Texte intégral
J'ai souhaité vous réunir aujourd'hui pour vous faire part en toute transparence, comme je m'y étais engagée, des résultats de l'enquête que j'ai fait diligenter suite aux événements inacceptables qui se sont déroulés dans un établissement pour personnes âgées à Bayonne, il y a moins de deux mois.
A la suite d'une plainte pour maltraitance à l'encontre de la directrice de la maison de retraite les Colombes, le 4 octobre dernier, une procédure judiciaire a immédiatement été engagée ainsi qu'une fermeture administrative. Je rappelle que les faits reprochés étaient de la maltraitance active, avec des personnes attachées, de la sous-alimentation, une absence de compétence professionnelle mais également des tarifs prohibitifs au regard des prestations.
Au delà de cette situation particulière qui ne peut que provoquer l'indignation et l'écoeurement, j'ai suivi, grâce au réseau d'alerte national mis en place au sein de mon ministère, d'autres situations tout aussi inacceptables (BETRIMONT en Seine Maritime, par exemple).
Et puis, il y a certains cas de négligence absolue : pas plus tard qu'hier un vieux monsieur est resté abandonné dans les toilettes pendant plus de treize heures, alors que le signalement de sa disparition avait été établi
Je ne peux me résoudre à admettre l'inacceptable comme une fatalité!!!
Je ne peux me résoudre à « comprendre » les difficultés de tous ordres qui me sont opposées pour tenter d'expliquer de telles monstruosités.
Je ne peux me résoudre, par prudence, à me joindre à cette « omerta » qui prévaut face à de telles situations: même si elles sont heureusement très minoritaires, elles sont encore trop nombreuses.
Je ne peux, en aucune manière, accepter que les institutions, qu'elles soient nationales, déconcentrées ou décentralisées ne puissent offrir aux plus vulnérables de nos aînés, les garanties minimales de dignité et de sécurité auxquelles ils ont droit.
Mesdames et Messieurs, une société qui admettrait par abstention de laisser perdurer de telles situations ou de tels risques pour ses aînés ne serait plus digne de porter le nom de Nation... La maltraitance de nos aînés est une véritable gifle donnée à notre civilisation elle- même.
La maltraitance de nos aînés est aussi une humiliation et une insulte, chaque fois qu'elle survient, pour les centaines de milliers de personnes, professionnelles ou bénévoles, qui, en établissement ou à domicile, s'occupent de nos aînés avec un courage admirable et un dévouement total. Mais elle survient aujourd'hui trop souvent, et encore n'avons-nous pas connaissance de tout, pour les raisons que je vous laisse imaginer aisément ...
Le terme Maltraitance lui-même me paraît trop « lisse et trop minorant »... trop théorique, trop banal, trop aseptisé... ouvrons les yeux !!! ... le résultat est une honte !!!
L'heure n'est plus aux atermoiements, aux colloques ou aux groupes de travail ... L'heure n'est plus à l'eau tiède face à un tel phénomène et je veux pour ma part agir, sans tarder, dans ce champ, quitte à bousculer les rythmes, les usages, les procédures, les habitudes et les structures elles-mêmes. Car derrière tout cela, il y a, avant tout, des hommes et des femmes en état de fragilité extrême, qui sont menacés, et il y a nos consciences !!!
C'est un combat sans merci que je veux livrer aujourd'hui pour cette cause de la bientraitance des aînés les plus fragiles, aux côtés de Xavier DARCOS.
Mais revenons au cas particulier des Colombes qui n'est hélas pas isolé. Il est particulièrement révélateur de la combinaison des facteurs qui a conduit à une telle situation. Le rapport de l'IGAS que j'ai demandé sur ces événements est sans aucune ambiguïté à ce propos. Je rendrai publique ce rapport, afin que chacun puisse en prendre connaissance...et comprendre.
Que révèle t-il en vérité ?
1 - A l'origine de cette situation, il y a des comportements individuels et collectifs inadmissibles, de celles et ceux qui l'ont permise par « banalisation », par intention, ou défaut de management de l'établissement concerné. Une procédure judiciaire étant naturellement diligentée, je ne m'exprimerai pas sur ce sujet pour les Colombes !!!
