Texte intégral
Mesdames, Messieurs les Députés,
je vais vous donner quelques éléments de réponse, rapidement car les commissions - leurs présidents me l'ont fait savoir - doivent se réunir dans quelques instants.
En dépit du ton et des postures adoptés par les uns et les autres, il m'a semblé que les propos tenus par les différents groupes politiques, à l'exception de ceux de M. Lecoq, étaient assez proches : l'analyse était celle de la responsabilité, personne n'évoquant l'idée du départ, pas même le groupe communiste puisqu'il appelait plutôt à la transformation des forces qu'il souhaitait voir placées sous le commandement des Nations unies.
Il ressort globalement de vos interventions un sentiment d'inquiétude, la volonté de changer un certain nombre d'éléments stratégiques de notre position en Afghanistan, mais l'ensemble des groupes de cette assemblée semblent favorables au maintien des forces en Afghanistan pour assurer la sécurité et la stabilité de cette partie du monde.
Par ailleurs, nous devons absolument faire preuve de patience. Je sais que nos sociétés occidentales ne sont pas construites sur ce modèle, mais nous ne pouvons pas évoquer la situation et la reconstruction de l'Afghanistan sans y intégrer la notion de temps. Karzaï a une formule qui résume bien la situation : "Les Européens ont l'heure, les Afghans ont le temps." Nous devons en permanence rappeler à nos compatriotes qu'il n'est pas imaginable de reconstruire en huit ans, de A à Z, un pays aussi complexe que l'Afghanistan, fait d'une quarantaine de tribus, d'ethnies, de clans, de familles, et de surcroît dévasté par quarante ans de guerre.
Faut-il, comme le propose Jean Glavany, fixer un terme à notre mission ? Je ne le crois pas. Fixer un terme serait faire preuve de faiblesse et donner un signal très fort aux Taliban. En revanche, nous pourrions indiquer clairement à l'opinion publique nationale et internationale que nous nous fixons des objectifs, avec des paliers intermédiaires, pour mettre en évidence les progrès accomplis, pour convaincre nos compatriotes que nous sommes sur le bon chemin et que si ces paliers ne sont pas atteints, nous serons en mesure de faire évoluer notre stratégie. Voilà une des conclusions auxquelles devrait parvenir la conférence de Londres.
Vous vous accordez tous par ailleurs - Axel Poniatowski, Henri Plagnol, Jean Glavany, Jean-Paul Lecoq, Michel Voisin - pour reconnaître que la solution n'est pas militaire. Bien entendu, elle n'est pas militaire ; bien entendu, notre présence militaire, dont l'objectif est de sécuriser et de stabiliser les vallées afghanes, doit s'accompagner de la construction de ponts, de routes, d'écoles, pour que les Afghans réalisent eux-mêmes qu'elle se traduit par une amélioration de leur situation collective et personnelle. C'est cette vision que nous devons avoir de notre présence militaire. Nous ne sommes pas dans un conflit militaire classique où nous reprendrions des vallées, où nous tenterions, comme ce pourrait être le cas dans les plaines d'Europe centrale, de passer un fleuve ou une montagne pour rétablir progressivement la sécurité dans le pays. Non : notre présence militaire doit seulement être le moyen d'assurer progressivement le développement et la reconstruction de l'Afghanistan.
Bernard Kouchner l'a souligné dans son propos liminaire : de considérables progrès ont été réalisés. Pas une jeune Afghane n'était scolarisée alors que six millions d'enfants le sont aujourd'hui. De plus, une quinzaine d'universités sont en activité. On a par ailleurs construit 13 000 kilomètres de routes - instrument majeur de pacification -, qui permettent le désenclavement des vallées en favorisant les échanges commerciaux, créant ainsi les conditions du développement économique. Bernard Kouchner a également rappelé que de 70 à 80 % des Afghans ont aujourd'hui accès aux soins minimaux, contre 15 à 20 % avant 2001.
Laissez-moi vous rappeler que si les Taliban sont à l'origine de la destruction de près de 200 écoles en deux ans, c'est que le gouvernement afghan et la communauté internationale ont refusé de répondre à leur injonction d'en finir avec la scolarisation des jeunes filles.
Les progrès réalisés doivent prendre un nouvel essor, il faut que nos efforts s'appuient sur une nouvelle gouvernance. Je m'accorde avec les parlementaires qui considèrent qu'on ne peut pas construire l'Afghanistan avec une vision européenne. L'ethnocentrisme n'a pas de sens : comment penser un seul instant que dans un système tribal, ethnique, nous allons instaurer des institutions démocratiques telles qu'elles existent dans un Etat-nation comme le nôtre ? Henri Plagnol l'a bien souligné.
