Interview de Mme Nadine Morano, secrétaire d'Etat à la famille et à la solidarité, à Europe 1 le 16 décembre 2009, sur l'expulsion d'immgrés clandestins afghans, le débat sur l'identité et la polémique sur ses propos concerant l'intégration des jeunes musulmans.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Combien d'Afghans ont été expulsés cette nuit vers Kaboul à bord d'un charter franco-britannique ?
 
Vous n'avez pas invité la bonne personne, il fallait inviter E. Besson, il est en charge. Je ne pourrai pas vous répondre sur ce sujet.
 
C'est-à-dire qu'il n'y a pas de solidarité gouvernementale, vous vivez dans l'ignorance...
 
Il y a une très grande solidarité...
 
...On peut vivre dans le silence et le mensonge, et vous croyez que ça peut durer longtemps ?
 
Non, mais là, il s'agit d'une information que vous me demandez, et je ne suis pas en mesure de la donner parce que je ne suis pas en charge...
 
Vous ne voulez pas !
 
...de ce dossier, que ça relève de la compétence d'E. Besson, et que je soutiens la politique évidemment qu'il mène. C'est une politique d'ailleurs difficile, et qu'il a le courage de mener.
 
Si ces Afghans avaient demandé gentiment, dans une parfaite langue française, "nous voulons rester", et s'ils portaient le béret, ils seraient restés ?
 
Non, parce que il y a des procédures de demande d'asile, il y a toute une procédure, et lorsque on voit que les recours ont été épuisés, il y a des mesures de reconduite dans les pays. Et je dirais qu'il n'y a pas que la France qui prend ce genre de mesures...
 
C'est toute l'Europe.
 
C'est l'Europe. Et je rappelle que la gauche en son temps, sous le gouvernement de monsieur Jospin, le faisait aussi en Afghanistan quand la situation était bien plus compliquée.
 
On demandera ça à D. Vaillant qui était ministre de l'Intérieur à l'époque. Le débat sur l'identité nationale a donc fait une nouvelle victime, vous ?
 
Je ne me sens pas victime à dire vrai. Je pense que, si victime je suis, je le suis par une espèce de malhonnêteté intellectuelle d'un journaliste venu couvrir trois heures de débat...
 
Ah, encore un journalistes !
 
Ecoutez, j'accepte évidemment la critique, c'est normal, l'analyse, c'est normal aussi, mais la caricature et la malhonnêteté intellectuelle, j'ai du mal à l'accepter, je dois dire.
 
Est-ce que aujourd'hui, l'identité nationale agit comme un révélateur ou semble agir comme un révélateur de l'inconscient qui se libère et s'exprime dans des phrases spontanées, peut-être improvisées, et qui traduiraient le fond de la pensée d'un certain nombre de gens de droite ou peut-être de gauche ?
 
Mais comment voulez-vous, monsieur Elkabbach, résumer en un quart de phrase un débat qui a duré trois heures, qui a été absolument passionnant, auquel se sont rendues près de 400 personnes, dans une commune dont le maire est de gauche, socialiste, qui était à ma droite, qui a participé à l'intégralité de ce débat, qui a applaudi très souvent aussi...
 
Et j'ajoute que, d'après ce que j'ai lu, le représentant de la communauté musulmane vous a donné raison...
 
Bien sûr !
 
...et qu'il était présent. Mais seulement, le président du Conseil du culte musulman, monsieur Moussaoui, vous reproche de dresser un portrait type de Français musulmans, avec une casquette à l'envers, parlant verlan et qui cherchent en rechignant un travail.
 
Mais parce que ce monsieur n'était pas présent à ce débat. Je l'invite évidemment à regarder la vidéo, parce que j'avais pris la précaution de faire filmer tout ce débat, qui a duré trois heures, qui sera intégralement en ligne, qui a été riche de témoignages d'enseignants, d'anciens combattants, où on a parlé de nos valeurs, de nos symboles...
 