2 - Il y a ensuite un silence assourdissant, une véritable loi du silence au sein de cet établissement qui n'a été rompue que par le courage et la conscience d'une infirmière que je voudrais saluer ici et remercier du fond du coeur. J'avoue que je suis un peu choquée de ce silence collectif. J'y vois notamment les effets effroyables de cette terrible « banalisation » qui s'installe.
3 - Il y a également un système global de contrôle des institutions de l'Etat et du Département qui n'a pas été en mesure de prévenir cette situation dramatique par un cycle régulier d'inspections adaptées. Ce système n'a pas non plus été capable de réagir en temps et heure aux signalements qui pourtant avaient été faits auparavant.
4 - Enfin, il y a un faisceau de présomptions de négligence de la part de la DDASS et des services du Conseil Général.
En effet, le cas de cet établissement était connu, aussi bien des services de l'Etat que des services du département. Mais l'inspection approfondie qui était prévue depuis janvier 2009 n'a pas eu lieu. La convention qui devait lier l'établissement à un service de soins à domicile n'a pas été signée.
La défaillance de l'inspection n'explique pas tout, loin de là.
Il y a une situation troublante que je voudrais également aborder : cet établissement n'avait pas de personnel soignant salarié. Cependant, il coûtait très cher à l'Assurance maladie (1,7 fois le coût d'un établissement conforme), car des actes y étaient massivement facturés. Ce surcoût suppose une présence quasi-permanente de personnels soignants libéraux.
J'avoue être étonnée du silence qui a prévalu dans cette situation.
Il ne m'appartient pas de tirer, de ce faisceau de présomptions, des conclusions hâtives, mais je veux y voir clair ! Je saisirai donc la justice de cette situation, sur la base de l'article 40 du Code de procédure pénale.
Dans ce contexte, les mesures que je prends sont les suivants :
Mesure 1 : S'agissant tout d'abord de la présomption de négligence de la DDASS, j'ai décidé, avant de prendre toute disposition, de convoquer personnellement et dans les prochains jours la directrice de la DDASS des Pyrénées Atlantiques. Elle me donnera directement ses explications et j'en tirerai les conclusions.
Mesure2 : Comme je l'avais annoncé, j'ai fait procéder à un recensement sur tout le territoire national de la situation des établissements qui auraient dû se conformer aux obligations de médicalisation, parce qu'accueillant des personnes dépendantes.
Les résultats de l'enquête, qui viennent de m'être remis, font état de plus de 200 établissements qui continuent de fonctionner en toute irrégularité aujourd'hui. Cela signifie que nos aînés sont en risque dans ces établissements-là. Je demande qu'une mise en demeure très ferme leur soit adressée sans délai pour se mettre en conformité. A défaut de réalisation effective dans les trois mois, ces établissements s'exposeront à une fermeture administrative à compter du 31 mars 2010.
Mesure 3 : je veux rendre obligatoire, au besoin par la Loi, la publication et la diffusion d'une évaluation indépendante et sérieuse, lisible pour nos concitoyens, de chacun des établissements susceptibles d'accueillir les personnes âgées dépendantes. Au regard de cette évaluation, je veux que les risques structurels de maltraitance au sein de ces établissements soient tout particulièrement évalués et quotés, pour être portés à la connaissance de chacun... Je voudrais ici rappeler qu'en utilisant le mot maltraitance, 'je me réfère strictement à la définition qui en est donnée par le Conseil de l'Europe : « tout acte ou omission, commis par une personne, s'il porte atteinte à la vie, à l'intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d'une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière ».
Cette mission sera confiée à l'Agence Nationale de l'Evaluation et de la qualité des établissements et services Sociaux et Médico-sociaux, dont le rôle devra être amplifié.
Mesure 4 : je demande que l'ensemble des instructions sur la prévention et la lutte contre la maltraitance soient refondues dans un document simplifié, unique et lisible. Ce document devra être diffusé également aux Conseils Généraux dont relèvent le contrôle technique et de fonctionnement des établissements qu'ils autorisent. Je souhaite que ce document soit diffusé au plus tôt dans le courant de l'année 2010.