La conférence de Londres doit être un moment de discussion et de concertation avec le gouvernement Karzaï, un moment où la communauté internationale fixe des priorités et, surtout, définit un nouveau contrat avec ce gouvernement. Il s'agit de fixer en commun des objectifs plus ambitieux dans la lutte contre la corruption, contre la drogue, puis de déterminer les paliers de la reconstitution de la police et de l'armée. C'est seulement à l'issue de cet examen que la France et l'Allemagne décideront de leur participation à un renforcement de leur présence par des moyens et des voies qu'elles détermineront ensemble. Cette participation peut prendre plusieurs formes. Il peut s'agir d'accroître notre aide au développement. Axel Poniatowski et Philippe Folliot ont plaidé pour une aide à la formation de la police - nous accusons un grand retard en la matière - ainsi que de l'armée : l'armée afghane doit reprendre la main comme elle commence de le faire à Kaboul. Enfin, cette participation peut consister en l'envoi de moyens militaires supplémentaires. Nous nous déciderons en fonction des conclusions de la conférence de Londres.
J'ajoute, pour les Européens que vous êtes, comme moi, qu'il eût été plus satisfaisant que l'ensemble des pays européens se déterminent dans un même mouvement alors que, semaine après semaine, les capitales européennes indiquent, chacune de son côté, les modalités de leur participation au renforcement. Une position européenne commune nous aurait permis de peser davantage dans la discussion face aux Etats-Unis et même face à l'ensemble du reste de la communauté internationale.
Je vous remercie enfin pour l'hommage que vous avez tous rendu aux soldats français engagés sur le terrain. Michel Voisin rappelait qu'ils effectuent leur travail dans des conditions difficiles mais avec beaucoup de conviction ; très motivés, ils ont la certitude que la mission qu'ils remplissent est dure mais utile pour la stabilité et la sécurité du monde. Ils agissent avec une détermination extraordinaire après six mois d'une formation très exigeante.
Permettez-moi à mon tour, en tant que ministre de la Défense, de leur rendre hommage. Trente-six d'entre eux sont morts en Afghanistan depuis 2001, mais ils ne sont pas morts pour rien : notre présence vise à assurer la stabilité et la sécurité d'une région du monde en proie à de grandes difficultés ; c'est pourquoi nous devons demeurer en Afghanistan aussi longtemps que ce pays n'aura pas retrouvé la paix./. Source:http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 décembre 2009
je vais vous donner quelques éléments de réponse, rapidement car les commissions - leurs présidents me l'ont fait savoir - doivent se réunir dans quelques instants.
En dépit du ton et des postures adoptés par les uns et les autres, il m'a semblé que les propos tenus par les différents groupes politiques, à l'exception de ceux de M. Lecoq, étaient assez proches : l'analyse était celle de la responsabilité, personne n'évoquant l'idée du départ, pas même le groupe communiste puisqu'il appelait plutôt à la transformation des forces qu'il souhaitait voir placées sous le commandement des Nations unies.
Il ressort globalement de vos interventions un sentiment d'inquiétude, la volonté de changer un certain nombre d'éléments stratégiques de notre position en Afghanistan, mais l'ensemble des groupes de cette assemblée semblent favorables au maintien des forces en Afghanistan pour assurer la sécurité et la stabilité de cette partie du monde.
Par ailleurs, nous devons absolument faire preuve de patience. Je sais que nos sociétés occidentales ne sont pas construites sur ce modèle, mais nous ne pouvons pas évoquer la situation et la reconstruction de l'Afghanistan sans y intégrer la notion de temps. Karzaï a une formule qui résume bien la situation : "Les Européens ont l'heure, les Afghans ont le temps." Nous devons en permanence rappeler à nos compatriotes qu'il n'est pas imaginable de reconstruire en huit ans, de A à Z, un pays aussi complexe que l'Afghanistan, fait d'une quarantaine de tribus, d'ethnies, de clans, de familles, et de surcroît dévasté par quarante ans de guerre.
Faut-il, comme le propose Jean Glavany, fixer un terme à notre mission ? Je ne le crois pas. Fixer un terme serait faire preuve de faiblesse et donner un signal très fort aux Taliban. En revanche, nous pourrions indiquer clairement à l'opinion publique nationale et internationale que nous nous fixons des objectifs, avec des paliers intermédiaires, pour mettre en évidence les progrès accomplis, pour convaincre nos compatriotes que nous sommes sur le bon chemin et que si ces paliers ne sont pas atteints, nous serons en mesure de faire évoluer notre stratégie. Voilà une des conclusions auxquelles devrait parvenir la conférence de Londres.
