Texte intégral
M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : Nous allons recevoir maintenant le Haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Haut commissaire à la Jeunesse qui par son statut particulier agace ses camarades ministres alors que lui reste stoïque dans son couloir. Il fête le premier anniversaire du RSA dont il est satisfait mais pour lequel il admet un démarrage un peu lent. M. Hirsch bonjour.
Bonjour.
M. Biraben : Soyez le bienvenu.
C. Roux : Alors bon anniversaire le RSA, ça c'est fait. Alors nous avons reçu hier J. Leprêtre du Secours Populaire. Pour lui, le RSA n'a rien changé, c'est ce qu'il nous a dit sur ce plateau ici même. Il constate une demande de 20% de plus auprès de ses services. Donc il nous dit : le RSA pour l'instant je ne vois pas les effets concrets. Qu'est-ce que vous lui répondez ?
Je lui réponds qu'on voit beaucoup de gens qui commencent à en voir les effets. C'est-à-dire que le RSA, le principal changement, on avait deux changements. Le premier c'est de dire : il y a des travailleurs pauvres, des gens, des salariés modestes - ce que le Secours Populaire de J. Leprêtre, comme le Secours Catholique, comme Emmaüs, comme Les Restos du Coeur, nous disaient - il y a de plus en plus de travailleurs pauvres qui viennent chez nous et c'est pour ceux-là que le RSA vient apporter un complément de revenu. Alors tous les travailleurs pauvres ne le savent pas encore. Je le disais hier, il y a en fait dans l'ensemble des salariés modestes qui peuvent bénéficier du RSA, un quart qui le perçoit aujourd'hui et trois quarts qui ne le perçoivent pas encore. Hier, j'étais à discuter avec des gens qui avaient découvert le RSA la semaine dernière. Comment vous l'avez découvert ? Ils m'ont dit : "on a vu les pubs à la télé, le type qui travaille, qui a le RSA, ou la dame qui sert les plateaux à la maison de retraite etc. Ca nous est arrivé quelque part dans la tête et on s'est dit, ce n'est pas pour nous. Et puis la semaine dernière, j'ai une copine, ma meilleure copine m'a dit, disait la fille : ah tu sais, je touche le RSA, j'ai 120 euros en plus de mon salaire, et à ce moment-là, j'ai "tilté" que c'était pour moi". Donc il se passe ça. Il se passe une prise de conscience.
C. Roux : Qui a mal communiqué ? C'est le Gouvernement qui a mal communiqué ? C'est le ministre, le Haut commissaire ?
Oui, c'est certainement moi mais on a peut-être mal communiqué mais on a fait le mieux qu'on pouvait. Et en fait, je pense que ce n'est pas simplement un problème de communication dans ces cas-là. C'est-à-dire que quand on regarde tous les grands changements des 20 dernières années, le fait que ça vous arrive à vous, ça passe par un moment d'appropriation et les grandes réformes elles mettent deux ans, trois ans, quatre ans pour monter en charge. Ce n'est pas le lendemain.
C. Roux : Mais quelle leçon vous allez tirer de ce démarrage un peu lent ? Vous n'allez rien changer ? Vous allez attendre que les choses se mettent en place en douceur ?
Alors démarrage un peu lent, en fait quand vous regardez, il y a 400 000 personnes supplémentaires qui bénéficient du RSA. C'est autant que les quatre premières années du RMI, le tout en quatre mois. Donc on va plus vite que les autres et pourtant on voudrait aller encore plus vite. Pourquoi ? Parce que la guerre contre la pauvreté, celle qui est chère à J. Leprêtre, c'est une course contre la montre. Il faut aller plus vite, plus vite pour que le plus de gens possibles puissent s'en sortir.
C. Roux : Quelles leçons ?
Par exemple, on s'est dit : il y a beaucoup de gens qui habitent dans des HLM et on va passer par des offices de HLM. On commence par celui du Val d'Oise avec la quittance de loyer, envoyer une information sur le RSA. Pourquoi est-ce qu'on a pensé à ça ? Vous allez me dire, on est lent à la "comprenette" mais dans les commissions d'expulsion des locataires, il y a un moment les gens qui regardent avant de virer quelqu'un disent : ah zut en fait vous aviez le droit à 150 euros de RSA. Si vous les faites jouer, du coup on ne vous expulse plus. Donc ils sont venus nous voir en disant : mais voilà... Donc on essaie d'avancer comme ça.