Mesure 5 : Je veux faire adapter le logiciel PRISME, aujourd'hui orienté essentiellement vers un système de 'reporting' au niveau central des données locales, pour en faire un véritable outil local de gestion des signalements, partagé entre l'Etat et les Conseils Généraux .
J'envisage de me rapprocher très vite des départements, afin qu'ensemble nous nous donnions les moyens d'un véritable traitement commun des signalements. Si nécessaire, cette action commune ainsi que ses modalités pourraient être consacrées par la Loi.
Mesure 6 : Je m'aperçois par ailleurs dans cette triste situation :
que les DDASS et les services des Départements coordonnent mal leur action ;
que ni la DCCRF ni la CPAM ne peuvent, dans ces conditions, contribuer en amont à la prévention de telles situations.
En clair : une usine à gaz institutionnelle, mal réglée, et dont les aînés les plus vulnérables font les frais !!
Ne devrait-on pas à présent s'attaquer, plus modestement mais tout aussi résolument, à ce mille-feuille-là ?
En abordant la Maltraitance et en étudiant les mesures de prévention et les garanties que doivent apporter les institutions aux plus fragiles de nos concitoyens, je me suis rendu compte que l'une des conditions essentielles du succès d'une action dans ce domaine résidait dans l'application d'un principe simple :
Un responsable unique identifié,
qui décide,
qui contrôle,
qui agit ..... ! Dans le respect des lois et règlements .... ... et répond de ses défaillances !
Je me suis rendu compte, à travers cet épouvantable problème de la maltraitance, que ce millefeuille institutionnel, avec ses procédures croisées, complexes et coûteuses constituait en fait le principal défaut de gouvernance du secteur.
Je ne suis pas sûre que les français sachent que, sur chaque territoire, il y a aujourd'hui, par exemple, deux systèmes de tarifications, deux systèmes de contrôles et d'inspection, deux champs de responsabilité entre l'Etat et le département ...et tout cela pour une même et seule cause et pour les mêmes personnes âgées vulnérables ! Quelle que soit l'explication, cet état de fait me paraît potentiellement dangereux pour les personnes. Dans ce système, au final, personne n'est globalement responsable de rien !
Si nous décidions d'aller vers la simplification et l'efficacité, qui encore une fois ne coûterait rien aux finances publiques, et donc aux contribuables, il conviendrait, eu égard à la complexité du problème, de procéder par voie d'expérimentation, comme nous le permet notre Constitution.
Alors, je lance le débat et pose la question tout à fait simplement : ne pourrait-on pas, sur le principe, expérimenter une décentralisation étendue des compétences dans le secteur des personnes âgées, avec quelques départements volontaires, et durant un temps limité ? Ne vous méprenez pas sur mon propos : il ne s'agit ni d'une mesure, ni d'une décision, mais il nous faut sortir d'une situation insatisfaisante. Pourquoi se priver d'y réfléchir avec les partenaires sociaux, les départements, les fédérations, et les aînés eux- mêmes ?
Et, ma foi, si certains départements étaient volontaires, nous pourrions très vite aborder cette piste-là .
Mesure 7 : la création prochaine des ARS constitue de toute évidence un résultat tout à fait tangible et performant de la réforme de l'administration territoriale voulue par le Président le la République. Elle permettra à la politique de la Santé, en premier lieu, mais également au secteur médicosocial de se placer sur la trajectoire d'une nouvelle performance au profit de nos concitoyens.
Sans nuire à la nécessaire transversalité de ces nouvelles Agences, Xavier Darcos et moi-même avons veillé à ce que le médico-social fasse l'objet d'une prise en compte fonctionnelle, adaptée aux enjeux de ce secteur important et sensible. J'ai eu l'occasion récemment, aux côtés de Roselyne BACHELOT, de donner nos instructions en ce sens aux membres du Comité National de Pilotage des ARS. Xavier DARCOS et moi-même réunirons d'ailleurs dans le courant du premier trimestre 2010 l'ensemble des responsables d'ARS dans ce cadre.
A la lumière des événements qui nous réunissent, je voudrais témoigner de toute ma considération et de mon estime pour les actuels Directeurs Départementaux de l'Action Sanitaire et Sociale. Ils ont porté sur notre territoire l'application de notre politique médico-sociale, malgré un système global qui, je l'ai dit, me paraît inadapté. Ils ont su, d'une manière générale, non seulement contenir avec des moyens réduits le phénomène de maltraitance, mais aussi réagir avec force et efficacité à chacune de ses manifestations.