Vous vous accordez tous par ailleurs - Axel Poniatowski, Henri Plagnol, Jean Glavany, Jean-Paul Lecoq, Michel Voisin - pour reconnaître que la solution n'est pas militaire. Bien entendu, elle n'est pas militaire ; bien entendu, notre présence militaire, dont l'objectif est de sécuriser et de stabiliser les vallées afghanes, doit s'accompagner de la construction de ponts, de routes, d'écoles, pour que les Afghans réalisent eux-mêmes qu'elle se traduit par une amélioration de leur situation collective et personnelle. C'est cette vision que nous devons avoir de notre présence militaire. Nous ne sommes pas dans un conflit militaire classique où nous reprendrions des vallées, où nous tenterions, comme ce pourrait être le cas dans les plaines d'Europe centrale, de passer un fleuve ou une montagne pour rétablir progressivement la sécurité dans le pays. Non : notre présence militaire doit seulement être le moyen d'assurer progressivement le développement et la reconstruction de l'Afghanistan.
Bernard Kouchner l'a souligné dans son propos liminaire : de considérables progrès ont été réalisés. Pas une jeune Afghane n'était scolarisée alors que six millions d'enfants le sont aujourd'hui. De plus, une quinzaine d'universités sont en activité. On a par ailleurs construit 13 000 kilomètres de routes - instrument majeur de pacification -, qui permettent le désenclavement des vallées en favorisant les échanges commerciaux, créant ainsi les conditions du développement économique. Bernard Kouchner a également rappelé que de 70 à 80 % des Afghans ont aujourd'hui accès aux soins minimaux, contre 15 à 20 % avant 2001.
Laissez-moi vous rappeler que si les Taliban sont à l'origine de la destruction de près de 200 écoles en deux ans, c'est que le gouvernement afghan et la communauté internationale ont refusé de répondre à leur injonction d'en finir avec la scolarisation des jeunes filles.
Les progrès réalisés doivent prendre un nouvel essor, il faut que nos efforts s'appuient sur une nouvelle gouvernance. Je m'accorde avec les parlementaires qui considèrent qu'on ne peut pas construire l'Afghanistan avec une vision européenne. L'ethnocentrisme n'a pas de sens : comment penser un seul instant que dans un système tribal, ethnique, nous allons instaurer des institutions démocratiques telles qu'elles existent dans un Etat-nation comme le nôtre ? Henri Plagnol l'a bien souligné.
La conférence de Londres doit être un moment de discussion et de concertation avec le gouvernement Karzaï, un moment où la communauté internationale fixe des priorités et, surtout, définit un nouveau contrat avec ce gouvernement. Il s'agit de fixer en commun des objectifs plus ambitieux dans la lutte contre la corruption, contre la drogue, puis de déterminer les paliers de la reconstitution de la police et de l'armée. C'est seulement à l'issue de cet examen que la France et l'Allemagne décideront de leur participation à un renforcement de leur présence par des moyens et des voies qu'elles détermineront ensemble. Cette participation peut prendre plusieurs formes. Il peut s'agir d'accroître notre aide au développement. Axel Poniatowski et Philippe Folliot ont plaidé pour une aide à la formation de la police - nous accusons un grand retard en la matière - ainsi que de l'armée : l'armée afghane doit reprendre la main comme elle commence de le faire à Kaboul. Enfin, cette participation peut consister en l'envoi de moyens militaires supplémentaires. Nous nous déciderons en fonction des conclusions de la conférence de Londres.
J'ajoute, pour les Européens que vous êtes, comme moi, qu'il eût été plus satisfaisant que l'ensemble des pays européens se déterminent dans un même mouvement alors que, semaine après semaine, les capitales européennes indiquent, chacune de son côté, les modalités de leur participation au renforcement. Une position européenne commune nous aurait permis de peser davantage dans la discussion face aux Etats-Unis et même face à l'ensemble du reste de la communauté internationale.
Je vous remercie enfin pour l'hommage que vous avez tous rendu aux soldats français engagés sur le terrain. Michel Voisin rappelait qu'ils effectuent leur travail dans des conditions difficiles mais avec beaucoup de conviction ; très motivés, ils ont la certitude que la mission qu'ils remplissent est dure mais utile pour la stabilité et la sécurité du monde. Ils agissent avec une détermination extraordinaire après six mois d'une formation très exigeante.
Permettez-moi à mon tour, en tant que ministre de la Défense, de leur rendre hommage. Trente-six d'entre eux sont morts en Afghanistan depuis 2001, mais ils ne sont pas morts pour rien : notre présence vise à assurer la stabilité et la sécurité d'une région du monde en proie à de grandes difficultés ; c'est pourquoi nous devons demeurer en Afghanistan aussi longtemps que ce pays n'aura pas retrouvé la paix./. Source:http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 décembre 2009