Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur les dispositifs d'aides au cinéma et l'avance sur recettes, Paris le 13 janvier 2010.

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Circonstance : Installation de la Commission d'avances sur recettes au CNC le 13 janvier 2010

Texte intégral


Madame la Présidente du Centre national du Cinéma et de l'Image animée (CNC), Chère Véronique CAYLA,
Madame la Présidente de la Commission d'aide sélective à la production de longs métrages, plus connue sous le nom d'« Avance sur recettes », Chère Florence MALRAUX,
Monsieur le Président « sortant », Cher Pierre CHEVALIER
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Si j'ai tenu à être présent parmi vous à l'occasion de cette soirée, c'est pour manifester l'importance que le Ministre de la Culture et de la Communication accorde au travail que vous avez consenti - ou que vous allez consentir pour ceux d'entre vous qui, ce soir, entrent dans le cercle très fermé, très prisé de l'avance sur recettes - en faveur du dispositif d'aide au cinéma le plus unanimement apprécié et reconnu. La commission d'avance sur recettes reste à ce jour, depuis cinquante ans, depuis la géniale intuition d'André MALRAUX, le symbole même de cette « exception française » qui a permis à tout un cinéma indépendant, à tout un cinéma d'auteurs, à tout un cinéma d'ailleurs, mais de langue française, d'exister et de prospérer.
De ce dispositif, ses inventeurs ont affirmé qu'il reposait sur deux principes : « le premier - dit Pierre MOINOT, qui travailla auprès d'André MALRAUX et conçut avec lui ce système - partait de l'idée qu'on peut faire un mauvais film avec un bon scénario mais qu'il est très rare qu'un mauvais scénario aboutisse à un bon film ». C'est ainsi qu'il justifiait sa méthode : faire de la qualité du scénario le critère de sélection de l'avance sur recettes. Le principe a, depuis, évolué, puisqu'aujourd'hui on peut visionner aussi les premières oeuvres (courts métrages, oeuvres pour la télévision) de l'auteur d'un film, en plus du scénario, pour apprécier son talent de metteur en scène, de réalisateur. Et puis l'avance, c'est aussi le troisième collège qui a pour vocation de juger sur film terminé et, parfois, de réparer d'éventuelles erreurs d'appréciation sur un scénario dont la réalisation est une réussite. Cette méthode, qui a fait ses preuves, a donc su également s'adapter au fil du temps. C'est « le génie du système » (comme le disait d'Hollywood André BAZIN), même s'il n'est pas possible de créer un système du génie...
Le second principe, cher aux inventeurs de l'avance, est demeuré intact depuis cinquante ans, et je suis convaincu qu'il ne faut le modifier pour rien au monde : ce principe, toujours selon Pierre MOINOT, c'était qu'« une addition de subjectivités très diverses » est le meilleur moyen, paradoxal seulement en apparence, de se rapprocher « asymptotiquement » de l'objectivité. En conséquence, il avait souhaité (je le cite encore) « une commission composée de membres d'origine, de goûts, d'écoles, de formations très différentes », et il fallait leur soumettre « des scénarios achevés, construits et dialogués, permettant à chacun d'imaginer, non pas peut-être le film, mais son film ». Cela traduit bien l'expérience que chacun d'entre eux a pu faire, ou pourra faire, du débat, de la discussion en comité ou en plénière qui est le coeur du dispositif.
L'autre motif de ma présence est lié à l'affection et à la grande estime que je porte à tous ceux qui ont accepté de consacrer beaucoup de leur temps à cette ambition collective et désintéressée, et d'abord à ceux qui ont accepté d'assumer - je parle d'expérience - la lourde responsabilité de la présidence.
Je voudrais remercier ce soir Pierre CHEVALIER d'avoir été un président attentif, disponible, sensible avant tout à la qualité des projets qui lui étaient soumis - hors de toute autre considération - et d'avoir consacré beaucoup de son temps et de son énergie à cette mission. Je dis mission, je pourrais presque dire sacerdoce... Nous commençons à voir, au fur et à mesure que les films sortent en salle, à quel point les choix de la commission sous sa présidence ont été avisés : avoir soutenu des projets aussi variés que ceux de Bertrand TAVERNIER, de Jean-Paul RAPPENEAU, de Djamshed USMONOV, de Lou YE, de Mahamat SALEH HAROUN, pour ne citer qu'eux, ou que le film d'animation de Jean-Francois LAGUIONIE, c'est la preuve d'un authentique souci de diversité, absolument indispensable au renouvellement de la création. De tout cela, merci, Pierre ! Ma présence est aussi pour moi l'occasion de dire à Florence MALRAUX toute mon admiration, et ma conviction profonde qu'elle possède toute l'expérience, toute l'intelligence et toute la finesse requises pour conduire cette belle institution, pour lire les projets avec toute l'attention qu'ils méritent, et pour dénicher les talents et les chefs d'oeuvre de demain. Malgré son apparence discrète, elle a la carrure et la stature de ces membres de la commission que furent, aux débuts de l'institution, les Jacques AUDIBERTI, Julien GRACQ ou Edgar MORIN, suivis ensuite par Françoise GIROUD, Christian BOURGOIS et bien d'autres.