Dans la dynamique de cette réforme territoriale, la richesse de l'expérience accumulée, ainsi que la compétence des actuels Directeurs Départementaux de l'Action Sanitaire et Sociale (DDASS) doivent être valorisées dans le cadre des ARS à un niveau d'emploi fonctionnel. C'est par le talent et l'implication concrète de femmes et d'hommes à l'expérience reconnue que nous pourrons relever ce défi !
Une note d'orientation sera adressée en ce sens, et dans les prochains jours, à tous les responsables des ARS.
Mesure 8 : par ailleurs, faisons mieux connaître le 3977, le numéro unique contre la maltraitance. Ce réseau fonctionne grâce au dévouement des bénévoles. Il faut sans aucun doute donner à ce service d'accueil une dimension encore plus conséquente et mieux l'arrimer au dispositif unifié de traitement effectif des signalements que j'ai évoqué précédemment. Je procéderai à l'évaluation de ce dispositif au début de 2010, afin de le faire progresser à court terme.
Mesure 9 : La maltraitance envers nos aînés, lorsqu'elle est volontaire et délibérée, est monstrueuse. Dans certains cas, cependant, elle peut être le reflet d'une certaine fragilité psychologique des accompagnants professionnels ou familiaux, face à des situations pénibles ou vécues douloureusement.
S'agissant des accompagnants professionnels, je souhaiterais qu'à terme, un processus d'aptitude psychologique soit progressivement mis en place avant chaque recrutement, et qu'un module spécifique sur la maltraitance soit dispensé au sein de chaque formation.
S'agissant des accompagnants familiaux, je souhaite également, à l'instar de ce que nous venons de porter sur les fonds baptismaux avec la Fondation France-Alzheimer , que de courtes formations pour « aider les aidants » , les préparer, les éclairer et les soutenir, puissent être dispensées à moyen terme , selon une formule de proximité géographique à construire. Cette approche sera élaborée dans le courant de l'année 2010. Elle viendra compléter efficacement notre « Plan bientraitance ».
Mesure 10 : Je suis particulièrement reconnaissante à Michelle Alliot- Marie d'avoir été spontanément active dans ce domaine des aînés. Car elle a déjà diffusé depuis longtemps une circulaire d'action publique relative à ce problème de société particulièrement douloureux. Je solliciterai prochainement son attention pour recueillir ses conseils, lui faire part de mes constats. Sur cette base, je recueillerai ses réactions quant à d'éventuelles possibilités d'évolution de nos droits civil et pénal, susceptibles de contribuer à cette véritable lutte contre la maltraitance faite à nos aînés.
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Encore une fois, Mesdames et Messieurs toutes ces mesures précises et déterminantes ne sont, pour aucune d'entre elles, génératrices de dépenses nouvelles, je l'ai dit.
Il y a trois facteurs dans la maltraitance :
1) il s'agit évidement des moyens et de l'encadrement en personnel.
Le budget de l'assurance maladie est passé entre 2003 et 2010 de 3 à 8 miliards d'euros. Grâce à cet effort 60 000 emplois soignants ont été crées de 2002 à 2009. Cet effort, nous le poursuivrons jusqu'en 2012.
2) Il s'agit ensuite de permettre aux accompagnants professionnels et familiaux d'acquérir des outils et des compétences, en allant au-delà du plan Bientraitance qui est centré sur les seuls professionnels.
3) Enfin, c'est le devoir des institutions d'assurer des conditions de sécurité et de dignité pour nos concitoyens
C'est sur ces deux derniers points qu'il y a urgence à agir et je viens de vous présenter un certains nombres de décisions allant dans ce sens.
Je vous suis reconnaissante pour la patience de votre écoute.
La longueur de mon propos n'était, vous le voyez bien, que fondamentalement adaptée à l'ampleur et à l'importance de la mobilisation que nous devons tous proclamer au bénéfice de nos aînés !
Source : http://www.travail-solidarite.gouv.fr 7 décembre 2009