario, il était confortable de penser que le ministère des Affaires étrangères avait déjà atteint un bon niveau en matière de formation. De fait, la qualité de la formation des hommes et des femmes qui composent le Département a progressé dans de nombreux domaines comme les activités consulaires ou dans celui des langues, qu'il faut encore améliorer. Je sais l'engagement déterminé de la DRH dans ces domaines.
Mais, j'ai pensé qu'il fallait aller encore plus loin. C'est pourquoi j'ai annoncé lors de la 8ème conférence des ambassadeurs le 29 août dernier, la création d'un institut destiné à regrouper les moyens de formation existants au sein du Département. Mon ambition était d'aller encore plus loin.
Notre objectif, au fond, s'apparente à celui d'une entreprise. Il ne s'agit pas de réviser les formations générales acquises à l'ENA ou à Sciences Po, mais bien de former nos propres cadres en fonction de nos propres besoins.
Le ministère des Affaires étrangères disposait jusqu'à présent de programmes de formation riches, mais à la carte : l'administration encourage, propose ; on y va si l'on veut, si l'on peut, on en tient compte dans les évolutions de carrière si c'est possible. C'est bien mais ce n'est pas suffisant, c'est trop hasardeux, trop aléatoire.
L'institut tel que je le conçois, c'est d'abord le renversement de la logique qui prévalait jusqu'à présent : on ne va plus à l'extérieur suivre des cours, ce sont les formateurs qui viennent au Département ; les cours ne sont plus uniquement choisis à la carte mais sélectionnés et organisés de façon cohérente pour répondre aux besoins du Département et de ses agents ; les stagiaires ne sont plus des personnes isolées mais des groupes ou des générations qui se forment en commun avec un objectif précis.
Car l'Institut diplomatique sera aussi à terme un élément déterminant dans la gestion des carrières et des affectations. Je m'adresse ici, en dehors des invités et des formateurs, à de futurs directeurs et chefs de poste. Les formations doivent permettre de réaliser ces projets. L'idée que dès que l'on remplit les conditions administratives pour accéder à un certain type d'emploi on détient du même coup la science infuse qui correspond à cet emploi a vécu. Tout dément cette croyance. Cela est vrai pour le savoir faire diplomatique comme pour les nouveaux métiers que j'évoquais : la communication, la gestion, le management. Les responsables de cette maison ne peuvent plus se contenter d'un savoir fragmentaire. Je les invite tous à passer par l'institut à un moment ou à un autre.
C'est dans cet esprit et avec ambition que le programme de la première session a été préparé, en coopération étroite entre le CAP, la DRH et le directeur des études à qui j'ai confié le soin de coordonner vos travaux, M. Pierre Grosser, maître de conférences à l'Institut d'études politiques et historien des relations internationales. Ce programme couvre cinq thèmes, qui sous l'angle de la méthode comme sous celui de fond devrait, sous réserve d'une future évaluation, nous permettre d'embrasser la totalité du travail diplomatique d'aujourd'hui. Il s'agit des métiers de la diplomatie, des temps de la diplomatie, des nouveaux champs de la négociation, des défis de l'époque, des questions régionales. Il faudra sans doute ajouter un module sur la gestion.
L'effort accompli par la création de L'Institut participe aussi d'une modernisation d'ensemble. Beaucoup a déjà été fait au cours des quatre dernières années, et l'on commence déjà à en parler.
1/ la structure du Quai d'Orsay a été unifiée et simplifiée, notamment avec la réforme de la Coopération conduite par Charles Josselin et moi-même ; les divers comités que j'ai créés et que je préside personnellement ainsi que la réunion annuelle des ambassadeurs permettent des échanges plus simples et plus directs. Dans le même sens des efforts importants ont été accomplis sous l'impulsion du Secrétaire général pour moderniser les méthodes de travail et la correspondance.
2/ La capacité d'alerte, de prévention et de réaction du ministère a été accrue avec la création d'un comité stratégique et l'amélioration de la procédure de gestion des crises. Tout cela est amené à être perfectionné.
