Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France-Inter le 15 décembre 2009, sur le grand emprunt, notamment les 12 milliards d'euros pour les universités et les 8 milliards pour la recherche.

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Média : France Inter

Texte intégral

 
 
 
 
 
 
 
 
N. Demorand.- Bonjour V. Pécresse, et merci d'être dans notre studio ce matin. J'imagine qu'au lendemain des annonces faites par N. Sarkozy sur le grand emprunt, vous êtes une ministre heureuse ?
 
Oui, je suis heureuse pour les universités et pour la recherche française, parce que je crois que 25 milliards d'euros au total, tous programmes confondus, c'est j'allais dire, inespéré pour lancer tout notre enseignement supérieur et notre recherche dans une nouvelle dynamique.
 
25 milliards d'euros, c'est ça l'addition quand on chiffre les choses précisément ?
 
Oui, parce que il y a d'abord 12 millions d'euros... 12 milliards, pardon, c'est tellement énorme que je n'arrive plus à compter, 12 milliards d'euros pour les universités ; il y a 8 milliards d'euros pour la recherche, et puis il y a 5 milliards d'euros dans des programmes thématiques : le véhicule du futur, l'habitat du futur, l'avion du futur, les programmes spatiaux, les énergies renouvelables.
 
Donc ça fait une enveloppe globale de 25 milliards. Combien de grands pôles universitaires vont-ils voir le jour ? Le président de la République hier a donné une fourchette, "cinq à dix" a-t-il dit ? Peut-on affiner ce matin l'estimation ?
 
Je crois que d'abord ce qui va être important pour nous, c'est de faire le cahier des charges pour cette opération. En réalité, cette opération des pôles d'excellence, des campus d'excellence, elle arrive et elle n'est possible qu'à cause de l'autonomie des universités, c'est-à-dire que c'est parce que les universités sont autonomes qu'aujourd'hui on peut leur donner une dotation qui serait de l'ordre de 1 milliard d'euros chacune et leur dire : "je vous fais confiance". C'est un formidable geste de confiance dans les acteurs ce plan d'investissement. "Je vous fais confiance, je vous donne 1 milliard d'euros". Donc, ce sera évidemment pour des universités autonomes. Je souhaite que ces pôles soient aussi des regroupements entre universités et grandes écoles. Pourquoi ? Parce que nous devons faire sauter la barrière entre universités et grandes écoles, c'est ça qui empêche les universités de s'épanouir et d'avoir une vraie lisibilité internationale.
 
Vous qui connaissez le terrain, si j'ose dire, je vous repose la question : 5, 10, combien a priori de projets pourraient récolter ce fameux milliard ?
 
S'il y a 8 milliards et que c'est à peu près 1 milliard par université, notre objectif c'est dix pôles, maintenant ça dépendra de la qualité et des candidatures. Ce que nous voulons c'est que tous les acteurs de l'université se rassemblent, se mettent ensemble, et que la dynamique soit la bonne. Par exemple, pour le Plan campus que nous avons fait, le premier Plan campus, il y avait 5 milliards d'euros, nous avons sélectionné 12 campus au total.
 
Donc, là, vous avez dit 8 milliards, donc peut-être 8 pôles ?
 
Une dizaine.
 
Une dizaine, voilà, bon. Bon. On devrait le savoir quand ça parce que c'est important pour la carte universitaire française ?
 
On saura les règles du jeu en janvier-février, on aura un cahier des charges qui expliquera à la fois comment on peut concourir, quelles sont les alliances entre universités et grandes écoles qui peuvent concourir, comment il faut s'organiser, et puis nous ferons une sélection avec un jury international de grandes pointures scientifiques qui fera émerger les campus d'excellence. Ce n'est pas une méthode extrêmement originale, c'est exactement la méthode qu'a utilisée l'Allemagne, il y a quatre, cinq ans, dans ce qu'elle a appelé "l'initiative excellence", qui a fait émerger dix très grands pôles universitaires allemands.
 
Une question technique, si j'ose dire pour que les auditeurs de France Inter comprennent bien, il s'agit d'une dotation en capital, c'est-à-dire que les universités sélectionnées à la suite de cette procédure vont recevoir 1 milliard qu'elles devront, entre guillemets, "faire fructifier", c'est ça, et c'est sur les revenus du capital qu'elles vont pouvoir vivre et financer leurs projets ?
 