C. Roux : Ca c'est le premier levier, il y en aura d'autres ou pour l'instant vous en restez là ?
Il y a plein d'autres leviers. Par exemple, on sait qu'il y a beaucoup de salariés modestes qui ne gagnent pas beaucoup d'argent donc, qui travaillent dans les hôpitaux, dans les cantines, dans les établissements publics. Là, on va faire des petites campagnes d'affiche etc. En revanche, il y a une chose qu'on s'interdit de faire - et ça explique pas mal de choses - depuis le début, on n'a pas voulu passer par les employeurs parce qu'on ne veut pas que le patron sache quel est le montant du RSA de ses employés.
C. Roux : Pourquoi ? Qu'est-ce que ça pose comme problème ?
Parce qu'on ne veut pas que le patron puisse dire : écoute tu touches 200 euros de RSA, pour ton augmentation, repasse l'année prochaine.
C. Roux : Un mot sur les zones urbaines sensibles. Il y a eu un rapport assez alarmant, les chiffres sont presque choquants on va dire. Un tiers des habitants des zones urbaines sensibles vivent au dessous du seuil de pauvreté. C'est-à-dire avec moins de 908 euros par mois. Est-ce que vous trouvez que le Gouvernement fait assez pour les quartiers ?
Ce n'est pas faire assez pour les quartiers. Je pense que, je suis comme vous, quand vous dites c'est choquant, ça veut dire que tant qu'on sera dans cette situation-là, on n'en aura pas fait assez. C'est très marquant ce rapport parce qu'il montre que la pauvreté est beaucoup plus élevée, trois fois plus élevée que sur le reste du territoire, que cela n'est pas vrai pour les plus âgés. C'est-à-dire qu'on est retraité dans un quartier ou pas, c'est le même... Mais qu'effectivement les jeunes, les actifs sont beaucoup plus en difficulté. Alors qu'est-ce qu'on peut essayer de faire ? Tous les nouveaux systèmes qu'on est en train de faire sur les jeunes - je pense aux programmes sur lesquels on s'appuie dans les Missions Locales d'insertion des jeunes, je pense au Service civique le mois prochain - de faire en sorte qu'il y ait une grande proportion de ceux-là qui concerne les jeunes ou les gens qui habitent dans les quartiers les plus difficiles. Donc dire qu'on fait assez, la réponse est non et on a vraiment du mal.
C. Roux : Et le plan de F. Amara visiblement tarde à se mettre en place. Est-ce que F. Amara fait bien son travail ?
Le plan de F. Amara c'est le plan de l'ensemble du Gouvernement.
C. Roux : En l'occurrence, c'est elle qui le défend.
Oui c'est elle qui le défend mais c'est l'ensemble du Gouvernement et on n'est pas là pour se donner des bons points ou des mauvais points. Je crois vraiment que ce sont des sujets qui sont vraiment difficiles à faire.
C. Roux : Vous lui cherchez des excuses là ?
Non, on ne se cherche pas des excuses. Je ne suis pas le prof de Fadela, je ne suis pas, ni rien d'autre, j'essaie de faire en sorte que... moi je vois les sujets "Jeunes" comme les sujets "Banlieues" : c'est des sujets qui sont difficiles et sur lesquels on est mal...
C. Roux : Ca veut dire qu'on ne peut rien faire parce que c'est difficile ou alors ça veut dire qu'il faut du temps ? Ca veut dire quoi ?
Ca veut dire qu'il faut toujours un peu de temps, ça veut dire qu'il faut toujours un peu de méthode et ça veut dire qu'il ne faut pas se laisser décourager par les chiffres quand ils sont mauvais.
C. Roux : Alors est-ce que vous êtes un Haut commissaire heureux ?
Ca dépend des moments.
C. Roux : Alors ça dépend des moments, vous avez raison. Par exemple dans cette campagne qui s'annonce pour les régionales, quand vous voyez qu'on brasse des thèmes, on va dire, comme l'immigration, l'identité, l'insécurité, est-ce que ça vous convient ? Parce qu'on vous connaît un peu, on se dit ça peut coincer ?
Si vous avez la réponse, pourquoi posez-vous la question ?
C. Roux : On se doute.
Est-ce que vous avez vu que je m'en mêlais ?
