Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat à la prospective et au développement de l'économie numérique, à RMC le 12 janvier 2010, sur le rejet de la taxe carbone par le Conseil constitutionnel et sur l'éventualité de créer une taxe sur la publicité sur internet.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Bonjour. On va parler du voile intégral avec vous. Votre arrière grand-père était sénateur-maire communiste, puis socialiste.
 
Oui, c'est vrai.
 
Votre grand-père, grand résistant gaulliste.
 
Oui.
 
Polytechnicienne.
 
Oui.
 
J'ai deux sondages à vous proposer ce matin : premier sondage pour La Tribune, BFM et BFM-TV, pour 53 % des Français, les 35 heures ne sont pas un handicap pour les entreprises. Vous êtes comme eux, vous pensez comme eux ?
 
C'est-à-dire qu'on les a maintenant tellement assouplies qu'en effet, heureusement, ce n'est plus un handicap pour les entreprises.
 
On ne revient pas sur les 35 heures, c'est fini ça, c'est un vieux débat ?
 
Il y a deux choses différentes. Est-ce que les 35 heures sont une base légale aux discussions et après on déplafonne les heures réglementaires et on paye les heures réglementaires, comme l'a souhaité le président de la République, et à ce moment-là, non, les 35 heures ne sont pas une limite. Ou est-ce que les 35 heures, c'est vraiment une limite stricte, un plafond, et on ne va pas au-delà, et à ce moment-là c'est une rigidité insupportable qui s'impose à l'entreprise, ce n'est pas la même chose. (inaud)
 
Autre chiffre : 58 % des Français estiment que le Gouvernement aurait dû abandonner le projet de taxe carbone après son annulation par le Conseil Constitutionnel. Vous aussi, vous pensez comme les Français ?
 
Non, je ne suis pas d'accord.
 
Non ?
 
Je ne suis pas d'accord, je trouve que le projet de rééquilibrer notre fiscalité, de sortir d'un système, dans lequel on est pour des raisons historiques, qui nous conduit à taxer le travail, à taxer l'investissement, à taxer tout ce qu'on voudrait en plus et à très peu taxer la pollution, c'est-à-dire tout ce qu'on trouvait en moins, est un système absurde. Et l'idée de rééquilibrer ça, de taxer moins l'investissement et moins le travail, comme par exemple avec la réforme de la taxe professionnelle, c'est un petit peu la même philosophie, pour venir taxer plus la pollution, c'est une idée intelligente.
 
La pollution émise par les grands groupes industriels, aussi ?
 
Aussi. La pollution des grands groupes industriels, il avait décidé au niveau européen de la gérer plutôt par des quotas, tout ça peut s'organiser. J'entends bien les arguments du Conseil Constitutionnel, mais le fond, qui est de déplacer le poids de la fiscalité de puisqu'on veut de plus, le travail et l'investissement, et ce qu'on veut de moins, la pollution, c'est absurde.
 
Est-ce vous pensiez que le Conseil Constitutionnel censurerait le texte, franchement ?
 
Le Conseil constitutionnel a toujours été opposé à la fiscalité écologique, ils ont déjà censuré un texte...
 
Donc, vous vous attendiez à cela ?
 
Non, je ne m'attendais pas à cela ; ça a été une surprise. Mais rétrospectivement, je vois qu'ils ont déjà censuré un texte sur la fiscalité environnementale, qui était à l'époque porté par la gauche, taxe générale sur les activités polluante... Parce que la fiscalité environnementale, ça vient en rupture de nos dogmes fiscaux ; on veut faire évoluer à travers la fiscalité les comportements. C'est ça, la fiscalité environnementale : on veut faire changer de comportement, on veut nous inciter à avoir des comportements plus vertueux alors que le dogme traditionnel c'est :" on va prélever de l'argent de la façon la plus indolore possible pour que vous ne vous en rendiez même pas compte". Evidemment, ce n'est pas la même chose, et le Conseil Constitutionnel est plus dans la logique traditionnelle que la logique plus contemporaine qu'on défend.
 
