Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, à "RTL" le 12 janvier 2010, sur la stratégie de construction de l'entreprise Renault.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Renault, dont l'Etat est actionnaire à 15 %, pourrait décider de construire la Clio 4 en Turquie, dans son usine de Bursa. En tant que représentant de l'Etat, ce matin, sur RTL, L. Wauquiez, cette éventualité vous choque-t-elle ?

Ma seule préoccupation, c'est l'emploi. La seule question qu'on regarde, c'est qu'est-ce que ça donne en terme d'emploi ? Et de ce point de vue, il faut que Renault sache et connaisse ce qui est pour nous la ligne rouge absolue, parce que c'est une ligne rouge sur laquelle ils se sont engagés sur le pacte automobile. Elle est simple : aucune fermeture de site, aucun licenciement. Ce sont sur ces deux points qu'il y a un engagement qui est très clair de la part de Renault.

Et Renault dit : "Cet engagement sera respecté puisque l'usine de Flins, notamment, qui fabrique la Clio, va être reconvertie pour fabriquer des voitures électriques". Donc, pas de destruction d'emplois en France, explique Renault, mais oui, peut-être, fabrication de voitures destinées au marché français fabriquées ailleurs, et notamment en Turquie.

D'abord, et vous l'avez dit, Renault ce n'est pas une entreprise comme une autre. Ce n'est pas une entreprise comme une autre, pour deux raisons : l'Etat est actionnaire.

15 %...

Et une des lignes du président de la République, c'est quand on est actionnaire, ce n'est pas pour regarder passer les trains.

Mais 15 % seulement.

Oui, mais actionnaire quand même. Vous avez raison, ce n'est pas actionnaire majoritaire mais c'est un actionnaire et 15 % ce n'est pas pour être juste spectateur. La deuxième chose, c'est que c'est une entreprise qu'on a beaucoup aidée et qu'on a aidée pendant la crise comme les entreprises automobiles. Juste une parenthèse là-dessus : souvenez-vous, il y a un an et demi, d'ailleurs à ce micro, on avait eu un débat sur un autre site industriel, celui de Sandouville...

Je me souviens.

... qui, à l'époque, était menacé de fermeture. On s'est battus. On a mis en place le programme "former plutôt que licencier". On a mis en place la prime à la casse. Aujourd'hui, les gens qui travaillent à Sandouville, ils ont toujours un site industriel, ils travaillent toujours. Et on va se battre avec C. Estrosi de la même manière sur les questions aujourd'hui qui sont soulevées par : est-ce que la Clio 4 part ou non en Turquie ?

C. Estrosi, ministre de l'Industrie, disait ceci au Journal du Dimanche : "Une voiture française destinée à être vendue en France, doit être produite en France". C'est acceptable ça comme position, d'après vous ?

En tout cas, pour nous, sur ce que doit être la ligne d'une entreprise dans laquelle l'Etat est actionnaire, c'est celle qu'on défend. Une idée qui est simple : s'il s'agit de vendre français, il faut autant que possible produire français. S'il s'agit de vendre à l'international, on peut produire à l'international. Je ne dis pas, bien entendu. Ce qui serait stupide de ma part, et vous le savez bien que tout ce qu'on achète aujourd'hui est produit en France.

Mais c'est un peu que vous suggérez, vous dites : si c'est pour le marché français, il faut fabriquer en France ?

Je dis que la ligne que nous, on doit défendre, ça doit être celle-là. C'est vrai qu'autant que possible, pour deux raisons d'ailleurs assez simples. D'abord, ce n'est pas sot d'utiliser notre marché intérieur pour qu'il nous aide à défendre nos emplois. Et puis c'est aussi une logique qui est à terme la meilleure en terme de développement durable. Aller produire à l'étranger pour ensuite rapatrier en France, ce n'est pas bon non plus en terme de développement durable. Juste un point là-dessus, sur cette usine à Flins. On s'est battu pour mettre en place la voiture électrique sur laquelle C. Estrosi a fait un énorme travail pour que la voiture électrique soit produite à Flins ; et heureusement parce qu'on voit bien aujourd'hui que sinon, on serait dans une situation encore plus compliquée. Mais avoir la voiture électrique, ça ne veut pas dire qu'on peut accepter d'abandonner la production de la voiture Clio. Et c'est un dossier que le président de la République suit lui-même très attentivement.

La question qu'on se pose, c'est les moyens dont vous disposez pour convaincre Renault de faire ou de ne pas faire ce qui relève de choix industriels parce que Renault explique simplement la décision de fabriquer les voitures, par exemple en Turquie, ça coûte moins cher, ça coûte de 10 % à 15 % moins cher, donc c'est un choix industriel. Comment vous pouvez vous y opposer ?

Deux remarques là-dessus. D'abord, la première, je sais bien que quand je dis ça, vos auditeurs et vous-même le premier, vous vous dites : d'accord, ils sont sympathiques mais c'est de l'agitation politique, qu'est-ce qu'il y a derrière ?

Oui... Je ne sais si je dis que vous êtes sympathique mais en tout cas, comment vous pouvez vous y opposer ? Je n'ai même pas droit à ça ! Mais comment vous pouvez vous y opposer ?