C. Roux : Non mais comme vous êtes là ce matin, c'est une bonne nouvelle, on voulait vous poser la question.
Moi si vous voulez, mon tempérament - c'est pour ça que je ne me mêle pas des élections malgré les propositions, vous avez vu - c'est que je suis plus à chercher ce qui peut mettre les gens, ça fait un peu boy-scout mon affaire mais je suis plus ... de regarder les choses qui rassemblent que les choses qui séparent. Moi j'aime faire le RSA pour tout le monde mais je n'aime pas me dire que je vais me mettre dans un camp pour aller taper sur l'autre.
C. Roux : Juste avoir un avis sur ce qui se passe au sein même de votre Gouvernement auquel vous appartenez, malgré tout. Est-ce que c'est quelque chose qui vous dérange ou pas ? Vous auriez droit le dire ?
De dire quoi ?
C. Roux : De dire qu'on fait trop de place à des thèmes qui ne sont pas forcément des priorités pour les Français par exemple, comme le social ou le chômage ou la pauvreté puisque c'est un sujet qui vous concerne et qui concerne les gens ?
Moi j'essaie d'y faire toute la place. Donc si je trouvais qu'on n'avait pas d'espace pour pouvoir continuer à faire progresser, vous m'engueuleriez, vous me diriez : "alors et votre plan et votre truc ? Vous n'avez rien à faire" ! Heureusement vous avez vu, ça fait cinq minutes qu'on parle, vous ne m'avez pas dit ça parce que malgré tout cela on réussit à faire avancer les choses des jeunes, le service civique etc.
C. Roux : En fait vous avancez dans votre couloir, comme le disait Maitena, et ce qui se passe autour ne vous concerne pas trop ? Vous ne vous sentez pas solidaire de l'action du Gouvernement ?
Je suis le plus solidaire de tous. Vous avez remarqué, je ne dis jamais du mal des autres.
C. Roux : Par contre eux ils disent du mal de vous.
Parfois. Donc je suis le plus solidaire de tous. Parfois quand je lis des trucs, vous n'avez pas vu quelquefois on lit « un ministre anonyme a dit ça ». Alors moi je ne peux pas dire ça comme je suis le seul Haut commissaire. Le Haut commissaire anonyme, je serai dévoilé immédiatement. Mais j'essaie d'être solidaire avec mes convictions.
M. Biraben : On va passer au « 'aime j'aime pas » Vous allez nous dire si vous aimez ou si...
Je n'aime pas le « j'aime j'aime pas » déjà, mais on va le faire.
M. Biraben : Ah bon ? Pourquoi ? C'est rigolo pourtant.
C. Roux : Vous êtes un des rares, vous êtes vraiment très différent.
M. Biraben : J'aime j'aime pas la parité dans les conseils d'administration ?
Je suis pour.
M. Biraben : Vous aimeriez donc ?
Absolument j'aimerais.
M. Biraben : C'est un conditionnel futur.
C. Roux : J'aime j'aime pas le salaire d'H. Proglio, 2 millions d'euros, patron de Véolia ?
Je n'aime pas les salaires trop élevés du tout, pour Proglio comme pour d'autres. Et je trouve que la notion de maintien d'un salaire, à ce niveau-là. Autant la personne qui gagne le Smic, qui se dit "je ne veux pas gagner 50 euros de moins pendant la crise" ça va, mais ça veut dire quoi le maintien de ces salaires-là ? Ca veut dire que pendant beaucoup d'années, on a gagné autant. Donc à un moment, du coup on peut s'arrêter parce qu'on a amassé beaucoup. Bon bref, non je n'aime pas les gros salaires.
C. Roux : Vous l'avez dit par exemple à F. Fillon qui lui a défendu H. Proglio ?
Non, les gens me connaissent à peu près. Moi ça fait cinq ans que j'ai proposé que les hauts salaires soient indexés sur le taux de pauvreté. Ca fait rire tout le monde, ça ne me fait pas rire du tout.
C. Roux : J'aime, j'aime pas R. Yade qui collecte des CV en meeting à Colombes ? C'est ce qu'elle a fait, ça a fit polémique, on lui a dit que c'était du clientélisme.
J'aime pas le clientélisme mais je ne pense pas que ce soit... je ne sais pas...
C. Roux : Collecter des CV dans un meeting politique, ça ne vous choque pas, non ?
Je ne sais pas, comme je ne vais pas dans les meetings politiques, je ne sais pas comment ça se passe.
M. Biraben : Merci M. Hirsch d'avoir été avec nous ce matin.
Je vous en prie.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 décembre 2009