La taxe sur Internet, on a besoin de précisions. Est-ce que vous allez taxer les grands acteurs d'Internet, je pense à Google, Yahoo, je pense à tous ceux qui font de l'argent en France, mais qui sont installés à l'étranger ?
 
D'abord, je trouve que l'écho qui a été donné au rapport Zelnick est très injuste. Et j'invite tous ceux - et j'en vois beaucoup parce que je suis beaucoup sur Internet - qui en parlent à le lire vraiment. Franchement, il faut le lire, parce que le travail qui a été fait a été très intéressant, et notamment c'est un travail qui essaye enfin de sortir du débat des gros contre les gros, des gros, les majors de la musique contre les gros des accès à Internet, des FAI tout ça, pour venir sur les petits pure players du monde de la musique en ligne, et dire : c'est ceux-là qu'il faut aider. Si on veut développer une offre alternative au téléchargement illégal, c'est les petits acteurs qui développent des modèles économiques innovants qu'il faut aider. Il propose par exemple de financer pour 10 millions d'euros ces modèles innovants ; il propose de créer une carte jeune pour inciter les jeunes à venir télécharger légalement. Il propose aussi, c'est très important, de changer les termes de négociations entre les gros et les petits, parce qu'un des problèmes des petits acteurs de la musique en ligne, c'est d'avoir accès aux catalogues. En fait, les gros trustent les catalogues. Et là, ils proposent de changer les termes de la relation concurrentielle, y compris par la loi, pour obliger en fait à ce que les petits acteurs de la musique en ligne puissent avoir tous les catalogue donc, pour que l'offre soit vraiment attractive.
 
Toutes ces propositions sont retenues ?
 
Ce sont des propositions qui sont en débat, comme ce que vous appelez "la taxe Google" au passage, c'est un rapport et un rapport de propositions. Et d'abord, on fonce sur une des propositions, on la surnomme, et on ne parle plus que de ça !
 
Mais parce que Google, c'est Google, vous le savez bien ! Alors, cette taxe, oui ou non ?
 
Sur cette taxe, en plus, il y a un truc qui est...
 
Oui ou non ?
 
...il y a un truc qui est très frappant, c'est que, tout le monde appelle "taxe Google", avouant par là même, de manière pas subliminale du tout, qu'il y a un problème concurrentiel sur le marché. Parce que, on parle de taxer en fait, les revenus de la publicité en ligne, et boum, tout le monde appelle ça "taxe Google". Eh bien, oui, Google c'est 70 % de la publicité en ligne. Et il faudrait se rendre compte quand même que Internet n'est pas le paradis de la concurrence, et la proposition qui est faite dans le rapport Zelnick et qui a été reprise par le président de la République, de saisir l'autorité de la concurrence pour parler un petit peu de la concurrence sur Internet et du caractère non concurrentiel, a priori, éventuellement, en tout cas il faut voir, du marché de la publicité, (inaud) Je viens sur la contribution elle-même. La contribution, c'est une idée qui part d'une réalité, qui est trop peu connue sur Internet, qui est que Internet ne détruit pas la valeur qui existe dans une chaîne de production. En fait, Internet la fait migrer, on la retrouve ailleurs la valeur, et actuellement, de plus en plus, on la retrouve dans la pub. Et on la retrouve en fait essentiellement vers quelques grands acteurs de la pub, et notamment un grand acteur de la pub sur Internet. C'est-à-dire que les contenus sont créés au niveau national, et la valeur, elle, elle est captée, et elle est captée à travers la publicité, par un, deux, trois grands acteurs. Ça, c'est quand même un problème parce que pour créer des contenus, il faut des sous. Et donc la question que pose Zelnick est une bonne question. Après, la faisabilité juridique de la chose, elle, est plus problématique. Et c'est la question que le président de la République a posée à C. Lagarde. Il lui a demandé précisément de regarder la faisabilité juridique et de regarder l'impact, et notamment les éventuels effets de bord. Attendons d'avoir le résultat de cette étude.
 
Et vous êtes favorable à une taxe ?
 