Les décisions ne sont pas complètement arbitrées à ce stade. Oui, ce sera essentiellement une dotation en capital, c'est-à-dire en réalité des fonds propres pour l'université, qui lui permettent après, toute sa vie, de financer ses projets. C'est donc une dotation qui est totalement pérenne, qui doit accompagner l'université dans toutes ses décisions, elle est autonome, elle est propriétaire de son immobilier, elle prend ses décisions, elle peut emprunter ou investir, elle a besoin d'une dotation en capital. Mais il n'est pas impossible, et je le dis parce que ça n'a pas été dit ou compris, il est possible que nous acceptions qu'une partie de cette dotation capital puisse être consommée directement, très vite, parce que les universités auraient besoin d'investir très vite, directement dans des projets.
 
Vous avez cité l'Allemagne qui, il y a quelques années, avait fait un effort comparable, disiez-vous ; est-ce que le vrai modèle dans l'esprit du président de la République ce n'est pas tout de même le système universitaire américain ?
 
Je crois que c'est le système universitaire mondial. Aujourd'hui, on est dans une mondialisation, où toutes les grandes universités ont opté pour un modèle relativement similaire. Ce modèle c'est quoi ? C'est d'abord, la pluridisciplinarité, c'est un mot un peu compliqué pour dire quoi ? Pour dire qu'il faut en finir avec le morcellement de l'université française ; on ne peut pas avoir, d'un côté des facs de droit, d'un côté des facs de lettres, d'un autre de sciences ou de médecine...
 
Donc, tout le monde travaille ensemble ?
 
Mais la bonne recherche aujourd'hui est à l'interface des disciplines, elle est au croisement des disciplines. Quand vous cherchez sur Alzheimer, vous avez besoin aussi bien d'anthropologues, de psychologues que de médecins, que d'économistes, que de juristes. Donc, vous avez besoin de tout le monde en même temps, et ça vaut pour tous les champs de recherche évidemment.
 
Et donc, l'idée c'est quand même d'avoir des Harvard, des Stanford, des Berkeley à la française, tout de même ?
 
Oui. Je vous ai parlé de "pluridisciplinarités", mais l'autre pilier de ce plan, c'est le rapprochement entre le monde académique et le monde économique, socio-économique au sens large. Oui, nous allons faire des sociétés de valorisation de la recherche privées, dans les campus universitaires. Pourquoi ? Parce que, vous savez que nous avons des résultats tout à fait excellents en recherche académique, des Prix Nobel, des médailles Fields, mais nous déposons trop peu de brevets, et pire encore, nous avons du mal à développer les entreprises innovantes à partir de nos brevets. Donc toute cette phase qui va du dépôt du brevet jusqu'à la preuve du concept, jusqu'au débouché de marché, puis à la start-up, puis ensuite faire grossir la start-up pour qu'elle devienne vraiment une grosse PME et peut-être un jour un Google ou un Hewlett Packard, tout ça nous ne savons pas le faire aujourd'hui, et c'est vraiment l'enjeu de ces regroupements universitaires avec le rapprochement grandes écoles-universités.
 
Encore un gros dossier sur votre bureau de ministre, le monde enseignant est mobilisé aujourd'hui contre la réforme de la formation des maîtres telle que vous l'avez pensée avec L. Chatel, ministre de l'Education national. Ils refusent cette réforme telle qu'elle est aujourd'hui présentée par vos deux ministères. Est-ce que vous la maintenez, est-ce qu'il y a encore une possibilité de négociation substantielle sur ce sujet dit de "la masterisation" ?
 
Cette réforme elle est extrêmement importante pour tous les étudiants mais aussi pour tous les futures élèves qui auront face à eux les professeurs comme ça, qui seront formés au niveau master. Qu'est-ce que nous voulons faire ? Aujourd'hui, quelle est la situation ? Aujourd'hui, un jeune titulaire d'une licence qui veut devenir professeur il fait une préparation au concours. Cela veut dire qu'au bout d'un an de préparation au concours, s'il rate le concours, il n'a pas de diplôme, il a perdu son année, il n'a rien, aucun débouché professionnel ! Nous, ce que nous voulons, c'est faire un diplôme en deux ans, un master, qui soit un master dans lequel on apprenne à la fois des savoirs...
 
Des savoirs disciplinaires...
 