Vous ne regrettez rien ce matin, vous ne regrettez rien ?
 
Mais au contraire, non seulement j'assume, mais ceux qui, là aussi, ne veulent pas regarder les problèmes en face, d'insertion des jeunes dans les quartiers, et moi j'ai beaucoup de tristesse à voir ces jeunes qui se sentent ni de chez nous ni d'ailleurs, et qui ont la révolte en eux, et qui ne trouvent pas de travail. Alors si le Conseil de ces responsables socialistes de la gauche caviar, qui n'ont jamais mis les pieds dans les quartiers ou n'y ont pas habité, c'est de leur conseiller de porter une casquette de travers, de parler le verlan et de rester dans la caricature qu'on fait d'eux, eh bien ce n'est pas mon analyse !
 
On va voir, mais par exemple...
 
...Et vous me laisserez terminer, parce que je pense que c'est très important, à ce que ces jeunes puissent se sentir vraiment français, parce qu'ils le sont, ce sont nos enfants, ils vivent, ils sont nés sur ce Page territoire, ils ont grandi, ils sont éduqués, ils sont soignés chez nous ! Et je pense que notre devoir, c'est de les aider à trouver un travail, et qu'on les sorte de cette caricature !
 
Mais pourquoi vous limitez vos propos aux Français de confession musulmane...
 
Bien sûr que non !
 
...et pas aux Français de confession catholique, de confession juive...
 
Bien sûr que non ! Mais monsieur Elkabbach, regardez d'abord la vidéo et vous comprendrez ! Deuxièmement...
 
Mais je l'ai regardée, on va écouter vos phrases...
 
Deuxièmement...
 
...On va écouter votre phrase, N. Morano, la voilà...
 
[Extrait du débat, N. Morano : On ne fait pas un procès d'un jeune musulman. Ce que je veux, c'est qu'il se sente français lorsqu'il est français. Ce que je veux, c'est qu'il aime la France lorsqu'il vit dans ce pays, c'est qu'il trouve un travail, c'est qu'il ne parle pas le verlan, c'est qu'il n'ait pas sa casquette à l'envers...]
 
Si on parle le verlan, est-ce qu'on n'aime pas la France ?
 
Bien sûr que non !
 
Et si on porte une casquette à l'envers, est-ce que ce n'est pas digne de la France ?
 
Mais bien sûr que non ! Ce n'est pas ça le problème, vous n'étiez pas dans ce débat, et ce jeune de 19 ans, qui est venu avec des membres du Front national, et qui se sont assumés puisqu'ils se sont présentés comme tels, je trouve ça triste, parce que vous auriez aussi passer sa question, où il faisait vraiment le procès, non seulement de "l'invasion arabe", mais également de l'islam à travers ses propos. Et je voulais parler...
 
Donc, vous avez corrigé...
 
Bien sûr !
 
...pour être beaucoup plus juste ?
 
Bien sûr, bien sûr ! Et en même temps, pour répondre complètement à votre question, évidemment que dans les quartiers, cela ne concerne pas que les jeunes qui pourraient s'appeler Mohamed ou Ahmed, ça concerne aussi Eric et Pierre !
 
Voilà, vous le dites ce matin.
 
Mais monsieur Elkabbach, je le dis tout le temps, et dans mes réunions. Cela concerne tous ces jeunes qui ont besoin de s'insérer, et ça concerne d'autant plus ceux qui portent aussi un handicap et pour lequel on voudrait mettre un CV anonyme. Et vous savez ce que j'ai proposé, et je le propose souvent dans les quartiers, c'est qu'on assume cette double culture, qui est une richesse pour eux. Quand des jeunes savent parler arabe, ça devrait être un plus sur leur CV. On est en train de bâtir l'Union pour la Méditerranée....
 
Donc la République et l'islam peuvent faire bon ménage en France ?
 