Enfin, si je suis venu ce soir, c'est aussi pour rendre hommage à tous les personnels qui animent cette commission avec un dévouement absolu, dont j'ai été le témoin direct durant des années. Je connais leur amour du travail bien fait, leur respect pour les auteurs, leur souci de faciliter la tâche aux membres de la commission, et je souhaite les remercier chaleureusement de leur conscience professionnelle et de leur engagement sans faille. Ces remerciements s'étendent à l'ensemble du personnel du Centre, placé sous l'autorité vigilante et ô combien compétente de sa présidente Véronique CAYLA, que je remercie de nous accueillir ce soir.
Vous avez la chance de voir ce soir un premier film qui a obtenu l'avance dès le premier tour de vote. C'est d'ailleurs un très beau symbole, car le scénario de ce film était un travail de fin d'études de Léa FEHNER à La Fémis (dont la présidence vient d'être confiée à Raoul PECK comme je le souhaitais), et qu'après avoir passé avec aisance l'examen du premier collège, il a été couronné par le prix LOUISDELLUC du premier film, sans doute l'une des plus prestigieuses récompenses que puisse recevoir un(e) jeune cinéaste français(e), car ce Prix exprime l'unanimité de la critique autour d'une oeuvre. Avant de laisser le producteur du film Jean-Michel REY, vous présenter ce film, je voudrais rappeler que Jean-Michel a distribué les deux derniers films d'Eric ROHMER - comme je rends aussi hommage à Margaret MENEGOZ et à toute l'équipe du LOSANGE qui a accompagné si longtemps ce grand auteur - dont la perte, faut-il encore le souligner, est immense pour nous tous. Il avait, lui aussi, reçu, bien sûr, le soutien de l'avance - je crois que son premier film à avoir bénéficié de l'avance a été La Collectionneuse.
En ces temps que je sais troublés et parfois inquiétants pour le monde du cinéma, qui doit non seulement parer les effets de la crise économique, mais aussi se préparer à une révolution technologique majeure, d'ailleurs largement entamée, celle du numérique, je crois qu'une institution comme la vôtre garde, plus que jamais, tout son sens.
Elle doit continuer de jouer pleinement son rôle face aux tentations de la facilité, ou à l'application pure et simple des règles du marché, dont elle doit contribuer à se libérer. C'est à vous - à un niveau que vous pourriez tenir pour humble, mais qui est en réalité évidemment essentiel - de permettre que continue de souffler dans le cinéma de langue française ce vent de liberté et d'invention qui est sa raison d'être. Certes, l'Etat a tout fait en France pour consolider le financement des films et nous voyons tous que - même en temps de crise - ce modèle offre une belle résistance et une belle résilience. Mais si les financements restent solides, vers quels films se portent-ils spontanément ? A cet égard, « l'avance » doit demeurer un laboratoire, et un label d'excellence. Elle doit savoir aider les films qui resteront, qui feront patrimoine. Ces films que certains décideurs financiers jugent parfois secondaires et qui sont indispensables. C'est cela, la plus belle récompense que vous puissiez obtenir en contrepartie de votre participation à la commission.
C'est bien parce que je suis convaincu du rôle essentiel de cette commission que j'entends poursuivre la revalorisation du budget dont elle dispose comme l'a suggéré le rapport du Club des 13. J'ai bien noté que vous avez, cette année, consenti une augmentation significative des montants accordés à certains films à proportion de leurs besoins artistiques et aussi de l'enthousiasme qu'ils avaient suscité lors de vos débats. Je serai très à l'écoute de vos observations et je me propose de rencontrer, chaque fois qu'elle le souhaitera, la Présidente Florence MALRAUX pour qu'elle me parle de son sentiment d'ensemble sur les projets que vous recevez, puisque cette commission est véritablement un observatoire de la création dans notre pays.
Sachez, enfin, que je mesure parfaitement la lourdeur imposante de la tâche qui va être la vôtre cette année : plus de 600 scénarios à lire collectivement. Je me souviens de membres du collège arrivant rue Galilée, pour les plénières, avec une valise à roulettes... C'est une vraie responsabilité, et je vous remercie d'avoir accepté de l'assumer. Vous n'en serez pas déçus, car elle est passionnante. Je souhaite donc, à chacun d'entre vous, bon travail et, bien sûr, une excellente année 2010 !
source http://www.culture.gouv.fr, le 15 janvier 2010