Interview de Mme Fadela Amara, secrétaire d'Etat à la politique de la ville, à France Info le 16 décembre, sur la polémique autour des propos de Nadine Morano sur les jeunes mussulmans, le débat sur l'identité nationale et la sécurité en banlieue.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- On va évidemment, avec vous, parler banlieue, puisque dans « Les choix de France Info », on retrouvera juste après 8 heures et demie, N. Poincaré en direct de Sevran, mais avant, je voudrais votre réaction sur la polémique qui est en train de monter autour des propos de N. Morano. Alors, on ne va pas tourner autour du pot : est-ce que vous êtes choquée ou pas par ce qu'elle a dit ?
 
J'ai discuté avec N. Morano, parce que c'est vrai, au premier abord, ça parait extrêmement choquant. Elle m'a expliqué que c'était sorti de son contexte, qu'elle répondait à une question, il y a eu des déclarations du responsable du Conseil régional des musulmans, qui explique tout simplement qu'elle ne tenait pas des propos tendancieux, que tout ça est une sorte d'instrumentalisation. Mais bon, peu importe. Peu importe. En fait, je considère que le débat sur l'identité nationale, a toute sa place en réalité, mais qu'effectivement, il faut faire attention aux dérapages, il faut faire attention aux petites phrases, comme ça, sorties de leur contexte, qui peuvent heurter et faire souffrir des catégories de population. A la place de dire "jeunes musulmans", je pense que Nadine aurait du dire tout simplement "un jeune", et je crois qu'aujourd'hui le moindre mot est pris en otage, et le moindre mot peut en réalité heurter des populations. Je crois qu'il faut qu'on fasse très attention. D'ailleurs, à l'occasion du Conseil des ministres, j'ai eu l'occasion de rappeler que le débat sur l'identité nationale était important, mais qu'il fallait absolument border ce débat-là, parce qu'il fallait éviter les dérapages qui peuvent amener à la radicalisation des comportements, et libérer une certaine parole, qui peut être extrêmement dangereuse, notamment pour notre République et le vivre-ensemble.
 
Je voudrais que l'on écoute ce qu'a dit N. Morano, hier, à l'Assemblée nationale, pour expliquer qu'elle n'avait pas dit tout à fait ce qu'on lui avait fait dire...
 
N. Morano : Je leur dis, surtout ne vous laissez pas enfermer dans des caricatures, ne parlez pas le verlan, quand vous voulez chercher un emploi. Ne portez pas une casquette de travers et essayez d'être assimilés. Parce que ce n'est pas votre prénom qui sera un handicap, c'est cette caricature que l'on essaie de coller à ces jeunes, et qui m'indispose. Cela, je le redis très fermement devant vous...
 
F. Amara, c'est quoi « être assimilé » ?
 
Assimilé, c'est...
 
Là aussi c'est une maladresse ?
 
Pardon ?
 
D'employer ce mot, là aussi c'est une maladresse ou pas ?
 
C'est le débat qui existe depuis toujours, depuis que notre pays, qui s'est construit par vagues d'immigration, le débat a toujours apposé ces deux concepts, c'est ou l'assimilation ou il l'intégration. Moi, évidemment, je suis plus favorable à l'intégration, je suis très attaché à la République laïque, et j'ai envie qu'on me reconnaisse aussi dans le fait que je sois d'origine étrangère. J'ai toujours dit que le fait de ne pas avoir comme ancêtres les Gaulois, ne m'a jamais rendu schizophrène. Je crois...
 
Quand vous entendez, dans le reportage que l'on a passé dans le journal de 8 heures, entendre parler de "gaulois", de "blancs", ça vous choque, ça vous dérange ?
 
