Texte intégral
C. Barbier.-. Sarkozy exposera donc ses mesures d'urgence pour l'agriculture, ce matin, à Poligny, dans le Jura. C'est sa quatrième intervention solennelle sur l'agriculture depuis son élection. Vous y croyez encore ?
Ce matin, il faut y croire, en tout cas, parce que nous attendons un vaste plan pour donner de l'espoir aux paysans, qui vivent une situation extrêmement dégradée. Ce sont toutes les productions qui sont concernées. Donc on attend effectivement avec impatience le président de la République.
On annonce deux milliards, peut-être deux milliards et demi d'euros d'efforts publics et des banques. Vous avez des garanties sur ces sommes ?
Non, malheureusement. J'ai essayé d'expliquer les besoins qu'avait notre profession pour essayer de passer ce cap extrêmement difficile. L'effort des banques, parce qu'il y a besoin de trésorerie dans les exploitations, mais aussi l'effort de l'Etat, parce qu'il faut absolument alléger les charges.
Alors, par exemple, une des charges, c'est le foncier non bâti, l'impôt sur les terrains, en quelque sorte. Vous attendez quoi ? 850 millions ? Mais on ne peut pas, il y a trop de déficits !
Non. Je n'attends pas 850 millions, j'attends un effort sur ce foncier, cette taxe qui vient d'être appelée, d'ailleurs, chez les propriétaires exploitants. Le foncier non bâti représente 850 millions. 20 % ont déjà été pris en charge dans le cadre d'une décision du Gouvernement précédent, mais là, nous demandons un effort particulier, parce qu'il y a des productions plus sensibles à cette taxe et j'espère qu'il y aura un effort et que, effectivement, contrairement à ce qu'on me laissait entendre, on fera au cas par cas, il y a vraiment une enveloppe d'annoncée pour prendre en charge une partie de ce foncier non bâti.
Il faudra tout renégocier l'année prochaine. C'est juste pour un an ou c'est définitif votre revendication ?
Sur le foncier non bâti, notre revendication est de sortir de cette taxe et de cet impôt qui pèsent sur l'agriculture. Mais, à court terme, on a besoin d'un effort, là, ponctuel, et on rediscutera, évidemment, de l'avenir. Il y a un projet de modernisation de l'agriculture qui est proposé par le Gouvernement, on va travailler cette question.
B. Le Maire, le ministre de l'Agriculture, s'intéresse aussi évidemment au coût de la main d'oeuvre : 2 euros de l'heure en moins sur les charges sur la main d'oeuvre. Ça vous irait, c'est suffisant ?
Si c'est sur l'ensemble des heures travaillées, c'est un premier effort. Nous avions demandé 3 euros de l'heure travaillée, donc si vous me dites que l'on pourrait nous annoncer 2 euros, ce serait un premier effort, mais j'attends de savoir sur quel type d'heure travaillée le Gouvernement va prendre des décisions.
Uniquement les saisonniers, ce n'est pas suffisant ?
Ce n'est pas suffisant, parce que l'on a d'abord quatre grands secteurs touchés fortement par ce coût du travail en fort décalage avec nos voisins, ne serait-ce qu'allemands. C'est l'arboriculture, les producteurs de légumes, l'horticulture et la viticulture, qui emploient beaucoup de travailleurs saisonniers, mais qui emploient aussi beaucoup d'emplois à plein temps. Et donc, on aurait aimé que la mesure, et nous aimerions que la mesure soit sur l'ensemble du dispositif emploi.
La taxe carbone sera compensée à hauteur de 75 % pour les agriculteurs, ce qui est déjà une sorte de privilège. Vous réclamez 100 % ou ça vous va ?
Non, j'ai toujours réclamé 100 % parce que les produits que l'on va importer sur notre marché européen l'an prochain, chez nous, ne seront pas taxés, pendant que notre production va être taxée. On peut aller dans la direction souhaitée par le Grenelle de l'environnement. La condition essentielle que j'y mets, c'est que l'on entraîne nos voisins à faire de même. Je ne peux pas imaginer que l'on taxe la production française et qu'on ne taxe pas les produits importés !
Vous attendez également un effort des banques, est-ce qu'elles ont donné des signes positifs, à commencer par le Crédit Agricole ?
