Texte intégral
« Marseille appartient à qui vient du large », écrivait Blaise CENDRARS. Par cette belle formule, l'irrépressible bourlingueur a voulu chanter l'hospitalité millénaire d'une cité, dont la dimension et la vocation méditerranéennes sont le symbole d'une ouverture résolue aux vents et aux idées du large.
Cet horizon dégagé, il nous accompagne, nous traverse et nous porte partout, où que nous soyons dans cette grande cité, et plus particulièrement ici au Fort Saint-Jean, à deux pas du Vieux-Port, c'est-à-dire encore d'une « porte » ouverte sur la mer et sur le monde. Nous sentons sa présence ici même, où nous croyons être réunis pour poser la première pierre d'un musée.
Je dis "nous croyons" car je ne suis pas certain que ce soit vraiment ce que nous sommes en train de faire. Ou plutôt, je suis convaincu que nous nous faisons beaucoup plus que de poser la première pierre de ce que l'on appelle un "équipement culturel".
Il faut en convenir, nous faisons aujourd'hui quelque chose de plus important que de lancer un nouveau Musée. Bien sûr, le ministre de la Culture et de la Communication que je suis a une conscience aiguë de l'importance de ces médiateurs de proximité de la culture que sont nos musées, partout en France. Bien sûr, vous le savez, je suis un amateur et même un amoureux du maillage de nos musées, unique au monde, sur tous nos territoires. Et pourtant, aujourd'hui il s'agit de tout autre chose. Il s'agit d'une nouvelle manière d'envisager notre histoire commune, d'une manière inédite de bâtir notre mémoire et de percevoir le dialogue de nos civilisations. Nous mettons en place ici, à Marseille, une manière nouvelle, fidèle et sereine, de considérer cet espace d'ouverture et de partage qu'est la Méditerranée.
En posant ensemble cette première pierre, nous faisons bien plus que de lancer le projet d'un ensemble muséal prolifique, avec des salles richement dotées d'oeuvres et d'objets passionnants, bien plus que de rassembler ou de récupérer des collections prestigieuses, bien plus que de les enrichir de nouvelles acquisitions, même si nous faisons tout cela aussi. Mais ce que nous bâtissons, c'est une nouvelle architecture de notre mémoire et, par là, un nouveau paysage de notre vivre-ensemble. Nous sommes en train, tous ensemble, de donner à Marseille un Musée qui lui ressemble, un « lieu de mémoire » à son image, à l'image d'une « mare » [maré] vraiment « nostrum », c'est-à-dire de cette mer qui n'est véritablement nôtre que parce qu'elle est partagée.
Et c'est le rôle de la culture, comme c'est si souvent celui des artistes, que de modeler par anticipation le visage de la société de demain. C'est même la manière dont la culture "fait de la politique", au sens noble du terme : en façonnant un espace public nouveau, en permettant à la mémoire de jeter ses racines autrement, d'une manière plus généreuse et, ainsi, plus prometteuse. Ce Musée doit être un lieu de rencontre et d'affluence où les visiteurs se trouveront bien avec leur mémoire et leur histoire, comme avec toutes les mémoires de la mer et du continent. Il doit être le lieu matrice d'une Méditerranée pleinement réconciliée.
C'est peut-être la « force de l'art » de concrétiser dans des lieux circonscrits, mais captivants la forme à venir de nos sociétés. De tout cela, ce grand Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée doit être le symbole. Car retrouver et bâtir une mémoire commune et partagée, ce n'est pas une démarche passéiste, c'est tout l'inverse, c'est donner des racines à l'avenir. Et le MUCEM a vocation à être l'une des clefs de voûte de l'Union pour la Méditerranée à laquelle le Président de la République a donné une vision et une impulsion décisives.