3/ L'amélioration de la gestion des ressources humaines, de l'administration financière et domaniale restent pour moi fondamentales. Il est vrai qu'il y a encore beaucoup à faire en matière d'évaluation, d'ouverture et de mobilité. Il y a des obstacles sérieux, dont certains, d'ailleurs ne sont pas de notre fait mais relève du statut général de la Fonction publique. Cela ne justifie pas le statu quo, il faut avancer, c'est une exigence fondamentale pour nous permettre de retrouver et d'exercer efficacement notre rôle de coordination et de convaincre tous nos partenaires, au sein de l'appareil d'Etat et ailleurs, de notre légitimité à le faire.
4/ Des efforts considérables ont enfin été accomplis pour que la mission de service public du Département - je pense en particulier aux questions d'adoption, d'Etat civil, à l'information des touristes - le site conseils aux voyageurs- dispose de moyens modernes et réponde de mieux en mieux aux attentes des citoyens et des usagers.
L'Institut s'insère donc dans un programme global de modernisation du Quai d'Orsay et plus généralement de l'Etat comme l'a décidé le Premier ministre et comme s'y emploie le gouvernement. C'est tout à fait essentiel au moment où l'administration "s'internationalise" de plus en plus, et où elle doit intégrer à ses réflexions et à son action les préoccupations correspondantes, au moment où les intervenants sur la scène internationale se multiplient.
Les diplomates demeurent des spécialistes indispensables mais ils ne sont plus les seuls. Je pense qu'ils conservent une spécialité, à savoir celle de la négociation, qu'elle s'applique aux OGM, aux gaz à effet de serre, à la sécurité en Méditerranée. Tout pays qui laisserait dépérir cette capacité s'affaiblirait lui même dans le monde de demain, qui sera plus concurrentiel. Dans ce monde global, instable, nous devons absolument pour soutenir nos projets avoir la capacité de réunir des minorités de blocage, face à des projets qui ne nous conviendraient pas et de réunir des majorités d'idées pour progresser. Il ne faut sans doute pas tout réinventer, mais constamment toujours affiner.
Pour que cette vision soit retenue, qu'elle se répande et s'enrichisse il fallait disposer d'une structure, d'un lieu d'échange d'expériences entre diplomates, fonctionnaires d'autres administrations, universitaires et membres de la société civile. Et ce lieu pourra être également très profitable aux non-diplomates qui pourront trouver là un complément d'informations et de formation sur les problèmes internationaux dispensé par des praticiens expérimentés. C'est pourquoi un tiers des participants de cette première session viennent de l'extérieur du Quai d'Orsay. Je leur souhaite tout spécialement la bienvenue et je souhaite que leur présence permettra un échange très fécond.
La modernisation, je le dis souvent, passe aussi par l'enracinement d'une culture d'évaluation sincèrement acceptée. Le 13 juillet, je reviendrai vous voir pour que nous faisions ensemble le bilan de cette première session. Je remercie Mme Marie-Françoise Bechtel, directrice de l'ENA, d'avoir bien voulu accepter d'y participer. Je remercie également tous ceux qui viendront faire partager leurs expériences professionnelles et leurs analyses aux auditeurs et aux auditrices de cette première session de l'Institut diplomatique, à qui je souhaite plein succès.
Très vite, cet institut se développera et deviendra un élément fondamental pour tous ceux qui dans la société française sont attachés à cette dimension internationale.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2001)
Q - Quel est pour vous aujourd'hui un bon diplomate qui peut répondre aux enjeux de la mondialisation ? Comment définiriez-vous le bon diplomate au XXIème siècle ?
R - Un bon diplomate, c'est quelqu'un qui conserve cet extraordinaire héritage, un savoir-faire transmis de génération en génération sur les relations avec les autres Etats dans le monde et qui ajoute une ouverture qui l'amène à être capable d'avoir des relations aussi utiles, efficaces avec les entreprises, les médias, les ONG, tous les autres partenaires de ce système international.
Par ailleurs, le nombre des Etats a prodigieusement cru et le nombre des organisations internationales a lui même explosé. Donc, c'est une révolution, mais il ne faut pas perdre le coeur de ce savoir-faire parce que dans le monde global de demain, tout sera négociation en permanence. Il n'y aura quasiment plus aucun sujet qu'un pays même aussi gros que les Etats-Unis puisse trancher entièrement seul. Donc, nous allons sans arrêt négocier pour avoir des minorités de blocage, pour éviter des choses dont on ne veut pas, des majorités pour faire passer certaines idées et cela est un métier.