J'ai déployé beaucoup d'efforts pour que nous soyons entendus par les banques, et je pense que les banques seront au rendez-vous de ce milliard d'euros de trésorerie que je réclame de leur part, avec les frais financiers, pris en charge par l'Etat, parce que ce n'est possible que si l'Etat prend en charge les frais financiers.
Si l'Etat paie les intérêts...
Sinon, vous savez, les producteurs, ils me disent : « On ne va pas réemprunter pour emprunter ». Donc, on a besoin d'un énorme effort, eu égard à nos exploitations, en matière de trésorerie. Donc les banques doivent faire leur travail, l'Etat doit comprendre qu'il faut prendre en charge les intérêts pour que ça ne coûte pas à l'agriculture. Ce n'est pas cher, un milliard d'euros à 3 %, c'est 30 millions d'euros par an pour l'Etat. Je pense que c'est possible.
Le Crédit Agricole aurait approché Groupama et la Société Générale, en vain, apparemment, pour faire une énorme banque. Ça aiderait les agriculteurs ?
En tout cas, quand on connaît l'histoire du Crédit Agricole et de Groupama, ce sont les mêmes paysans qui ont créé, à l'origine, leur banque et leur assurance. Donc...
...La fusion serait logique ?
Donc un rapprochement Crédit Agricole-Groupama, est dans le sens de l'histoire.
"Il n'y aura plus de chèque pour la FNSEA", c'est ce que disait le Président devant des députés, il y a quelques semaines, pour expliquer que l'on ne pouvait plus acheter la paix agricole en vous faisant un chèque. Est-ce que vous vous êtes expliqué avec lui sur ce propos ?
Je me suis expliqué avec l'Elysée, parce que je pense que c'est une erreur de langage, quasi inadmissible de la part du chef de l'Etat. D'abord, la FNSEA, évidemment, n'a jamais perçu de chèque et je pense qu'aujourd'hui encore, lorsque le chef de l'Etat annoncera des mesures pour le monde paysan, ce n'est pas à la FNSEA qu'il les fait, c'est en réponse aux dizaines de milliers de paysans qui se sont mobilisés le 16 octobre dernier, et qui ont dit : « Monsieur le Président, nous ne pouvons pas payer ce prix, vous devez soutenir la profession agricole, comme vous l'avez fait pour l'automobile, voire même le secteur bancaire ou les PME ».
Et si le discours d'aujourd'hui est décevant, est-ce qu'il y aura des manifestations demain, des incidents, peut-être des sanctions aux élections régionales ?
Il y aura d'abord une forte déception, mais il y aura forcément poursuite de la mobilisation si les décisions annoncées par le président de la République aujourd'hui ne sont pas à la hauteur des attentes, des fortes attentes, exprimées le 16 octobre dernier.
Est-ce que vous n'êtes pas en train, comme on l'a vu dans la crise du lait, de vous faire déborder par votre base, plus nombreux, plus violents que vous ne le souhaiteriez ?
Je ne le crois pas. Je pense qu'on a su mobiliser plus 50.000 paysans le 16 octobre, que cela s'est fait dans le calme, parce que la situation est extrêmement grave. Je pense que le monde paysan est un monde responsable, il a su exprimer avec gravité, une situation pour laquelle le Gouvernement doit être non seulement attentif, mais pour laquelle il doit maintenant prendre des décisions qui permettront à notre profession de sortir de cette crise, avec de l'espoir pour 2010.
L'enjeu est aussi européen, pourquoi ne pas laisser le marché fixer librement les prix ? Tout le monde serait à égalité.
C'est l'autre partie du discours que nous attendons du président de la République. La France a présidé l'Europe, elle n'a pas été capable d'entraîner ses autres collègues chefs d'Etat et de gouvernement, pour une autre politique agricole. J'espère que le chef de l'Etat sera à la tête d'une mission des chefs d'Etat et de gouvernement, pour dire au président Barroso, de la Commission européenne : « Vous devez changer de politique agricole, vous devez sortir de l'ultra libéralisme et mettre la régulation au centre la politique agricole ».
En attendant, on paiera les 500 millions qu'a réclamés l'Europe aux producteurs de fruits et légumes français ?
Je pense que cela n'est pas possible. D'abord, ils ont été utilisés beaucoup plus intelligemment que ne le dénonce la Commission.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 novembre 2009