Le MUCEM a tous les atouts pour y parvenir, et d'abord un nom agréable, un acronyme mélodieux - la chose est assez rare pour être signalée, et ce n'est pas le ministre qui se bat avec les ZPPAUP et autres DMDTS qui vous dira le contraire ! MUCEM porte un nom évocateur, entre le musée et la nuit, qui sonne indissociablement oriental et latin, un peu comme ces lettres latines stylisées en calligraphie arabe de l'artiste contemporaine Tania MOURAUD.
Il a un autre atout plus important encore : il est l'objet d'une volonté concertée de la part des pouvoirs publics. Au ministère de la Culture et de la Communication, bien sûr : ma présence est là pour le démontrer, et vous vous souvenez que, dès mon arrivée rue de Valois, je me suis rendu sur le site et j'ai fait aussitôt de l'avancée de ce chantier une priorité de mon action ministérielle.
Le MUCEM est porté aussi, et c'est un point tout aussi essentiel, par les collectivités territoriales et par chacun de leurs responsables, sans la détermination desquels il n'aurait pu voir le jour. Je veux remercier en particulier M. le Maire de Marseille, cher Jean-Claude GAUDIN, la Région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, le Conseil général des Bouches-du-Rhône, qui nous ont accompagnés de manière très volontaire dans le financement de cette opération, sans oublier, bien sûr, Renaud MUSELIER, à Marseille et au Conseil culturel de l'Union pour la Méditerranée : tous ces acteurs n'ont pas apporté seulement le "nerf de la guerre" des subsides nécessaires, mais aussi et surtout leur énergie et leur enthousiasme pour ce projet ambitieux.
Je tiens aussi à remercier et à féliciter toutes les équipes et tous les talents qui ont déjà commencé à oeuvrer à ce grand projet. Michel COLARDELLE d'abord, dont je salue chaleureusement ici tout le travail, et que je ne vous ai enlevé qu'afin de bénéficier de son expertise unique sur l'Outre-Mer - une autre de nos ouvertures vitales sur le large et pour lui confier une mission destinée à développer l'offre culturelle sur ces terres éloignées qui ne doivent pas devenir des « territoires perdus de la République » et de la culture.
Je remercie bien sûr Bruno SUZZARELLI, Inspecteur général des affaires culturelles, qui a accepté de prendre la direction de la préfiguration de ce grand projet marseillais, ainsi que la direction du service à compétence nationale. Une association de préfiguration vient d'être constituée : c'est un outil classique, à la fois léger et efficace, et, à coup sûr, le mieux adapté à votre mission. Son Conseil d'administration, au sein duquel les collectivités territoriales, partenaires du projet, sont tout naturellement représentées, pourra compter sur le concours d'éminentes personnalités du monde culturel, parmi lesquelles je citerai tout particulièrement M. André AZOULAY, conseiller du roi du Maroc, M. Alain ELKANN conseiller du ministre italien des Biens et Activités culturels (M. Sandro BONDI), M. Yves AUBIN DE LA MESSUZIERES, ancien ambassadeur de France des deux côtés de la Méditerranée, en Tunisie et en Italie, M. Christian CARASSOU-MAILLAN, directeur de la Fondation Entreprendre, et Mme Marielle RICHE, nouvelle directrice de l'École nationale supérieure d'architecture de Marseille.
Emblématique d'un partenariat exemplaire entre l'Etat et les collectivités, ce projet est, plus qu'une illustration, la réalisation en acte d'une politique de décentralisation culturelle réussie, dont nous avons d'autres exemples avec la mise en oeuvre du Centre Pompidou de Metz et du "Louvre-Lens". Il est emblématique aussi de la vitalité des régions, une vitalité non seulement culturelle et sociale, mais également économique et politique au sens plein du terme : je veux bien sûr parler du projet de Grand Marseille dans lequel le MUCEM s'inscrit résolument, et qui fait de Marseille l'autre grande « région capitale » du XXIe siècle. Cette région, c'est, bien sûr, le pivot entre l'Europe et la Méditerranée, un pôle unique d'échanges réciproques au sein d'un monde globalisé qui nous oblige à voir l'avenir en grand.