C'est un métier, c'est un vrai professionnalisme, et si j'ai voulu créer un Institut diplomatique, c'est parce qu'au ministère des Affaires étrangères il y avait toutes sortes de formations à la carte, mais pas assez intégrées systématiquement dans les carrières, dans le cursus, qu'il fallait rassembler tous ces savoir-faire très riches au sein du Quai d'Orsay mais un peu épars. J'ai souhaité que cet institut soit ouvert à des auditeurs qui viennent d'autres administrations ou qui viennent de la société civile, ou des entreprises, parce que cela donnera à cet institut le caractère d'un lieu d'échange et d'enrichissement mutuels.
C'est un élément, pour moi, fondamental de la modernisation du ministère.
Q - Qu'est-ce que vous espérez de la visite d'Arafat et de Sharon ?. Vous avez invité Sharon en France, alors que dans le temps, le Premier ministre nous avait dit que le gouvernement avait fait tout pour ne pas l'inviter quand il n'était pas Premier ministre ?
R - La France ne baisse pas les bras par rapport à la situation au Proche-Orient. Cette situation est véritablement très mauvaise, presque tragique. Ce qui est désespérant, c'est de voir à quels points les différents groupes pacifiques qui ont travaillé sur le dialogue politique depuis des années, sont aujourd'hui déconsidérés, réduits au silence. Et bien nous, nous n'acceptons pas cette situation, cet engrenage qui ajoute les morts aux morts, alors que nous savons bien qu'il faudra bien que les Israéliens et les Palestiniens à un moment donné se reparlent. S'il n'y a pas de solution, il n'y a pas de sécurité sans une perspective de solution politique, c'est pour cela que la France poursuit ses efforts, que nous parlons avec M. Sharon, comme nous parlons avec Yasser Arafat, comme nous parlons avec le président syrien, le président libanais, les Jordaniens, les Egyptiens.
Aujourd'hui, il y a deux choses à partir desquelles on peut travailler malgré tout : c'est l'initiative égypto-jordanienne et d'autre part les conclusions de la Commission Mitchell qui sont des conclusions claires, courageuses et utiles et, pour nous Français, pour être utiles précisément, il faut être en contact permanent avec tous les protagonistes. C'est ce que nous faisons.
Q - Est-ce qu'il n'y a pas un immobilisme de la part de l'administration Bush quand même ; depuis quelques mois, il n'y a plus rien ?
R - Chaque fois qu'il y a un changement d'administration aux Etats-Unis, il y a un temps de latence - nouvelles nominations, confirmation -, et la nouvelle administration met un certain temps à définir ses propres orientations.
Pour autant, je ne crois pas que les Etats-Unis, compte tenu de leur poids et de leur responsabilité mondiale, puissent s'abstraire de cette situation très mauvaise au Proche-Orient. Je sais qu'en particulier le secrétaire d'Etat Powell est tout à fait conscient du rôle des Etats-Unis, alors le style changera. Il a déjà changé, notamment en ce qui concerne l'implication personnelle du président. Mais l'engagement des Etats-Unis ne peut pas disparaître, c'est leur intérêt, bien compris, que cette évolution s'arrête - je parle de cet engrenage mortel pour les personnes qui sont touchées.
Donc, aujourd'hui, il faut à la fois que les Etats-Unis retrouvent un rôle plus actif, il faut que l'Europe ait une expression plus forte et plus convaincue et que ces deux démarches fortes convergent.
Q - Hier, il y a eu un regain de tension sur les frontières libano-israéliennnes, alors c'est pour cela que vous avez dit que la situation était la plus grave depuis 15/20 ans ? Est-ce que vous avez toujours la même analyse ? Ou vous voyez les choses ...... ?
R - J'ai dit à propos de la situation dans son ensemble et d'abord à propos de la relation israélo-palestinienne que nous étions dans la plus mauvaise situation depuis une quinzaine d'années et nous en voyons la confirmation chaque jour et l'aggravation chaque jour.
Quant aux relations israélo-syriennes et israélo-libanaises, elles sont à l'évidence bloquées à ce stade. C'est sur cet engrenage israélo-palestinien qu'il faut travailler en priorité.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2001)