Non, ça ne me choque pas, parce que c'est un discours qui existe, dans les quartiers et au-delà des quartiers populaires. Je veux dire, les gens ont l'habitude de vivre ensemble. Effectivement, il y a eu quelques petits soucis de voisinage, des choses comme ça, mais le vivre ensemble existe en réalité. Ce qui me choque, moi, particulièrement, c'est que certains essaient, en réalité, de nous amener dans une autre démarche. Je regarde par exemple les petites phrases ici et là, de quelques-uns qui en profitent pour dire la haine qu'ils ont de l'autre, et je crois qu'il faut faire attention à ça, en réalité. Mais je ne pense pas qu'il faille confisquer ce débat-là, au contraire. Je crois que quand on veut...
 
C'est pourtant ce que réclament certaines associations, notamment l'Union des jeunes juifs de France.
 
Oui, oui, que je connais parfaitement bien, puisque ce sont des amis, mais je le dis comme je le pense. Quand j'étais responsable de "Ni putes, ni soumises", il faut libérer la parole, il faut permettre aux gens de mettre des mots sur leurs souffrances, sur leurs doutes, sur leurs interrogations. Ça ne me gêne pas, moi, quand on m'interpelle, en tant que fille d'immigrés, et qu'on me demande ma capacité à pouvoir m'intégrer, à accepter les règles du jeu de notre pays, etc. Mais en même temps, il est vrai aussi que j'ai besoin d'interpeler la République sur sa capacité à me considérer comme étant son enfant à part entière. Et ce que je vous dis là, c'est valable pour des centaines de jeunes, mais il faut aussi expliquer que le débat sur l'identité nationale, ne doit pas uniquement interroger les immigrés ou les enfants d'immigrés. Ça doit nous interroger tous. Qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui l'identité nationale, et comment chacun d'entre nous s'inscrit dans un projet collectif et comment chacun d'entre nous respecte les valeurs de la République.
 
Aujourd'hui, à l'Assemblée, on va parler de la burqa, puisque la mission parlementaire arrive à la fin de ses travaux - ce sera rendu en janvier. J.-F. Copé et F. Baroin notamment, ont fait une tribune ce matin, dans Le Figaro, pour dire : il faut interdire et il faut passer par la loi. Vous êtes d'accord ?
 
Moi, depuis le départ, je suis pour la loi. Vous connaissez ma position sur la burqa. Je suis...
 
Tout le monde n'est pas forcément de cet avis-là, y compris au sein de la majorité.
 
Oui, évidemment, c'est un débat, nous sommes dans une démocratie. Donc, moi, depuis le départ, j'ai déclaré que j'étais pour la loi. Je pense que là, nous touchons à quelque chose qui est fondamental, auquel je tiens particulièrement, c'est sur la question du respect des femmes et la question de l'égalité hommes-femmes. Quand on voit des femmes, et je le comprends parfaitement, encore une fois, aussi, je comprends parfaitement que les Français soient totalement choqués, quand on voit des femmes comme ça, ce que nous, nous appelons dans les quartiers...
 
Ça fait partie des choses que l'on entend d'ailleurs dans les débats sur l'identité nationale.
 
Tout à fait, mais c'est normal justement, il faut en parler justement. Et ça fait partie, d'ailleurs y compris dans nos quartiers populaires, quand nous-mêmes, quand on regarde un petit peu, quand on va dans les marchés et tout ça, quand on voit ces femmes qui débarquent, ça nous fait... on les appelle les corbeaux noirs, bon, bref. Et en fait, quand on regarde ça, ça nous choque aussi, parce que d'abord, un, ça n'est pas l'islam, ce n'est pas une prescription de l'islam comme j'ai pu l'entendre quelquefois, malheureusement. Je crois que l'on touche à quelque chose qui est... qui touche à une valeur fondatrice de notre République, c'est le débat du respect sur les femmes et de l'égalité hommes-femmes. Et la burqa n'a pas lieu d'être dans notre pays.
 
Autre débat, avant qu'on parle de Sevran, celui qui agite là aussi la classe politique, le retour des Afghans en Afghanistan. Un charter était censé partir hier soir de Roissy, c'est le grand mystère ce matin. Vous savez quelque chose, où ils sont partis ?
 
A l'heure où je vous parle, je suis désolée mais je n'ai aucune information.
 
Et vous trouvez ça normal qu'on les renvoie dans un pays ?
 