Mais c'est pour ça que j'ai pris soin de rappeler les batailles qu'on a menées par le passé là-dessus. Sur l'industrie automobile, on ne vient pas sur un terrain vierge. Il y a un an et demi, on nous annonçait l'apocalypse, on a été capables de se battre mais avec des mesures très pragmatiques, pas des grandes choses, pas des grands principes. Des choses très pragmatiques. Et je pense qu'il faut qu'on aborde ce sujet de la même manière. Maintenant, il y a la question de fond que vous avez posée.

Le coût du travail en France. C'est celle-là la question...

Non, ce n'est pas ça que vous avez posé ; et vous avez eu raison de la poser comme ça : c'est le coût de la production en France. Et si notamment c'est ce qu'il faut que nos auditeurs comprennent, si notamment on se bat pour supprimer la taxe professionnelle qui pèse très fortement sur la compétitivité de la production automobile en France, si on se bat pour favoriser la recherche et l'innovation, celle qui permet de développer les nouveaux modèles automobiles par le crédit impôt-recherche, c'est pour que la France reste une terre industrielle. Et pour moi, je le dis simplement, dans l'identité nationale il y a d'abord le fait que la France soit une terre industrielle. J'ai vu ce débat se faire confisquer par les questions d'immigration, c'est sans doute, dans la crise, pas le coeur du débat. Le coeur du débat, c'est celui que vous posez aujourd'hui : dans la délocalisation, comment est-ce que la France peut garder ses emplois et quelle est son identité économique ? Son identité économique, c'est d'être une terre industrielle.

Vous suggérez qu'avoir confié le débat sur l'identité nationale au ministre de l'immigration, ce n'était pas la meilleure idée ?

Non. Je suggère que comme E. Besson lui-même l'a dit, le débat ne doit pas être réduit.

Quelques chiffres pour fixer les idées. 25 % de la production de Renault est réalisée en France, 45% de la production de Peugeot- Citroën est fabriquée en France, 60 % de la production de Volswagen est fabriquée en Allemagne.

Et vous avez raison d'évoquer le modèle allemand parce que c'est un modèle à suivre sur le plan industriel. Sur un autre sujet aussi, l'apprentissage, où l'Allemagne, pour la formation de ses jeunes, est un pays remarquable. Ca leur permet d'avoir des jeunes qui accèdent plus vite à l'emploi. Ce sera aussi une de mes batailles pour 2010.

Devenons allemands !

Non, pas "devenons allemands" mais regardons ce qui se passe de bien à l'étranger. Et à l'inverse ce qui se passe de mal, le Royaume-Uni par exemple, est un mauvais exemple pour la défense de l'industrie.

Dans ce contexte, la création de la taxe carbone uniquement en France est psychologiquement mal vécue par les industriels français. C'est ce qu'explique par exemple l'industriel qui est chargé de ceci au Medef, J.-P. Clamadieu, qui est PDG de Rhodia. Est-ce qu'il faut persister, insister sur la taxe carbone seulement en France pour les intérêts industriels ?

L'horizon pour nous, clairement, c'est d'arriver à faire en sorte que l'Europe défende son marché intérieur quand d'autres pays ne jouent pas le jeu, et je pense notamment à la Chine. Donc l'horizon, pour nous, c'est bien une taxe carbone européenne. Mais le passé nous a montré que si jamais la France ne bouge pas et ne montre pas l'exemple, on a peu de chance d'aboutir. On en a aujourd'hui un exemple simple : la France a décidé de taxer les bonus des traders ; très curieusement, on voit qu'aujourd'hui de l'autre côté de l'Atlantique, ils sont aussi en train de réfléchir.

Et vous avez vu des pays où il y aura la taxe carbone, bientôt ?

On espère. En tout cas, on essaie de se battre dans ce sens-là.

Pour l'instant, ce sera en France ?

Mais ça peut être une bonne idée que ça puisse être dans l'Europe.

Alors, vous avez parlé des apprentis. Rapidement, vous voulez signaler que vous ouvrez un site Internet pour "atelierapprentissage.fr" pour mettre en relation les entreprises et ceux qui veulent faire de l'apprentissage ?

Oui, pour une raison simple, c'est qu'un jeune qui est formé par le biais de l'apprentissage, il trouve un emploi deux fois plus vite qu'un jeune qui fait une formation purement théorique. Donc on a un problème pour l'accès de nos jeunes à l'emploi, ce n'est pas un problème qui date seulement de la crise, c'est un problème structurel. Et RTL qui est une chaîne très investie sur les questions d'emploi, on a intérêt à engager nos jeunes sur la voie de l'apprentissage.

Ca, c'est sympathique de le dire comme ça ! Juste rapidement, on a parlé industrie, emploi, désinsdustrialisation parce que ce sont des vrais problèmes et on nous embête - le mot est faible - avec la burqa...

Oui. Ce n'est pas un petit sujet. Ce n'est pas le sujet majeur non plus. Et j'ai envie de dire là-dessus : essayons d'avoir une position qui dépasse les clivages politiques et puis surtout, que personne ne fasse d'opérations d'auto-promotion personnelle.

Vous pensez à quelqu'un ?

Oui, je pense à quelqu'un. Je pense qu'il y a un travail...

Dites le nom !

Vous allez tout de suite le repérer.

Non, dites-le !

Je pense que le président du groupe UMP, qui défend le Parlement et qui dit qu'il faut qu'il y ait un hyper-Parlement qui travaille, il y a un groupe de travail au Parlement qui est en train de faire les choses, il faut laisser l'hyper-Parlement travailler et que personne pour une opération de promotion personnelle, ne dépose dans la hâte une loi à la va-vite.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 janvier 2009