Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, à France 2 le 9 décembre 2009, sur la suppression de l'épreuve d'histoire en terminale S et le débat sur l'identité nationale.

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Média : France 2

Texte intégral

M. Darmon.- Il comptait faire passer la réforme du lycée sans histoire, mais c'était compter sans les historiens qui ont voulu prendre date. L. Chatel, bonjour.
 
Bonjour M. Darmon.
 
Alors donc, expliquez-nous, comment au pays de Môquet, des cérémonies historiques tous les quatre matins, on veut supprimer l'histoire en Terminale, en option obligatoire.
 
D'abord, je voudrais réaffirmer une chose très importante : il n'est pas question de supprimer le programme d'histoire et géographie des élèves scientifiques qui est aujourd'hui étudié en Terminale. Ce programme sera dorénavant étudié en classe de 1ère, puisque, en classe de 1ère, nous allons allonger le temps consacré à l'histoire et à la géographie, qui va passer de deux heures trente par semaine à quatre heures par semaine, ce qui fait que tous les élèves de 1ère auront dorénavant un cours commun, quatre heures d'histoire et géographie, un programme commun de géographie et d'histoire, c'est une vraie avancée parce que l'histoire et géographie fait partie des fondamentaux de notre enseignement scolaire.
 
Alors, une vraie avancée qui soulève beaucoup de polémiques depuis plusieurs jours. Qu'est-ce qui se cache derrière tout ça : un combat corporatiste, des profs d'histoire qui veulent garder les bons élèves, c'est quoi ?
 
Non, je crois qu'il y a plusieurs choses, et je crois que beaucoup de gens qui ont signé cette pétition l'ont fait de bonne foi. On leur a dit : on va supprimer l'histoire et géographie. Moi-même, si on m'avait dit ça, je me serais indigné...
 
Oui, mais vous savez que... vous dites que ce n'est pas ça...
 
Simplement, j'explique, et c'est la réalité est très différente, et le programme sera bien traité, et l'histoire et la géographie continuera à avoir sa place importante, elle sera même valorisée en fin de 1ère pour les élèves scientifiques, un baccalauréat anticipé, comme l'est le français depuis des années. Est-ce qu'on dit aujourd'hui que le français a été sacrifié dans notre système d'enseignement ? La réponse est non, et pourtant, depuis très longtemps, le français est évalué en fin de 1ère, dans le cadre d'une épreuve anticipée du baccalauréat.
 
L'histoire a quand même déjà disparu des filières technologiques depuis plusieurs années...
 
Oui, je crois qu'il faut rappeler...
 
On n'en parle pas...
 
On semble s'indigner qu'on puisse ne pas avoir de l'histoire-géographie en Terminale. D'abord, je rappelle que, il s'agit bien d'un cycle terminal entre la 1ère et la Terminale, c'est-à-dire des programmes à traiter, échelonnés sur deux ans ; on fait de la philosophie en Terminale, on n'en fait pas en 1ère, on fait du français en 1ère, on n'en fait pas en Terminale. Eh bien, demain, en scientifique, on fera de l'histoire et géographie, concentrée sur la classe de 1ère, les élèves scientifiques traiteront des humanités pendant la classe de 1ère, le français et l'histoire et la géographie, et se consacreront à leurs matières disciplinaires de spécialisation, les mathématiques, la physique, les sciences, en classe de Terminale. Mais c'est vrai, vous avez raison, aujourd'hui, il y a par exemple 130.000 élèves qui sont les élèves des filières technologiques, des Bacs technologiques, qui n'ont pas d'histoire et de géographie en Terminale.
 
Alors vous avez vu beaucoup d'intellectuels ces jours-ci, pour essayer un peu de calmer, voilà, de leur faire un petit peu aussi la leçon par rapport à votre réforme, et à cette mesure un peu donc surprise, un peu cachée ; comment ont-ils finalement accepté vos explications ?
 
Vous savez, moi, quand j'ai vu un certain nombre de signataires, il est normal que j'engage la discussion avec eux, parce que, comme je vous l'indiquais, beaucoup n'ont sans doute pas perçu ce que voulait faire le Gouvernement, c'est-à-dire aller vers un système d'orientation beaucoup plus progressif, où on est en classe de 1ère à un socle, un tronc commun de matières, autour des humanités, le français, les langues, l'histoire et la géographie, l'éducation civique, pour laisser en classe de Terminale une spécialisation plus grande pour mieux préparer à l'enseignement supérieur. Donc nous avons discuté de cela. Et je leur ai rappelé que l'important, c'était qu'à la fin du lycée, il y ait bien une place pour chaque élève. Aujourd'hui, n'oublions pas que 50.000 de nos jeunes, chaque année, quittent le lycée sans aller jusqu'au baccalauréat. Et moi, ce que je souhaite, c'est à la fois un lycée de l'excellence, c'est-à-dire qu'il mène aux classes préparatoires, aux grandes écoles, aux grandes études, pour ceux qui ont le talent et les capacités, mais ce que je souhaite aussi, c'est que pour tous les autres, il y ait une place dans la société, c'est-à-dire qu'à la fin, il y ait un diplôme ou une insertion professionnelle.
 