Inutile de revenir sur l'histoire de Marseille, carrefour des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, de rappeler qu'ici même, au Fort Saint-Jean, ont été découverts les vestiges de peuplements phocéens, de revenir à la cité grecque, puis romaine, tout cela est dans toutes les mémoires. On comprend aisément le choix de cette ville qui est, en lui-même, le meilleur atout pour le MUCEM. Marseille est bien, sur la « longue durée », l'une des capitales de cette « Méditerranée » dont le grand historien Fernand BRAUDEL a consciencieusement exploré la personnalité plurielle et les respirations millénaires.
Et ce grand musée de Marseille sera, je le disais, à l'image de toutes ces civilisations entrecroisées, à la fois parentes et riches de leurs nuances et de leurs différences, qui font la Méditerranée.
Il s'inscrira dans la lignée des Arts et Traditions populaires, dont il est à la fois le maintien et la métamorphose, par son ouverture aux divers mondes méditerranéens et européens avec lesquels il met en dialogue notre mémoire nationale.
Il sera marqué par une grande ouverture à la réalité sociale de la Méditerranée, sans élitisme. Ce qu'il nous donnera à voir, ce ne sont pas seulement les beaux-arts, mais l'artisanat, les savoir-faire, les métiers d'art, les usages sociaux, d'abord ancrés dans la ruralité. Ce sera le musée de ce que j'appelle « la culture pour chacun », où chacun, quelle que soit son origine, sa région, sa religion, pourra se retrouver et accueillir au mieux autrui, ainsi que les innovations d'aujourd'hui et de demain, les nouvelles cultures de la rue, comme, par exemple, le hip-hop et la pratique des graphes. Avec les expositions inaugurales « Le Noir et le Bleu, ou un rêve méditerranéen » et « Féminin/masculin : le genre en question », les imaginaires euro-méditerranéens seront explorés, comparés, recueillis et reconnus dans leur parenté, et leur mouvement constant de différenciation et de rapprochements.
Cette articulation entre les racines de la tradition et les grandes perspectives de la modernité s'incarnera dans le dialogue entre le Fort Saint-Jean rénové, et le bâtiment conçu par Rudy RICCIOTTI, appelé le Môle J4, en référence au Port, qui en sera la clef de voûte et dont nous posons aujourd'hui, symboliquement, la pierre d'angle.
Cette ouverture sur les nouveaux horizons de la modernité, s'incarnera aussi dans la valorisation des collections par les nouvelles technologies numériques en particulier au centre de conservation de la Friche de la Belle de Mai.
Tout cela confirme qu'un grand projet de Musée, c'est non seulement un geste politique, mais une ouverture économique.
Le Forum « Culture et Economie » qui vient de se tenir, non loin d'ici, en Avignon, l'a rappelé avec force : la culture ne joue pas un rôle subalterne ou subsidiaire dans cette valorisation, elle n'est pas un simple supplément d'âme, mais un véritable appel d'air pour l'attractivité économique des territoires. Et le MUCEM sera en quelque sorte le coeur pensant de ce projet de grande métropole ouverte sur le monde et forte de valeurs partagées, dont la « longue durée » est aussi écologique : c'est aussi celle du développement durable, une exigence dont le projet du Grand Marseille, cher Jean-Claude GAUDIN, me semble tout à fait exemplaire.
C'est un peu cet autre « grand pari » (mais sans "s", celui-là), celui de Marseille capitale européenne de la culture en 2013 que nous lançons ici, tous ensemble.
Ainsi, en posant aujourd'hui la première pierre d'un Musée, nous faisons plus que cela, ou alors nous remplissons pleinement le sens lui conférait MALRAUX lorsqu'il écrivait : « Le Musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l'homme » (Le Musée imaginaire).
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 28 décembre 2009