...des savoirs disciplinaires et en même temps des compétences pédagogiques, et où on fera des stages, et où à la fin, en deux ans on aura un diplôme professionnalisant pour exercer toutes sortes de métiers, pas seulement dans l'enseignement mais aussi dans tous les métiers de l'administration ou bien de la transmission des savoirs de l'Education au sens très large. Donc, ça veut dire quoi ? Ca veut dire que le jeune qui désormais fera ce master, aura un diplôme, aura une perspective, et pourra se réorienter, c'est très important pour nous. Les étudiants seront évidemment beaucoup mieux formés qu'ils ne le sont aujourd'hui, et j'allais dire, ils auront vu ce que c'est que la réalité de la classe avant de passer les concours, ce qui est radicalement nouveau.
 
Donc, vous n'avez pas su leur expliquer la réforme. Quel est le problème, encore une fois, y compris les présidents d'université ? Enfin le monde de l'Education et de l'enseignement est en ébullition sur le sujet !
 
Parce que, aujourd'hui, il y a des masters disciplinaires où on enseigne une discipline, l'histoire, la géographie, l'anglais, les sciences, et que il faut adapter ces masters à cette nouvelle réalité d'un concours de professeur des écoles ou d'un concours du CAPES qui s'inscrira dans le cadre de cette filière. C'est compliqué, ça perturbe.
 
Mais les négociations sont encore ouvertes ou pas, ou la réforme est faite et applicable en septembre ?
 
Nous allons présenter le 21 décembre, au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche ce qu'on appelle "la maquette", excusez-moi du jargon, mais enfin le cadrage de ces nouveaux diplômes. Je suis très confiante dans le dialogue qui va s'instaurer, parce que je crois que ces nouveaux diplômes sont à la fois professionnalisants et en même temps des diplômes de culture générale, ce sont des bons diplômes et je crois qu'un bon nombre d'universités nous suivra sur cette amélioration de la qualification des professeurs.
 
Mais c'est un appel au dialogue ou la copie est finie, point à la ligne, maintenant on applique ?
 
Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche c'est le lieu de la concertation avec les partenaires syndicaux et les représentants du monde universitaire. Donc nous allons avoir ce dialogue, il a lieu le 21 décembre, et donc nous allons parler de ces maquettes, et nous pouvons encore éventuellement améliorer des choses qui pourraient être améliorées.
 
Vous conduisez également la bataille des régionales pour l'UMP en Ile-de-France, tous les sondages vous donnent perdante ?
 
Vous savez, moi j'étais auprès du président J. Chirac en février 2002. Alors si vous voulez, les sondages à trois mois des élections, comment vous dire... ?
 
Oui, vous n'y croyez pas beaucoup ?
 
Je leur accorde l'attention qu'ils méritent. Non, ce que je pense ce n'est pas tellement... je ne pense pas tellement aux sondages, je pense au bilan aujourd'hui de 12 ans de présidence de J.-P. Huchon au Conseil régional, et ce qu'on peut dire c'est que la région a été totalement immobile et sourde, j'allais dire aux problèmes de la vie quotidienne des Franciliens qui s'accumulent : le RER A est en grève aujourd'hui...
 
Le RER pourrait l'être.
 
Le RER B commence...
 
La RATP également. Qu'est-ce qui se passe, là, dans les transports ?
 
Attendez, le Gouvernement met en place un service minimum des transports. Que fait la région ? Pourquoi n'essaye-t-elle pas de mettre un petit plus, pourquoi n'essaye-t-elle pas de travailler avec les communes pour mettre des services de bus en plus du service minimum ? Pourquoi est-elle aussi passive ? Pourquoi s'intéresse-t-elle aussi peu au quotidien de l'Ile-de-France ? On a 11,5 millions d'habitants, nous aimerions tous que notre région vibre et bouge au même rythme que les grandes métropoles du monde.
 
Sur ces grèves de transports, vous pensez que J.-P. Huchon est en dessous de la main, si j'ose dire ? Il pourrait en faire plus pour faciliter les déplacements ?
 
Je crois que l'Etat a pris ses responsabilités en faisant le service minimum qui permet aujourd'hui d'avoir des RER même pendant la grève aux heures de pointe. Je pense qu'en dehors des heures de pointe, il n'est pas normal que les gens soient dans leur gare à attendre.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 décembre 2009