Tout de même, L. Chatel, tout de même, L. Chatel, la politique, c'est aussi les signaux qu'on envoie, est-ce qu'au fond, on n'ancre pas mieux l'identité nationale, qui est quand même le débat aujourd'hui, en enseignant l'histoire plutôt qu'en lançant un débat hâtif, à la veille d'une élection ?
 
Eh bien, c'est la raison pour laquelle nous avons souhaité que l'histoire et la géographie fassent partie de ce tronc commun de matières enseignées en 1ère, avec les mêmes programmes pour tous les élèves. Aujourd'hui, les programmes ne sont pas les mêmes en histoire et en géographie entre la série S, scientifique, et la série ES, économique et sociale. Donc nous avons voulu que l'histoire et la géographie soient au coeur de notre système éducatif. En 1ère et en Terminale littéraire, la filière littéraire, nous allons la revaloriser, et par exemple, nous créons en Terminale un enseignement qui va s'appelle « Grands enjeux du monde contemporain », qui va être enseigné par les professeurs d'histoire et de géographie, et qui permettra d'ouvrir sur ces disciplines historiques ; c'est un point très important.
 
L. Chatel, des maires UMP, je reviens sur l'identité nationale, veulent aujourd'hui interdire les drapeaux dans les mairies pendant les mariages. Vous trouvez que c'est une bonne idée, vous ne trouvez pas que ce débat est en train de partir un peu en vrille ?
 
Je vais vous répondre en tant que maire, je suis moi-même maire de Chaumont, la préfecture de la Haute-Marne, ville de 25.000 habitants, je n'ai pas signé cette pétition ou cette proposition de loi...
 
Pourquoi ?
 
Eh bien, parce que je pense que, il faut... la République, et c'est tout l'enjeu du débat sur notre identité nationale, c'est un respect mutuel, c'est-à-dire trouver le bon équilibre entre notre passé, ce que nous sommes, nos valeurs et ce que devient progressivement notre pays, un enrichissement mutuel à partir de valeurs communes que nous avons en partage.
 
Alors, vous parlez de respect mutuel, justement, hier, le président de la République, dans sa tribune dans Le Monde, parle de l'islam comme "la religion de ceux qui arrivent", de ceux qui arrivent ! Est-ce que ça, ce n'est pas une manière, au fond, de relancer le lien entre immigration et identité nationale, le contraire du but affiché de sa tribune...
 
Il faudrait d'abord replacer la phrase dans son contexte. Le président de la République indique, parle du respect de ceux qui arrivent, et du respect de ceux qui sont déjà sur notre territoire. Là encore, nous sommes dans la logique d'un respect mutuel qui constitue le socle commun des valeurs que nous avons en partage et en héritage, qui sont celles de la République. Moi, je crois que ce débat, il est bon, il existe dans tous les grands pays développés aujourd'hui, où à l'heure de la mondialisation, à l'ère des grands flux migratoires, oui, c'est vrai, mais à l'heure aussi où chaque pays se pose des questions sur ce qu'il est et où il va, eh bien, c'est normal qu'un grand pays, un vieux pays comme le nôtre, la France, se pose ces questions.
 
Est-ce que courir après le Front national à la veille d'une élection, c'est être en phase avec la modernité, avec notre époque ?
 
Mais il ne s'agit pas de... quand on parle de la France, il ne s'agit pas de courir après le Front national. Et si d'ailleurs, le Front national a sans doute été très élevé pendant longtemps, c'est parce que d'autres formations politiques avaient oublié de parler de la France, de ce qu'elle était, et de se poser des questions sur où elle allait.
 
Alors, Noël arrive avec sa guirlande de grèves, comme dit Le Progrès de Lyon, ce matin : la SNCF, les cheminots, les taxis, même les techniciens des distributeurs de billets de banque ; est-ce que vous ne craignez pas une cristallisation de ces conflits, et un Noël de crise ?
 
D'abord, j'ai bien compris que, il y a le grand congrès d'une organisation syndicale en ce moment, ce qui peut aussi expliquer un certain nombre de choses...
 
La CGT, pour ne pas la nommer...
 
Ensuite, vous savez, le Gouvernement est extrêmement vigilant depuis le début de la crise, c'est-à-dire depuis plus d'un an, à faire en sorte...
 
Mais c'est inquiétant, tous ces conflits qui arrivent au même moment ?
 
Non, je crois que, on ne peut pas lier les différents phénomènes les uns aux autres, voilà, il y a un certain nombre d'inquiétudes, au niveau social, dans certaines professions, les ministres concernés, en l'occurrence D. Bussereau, le secrétaire d'Etat aux Transports, les présidents des entreprises, la RATP, la SNCF, sont en position de discuter dans le cadre d'un dialogue social régulier...
 
Les Français soutiennent le projet de blocage des routiers, c'est étonnant quand même.
 
Oui, mais vous savez, les Français sont toujours... voient toujours sympathique la contestation, nous sommes tous... ça, ça fait aussi partie de notre identité nationale, M. Darmon. Donc entre soutenir un mouvement dans l'absolu dans un sondage et y adhérer massivement dans la rue, il y a un pas qui n'est pas encore franchi.
 
Merci beaucoup L. Chatel.
 
Merci à vous.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11 décembre 2009