Sur le fond, je trouve cela intéressante la démarche de Zelnick. Après, je ne suis pas sûre que ce soit faisable juridiquement. C'est cela le sujet.
 
C'est-à-dire vous émettez des doutes ?
 
Sur la faisabilité juridique ?
 
Pas que sur la faisabilité juridique, vous émettez des doutes sur...
 
Comprenez-moi. Je trouve très important de pouvoir récupérer une partie de la valeur qui ...
 
C'est de la science -fiction ! Vous savez qui dit que c'est de la science fiction ?
 
J'imagine bien si vous me posez la question.
 
C'est votre frère. Oui, c'est votre frère, PDG de "priceminister", coprésident de l'association qui regroupe les principaux acteurs français du Web.
 
Je crois que mon frère s'exprime là en coprésident...
 
D'imaginez que des sociétés étrangères vont accepter de dire "je fais tel chiffre d'affaires dans tel pays", c'est de la science-fiction !
 
Dans l'association dont mon frère s'exprime ici comme coprésident, il y a Google, Microsoft et Yahoo. En général, un président d'association n'a pas envie qu'on taxe ses ouailles.
 
C'est ce qu'il pense.
 
Mon frère est juste un mec normal, il n'a pas envie qu'on taxe ses ouailles.
 
Et vous pensez comme lui alors ?
 
Je ne suis pas tenu par lui. Non.
 
Vous ne pensez pas comme lui ?
 
Non, je pense qu'il faut étudier la chose. Je pense que c'est intéressant. Je pense que c'est juridiquement compliqué. Je pense que le principe n'en est pas scandaleux.
 
Oui, le principe...
 
Ce n'est pas la même chose. Parce que vous ne pouvez pas être dans le système...
 
Mais au-delà des principes, est-ce qu'un jour cette taxe existera ?
 
On ne peut pas éternellement être dans un système dans lequel il y a des gens qui créent d'un coté et qui ne reçoivent plus rien pour leur création. Donc il y a un moment où ils vont crever. Et de l'autre côté, vous avez des gens qui se financent sur les flux qu'occasionnent ces créations. J'ajoute qu'au niveau national, je trouve cela quand même un peu emmerdant, parce que la création elle est pour partie nationale, et les flux, ils sont pour partie, et pour une très grande partie, en fait, hébergés à l'étranger.
 
C'est du vent ce qu'a dit le président de la République, non, franchement ?
 
Pas du tout, pourquoi vous dites cela ?
 
Je ne sais pas, puisque c'est difficilement applicable.
 
Non mais il demande justement à C. Lagarde d'examiner les conditions dans lesquelles cela pourrait l'être.
 
J'ai lu la presse anglo-saxonne : absurde, c'est absurde complètement aveugle à l'essence même d'Internet. Le Financial Times allemand qui dit "la taxe Google serait préjudiciable aux utilisateurs français, car pour les compagnies Internet, le plus simple serait d'empêcher les internautes français d'accéder à leur site". Le New York Post : "les vautours de la culture française veulent taxer les entreprises du Net.", etc., etc.
 
Certaines de ces critiques soulèvent des vraies difficultés juridiques et techniques. Certaines de ces critiques, si vous voulez, elles sont parfois excessives, il y a quelque chose parfois d'agressif dans la façon dont elles sont formulées. Mais certaines de ces critiques soulèvent des vraies difficultés juridiques et techniques. Je ne les masque pas. Simplement, je dis que ce n'est pas scandaleux, sur un marché qui est dominé à 70 % par un acteur et dans lequel est en train de migrer toute la valeur de certaines chaînes de valeur historiques. C'est-à-dire qu'on est en train de détruire le business et donc la possibilité d'exister, parce que les revenus c'est quand même la possibilité de vivre dans l'économie de certains acteurs. Ce n'est pas absurde de poser la question.
 
Alors quand ?
 
Pour le moment, le président de la République a demandé à C. Lagarde d'examiner la faisabilité juridique et comme vous l'avez vu, ce n'est pas gagné.
 
Donc avant fin 2010, on ne verra pas cette taxe ?
 
Vous êtes formidable ! On en reparle.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 janvier 2010