Moi j'ai pris des positions, vous connaissez, j'ai dit que j'étais pour la maîtrise de l'immigration, j'ai dit que j'étais pour l'apprentissage de la langue française, etc.
 
Mais sur cette question-là ?
 
J'ai dit que j'étais pour le fait qu'on lutte contre les filières clandestines, qui sont un vrai danger pour notre pays, mais surtout qui profitent malheureusement à des - excusez-moi l'expression - hommes et des femmes qui sont des exploiteurs de souffrance. Mais j'ai dit aussi que je n'étais pas favorable à l'expulsion des personnes, des Afghan, parce que c'est un pays qui est en guerre. Et j'ai une certaine idée de la France et je crois, encore une fois, que l'expulsion des Afghans dans un pays qui est en guerre, des Afghans civils, dans un pays qui est en guerre, ce n'est pas la France que j'aime. Je souhaiterais vraiment qu'il y ait la possibilité qu'on les garde, le temps que cette guerre se finisse et qu'ils puissent retourner chez eux.
 
On sera tout à l'heure à Sevran avec N. Poincaré. Vous êtes allée làbas à deux reprises, visiblement ils sont déçus de vos visites, ils souhaiteraient aujourd'hui, et c'est vraiment quelque chose auquel ils tiennent, les habitants de Sevran, avoir un commissariat. Pourquoi dans une ville de 50.000 habitants, il n'y a toujours pas de commissariat ?
 
Sur la question de l'insécurité, je crois que, aujourd'hui, on est tous d'accord pour le dire, d'ailleurs le ministre de l'Intérieur B. Hortefeux est très clair, le président de la République aussi, il faut être juste et ferme. Il faut être vraiment, ce que l'on dit dans les quartiers, "sans pitié" contre justement cette insécurité qui met en danger les habitants du quartier.
 
Mais pour lutter contre l'insécurité, il faut peut-être un commissariat implanté dans cette ville.
 
Il y a, dans le cadre de la dynamique "Espoir banlieue", des unités qui ont été mises en place. Il y a plus de 4.000 policiers qui sont retournés, justement, dans ces quartiers-là, et qui font un certain ensemble de travail. Il faut en profiter pour saluer le travail des policiers, qui n'est pas facile. On a pu voir les derniers événements, les faits divers, qui malheureusement nous donnent raison. Ce que je peux vous dire aujourd'hui, c'est qu'il y a un vrai travail de fond qui est fait. Quand on parle de Sevran, par exemple, c'est vrai qu'au mois d'août, quand il y a eu l'incendie, c'est vrai qu'on sait que dans le quartier de Beaudottes, on a des réseaux de mafia qui sont organisés et qui ont pris en otage...
 
Filières de la drogue...
 
...Et qui ont pris en otage des bâtiments. J'ai rencontré à maintes reprises le maire de Sevran, je me suis rendue sur place pour à la fois regarder ce qui se passe, ce qui va, ce qui ne va pas, avec le maire...
 
Il vous écoute, il sera avec nous, tout à l'heure...
 
Eh bien justement, avec le maire - et j'espère qu'il ne dira pas le contraire - avec le maire, on a réglé un certain ensemble de problèmes, on s'est vu aussi et je l'ai appelé aussi quand il s'est passé cette horreur à Sevran. Je crois qu'aujourd'hui il faut une mobilisation de tous. Il y a des UTEC qui existent, s'il faut un commissariat, je pense que l'on peut en discuter avec B. Hortefeux pour qu'un commissariat soit implanté à Sevran. Mais je tiens à préciser quand même que l'on peut régler le problème des banlieues, que si on est capable de se mobiliser tous. Je le dis et je le répète systématiquement. Evidemment, la mobilisation de l'Etat, avec l'ensemble des ministres, mais c'est aussi les collectivités locales, mais c'est aussi les citoyens. Il faut aussi arriver à faire en sorte, que tout le monde se mobilise contre cette insécurité qui prend en otage les gens des quartiers.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 janvier 2010