Utilisons leur talent ! Mais la République et l'islam, je vous rappelle que nous sommes dans un pays laïc, et à ce titre, toutes les religions, nous sommes dans le respect de l'ensemble des religions. Et vous savez, au cours de ce débat, et c'est bien d'en parler, il y a eu des prises de position ou des interventions sur la burqa, qui fait peur, parce que l'habit fait peur. Et là, il y a une stigmatisation contre laquelle il faut lutter.
 
Et alors, on l'interdit ? On l'interdit, on n'interdit pas la casquette, on n'interdit pas la capuche, mais la burqa qu'est-ce qu'on fait ?
 
Vous savez qu'on interdit d'abord de manifester avec une cagoule déjà, pour des raisons de sécurité...
 
Mais la burqa ?
 
Deux, marcher dans la rue, le visage voilé, complètement, intégralement voilé...
 
Donc, une loi ?
 
Moi, je pense qu'il faut une loi. Mais ne pas mettre la burqa, l'interdiction de circuler dans la rue ou d'aller à l'école le visage couvert, parce que c'est un problème aussi de sécurité, et c'est angoissant, et ça, ce sont des propos qui ont été dits...
 
On sait que vous avez du tempérament, donc vous êtes touchée quand on vous accuse de "racisme" ou de "propos racistes" ?
 
Je ne suis même pas touchée parce que comme je ne le suis pas, ça glisse, je trouve ça tellement crétin, excusez-moi mais...
 
Quand vous entendez A. Montebourg dire "comme à Vichy, votre conception de la Nation est technique". "Dans les années 30, dit-il, quand on a commencé à stigmatiser tous les juifs qui fuyaient les persécutions de l'Est de l'Europe et qu'on a commencé à dire "ils ne peuvent pas s'intégrer", ça s'est terminé comme vous le savez". Qu'est-ce que vous lui dites à lui ?
 
Je comprends pourquoi en 2002, le PS n'a pas été au second tour de l'élection présidentielle, parce qu'ils ont toujours refusé de regarder les problèmes en face. Nous, on évoque tous les sujets, et parler de la France, parler de la France dans les Vosges avec 400 personnes, ça a été une soirée extraordinairement magnifique.
 
Donc, vous recommencerez dans les mêmes termes ?
 
Je peux vous dire que ça a été...Mais vous vous rendez compte, venir parler de la France, de tout ce qui nous rassemble !
 
Vous ne me répondez pas, vous recommenceriez avec les mêmes propos...
 
Mais bien sûr, ça serait à refaire demain, je le referais.
 
Parce que vous savez qu'on ne juge pas vos mots mais la perception et l'effet de vos mots. Est-ce qu'ici...
 
Non, on juge la malhonnêteté intellectuelle d'un journaliste, c'est tout.
 
Est-ce que ici, puisque vous êtes mal comprise, vous présentez une forme d'excuses ou vous retirez ce type de propos ?
 
J'aurais plutôt envie que ce soit le correspondant de l'AFP qui me fasse des excuses, à dire vrai. Parce que j'ai reçu bon nombre de messages, une fois que la vidéo a été en ligne, en disant "c'est profondément honteux parce que vous avez dit des vérités, vous l'avez dit avec beaucoup de coeur d'humanité". Et je veux bien que les journalistes soient analysés, critiqués, mais caricaturer ça commence à être un peu exaspérant.
 
On n'a pas entendu votre ministre de tutelle, X. Darcos, vous défendre. Comment cela se fait-il ?
 
Peut-être parce qu'il n'a pas été interrogé sur le sujet, et puis que je suis une grande fille pour me défendre toute seule.
 
Spontanément, il ne l'a pas fait. D. de Villepin dit qu'il faut arrêter ce débat sur l'identité nationale.
 
Pourquoi arrêter de parler de la France ? Je trouve qu'on ne devrait jamais arrêter de parler de la France.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 janvier 2010